samedi 23 février 2002
Tôt dans la matinée, Abû Ad-Dardâ’ se réveilla
et alla tout droit vers son idole qu’il gardait précieusement dans le
meilleur endroit de sa maison. Il la célébrait et lui était
soumis. Il l’embauma du meilleur parfum ramené de sa boutique et la recouvrit
d’un belle soie qu’un marchand lui avait apportée la veille du Yémen.
Quand le soleil fût haut dans le ciel, il quitta sa maison pour se rendre
à sa boutique. Ce jour là, les rues et les allées de Yathrib
étaient peuplées des partisans de Muhammad qui revenaient de la
bataille de Badr. Ils avaient ramenés avec eux des prisonniers de guerre.
Abou ad-Darda interrogea la foule et alla vers un jeune Khazraji pour le questionner
sur le sort d’Abdullah ibn Rawahah.
" Il a été sévèrement éprouvé
pendant la bataille, " " mais il s’en est sorti... "
Abû Ad-Dardâ’ était très anxieux pour son cher ami,
Abdullâh ibn Rawâhah. Tout le monde à Yathrib connaissait
les liens d’amitié qui unissaient ces deux hommes depuis la période
de la Jâhiliyyah (ère de l’ignorance pré-islamique),
avant même que l’Islam n’arrive à Yathrib. Quand l’Islam arriva
dans la cité, Abdullâh ibn Rawâhah l’embrassa et Abû
Ad-Dardâ’ le rejeta. Cependant, ceci ne changea en rien l’amitié
de ces deux personnes. Abdullâh continuait à rendre visite Abû
Ad-Dardâ’ et essayait de lui faire découvrir les vertus, les avantages
et l’excellence de l’Islam. Mais Abû Ad-Dardâ’ persistait dans la
mécréance et Abdullâh se sentait de plus en plus triste
et concerné par son sort.
Abû Ad-Dardâ’ arriva à sa boutique et s’assit, les jambes
croisées, sur une chaise haute. Il commença à vendre, à
acheter et à donner des instructions à ses assistants sans avoir
conscience de ce qui était en train de se passer chez lui. En effet,
au même moment, Abdullâh ibn Rawâhah s’était
rendu chez lui dans un but bien précis. Là, il trouva l’entrée
principale ouverte. Umm Ad-Dardâ’ se trouvait dans la cour quand il lui
dit :
" As-Salâmu alayki - Paix sur toi - esclave de Dieu. "
" wa alayka As-Salâm - Et sur toi la Paix, Ô frère d’Abû
Ad-Dardâ".
" Où est Abû Ad-Dardâ’ ? " demande-t-il.
" Il est parti à sa boutique. Il reviendra dans peu de temps".
" Me permets-tu d’entrer ? "
" Fais comme chez toi " dit-elle, puis elle alla s’occuper des tâches
ménagères et de ses enfants.
Abdullâh ibn Rawâhah entra dans la pièce où
Abû Ad-Dardâ’ gardait son idole. Il s’empara d’un doloire qu’il
avait emmené avec lui et commença à détruire l’idole
en disant :
" Tout ce qui est adoré en dehors d’Allah n’est-il pas bâtil
(i.e. contraire à la vérité) ? "
Quand l’idole fût complètement détruite, il quitta la maison.
La femme d’Abû Ad-Dardâ’ entra dans la pièce peu de temps
après et fût consternée par ce qu’elle vu. Elle frappa ses
joues de terreur et dit : " Tu m’as mené à ma perte, ô
Ibn Rawâhah ".
Quand Abû Ad-Dardâ’ rentra chez lui, il trouva sa femme assise à
la porte de la pièce où il gardait son idole. Elle pleurait à
chaudes larmes et semblait complètement terrorisée.
" Que t’arrive-t-il ? " demanda-t-il.
" Ton frère Abdullâh ibn Rawâhah est venu nous
rendre visite en ton absence et a fait ce que tu vois à ton idole".
Abû Ad-Dardâ’ vit l’idole et fût horrifié. Il était
empli de colère et déterminé à prendre sa revanche.
Cependant, au bout d’un certain temps, sa colère se dissipa ainsi que
son envie de venger son idole.
Il se mit à réfléchir sur ce qui s’était passé
et se dit :
" S’il y avait quelque bien dans cette idole, elle se serait défendue".
Il alla trouver Abdullâh et ils allèrent ensembles voir le Prophète
(Paix et Bénédiction d’Allah sur lui), puis il embrassa l’Islam.
Il fût la dernière personne dans cette zone à devenir musulman.
Depuis cet instant, Abû Ad-Dardâ’ se dévoua entièrement à
la cause de l’Islam. La foi en Allah et en son Prophète animait chaque
fibre de son être. Il regrettait profondément tout ce qu’il avait
fait en tant que mécréant et toutes opportunités de faire
le bien qu’il n’avait pas saisies. Il réalisait combien ses frères
avaient appris du jeûne les deux ou trois années précédentes,
tout ce qu’ils avaient mémorisé du Coran et toutes les occasions
qu’ils avaient eu de se dévouer à Dieu et à son Prophète.
Il se mit en tête de multiplier ses efforts, nuit et jour, pour essayer
de rattraper tout ce qu’il avait manqué. Les actes d’adoration occupaient
ses jours et ses nuits. Sa recherche de la science était sans repos.
Il passa énormément de temps à apprendre les versets du
Coran et à essayer de comprendre la profondeur du message. Quand il se
rendit compte que le commerce et les affaires venaient troubler ses actes d’adoration
et l’empêchaient de participer aux cercles d’apprentissage, il y réduisit
sa participation sans hésitation ni regret. Quelqu’un vint lui demander
pourquoi il faisait tout cela et il répondit :
"J’étais marchand avant de prêter serment au Messager de
Dieu, Qu’Allah le bénisse et lui accorde la Paix. Puis je suis devenu
musulman, j’ai voulu combiner le commerce et l’adoration mais je n’ai pas pu
atteindre ce que je désirais. Alors j’ai abandonné le commerce
et je me suis tourné vers l’adoration. Par celui dont l’âme d’Abû
Ad-Dardâ’ est entre ses main, ce que je veux c’est avoir une boutique
près de la porte de la mosquée afin de ne rater aucune prière
en commun. Puis je vendrai et achèterai et ferai de modestes profits
chaque jour. Je ne suis pas en train de dire qu’Allah Le Très Haut et
Le Majestueux a interdit le commerce, mais je veux être parmi ceux que
ni le commerce ni les ventes ne distraient du souvenir de Dieu".
Non seulement Abû Ad-Dardâ’ participa moins au commerce, mais il
abandonna également son style de vie jusque-là luxurieux. Il se
contenta seulement du strict minimum et portait des vêtements simples
et suffisants pour couvrir son corps.
Une fois, un groupe de musulmans vinrent passer la nuit avec lui. La nuit était
assez froide. Il leur offrit une nourriture chaude qu’ils acceptèrent.
Il alla dormir mais ne leur donna aucune couverture. Ils se demandèrent
avec inquiétude comment ils allaient dormir par une nuit si froide. L’un
d’entre eux dit : "Je vais aller lui parler"." Ne le dérange
pas", dit un autre.
Cependant, l’homme alla trouver Abû Ad-Dardâ’ et s’arrêta
au pas de sa porte. Il vit Abû Ad-Dardâ’ allongé. Sa femme
était assise près de lui. Ils portaient tous deux des vêtements
légers qui ne pouvaient pas les protéger du froid, et ils n’avaient
aucune couverture. Abû Ad-Dardâ’ dit à son invité
: " Si nous avions quoi que ce soit, nous vous l’aurions donné".
Pendant le Califat de ’Omar, ce dernier voulut nommer Abû Ad-Dardâ’
gouverneur de la Syrie mais Abû Ad-Dardâ’ refusa. ʿOmar insista
et Abû Ad-Dardâ’ dit :
" Si tu es d’accord pour que je leur apprenne le Livre de leur Seigneur
et la Sunnah de leur Prophète et que je prie avec eux, alors j’irai".
Omar lui donna son accord et Abû Ad-Dardâ’ partit pour Damas. Là, il
trouva des gens qui se complaisaient dans le luxe et il fût consterné.
Il appela les gens à se rendre à la mosquée et leur parla
:
" Ô, habitants de Damas ! Vous êtes mes frères en religion,
nous sommes voisins et nous nous aidons mutuellement contre les ennemis. Ô
habitants de Damas ! Qu’est-ce qui vous empêche d’avoir de l’affection
pour moi et de répondre à mon conseil alors que je ne demande
rien de votre part ? Je vois ceux parmi vous qui apprenaient quitter cette terre
alors que les ignorants parmi vous n’apprennent pas. Je vois que vous penchez
vers des choses auxquelles Allâh vous a rendu sensibles et vous délaissez
ce qu’Il vous a ordonné de faire. Je vous vois assembler et amasser ce
que vous ne mangez pas, ériger des bâtiments dans lesquels vous
ne vivez pas et maintenir de vains espoirs envers des choses que vous ne pouvez
atteindre. Les gens avant vous ont amassé des richesses et avaient de
grands espoirs. Mais peu de temps après, tout ce qu’ils avaient amassé
fût détruit, leurs espoirs s’éteignirent et leurs demeures
devinrent des tombes. Tel fût le peuple des ’Ad, Ô habitants de
Damas. Ils emplirent la terre de biens et d’enfants. Qui aujourd’hui m’achètera
pour seulement 2 dirhams tout ce qui reste des ’Ad ?".
Les gens se mirent à pleurer et leurs pleurs se firent entendre jusqu’en
dehors de la mosquée. Depuis ce jour, Abû Ad-Dardâ’ se mit
à fréquenter les lieux de réunions des habitants de Damas.
Il se promenait dans leurs marchés, enseignant, répondant à
des question pour essayer de secouer toute personne devenue inconsciente et
insensible. Il saisissait chaque opportunité, chaque occasion pour réveiller
les gens et les mener vers le droit chemin.
Une fois, il passa devant un groupe de personnes qui encerclaient un homme
qu’ils commencèrent à insulter et à frapper. Il arriva
et dit : " Quel est le problème ? ". " C’est un homme
qui a commis un grave péché", répondirent-ils.
" Que pensez-vous que vous auriez fait s’il était tombé
dans un puits ? " demanda Abû Ad-Dardâ’, " N’auriez-vous
pas essayé de l’en sortir ? ". "Certainement !" dirent-ils.
" Ne l’insultez pas et ne le frappez pas mais avertissez-le et amenez-le
se rendre compte de ce qu’il a fait. Puis louez Dieu Qui vous a préservé
de tomber dans un tel péché". "Ne le détestes-tu
pas ?" demandèrent-ils à Abû Ad-Dardâ’. "
Je déteste seulement ce qu’il a fait, et s’il abandonne un tel péché,
alors il est mon frère". L’homme se mit à pleurer et annonça
publiquement son repentir.
Une autre fois, un jeune vint à Abû Ad-Dardâ’ et dit : "
Donne-moi un conseil, Ô compagnon du Messager de Dieu ", et Abû
Ad-Dardâ’ lui dit :
" Mon fils, souviens-toi d’Allah dans les bons moments et Il se rappellera
de toi dans ton malheur. Mon fils, sois savant, recherche la connaissance, sois
à l’écoute et ne sois pas ignorant ou tu sera perdu. Mon fils,
fais de la mosquée ta demeure car j’ai entendu le Messager de Dieu dire
: " La mosquée est la demeure de tous ceux qui se rappellent Allah
et Allah le Tout-Puissant a garanti la sérénité, le confort,
Sa Miséricorde et une voie vers Sa satisfaction à tous ceux pour
qui la mosquée est une demeure".
Une autre fois, il y avait un groupe de personnes assises, en train de discuter
et de regarder les passants. Abû Ad-Dardâ’ vint à eux et dit :
" Mes fils, le monastère du musulman est sa maison dans laquelle
il se contrôle et abaisse le regard. Prenez garde car le fait de s’asseoir
dans les marchés vous fait gaspiller votre temps dans des futilités.
"
Alors qu’Abû Ad-Dardâ’ était à Damas, Muʿâwiyah
Ibn Abî Sufyân, le gouverneur, lui demanda de donner sa fille comme
épouse à son fils Yazîd. Abû Ad-Dardâ’ ne donna
pas son accord. Il donna sa fille en mariage à un jeune homme parmi les
pauvres dont le comportement et l’attachement à l’Islam lui plaisait.
Les gens entendirent parler de ce fait et se demandèrent pourquoi Abû
Ad-Dardâ’ avait refusé de marier sa fille à Yazîd.
Cette question fût lui fût posée directement et il répondit
: " J’ai simplement pensé faire ce qui est bien pour Ad-Dardâ’
(c’était le nom de sa fille)".
"Comment cela ? " demanda-t-on.
" Que penseriez-vous d’Ad-Dardâ’ si des domestiques devaient rester
en sa présence pour la servir et si elle devait se trouver dans de beaux
palais qui font briller les yeux ? Qu’adviendrait-il de sa religion ? "
Alors qu’Abû Ad-Dardâ’ était encore en Syrie, le Calife
’Omar partit faire une inspection de la région. Une nuit, il rendit visite
à Abû Ad-Dardâ’ dans sa demeure. Il n’y avait pas de lumière
dans la maison. Abû Ad-Dardâ’ accueilla le Calife et le fit s’asseoir.
Les deux hommes conversèrent dans le noir. Alors qu’ils discutaient,
’Omar sentit l’oreiller d’Abû Ad-Dardâ’ et se rendit compte qu’il
s’agissait d’une selle. Il toucha l’endroit où Abû Ad-Dardâ’
s’allongeait pour dormir et réalisa qu’il n’y avait que des cailloux.
Il sentit aussi le drap avec lequel il se couvrait et fût étonné
de voir qu’il était si fin qu’il ne pouvait sûrement pas le protéger
du froid de Damas. Il lui demanda :
" Puis-je rendre ce lieu plus confortable pour toi ? Puis-je te faire
parvenir quelque chose ? "
" Te rappelles-tu, ’Omar, dit Abû Ad-Dardâ’, un hadith du
Prophète, qu’Allah le bénisse et lui accorde la Paix ? ".
" Quel est-il ?", demanda ’Omar. "N’a-t-il pas dit : faites que
ce qui est suffisant pour quiconque d’entre vous en ce monde soit comme la provision
emportée par un cavalier".
"Oui", dit ’Omar. " Et qu’avons-nous fait après cela,
Ô ’Omar ? " demanda Abû Ad-Dardâ’.
Les deux hommes se mirent à pleurer en pensant aux vastes richesses
parvenues sur le chemin des musulmans avec l’expansion de l’Islam, et leur préoccupation
pour l’amassement des richesses et les possessions de ce bas monde. Dans une
profonde peine et une grande tristesse, les deux hommes continuèrent
à réfléchir sur cette situation jusqu’au lever du jour.
Traduit de "Companions of The Prophet", Vol.1, écrit par Abdul Wâhid Hâmid.
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