lundi 8 octobre 2007
« Le rang d’Al-Qâdî [1] ʿIyâd est comparable à celui d’Al-Bukhârî et des quatre Imâms [2]. Ils furent les transmetteurs de la Sharîʿah et de ses sciences qu’ils inculquèrent aux musulmans à travers leurs enseignements et leurs écrits. Ils défendirent la Sharîʿah par les sabres du savoir, si bien que leur savoir s’inscrivit dans l’éternité. Combien de Walîs [3], suivis de nombreux disciples à qui ils conseillaient des wirds (invocations quotidiennes), accompagnèrent ces érudits ou leur succédèrent mais disparurent des mémoires au fil du temps ainsi que leurs wirds et leurs disciples. Mais les maîtres de la science restèrent, grâce à celle-ci, comme s’ils étaient toujours vivants. » C’est ainsi que Abû ʿAbd Allâh Muhammad Al-Amîn décrivit le rang distingué du Cadi ʿIyâd parmi les savants de l’Islam, dans son ouvrage Al-Majd At-Târif wat-Tâlid (La haute gloire authentique). Aussi, la réputation du Cadi ʿIyâd fut d’une telle envergure que l’on dit : « Sans ʿIyâd, nulle mention ne serait faite du Maghreb. » Le Cadi ʿIyâd fut, en effet, le premier à avoir attiré l’attention des savants du Mashreq [4] vers ceux du Maghreb, et ce, jusqu’au milieu du VIe siècle de l’Hégire.
La lignée du Cadi ʿIyâd Ibn Mûsâ Al-Yahsubî remonte à l’une des tribus yéménites arabes de Qahtân. Ses ancêtres émigrèrent vers la ville andalouse de Bastah située dans les environs de Grenade et s’y installèrent. Ils se déplacèrent ensuite vers la ville marocaine de Fès avant que son grand-père ʿAmrûn la quitte en 373 A.H. (893 E.C.) pour la ville de Ceuta. Dans cette dernière, sa famille acquit une large renommée en raison de sa piété et de sa bonté et c’est dans cette ville que ʿIyâd naquit le 15 Shaʿbân 476 A.H. (28 Décembre 1083 E.C.). Il y grandit, y étudia et s’y instruisit auprès de ses Sheikhs.
Ses débuts furent à Ceuta où il s’instruisit auprès du Cadi Abû ʿAbd Allâh Ibn ʿIsâ et le juriste Abû Ishâq Ibn Al-Fâsi, entre autres.
En 507 A.H. (1113 E.C.), il partit vers l’Andalousie en quête des sciences du Hadîth. Il fit le tour des villes andalouses qui se vantaient de leurs savants et érudits en matière de jurisprudence islamique et de Hadîth. Il arriva d’abord à Cordoue et s’instruisit auprès de ses fameux Sheikhs tels Ibn ʿAttâb, Ibn Al-Hâjj, Ibn Hamdîn, Ibn Rushd — le grand-père d’Averroès —, Abû Al-Husayn Ibn Sirâj, Abû Al-Hasan Ibn Mughîth, et d’autres.
Il partit ensuite pour Murcie en 507 A.H (1114 E.C.). Abû ʿAlî Al-Husayn Ibn Muhammad As-Sadafî, un grand mémorisateur du Hadîth, s’était alors occulté pour éviter la magistrature et de nombreux étudiants désespérèrent en attendant son retour à la scène publique, si bien que certains parmi eux durent retourner chez eux lorsqu’ils épuisèrent leurs ressources. Lorsque le décret du Grand Cadi Abû Muhammad Ibn Mansûr annonça l’exemption d’As-Sadafî du poste de Cadi, celui-ci regagna la scène publique à Murcie. Le Cadi ʿIyâd l’accompagna et apprit auprès de lui les deux Sahîhs d’Al-Bukhârî et de Muslim avant que Sheikh As-Sadafî ne l’autorise à enseigner et à transmettre le savoir à son tour.
Outre les soins et l’attention d’As-Sadafî, le Cadi ʿIyâd obtint maintes habilitations en sciences du Hadith pendant son voyage. Lorsqu’il assimila le savoir qu’il était venu chercher en Andalousie, il se dirigea plus tard vers le Mashreq pour poursuivre sa quête du savoir. Le 7 Jumâdâ Al-Âkhirah 508 A.H. (9 octobre 1114 E.C.), il retourna à Ceuta après avoir acquis de vastes connaissances. Tous les regards se portèrent sur lui et il devint la destination des étudiants et des demandeurs de fatwa [5]. À l’âge de 32 ans, il commença à enseigner, puis fut nommé Cadi de Ceuta en 515 A.H. (1121 E.C.), poste qu’il occupa pendant seize ans durant lesquels il fut grandement honoré par les gens. Il fut ensuite nommé Cadi de Grenade en 531 A.H. (1137 E.C.) et s’y installa pendant une certaine période avant de retourner à Ceuta pour devenir son Cadi de nouveau en 539 A.H. (1144 E.C.).
La vie du Cadi ʿIyâd fut partagée entre la magistrature, l’enseignement et l’écriture. Cependant, ce sont ses œuvres qui étendirent sa renommée, éternisèrent sa mémoire, et l’élevèrent à un rang tout à fait distingué parmi les grands Imâms musulmans. Ses ouvrages témoignent éloquemment de son savoir abondant, sa mémoire d’exception, et une compréhension profonde des sciences religieuses.
Il se distingua en particulier dans la science du Hadîth. Il mémorisa les narrations, les transmit avec rigueur, connut les énoncés des hadiths et leurs chaînes de transmission ainsi que le degré de fiabilité des narrateurs. En outre, il manifesta une profonde compréhension des hadiths et put en extraire un riche savoir. Afin d’atteindre ce rang élevé, il persévéra à apprendre le Hadîth auprès de ses experts et voyagea pour étancher sa soif du savoir. Par conséquent, sa chaîne de transmission acquit un degré de fiabilité et une exactitude qui ne se réalisa qu’aux plus érudits parmi les narrateurs du Hadîth.
Il considérait que la chaîne de transmission d’un hadith constitue le facteur primordial dans la détermination de son authenticité. Par ailleurs, il examinait le Matn (l’énoncé du Hadîth) avec beaucoup d’attention et adopta un avis réservé quant à la narration du Hadîth par le sens en raison des divergences que cette approche pourrait engendrer. Il exigea que le narrateur transmette le Hadîth tel qu’il l’entendit, sans intervention aucune. Si le narrateur voudrait exprimer un avis ou une critique au sujet d’une narration, il devrait, selon le Cadi ʿIyâd, en rapporter l’énoncé de façon intacte, puis l’annoter à sa guise. Le narrateur ne devrait point influencer les énoncés selon son entendement et devrait au contraire se contenter d’une transmission d’une grande fidélité.
Au niveau de l’explication du Hadîth, le Cadi ʿIyâd rédigea trois ouvrages importants. Le premier, intitulé Mashâriq Al-Anwâr ʿAlâ Sihâh Al-Âthâr (La lumière éclairante au sujet des traditions authentiques), constitue l’une des preuves les plus manifestes de son érudition en science du Hadîth. Il refléta également sa grande habilité en matière de vérification des hadîths et de leur compréhension, et une capacité à analyser les cas problématiques et les énoncés subtils. Dans cet ouvrage, le Cadi ʿIyâd expliqua les termes ambigus de certains hadîths rapportés par les deux Sahîhs et par le Muwattâ’ de l’Imâm Mâlik. Il y clarifia les expressions ambiguës dans chacun des trois ouvrages et les classa selon un ordre alphabétique.
Ses deux autres ouvrages sont Ikmâl Al-Muʿlim (Complément de l’annonciateur) dans lequel il commenta le Sahîh de Muslim et Bughyat Ar-Râ’id Limâ fî Hadîth Umm Zarʿ Min Fawâ’id (Le guide du chercheur au sujet des leçons tirées du hadîth de Umm Zarʿ). Il rédigea également dans le domaine du Hadîth un autre ouvrage imposant qu’il intitula Al-Ilmâʿ fî Dabt Ar-Riwâyah wa Taqyîd As-Samâʿ (L’éclairage au sujet de l’exactitude de la narration et des critères de l’écoute).
Auprès de ses Sheikhs de Ceuta, le Cadi ʿIyâd étudia la Mudawwanah d’Ibn Suhnûn. Au sein de l’école Malékite, il s’agit d’un ouvrage clé servant de référence incontournable. Il fut commenté, résumé et annoté mais son indexation manquait d’ordre : des questions différentes étaient classées sous le même chapitre et les traditions n’étaient pas soigneusement citées avec les questions juridiques.
Remarquant cette défaillance lors de son étude de la Mudawwanah auprès de nombreux Sheikhs, le Cadi ʿIyâd entreprit une grande initiative. Dans un ouvrage qu’il intitula At-Tanbîhât Al-Mustanbatah ʿAlâ Al-Kutub Al-Mudawwanah Wal-Mukhtalitah (Des remarques conclues au sujet des livres entremêlés et la Mudawwanah), il analysa les narrations rapportées dans la Mudawwanah, nomma leurs narrateurs, expliqua leurs termes ambigus et vérifia leur exactitude. Une telle initiative constitue sans doute une contribution importante dans le renforcement de l’école malékite et son épanouissement.
Outre son expertise en jurisprudence et dans les sciences du Hadîth, il rédigea son fameux ouvrage intitulé Tadrîb Al-Madârik (Entraînement de l’intellect), qui constitue la plus grande encyclopédie contenant les biographies des maîtres de l’école malékite et des narrateurs du Muwatta’. Il commença son ouvrage par un rappel du mérite de la science des habitants de Médine et défendit le point de vue de l’école malékite consistant à compter leurs actes parmi les fondements de la législation. Il tenta également de mettre en relief les qualités de l’école à laquelle il est affilié, puis rédigea la biographie de l’Imâm Mâlik, ses compagnons et ses disciples. Il composa son ouvrage selon le critère chronologique, sans suivre l’ordre alphabétique. Ainsi, plaça-t-il, après la biographie de l’Imâm Mâlik, les biographies de ses compagnons et celles de leurs disciples génération après génération jusqu’à ses propres maîtres.
Il classifia également ces biographies selon un second critère, cette fois géographique, et consacra à chaque pays un chapitre où il inclut les savants malékites ayant vécu en ces terres. Ainsi, consacra-t-il des chapitres pour Médine, l’Égypte, la Syrie et l’Iraq tout en respectant le critère des générations.
Quant aux biographies des Sheikhs qu’il rencontra durant ses voyages, il leur consacra son ouvrage intitulé Al-Ghunyah (Le suffisant). Il y évoqua leurs parcours, leurs écrits et leurs mérites. Dans son ouvrage Al-Muʿjam (L’encyclopédie), il consacra également un chapitre à son Sheikh le Cadi Abû ʿAlî Al-Husayn As-Sadafî, dans lequel il rédigea sa biographie et y consigna ses récits et ses Sheikhs. A ce titre As-Sadafî fut un savant aux narrations abondantes et devint un maillon liant les chaînes de transmission des savants du Mashreq et ceux du Maghreb en raison du nombre de savants qu’il rencontra, les nombreuses narrations qu’il rapporta selon eux et les habilitations qu’ils lui accordèrent.
Il fut par ailleurs un homme de lettres doué d’un style éloquent qui reflétait la richesse de sa culture linguistique et sa maîtrise de la langue arabe. En effet, il veillait à étudier les sciences de la langue tout comme il veillait à apprendre le Hadîth et la jurisprudence. Ainsi lut-il les ouvrages référence de la langue arabe et les narra selon une chaîne de transmission remontant à ses professeurs comme il le fit avec les ouvrages du Hadîth. Il étudia Al-Kâmil (Le Parfait) d’Al-Mubarrad, Adab Al-Kâtib (L’éloquence de l’écrivain) d’Ibn Qutaybah, Islâh Al-Mantiq (Le perfectionnement de la rhétorique) d’Ibn As-Sakît, Diwân Al-Hamâsah (Recueil de l’enthousiasme) et Al-Amâlî d’Abû ʿAlî Al-Qâlî.
Cela eut un effet certain sur ses écrits et imprégna son style d’une éloquence et d’une agréable finesse.
Les ouvrages ayant évoqué la vie du Cadi ʿIyâd rapportèrent un poème qu’il composa sur sa nostalgie pour la visite du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. En effet, sa vie scientifique et son poste de Cadi l’empêchèrent d’accomplir le pèlerinage. Parmi les vers qu’il composa sur son désir ardent et son impatience de rendre visite au Prophète — paix et bénédictions sur lui — furent les suivants :
Bonheur à toi, bonheur à toi, voici que leur coupole apparaît,
Sois donc le bienvenu, tu reçus ce que tu aimais et désirais,
Voici Al-Muhassib [6] et voici Al-Khîf [7] de Minâ,
Voici leurs maisons, telles sont leurs demeures,
Voici celui vers qui les chameaux se hâtèrent impatiemment,
Voici mon bien-aimé inégalé,
Aucun un œil et nulle ouïe ne connurent ,
une générosité comme la sienne, s’il fallait témoigner.
On ne peut traiter de l’œuvre du Cadi sans évoquer son célèbre ouvrage intitulé Ash-Shifâ Bi-Ahwâl Al-Mustafâ (La guérison par les nouvelles de l’Elu) dans lequel il exposa la vie du Prophète — paix et bénédictions sur lui — et s’attarda sur ses innombrables mérites. À une époque où des avis déviants remettaient en cause la question de la prophétie et mettaient sur un même niveau la raison et la révélation, le Cadi ʿIyâd recensa intentionnellement dans son ouvrage toutes les caractéristiques qu’il convient d’attribuer au Prophète — paix et bénédictions sur lui — comme l’infaillibilité, l’exceptionnalité et les qualités qui le distinguent du reste des êtres humains. Étant donné que la législation est une source principale du savoir et un fondement indiscutable dès lors qu’il est appuyé par une chaîne de transmission authentique, et que le Prophète est la source ultime de ce savoir, le Cadi ʿIyâd veilla à mettre en relief le rang du Suzerain des Messagers et à le protéger contre tout ce qui lui est inconvenable.
Le Cadi ʿIyâd vécut principalement sous la dynastie des Almoravides (Al-Murâbitûn) qui soutenait l’école malékite, honorait ses savants et les nommait à des postes de la haute fonction publique. Lorsque leur pouvoir s’affaiblit, la dynastie des Almohades (Al-Muwahhidûn) vit le jour et installa ses fondements sur les ruines des Almoravides. Elle fut fondée sur une revendication religieuse visant la libération de la pensée de la stagnation des jurisconsultes par le retour au Coran et à la Sunnah au lieu de s’occuper des détails juridiques. Par conséquent, il était évident que le Cadi ʿIyâd — de par sa formation et son affiliation juridique — se heurterait avec la nouvelle dynastie. Il mena la révolte des habitants de Ceuta contre celle-ci, mais cette tentative échoua et le Cadi ʿIyâd dut prêter allégeance au chef des Muwahhidûn, ʿAbd Al-Mu’min Ibn ʿAlî Al-Kûmî.
Le Cadi ʿIyâd ne vécut pas longtemps sous la dynastie des Almohades et décéda le 9 Jumâdâ Al-Âkhirah 544 A.H. (14 octobre 1149 E.C.). Puisse Dieu le combler de Ses bienfaits.
Source arabe : islamonline.net.
[1] Le susbtantif arabe Qâdî signifie « juge » ou « magistrat », il est à l’origine du substantif « cadi » en français, que nous emploierons dans le reste de cette biographie.
[2] Les quatre Imâms fondateurs des écoles juridiques sunnites : Abû Hanîfah, Mâlik, Ash-Shâfi’î et Ahmad Ibn Hambal.
[3] Un proche allié de Dieu se distinguant par sa droiture et sa piété.
[4] Le Mashreq désigne les pays du Moyen-Orient hormis le Maghreb.
[5] Avis juridique.
[6] Un endroit près de Minâ.
[7] Une mosquée à Minâ.
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