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ʿIkrimah Ibn Abî Jahl

lundi 18 mars 2002

ʿIkrimah était à peine âgé de 30 ans le jour où le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, rendit public son appel à la guidance et la vérité. Riche et d’origine noble, il fut toujours tenu en haute estime par les Qurayshites. À La Mecque, ils étaient nombreux à être riches et descendants de familles nobles. Parmi eux, il y avait Saʿd Ibn Abî Waqqâs et Musʿab Ibn Umayr qui sont tous deux devenus musulmans. Ikrimah aurait aussi pu suivre leur exemple, mais il avait préféré rester avec son père Abû Jahl. Ce dernier fut le principal partisan du shirk (polythéisme) et un grand tyran de La Mecque. Par la torture, il éprouva grandement la foi des premiers croyants, qui restèrent, malgré tout cela, fermement attachés à la religion. Il mit en œuvre tous les stratagèmes pour les détourner de la foi, mais grâce à Allâh, ils restèrent fidèles à la vérité.

ʿIkrimah se mit à défendre l’autorité et le leadership de son père en s’opposant au Messager de Dieu. Le caractère autoritaire de ʿIkrimah, son animosité envers le Prophète et sa violence à l’égard des premiers musulmans, lui firent gagner davantage l’admiration de son père.

Lors de la bataille de Badr, Abû Jahl mena les polythéistes mecquois contre les musulmans. Il en vint même à jurer par "Al-ʿUzzâ" et "Al-Lât" (ses idoles) qu’il ne retournerait pas à La Mecque avant d’avoir tué Muhammad. Pour stimuler les Qurayshites au combat, il sacrifia trois chameaux en l’honneur de ces "déesses". Il but du vin et incita les Qurayshites à combattre par la musique et les chants de filles qu’il fit venir.

Abû Jahl fut parmi les premiers à tomber sur le champ de bataille. ʿIkrimah vit les lances transpercer son corps et entendit son cri d’agonie emportant son dernier souffle. ʿIkrimah retourna à La Mecque, laissant derrière lui le cadavre du chef qurayshite, Abû Jahl. Il voulait le porter à La Mecque et l’enterrer là-bas, mais la grande défaite qu’ils venaient d’essuyer rendit cela impossible.

Depuis ce jour, les flammes de la haine s’attisèrent de plus belle dans le cœur de ʿIkrimah. Ceux qui perdirent un parent lors de la bataille de Badr parmi les polythéistes devinrent encore plus hostiles à l’égard du Prophète Muhammad et les fidèles. Cela aboutit à la bataille de Uhud.

Lors de celle bataille, ʿIkrimah fut accompagné par sa femme, Umm Hakîm. Elle et d’autres femmes battaient les tambours derrière les lignes des combattants, afin d’exhorter les Qurayshites à combattre et de dissuader tout chevalier tenté de fuir.

L’aile droite de l’armée qurayshite était dirigée par Khâlid Ibn Al-Walîd alors que l’aile gauche était menée par ʿIkrimah Ibn Abi Jahl. Durant cette bataille, les polythéistes mecquois ont affligé de lourdes pertes aux musulmans, si bien qu’ils estimèrent avoir pris la revanche du jour de Badr. Mais le conflit ne prit pas fin là.

À l’occasion de la bataille dite du "fossé", les polythéistes mecquois assiégèrent la ville de Médine. Le siège dura longtemps. Au fil des jours la patience et les ressources des polythéistes s’amenuisaient. Fatigué par le siège qu’il imposait lui et les siens aux musulmans, ʿIkrimah trouva un endroit où le fossé creusé par les musulmans était relativement étroit. En déployant de grands efforts, il parvint à traverser et fut suivi de quelques-uns de ces hommes. C’était une action imprudente et très risquée, d’ailleurs, elle avait été immédiatement sanctionnée par la mort d’un polythéiste et la fuite des autres, dont ʿIkrimah, qui ont pu rebrousser chemin de justesse.

Huit ou neuf ans après son Hégire (émigration), le Prophète accompagné par des milliers de ses compagnons entrèrent La Mecque. Les Qurayshites polythéistes savaient que le Prophète avait donné l’ordre à ses compagnons de ne pas commencer les hostilités, c’est pourquoi, les voyant venir, ils n’entravèrent pas leur chemin. Toutefois, ʿIkrimah, ainsi que quelques autres polythéistes, insatisfaits de cette attitude des Qurayshites, tentèrent de bloquer la progression des forces musulmanes, mais Khalid Ibn Al-Walîd, devenu musulman, et son groupe de combattants musulmans s’opposèrent à ʿIkrimah et ses hommes, dont certains furent tués alors que les autres, notamment ʿIkrimah, prirent le chemin de la fuite.

Toute influence que ʿIkrimah pouvait avoir fut réduite alors à néant. Le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, entra à La Mecque et donna un pardon général et une amnistie à tous les Qurayshites réfugiés dans la Sainte Mosquée ou dans la maison d’Abû Sufyân, le chef suprême des Qurayshites, à l’exception de quelques individus qu’il cita nommément. Il ordonna que ceux-là soient tués, fussent-ils cachés sous la robe de la Kaʿbah. ʿIkrimah Ibn Abî Jahl venait en tête de liste. Ayant appris cela, il se déguisa et fuit La Mecque, pour rejoindre le Yémen.

Umm Hakîm, la femme de ʿIkrimah et un groupe d’une dizaine de femmes, dont Hind Bint ʿUtbah, la femme d’Abû Sufyan et mère de Muʿâwiyah, se sont rendues au camp du Prophète pour lui prêter allégeance. Au camp, il y avait deux épouses du Prophète, sa fille Fâtimah et quelques femmes du clan de ʿAbd Al-Muttalib. Hind s’était présentée devant le Prophète voilée et ressentant une grande honte à cause de son comportement à l’égard de Hamzah, l’oncle du Prophète, lors de la bataille d’Uhud.

En s’adressant au Prophète, Hind dit : "Ô Messager de Dieu ! Que la Louange (l’éloge) soit adressée à Dieu qui a fait triompher la religion qu’Il avait choisie pour qu’Il soit adoré. Je te supplie par les liens de parenté de me pardonner et de me traiter avec clémence. Je suis maintenant une femme croyante qui affirme la Vérité de ta mission !"

Puis, elle se dévoila pour se faire connaître et dit : "Je suis Hind, la fille de ʿUtbah, Ô Messager de Dieu !"

"Bienvenue à toi !" répondit le Prophète,(paix et bénédiction de Dieu sur lui).

"Je jure par Dieu, Ô Prophète, continua Hind, qu’auparavant, il n’y avait pas de maison sur la terre que je détestais et voulais détruire plus que ta maison. Aujourd’hui, il n’y a aucune maison sur terre que j’aime et veuille honorer plus que la tienne !"

Umm Hakîm, l’épouse de ʿIkrimah, se leva alors à son tour pour jurer allégeance et embrasser l’Islam. Ensuite, elle parla :

"O Messager de Dieu, par crainte qu’il ne soit tué suite à tes ordres, ʿIkrimah s’est enfui vers le Yémen. Veux-tu lui accorder la sécurité et Dieu t’accordera la sécurité".

"Il est en sécurité ! déclara le Prophète."

Sans perdre de temps, Umm Hakîm partit immédiatement pour annoncer la bonne nouvelle à ʿIkrimah afin qu’il revienne chez lui à La Mecque. Umm Hakîm était accompagnée par leur esclave grec pour rejoindre son époux au Yémen. Durant le voyage, l’esclave avait essayé de la séduire mais elle avait réussi à le repousser jusqu’à ce qu’elle rencontre des Arabes auprès desquels elle chercha de l’aide contre lui. Ils le ligotèrent et le retinrent. Poursuivant sa route, Umm Hakîm finalement retrouva ʿIkrimah sur la côte de la Mer Rouge, non loin de Tihamah.

Pour leur retour, ils avaient négocié le transport avec un marin musulman qui les a rassurés en leur disant :

" - Soyez purs et sincères et je vous emmènerai jusqu’à votre destination".

 Comment puis-je être pur ? demanda ʿIkrimah.

 Dis : j’atteste qu’il n’y a guère de Dieu en dehors d’Allâh et que Mohammad est le Messager d’Allâh.

 J’ai combattu, j’ai fui les miens et mon pays à cause de cette attestation ! s’écria ʿIkrimah. "

Pour persuader son époux, Umm Hakîm se rapprocha de ʿIkrimah et lui parla en ces termes :

" - O mon cher cousin, je suis venu de la part du meilleur des hommes, le plus généreux, le plus juste, le plus équitable...l’homme en question, c’est Muhammad Ibn ʿAbd Allâh. Je lui ai demandé une amnistie pour toi, sans hésiter, il te l’a accordée. Par conséquent, je te supplie d’accepter le retour, fais-lui confiance, et ne crains rien d’un tel homme !

 Lui as-tu parlé ? interrrogea ʿIkrimah.

 Oui, je lui ai parlé et il t’a accordé l’amnistie ! "

Umm Hakîm avait réussi à rassurer son époux, et enfin, il retourna avec elle. En cours de route, elle lui parla du comportement déshonorant de leur esclave grec. ʿIkrimah, très affecté par la trahison de l’esclave, promit d’appliquer la loi arabe qui sanctionnait durement ce genre d’acte.

Arrivé dans un lieu de repos qui se trouvait sur leur route, ʿIkrimah voulut dormir avec sa femme mais elle refusa, et dit :

" Je suis une musulmane et toi, tu es un idolâtre-mécréant. "

ʿIkrimah fut très déçu du refus de son épouse et dit : "Vivre sans toi et dormir sans que tu sois à mes côtés est une situation impossible pour moi !"

Quand ʿIkrimah s’approcha de La Mecque, le Prophète dit à ses compagnons :

"ʿIkrimah Ibn Abî Jahl vous viendra en tant que croyant et réfugié. N’insultez pas son père. L’insulte des morts nuit aux vivants et n’atteint pas le mort."

ʿIkrimah et sa femme rejoignirent le Prophète qui était assis dans une assemblée. Il se leva pour les saluer avec enthousiasme.

" - Muhammad, dit ʿIkrimah, Umm Hakîm m’a dit que tu m’as accordé une amnistie, est-ce vrai ?

 C’est exact, dit le Prophète, tu es pardonné et sois en sécurité.

 Que me demandes-tu en contrepartie ? demanda ʿIkrimah.

 Je t’invite à témoigner qu’il n’y a pas de divinité en dehors d’Allâh et que je suis Son serviteur et Son messager, à accomplir la salât, à t’acquitter de le Zakat et à effectuer toutes les obligations qu’exige l’Islam.

 Je te donne ma parole, répondit ʿIkrimah. Tu m’as appelé à pratiquer le bien, tu avais vécu parmi nous avant le début de ta mission, tu as toujours été le plus digne de confiance parmi nous, tes conseils et tes discours étaient les plus justes, par conséquent, ton appel est juste ! "

Après ces propos pleins de sagesses et de vérités, ʿIkrimah leva ses mains en disant : "J’atteste qu’il n’y a pas de dieu en dehors d’Allâh et que Muhammad est Son serviteur et Son messager." Après ce premier engagement, le Prophète incita ʿIkrimah à dire : "Je m’adresse à Allâh depuis sa Maison sacrée et devant les témoins ici-présents, je déclare que je suis un musulman, un émigré et un mujâhid". ʿIkrimah s’empressa de répéter les propos du Prophète, en ajoutant à ceux-ci : "Messager d’Allâh, je te demande humblement d’implorer Allâh pour qu’Il me pardonne, notamment, pour toute l’hostilité et les insultes que j’avais proférées à ton encontre."

Sans perdre de temps, le Prophète implora le pardon et la bénédiction d’Allâh en faveur de ʿIkrimah en disant :

"Ô Seigneur Allâh, pardonne à ʿIkrimah pour toutes ses hostilités contre moi ainsi que pour toutes les expéditions auxquelles il avait participées et à travers lesquelles il combattait afin d’éteindre Ta Lumière. Pardonne-lui pour ce qu’il a dit ou qu’il a fait, en ma présence ou pendant mon absence, en vue de me déshonorer". Aussitôt le visage de ʿIkrimah rayonna, et il dit : "Par ma parole d’honneur, O Messager d’Allâh, je te promets qu’à partir de l’instant présent, je consacrerai mon temps, je dépenserai mes biens et je combattrai de ma personne, doublement dans la Voie d’Allâh comparé aux efforts que j’avais déployés contre l’Islam.

Conformément à sa parole donnée, depuis ce jour, ʿIkrimah devint un honorable cavalier, un combattant dans la Voie d’Allâh, toujours à la recherche du martyr. Il passait beaucoup de temps dans les mosquées à réciter le Livre d’Allâh. À chaque fois, il plaçait le Coran sur son visage en disant : "Le Livre de mon Dieu, les Paroles de mon Dieu entre mes mains !".

En guise de reconnaissance et par crainte d’Allâh, ʿIkrimah pleurait très souvent. ʿIkrimah tint son engagement pris devant le Prophète. Après le décès du Prophète, les musulmans avaient mené plusieurs batailles où ʿIkrimah fut parmi les premiers combattants à se lancer sur le front. Lors de la bataille de Yarmuk, il se jeta dans le combat tel une personne assoiffée et à la recherche d’une eau fraîche un jour de canicule. ʿIkrimah pénétrait profondément les rangs byzantins ennemis quand bien même les combats étaient intenses.

Par crainte pour la Religion, notamment celle de la perte des meilleurs guerriers, le Commandant Khalid Ibn Al-Walîd prit les risques d’aller récupérer ʿIkrimah au milieu du combat acharné, en lui disant :

" -ʿIkrimah ! Reviens, car ta mort sera un coup sévère pour les musulmans !

 Khalid ! Nous devons continuer ! dit ʿIkrimah. Tu as eu le privilège d’être avec le Messager d’Allâh bien avant moi, mais mon père et moi, nous étions parmi ses ennemis les plus déclarés. Laisse-moi donc continuer mon combat pour effacer mes erreurs du passé. J’ai déjà combattu aux côtés du Prophète à plusieurs occasions, mais pas assez de fois. Vais-je fuir maintenant les Byzantins ? Par Allâh, Non ! Par Allâh je ne me sauverai jamais ! "

Tout en continuant à se battre, ʿIkrimah lança un appel aux musulmans par : " Ô Musulmans, qui promettra de se battre jusqu’à la mort ?"

En entendant son appel, environ quatre cents combattants musulmans, dont Al-Hârith Hishâm et ʿAyyâsh Ibn Abî Rabîʿah, répondirent positivement à celui-ci. Ils s’engagèrent de façon héroïque dans la bataille, sans en rester au commandement de Khâlid Ibn Al-Walîd. L’initiative de l’attaque octroya la victoire aux musulmans.

En fin de bataille, il y eut des blessés musulmans dont Al-Hârith Ibn Hishâm, ʿAyyâsh Ibn Abî Rabîʿah et ʿIkrimah Ibn Abî Jahl. "Apportez-moi de l’eau pour boire ! " murmura Al-Hârith. Quand l’eau lui fut apportée, ʿAyyâsh le regarda. C’est alors qu’Al-Hârith oublia sa soif et dit : "Donnez l’eau à ʿAyyâsh". Mais en portant l’eau à ʿAyyâsh, il avait déjà rendu l’âme. En retournant voir Al-Hârith et ʿIkrimah, ils avaient à leur tour rendu l’âme en martyrs.

Les compagnons accomplirent la prière mortuaire sur eux, implorèrent la Miséricorde et le Pardon d’Allâh pour leurs frères martyrs, dans Son Vaste Paradis. Ils invoquèrent Dieu pour les abreuver avec l’eau d’Al-Kawthar, de sorte qu’ils ne connaissent plus jamais la soif.

P.-S.

Traduit de "Companions of The Prophet", volume 1, de Abdul Wâhid Hâmid.

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