mercredi 27 mars 2002
En l’an quatre de l’Hégire, la menace pesait encore sur la ville du Prophète — paix et bénédictions sur lui — que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur. À l’intérieur, l’influente tribu juive des Banû An-Nadîr, viola son traité avec le Prophète — paix et bénédictions sur lui — et fomenta des plans pour le tuer. Aussi fut-elle fut bannie de la cité au mois de Safar.
Deux mois d’un malaise silencieux s’écoulèrent. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — apprit alors que les lointaines tribus du Najd planifiaient une attaque. Afin de les devancer, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — réunit une force de plus de quatre cents hommes et confiant à l’un de ses compagnons, ʿUthmân Ibn ʿAffân, la charge de la cité se dirigea vers l’est.
Arrivant au Najd, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — trouva les habitations des tribus ennemies étrangement désertées par les hommes. Retranchés dans les collines, les hommes avaient laissé les femmes seules. En groupe, ils s’y préparaient au combat. À l’heure de Salat Al-ʿAsr (la prière de l’après-midi), le Prophète — paix et bénédictions sur lui — craignit que les hommes des tribus ennemies ne les attaquent durant la prière. Il disposa alors les musulmans en rang et les divisa en deux groupes. Ils accomplirent ainsi Salat Al-Khawf (la prière de la crainte). Avec un groupe, il fit une rakʿah (une unité de la prière) pendant que l’autre groupe montait la garde. Pour la seconde rakʿah, les groupes changèrent de place. Chaque partie compléta sa prière par une rakʿah lorsque le Prophète — paix et bénédictions sur lui — eut fini...
Voyant les rangs disciplinés de l’armée musulmane, les tribus ennemies s’inquiétèrent et prirent peur. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — réussit à s’imposer dans la paix. Il put ainsi faire accéder sa mission aux montagnes centrales d’Arabie.
Sur le chemin du retour, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dressa, pour la nuit, un camp dans une vallée. Aussitôt que les musulmans avaient installé leur monture, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — demanda : " Qui sera de garde ce soir ? ". " Nous, ô Messager de Dieu " répondirent ʿAbbâd Ibn Bishr et ʿAmmâr Ibn Yâsir , deux hommes que le Prophète avait confiés l’un à l’autre en qualité de frères lorsqu’il arriva à Médine après l’Hégire.
ʿAbbâd et ʿAmmâr partirent pour l’entrée de la vallée afin de prendre leur fonction. ʿAbbâd vit que son frère était fatigué et lui demanda : " Pendant quelle partie de la nuit voudrais-tu dormir, la première ou la seconde ? " " Je dormirai durant la première partie " répondit ʿAmmâr, qui plongea aussitôt dans un sommeil profond aux côtés de ʿAbbâd.
La nuit fut claire, calme et paisible. Etoiles, arbres, et rochers, tout semblait célébrer en silence les louanges de leur Seigneur. ʿAbbâd se sentait serein. Il n’y avait ni mouvement, ni signe de menace. Pourquoi ne pas passer son temps en dévotion et en récitation coranique ? Ô combien serait délicieux de prier tout en récitant avec mesure le Coran comme il affectionnait tant faire.
En fait, ʿAbbâd fut pris de passion par le Coran dès l’instant où il l’entendit pour la première fois récité par la belle voix mélodieuse de Musʿab Ibn ʿUmayr. C’était avant l’Hégire quand ʿAbbâd avait tout juste 15 ans. Depuis ce jour, le Coran avait conquis une place spéciale dans son cœur. Jour et nuit par la suite, on l’entendait réciter à l’envi les glorieuses Paroles de Dieu, si bien que parmi les Compagnons du Prophète on le surnomma "l’ami du Coran".
Tard dans la nuit, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — se leva pour accomplir la prière du Tahajjud dans la maison de ʿÂ’ishah mitoyenne à la mosquée. Il entendit une douce voix récitant le Coran, aussi pure et fraîche que lorsque l’ange Jibril lui révéla les paroles divines. Il demanda : " ʿÂ’ishah, est-ce la voix de ʿAbbâd Ibn Bishr ? ". " Oui, ô Messager de Dieu ", répondit Aishah. " Ô Seigneur, pardonne-lui " invoqua le Prophète par amour pour lui.
Ainsi dans le silence de la nuit, à son poste de garde dans le Najd, ʿAbbâd se tenait debout face à la Qiblah. Levant ses mains en s’abandonnant à Dieu, il entra en prière. Finissant le chapitre d’ouverture du Coran, il commença à réciter la sourate Al-Kahf de sa douce et captivante voix. La sourate Al-Kahf est une sourate longue de cent dix versets qui traite en partie des vertus de la foi, de la vérité
et de la patience et de la relativité du temps.
Pendant qu’il était ainsi absorbé dans la récitation et la méditation des paroles divines, éternelles paroles d’illumination et de sagesse, un étranger inspectait les alentours de la vallée à la recherche de Muhammad — paix et bénédictions sur lui — et de ses partisans. Il était l’un de ceux qui avaient planifié l’attaque contre le Prophète — paix et bénédictions sur lui —, mais qui avaient fui dans les montagnes à l’approche des musulmans. Sa femme, qu’il avait laissée dans le village, avait été prise en otage par un musulman. Quand, par la suite, il découvrit qu’elle était partie, il jura par Al-Lât et Al-ʿUzzâ, qu’il poursuivrait Muhammad — paix et bénédictions sur lui — et ses compagnons et qu’il ne reviendrait sans avoir fait couler du sang.
De loin, l’homme vit la silhouette de ʿAbbâd se profilant à l’entrée de la vallée. Il savait que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — et ses partisans étaient assurément dans la vallée. Discrètement,
il banda son arc et laissa partir une flèche. Elle pénétra inexorablement dans la chair de ʿAbbâd.
Calmement, ce dernier, toujours absorbé dans sa prière, ôta la flèche de son corps et poursuivit sa récitation. L’assaillant tira une deuxième flèche et une troisième toutes deux atteignant leur cible. ʿAbbâd retira l’une et l’autre. Il finit sa récitation, fit le ruku (inclinaison) et le sujud (prosternation). Affaibli et dans la douleur, il tendit, toujours en prosternation, sa main droite et secoua son compagnon endormi. ʿAmmâr se leva. Silencieusement, ʿAbbâd termina sa prière et dit alors : " Lève toi et tiens la garde à ma place : j’ai été blessé".
ʿAmmâr bondit et commença à hurler. Voyant qu’ils étaient deux, l’assaillant se sauva dans l’obscurité. Ammar retourna vers ʿAbbâd alors couché à terre, le sang fluant de ses blessures. "Ya Subhanallah (Gloire à Dieu) ! Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé lorsque tu as été atteint par la première flèche ?". "J’étais en pleine récitation de versets du Coran qui emplit mon âme de crainte et je ne voulais couper court à cette récitation. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — m’a ordonné de retenir cette sourate. Plutôt mourir qu’interrompre sa récitation".
L’attachement de ʿAbbâd pour le Coran était le signe de son intense dévotion et de son amour de Dieu, Son Prophète — paix et bénédictions sur lui — et Sa religion. Les qualités qui lui étaient reconnues étaient sa constante immersion dans la dévotion, son courage héroïque et sa générosité sur le chemin de Dieu. À l’heure du sacrifice et de la mort, il voulait toujours être en première ligne. Quand venait le moment de recevoir sa part de récompense, on ne le trouvait qu’après de longs efforts et maintes difficultés. ʿAlî avait également reconnu que ʿAbbâd était toujours digne de confiance dans les affaires d’argent. ʿÂ’ishah, l’épouse du Prophète, dit une fois : "Il y a trois personnes parmi les Ansâr que nul ne peut surpasser en vertu : Saʿd Ibn Muʿâdh, Usayd Ibn Khudayr et ʿAbbâd Ibn Bishr".
ʿAbbâd mourut d’une mort de shahîd (martyr) à la bataille d’Al-Yamâmah. Juste avant la bataille, il eut fort un pressentiment de mort, qui plus est d’une mort en martyr. Par ailleurs, il était peiné
et contrarié du manque de confiance mutuelle entre les Muhajirin et les Ansâr. Il comprit que le succès des musulmans dans ces terribles batailles reposait sur la séparation entre Muhajirin et Ansâr, permettant ainsi de repérer ceux dignes de confiance et les fidèles au combat.
À l’aube, quand la bataille débuta, ʿAbbâd Ibn Bishr se tint sur une butte et cria : "Ô Ansâr, distinguez-vous du reste des hommes. Dégainez vos fourreaux. Aucun renoncement à l’islam". ʿAbbâd harangua les Ansâr jusqu’à ce que quatre cents hommes s’amassèrent autour de lui, à la tête desquels se trouvaient Thâbit Ibn Qays, Al-Barâ’ Ibn Malik et Abû Dujânah, le gardien de l’épée du Prophète. Avec sa force, ʿAbbâd lança une offensive contre les lignes ennemies qui émoussa leur avancée et les poussa jusqu’au " jardin de la
mort ".
ʿAbbâd Ibn Bishr tomba au pied du mur de ce jardin. Ces blessures étaient si nombreuses qu’il était difficilement reconnaissable. Il avait vécu, combattu, et mourut en croyant.
Traduit de "Companions of The Prophet", volume 1, de Abdul Wâhid Hâmid.
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