mardi 16 mai 2000
Sheikh ʿAbd Al-Halîm Mahmûd naquit en 1910 au village As-Salâm, près de la ville de Belbeis, dans la Province de Sharqiyyah, au sein d’une famille pieuse de la classe moyenne en Égypte. Ses parents descendent directement du petit fils du Prophète — paix et bénédictions sur lui — Al-Husayn Ibn ʿAlî Ibn Abî Tâlib - que Dieu les agrée tous deux ainsi que toute la famille du prophète. Son père, Sheikh Mahmûd ʿAlî Ahmad Al-Husaynî fut un savant d’Al-Azhar et le juge du village.
Sheikh ʿAbd Al-Halîm Mahmûd apprit le Coran dans l’école coranique du village. Alors qu’il était très jeune, il finit la mémorisation du Coran. A cause de son jeune âge, il ne put intégrer un Institut Religieux d’Al-Azhar l’année où il finit l’apprentissage du Coran.
En 1923, il alla avec son père vers le Caire afin de suivre les cours du cycle primaire d’Al-Azhar. Deux ans plus tard, il quitta le Caire pour continuer son éducation à l’Institut Religieux d’Al-Azhar qui venait d’ouvrir ses portes dans la ville d’Az-Zaqâzîq, la capitale de sa province natale.
De nombreuses voies d’éducation s’ouvraient au jeune Sheikh ʿAbd Al-Halîm. A cette époque, de nombreuses écoles pour la formation des enseignants ouvrirent leurs portes. Elles bénéficiaient d’une bonne cote du fait que leurs diplômés étaient bien rémunérés. Cependant, le père du jeune Sheikh ʿAbd Al-Halîm insista pour que son fils, poursuive son éducation à Al-Azhar. Sheikh ʿAbd Al-Halîm trouva un compromis satisfaisant, mais très contraignant, en suivant trois systèmes d’éducation simultanément.
La persévérance de Sheikh ʿAbd Al-Halîm porta ses fruits. Au début du cycle secondaire, son savoir était largement supérieur à celui de ses collègues. C’est pourquoi, en classe de seconde, il couvrit en une année tout le programme du secondaire et obtint le baccalauréat d’Al-Azhar. Par conséquent, l’enseignement supérieur d’Al-Azhar ouvrit grandes ses portes pour accueillir l’étudiant brillant et précoce que fut Sheikh ʿAbd Al-Halîm.
Le Sheikh commença son cycle universitaire à Al-Azhar en 1928 à une époque où l’éducation supérieure de l’Université n’était pas divisée en Facultés. Il avait beaucoup de respect pour ses professeurs. Parmi les savants qui l’ont marqué, il cite Sheikh Mahmûd Shaltût, Sheikh Hâmid Meheisen, Sheikh Az-Zankalôni, Sheikh Muhammad ʿAbd Allah Daraz, Sheikh Muhammad Mustafâ Al-Marâghî et Sheikh Mustafâ ʿAbd Ar-Râziq.
A l’époque où Sheikh ʿAbd Al-Halîm était étudiant, il participa aux activités de deux associations islamiques de prédication : l’Association des Jeunes Musulmans (Jamʿiyyat Ash-Shubbân al-Muslimîn) et l’Association de la Guidance Islamique (Jamʿiyyat al-Hidaya al-Islamiyyah) dont le président était le savant connu Sheikh Muhammad Al-Khidr Husayn.
En 1932, Sheikh ʿAbd Al-Halîm termina ses études à Al-Azhar. Accompagné de sa femme, il partit étudier en France à la Sorbonne. A Paris, Sheikh ʿAbd Al-Halîm resta le savant attaché à ses principes et fidèle à la ligne droite qu’il avait suivie. En 1937, il finit ses études à la Sorbonne et en 1938 Al-Azhar le choisit pour figurer dans la délégation de savants préparant une thèse en France. La chose qui marqua Sheikh ʿAbd Al-Halîm, et contre laquelle il lutta en France, fut les préjugés de nombreux orientalistes et leur parti pris contre l’islam.
Sheikh ʿAbd Al-Halîm termina en 1940 sa thèse traitant du soufisme et de la vie de Al-Hârith Ibn Asad Al-Muhâsibi. Son encadrant, l’orientaliste Massignon, le laissa naviguer seul dans la dernière phase de sa thèse où il lutta contre les préjugés des orientalistes Allemands. Quand la Seconde Guerre mondiale éclata, Sheikh ʿAbd Al-Halîm dut retourner en Égypte en empruntant la voie du Cap de Bonne Espérance.
Sheikh ʿAbd Al-Halîm commença sa carrière professionnelle en tant que professeur à la Faculté de Langue Arabe d’Al-Azhar. Il travailla en 1951 à la Faculté des Fondements des Sciences Religieuses (Usûl Ad-Dîn) dont il devint le doyen en 1964.
En 1969, il fut nommé secrétaire général de l’Académie des Recherches Islamiques (Majmaʿ al-Buhûth al-Islamiyyah). En 1970, il fut nommé vice-Imâm d’Al-Azhar. En 1971, il occupa le poste du ministre d’Al-Awqâf (ministre du culte et des affaires islamiques). En 1973, il fut nommé Grand Imâm d’Al-Azhar et devint ainsi la plus grande autorité religieuse d’Égypte.
Au début des années 1960, une vague anti-Azharite s’éleva dans les médias en Égypte. Cette vague calomnieuse contre Al-Azhar et ses savants fut entretenue par des figures puissantes du gouvernement. En guise de réponse, Sheikh ʿAbd Al-Halîm cessa de porter des vêtements occidentaux et repris son costume traditionnel d’Al-Azhar. Il demanda aux savants d’Al-Azhar d’en faire autant. Durant cette période, des vagues de critiques déferlaient dans les journaux à tendance socialiste dressés contre les savants d’Al-Azhar. Sheikh ʿAbd Al-Halîm ne fut pas épargné dans ces articles diffamatoires.
De plus, Sheikh ʿAbd Al-Halîm, une des plus grandes figures parmi les savants musulmans de son temps, fournit tous ses efforts pour conserver l’indépendance d’Al-Azhar loin de toute sphère d’influence. En 1974, un projet de loi visa à rétrograder les savants d’Al-Azhar. Le Sheikh menaça de démissionner de son poste de Grand Imâm. En raison de son extrême popularité parmi les savants et les étudiants d’Al-Azhar et dans les milieux islamiques, on le persuada de garder le poste de Grand Imâm et la loi ne fut pas votée.
Il essaya de modifier la loi de 1961 concernant Al-Azhar, laquelle ôtait au Grand Imâm une part importante de ses responsabilités et pouvoirs et mettait en péril l’indépendance d’Al-Azhar vis-à-vis du pouvoir politique. Les efforts de Sheikh ʿAbd Al-Halîm portèrent leurs fruits : il obtint une reformulation de la loi en question. Cette réussite provoqua un fort enthousiasme dans les milieux azharites.
En 1975, suite à l’assassinat du ministre d’Al-Awqâf, Sheikh Adh-Dhahabî, la police égyptienne sévit contre un groupe extrémiste appelé At-Takfîr wa al-Hijrah. Au cours du procès des membres de ce groupe, les juges demandèrent à Sheikh ʿAbd Al-Halîm de donner son opinion et lui suggérèrent de prononcer une fatwa déclarant l’apostasie du groupe. Le Sheikh refusa qu’on lui dicte ses fatwas. Et afin de donner un jugement équitable, il refusa de formuler une opinion avant d’étudier leurs idées et de les analyser à la lumière des enseignements islamiques. La fermeté de sa position déchaîna les médias contre lui et contre Al-Azhar de façon générale.
Dans un autre registre, des membres du personnel de la compagnie aérienne Egypt-Air refusèrent de travailler tant que le vin était servi sur leurs avions. Mais leurs supérieurs n’acceptèrent pas de mettre fin à cette pratique. Ces membres du personnel se retournèrent alors vers le Grand Imâm pour obtenir son soutien. Il rappela aux dirigeants de la compagnie le Hadîth du prophète selon lequel « Nulle obéissance n’est due à une créature impliquant la désobéissance au Créateur ». L’intervention de Sheikh ʿAbd Al-Halîm eut un impact sur les dirigeants de la compagnie qui acceptèrent de répondre à la requête du personnel.
Au milieu des années 70, des membres du gouvernement tentèrent de faire passer une loi, non conforme à la loi islamique (Shariʿah), au sujet du divorce. Sheikh ʿAbd Al-Halîm s’opposa fermement à cette loi. Il a fallu attendre sa mort pour que cette loi soit débattue...
Au début des années 70, les idéaux communistes se répandirent dans certains milieux intellectuels et estudiantins. Afin de les mettre en garde contre les failles et les déviances du communisme, Sheikh ʿAbd Al-Halîm encadra la publication de nombreux ouvrages analysant et critiquant le communisme à la lumière des enseignements islamiques.
Il fut le pionnier de l’unification des efforts des prédicateurs musulmans. Afin d’établir une ligne de conduite harmonieuse et mature, il dirigea un comité, sans antécédent, de la Daʿwah Islamique, réunissant des savants d’Al-Azhar, des dirigeants de groupes islamiques et des ordres soufis. Il tissa également des liens entre Al-Azhar et des organisations de Daʿwah dans d’autres pays.
Pendant qu’il occupait le poste de Grand Imâm, il ordonna la construction d’un grand nombre d’Instituts Religieux d’Al-Azhar.
Sheikh ʿAbd Al-Halîm fut le premier savant azharite à appeler publiquement à l’application de l’ensemble de la Shariʿah Islamique (loi islamique) dans le pays. Lorsque certains membres du gouvernement lui signifièrent qu’il fallait beaucoup de temps pour détailler toutes les lois de la Shariʿah, il mit en place des comités de spécialistes où des savants d’Al-Azhar avaient pour mission d’étudier dans le détail l’application de la loi islamique dans tous les domaines et leur substitution aux lois non islamiques. Sheikh ʿAbd Al-Halîm encadra ces comités, même lorsque sa santé se détériora et qu’il fut transporté à l’hôpital.
Sheikh ʿAbd Al-Halîm était un écrivain talentueux. Il écrivit plus de 60 livres. Il était connu pour son caractère posé, généreux et tendre. Ses élèves retiennent sa modestie et son savoir abondant. Sa sensibilité soufie se dégage de ses ouvrages. A l’image de l’Imâm Al-Hârith Al-Muhâsabi qui fait l’objet de sa thèse en France, il était le reflet du noble visage du soufisme, celui qu’incarnaient les pieux de l’Islam, à savoir un soufisme basé sur le respect et l’application des enseignements coraniques et les traditions du Prophète - paix et bénédictions sur lui. Parmi ses ouvrages nous pouvons citer :
– Muhammad le Messager d’Allah
– Somme de Fatwas
– Les preuves du statut de Prophète
– L’Islam et le Communisme
– Notre Jihâd Sacré
– Abû Al-Hasan Ash-Shadhlî
– Dhû’n-Nûn Al-Misrî
– Notre maître Zayn Al-ʿÂbidîn
– As-Sayyid Ahmad Al-Badawî
– Le sieur connaisseur de Dieu, Sahl At-Tostarî
Il édita et annota un certain nombre d’ouvrages anciens, dont Ar-Riʿâyah li Huqûqi’llâh, "L’Observance des Droits de Dieu" de l’Imâm Al-Muhâsibî et Latâ’if Al-Minan, "Manne Des Bienfaits" de l’Imâm Ahmad Ibn ʿAtâ’illâh d’Alexandrie, l’auteur des célèbres Hikam.
Disciple de la confrérie soufie shadhilie à laquelle il dédia l’un de ses ouvrages, l’Imâm ʿAbd Al-Halîm Mahmûd participa plus généralement à une réelle revivification du patrimoine soufi tant par ses discours que par ses ouvrages. Son travail n’est pas celui d’un historien ou d’un académicien qui analyse la discipline du soufisme et les récits de ses hommes, mais il s’agit de l’expression d’un cœur qui a goûté à cette discipline et qui projette à travers son expérience spirituelle et son savoir l’essence de cette composante de l’islam qui traite des œuvres du cœur. Outre l’hommage qui est rendu à des figures clefs de la spiritualité islamique, ses écrits visent à guérir les cœurs et encouragent les aspirants à marcher sur les pas de leurs pieux prédécesseurs, car les bienfaits de Dieu ne tarissent jamais ; seulement chacun reçoit à la hauteur de la sincérité de son effort.
Au vu de ses écrits et de sa vie, l’Imâm ʿAbd Al-Halîm Mahmûd fut surnommé à juste titre « Le père du soufisme dans l’ère contemporaine ».
En 1978, un voile de deuil couvrit l’Égypte. L’âme de Sheikh ʿAbd Al-Halîm Mahmûd retourna auprès de son Créateur. La tristesse de la société égyptienne fut proportionnelle à la popularité de ce Grand Imâm d’Al-Azhar et ses obsèques furent suivies par un grand nombre de musulmans.
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