Français | عربي | English

Accueil > Grandes Figures de l’Islam > Récitateurs du Coran > Sheikh Muhammad Rifʿat

Sheikh Muhammad Rifʿat

Le père des récitateurs égyptiens

vendredi 10 août 2001

Muhammad Rifʿat (1882 - 1950)

Nombreux sont ceux qui considèrent Sheikh Muhammad Rifʿat comme le meilleur récitateur du Coran du XXe siècle. Par sa voix qui allie douceur et componction, il a su pénétrer les cœurs et les âmes des Musulmans. Sa voix expressive déploie le sens du verset, et fait vibrer les cordes du recueillement et de l’émotion, dans un style unique.

Enfance et jeunesse

Muhammad Rifʿat naquit dans le quartier d’Al-Mugharbilîn, à Ad-Darb Al-Ahmar, au Caire le lundi 9 mai 1882. Son père, Mahmûd Rifʿat, était un
agent de police, après avoir été un soldat. Lorsque celui-ci devint policier, il s’installa avec sa famille à Darb Al-Aghwât, rue Muhammad
ʿAli.

Le fils, Muhammad Rifʿat, fut atteint de cécité à l’âge de deux ans, suite à une maladie des yeux. Une histoire est souvent citée pour accompagner ce triste incident. Une femme qui l’avait vu dit de lui : « cet enfant est fils de rois. Ses yeux disent cela... ». Le lendemain, le petit Muhammad Rifʿat en se réveillant hurla de douleur, et depuis, ses yeux ne virent plus la lumière.

C’est alors que le père, Mahmûd, voua son fils au service du Noble Coran. Il l’envoya à l’école coranique de la Mosquée de Fâdil Pacha, située à Darb Al-Jamamîz. Il y accomplit la mémorisation et le Tajwîd [art de la récitation] du Coran avant l’âge de dix ans.

Peu de temps après, son père retourna à Dieu et l’enfant dut subvenir aux besoins de sa famille. Il s’agrippa au Noble Coran, tout en refusant de faire de sa récitation un gagne pain, et se mit à réciter des passages du Noble Coran chaque jeudi dans la mosquée en face du bureau de Fâdil Pacha.

La qualité de sa récitation fit qu’il devint le récitateur attitré de cette mosquée alors qu’il n’avait que quinze ans et fut chargé de réciter chaque vendredi avant le sermon. Sa voix secoua les cœurs des orants et sa renommée s’agrandit tellement qu’il était difficile de trouver une place dans la mosquée ou les ruelles avoisinantes. Une grande foule se précipitait pour tendre l’oreille à cette voix angélique. Il arrivait aussi qu’en écoutant sa voix unique des gens se retrouvent dans des états extatiques et perdent conscience. Il récita le Coran pendant trente ans, fidèle à cette mosquée où il avait grandi et déclina des offres insistantes l’invitant à réciter dans les plus grandes mosquées du Caire.

Sa Formation

Sheikh Muhammad Rifʿat ne se contenta pas du don naturel que Dieu lui avait accordé, il ajouta à sa voix exceptionnelle et à la pureté de sa récitation, la précision et la maîtrise de la science des lectionnaires (Al-Qirâ’ât) qu’il a étudiée, ainsi que l’apprentissage de l’exégèse. Il avait également l’oreille sensible aux variations musicales si bien qu’il se procura les plus célèbres des opérettes et symphonies classiques et étudia la musique de Beethoven et Mozart.

Sheikh Muhammad Rifʿat marqua les cœurs et les esprits par sa dignité et son ascétisme. Les biens de ce bas-monde ne pouvaient être échangés contre la récitation du Coran. Renonçant aux ornements de ce monde, il ne courait pas après la fortune : il est venu du Monde de l’Inconnu, pour être au service du Coran et il le sera toute sa vie, sans se détourner de sa voie tracée depuis son enfance. C’était un homme qui avait des principes et une âme noble, et il répétait sa célèbre phrase : « le récitateur du Coran ne peut jamais être humilié ni endetté ». Cette phrase fut le reflet de toute sa vie et son respect pour le Coran, et pour lui-même. Des stations radio locales le prièrent de diffuser sa voix récitant le Coran, sa réponse fut : « La prestance du Coran est incompatible avec les chansons immorales que vous diffusez sur votre station ».

Lorsque la Radio Egyptienne fut fondée le jeudi 31/05/1934, sa voix mélodieuse l’inaugura par ces versets : « En vérité Nous t’avons accordé une victoire éclatante ». Il avait demandé au préalable aux savants d’Al-Azhar s’il était licite de fonder la radio du Coran, en ce sens qu’il craignait qu’elle soit aussi diffusée dans des lieux de divertissements ou dans les bars...

Ainsi, âgé de cinquante ans, les ondes radio diffusèrent sa voix recueillie et émouvante. Elle atteignit les cœurs et les arrosa de la douceur du Coran et la beauté de la récitation. Les assoiffés de cette majestueuse récitation étaient nombreux et l’attendaient comme une terre aride languissant pour les nuages, et restaient sous son charme comme s’ils entendaient pour la première fois les versets récités. Ce n’est pas d’une magie qu’il s’agissait, mais l’alliance entre deux beautés : la Sublime Beauté de La Parole Eternelle du Tout Majestueux et la voix angélique d’un serviteur du Très-Miséricordieux.

L’étoile de Sheikh Muhammad Rifʿat brilla dans le ciel de la récitation et posséda les cœurs de millions de musulmans. Certains embrassèrent même l’islam après l’avoir entendu réciter le Coran. Un jour, Sheikh ʿAli Khalîl de la Radio du Caire vint le voir, accompagné d’un pilote anglais. Sheikh ʿAli Khalîl lui dit que ce pilote entendit sa voix au Canada et décida de venir au Caire pour le voir. Le pilote embrassa l’islam.

Au cours de la 2e guerre mondiale des radios mondiales - comme celle de Berlin, Londres ou Paris - se concurrencèrent pour débuter leur programme arabe par sa voix afin d’attirer une plus grande audience. Mais l’homme ne recherchait pas les vains ornements d’ici-bas et refusa de rabaisser le Coran pour ces petits intérêts. On lui proposa 15 mille livres égyptiennes - somme énorme à l’époque - pour partir en Inde, il déclina l’offre. C’est alors que Nidhâm Haydar Abâd demanda au ministère des Affaires Etrangères de bien vouloir persuader Sheikh Rifʿat contre, cette fois, 45 mille livres égyptiennes. L’offre fut déclinée de nouveau et Sheikh Muhammad Rifʿat leur dit en colère : « Je ne cherche jamais l’argent, le monde entier n’est qu’une existence éphémère ».

Le musicien Muhammad ʿAbd Al-Wahhâb le supplia d’enregistrer pour lui le Noble Coran contre n’importe qu’elle somme d’argent. Il ne put donner une suite favorable à sa demande, de crainte que ses disques de Coran ne soient touchés par des personnes ivres ou dans un état d’impureté (junub).

image 265 x 236

Un cœur sensible

Sa voix sensible et émouvante extériorisait les sentiments d’une âme raffinée et un cœur des plus sensibles. Les tristes incidents bouleversaient son cœur qui ne trouvait que les larmes recueillies pour répondre. Un jour, il visitait un de ses amis dans le lit de la mort. A la fin de sa visite, son ami agonisant saisit sa main et la mit sur l’épaule de sa fillette et lui dit : « Qui va s’occuper de la l’éducation de cette enfant qui demain sera orpheline ? ». Sheikh Muhammad Rifʿat resta silencieux. Le lendemain, pendant qu’il récitait le Noble Coran dans le deuil, il arriva au verset : « Quant à l’orphelin, donc, ne le maltraite pas » de Sourate Ad-Duhâ [93:9] et le Sheikh se mit à pleurer et versa de chaudes larmes pour le souvenir du testament de son ami. Il consacra une somme d’argent pour cette fillette orpheline, elle en dépensa pendant de nombreuses années jusqu’à son mariage.

Il fut connu pour sa tendresse et sa miséricorde. Il aimait s’asseoir avec les pauvres et les gens peu aisés. Par ailleurs, il ne pouvait dormir avant de donner à manger et à boire à son cheval et recommandait à ses enfants d’en prendre soin. Pendant que sa voix pénétrait les cœurs, les larmes du recueillement trouvaient leur voie sur ses joues lorsqu’il récitait deux fois par semaine en direct à la radio du Coran, le mardi et le vendredi, quarante cinq minutes chaque fois.

Sa Maladie

Dieu voulut que Sheikh Muhammad Rifʿat soit éprouvé par de nombreuses maladies qui sont succédées au point de devoir rester dans son lit. Chaque fois qu’il guérissait, il retournait à la récitation jusqu’au jour où il fut atteint de la maladie du hoquet qui durait pendant des heures et qui l’empêcha de réciter le Coran, ou même de parler. Puis, sa voix angélique resta prisonnière de son cœur lorsqu’il fut atteint pendant les huit dernières années de sa vie par une tumeur des cordes vocales.

Depuis, les musulmans furent privés de sa voix, à l’exception de quelques cassettes antiques, qui se comptent sur les doigts des mains, que la Radio du Coran enregistra avant que son état maladif ne s’aggrave trop. Enfin, il fut atteint d’une sévère pneumonie.

Ses amis, ses aimants et des personnes aisées réunirent 20 mille livres égyptiennes pour l’aider à recevoir les traitements médicaux qui s’imposaient. Il refusa de tendre la main pour accepter cette somme et préféra vendre sa maison dans le quartier d’As-Sayyidah Zaynab, ainsi qu’une parcelle de terre qu’il possédait.

C’est alors que l’un de ses plus grands admirateurs parmi les récitateurs du Coran, Sheikh Abû Al-ʿAynain Sheiʿeishaʿ, qui fut grandement influencé par la voix de Sheikh Rifʿat, sollicita Ad-Dusûqi Abâdha, le Ministre des Awqâf Islamiques (i.e. les habous) d’accorder un salaire mensuel au père des récitateurs égyptiens du 20 siècle, Sheikh Muhammad Rifʿat.

Dieu voulut que le jour de la naissance du Sheikh Muhammad Rifʿat soit le jour de sa mort : il retourna à la miséricorde d’Allâh le 9 mai 1950, après une vie de soixante-huit au service du Coran.

On dit de lui

L’écrivain Muhammad As-Sayyid Al-Mawelhi dit de lui dans le magazine Ar-Risâlah : « le maître des récitateurs de cette époque, musicien par nature et par don, il pénètre nos cœurs par ses formes les plus nobles, ses couleurs les plus sacres et les plus florissantes. Par sa voix, il possède nos cœurs, sans avoir besoin d’orchestre ».

Le professeur Anîs Mansûr dit de lui : « le regretté Sheikh Muhammad Rifʿat, qu’Allâh lui fasse miséricorde, demeure la plus belle et la plus merveilleuse voix. Le secret de la beauté et de la grandeur de sa voix réside dans son timbre unique. C’est une voix capable de t’élever au niveau des versets et leur sens. C’est une voix sans pareille ».

Quant à ʿAli Khalîl, il s’exprima au sujet du Sheikh en disant : « Il avait une âme paisible. Tu sentais dans sa compagnie que tu étais assis avec un homme qui savourait sa vie à croire qu’il était aux jardins d’Eden. C’était une âme angélique. Tu voyais dans son visage la pureté, l’apaisement et la foi sincère en Le Créateur. C’était à croire qu’il n’était pas un être terrestre ».

La Radio Egyptienne annonça le deuil le jour de sa mort en disant : « Ô musulmans, aujourd’hui nous avons perdu un étendard de l’islam ». Le deuil fut annoncé à la radio syrienne par la voix du Mufti : « Le maître-récitateur qui a voué sa voix pour l’islam est mort ».

C’est encore un moment unique qui se renouvelle tous les jours, lorsque l’émouvante voix de Sheikh Muhammad Rifʿat s’élève au ciel et se mêle aux subtiles couleurs du coucher, pour appeler à la prière du Maghreb.

 Qu’Allâh couvre sa tombe par Sa
Miséricorde et Qu’Il l’éclaire par Sa Lumière.

P.-S.

Cet article s’appuie sur un article rédigé en arabe par un chercheur égyptien : Mustafâ ʿÂshûr paru le 10/07/2001.

Répondre à cet article



 RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP |
© islamophile.org 1998 - 2024. Tous droits réservés.

Toute reproduction interdite (y compris sur internet), sauf avec notre accord explicite. Usage personnel autorisé.
Les opinions exprimées sur le site islamophile.org sont celles de leurs auteurs. Exprimées dans diverses langues étrangères, ces opinions sont mises à la portée des lecteurs francophones par nos soins, à des fins d'information, de connaissance et de respect mutuels entre les différentes cultures et religions du monde.