mardi 12 mars 2002
En dépit du fait qu’il combattit lors des batailles de Badr, d’Uhud, de Khandaq et d’autres évènements majeurs, An-Nuʿaymân demeura une personne gaie, douée d’un grand sens de la répartie et qui aimait jouer des tours aux autres.
Il appartenait au clan des Banu An-Najjâr de Médine et il était parmi les premiers musulmans de la ville. Il était un de ceux qui prêtèrent allégeance au Prophète — paix et bénédictions sur lui — lors du Second Serment d’Al-ʿAqabah. Il établit des liens avec les Quraïshites quand il épousa la soeur de ʿAbd Ar-Rahmân Ibn ʿAwf puis plus tard Umm Kulthûm, la fille de ʿUqbah Ibn Muʿayt. Elle avait obtenu le divorce de son mari, Az-Zubayr Ibn Al-ʿAwwâm, à cause de sa dureté et de sa sévérité.
Malheureusement, An-Nuʿaymân tomba sous l’emprise de l’alcool. Cette dépendance dura un certain temps. On le surprit en train de boire et le Prophète le fit flageller. Il fut pris une deuxième fois, alors il le fit flageller encore. Comme il ne renonça toujours pas à cette néfaste habitude, le Prophète ordonna qu’il soit battu avec des chaussures. En vain. Rien ne semblait le persuader d’arrêter de boire. Finalement le Prophète dit : " S’il recommence à boire, tuez-le ".
C’était une déclaration grave et ʿUmayr, un des compagnons du Prophète, en déduisit que si An-Nuʿaymân retournait à l’alcool, cela signifiait qu’il déviait de la voie droite et méritait la mort. ʿUmayr exprima sa colère et son dégoût en disant : " Laʿnat Allah alayhi - que la malédiction de Dieu soit sur lui".
Le Prophète entendit l’imprécation d’Umayr et dit : " Non, non, ne dis pas ça. En effet, il aime Dieu et son Prophète. Un péché majeur comme celui-ci ne l’exclut pas de la communauté et la Miséricorde de Dieu est proche des Croyants".
Tout en restant ferme, le Prophète garda espoir en le repentir de An-Nuʿaymân, particulièrement en regard de ses sacrifices passés en tant que vétéran de Badr. Puisqu’il n’était pas de ceux qui dissimulent leurs actions, il lui était plus facile de reconnaître ses crimes puis de se repentir et de chercher le Pardon de Dieu — Exalté Soit-Il —. Ce qu’il fit et il gagna les faveurs du Prophète et de ses Compagnons qui appréciaient ses plaisanteries et son rire communicatif.
Un jour, An-Nuʿaymân alla au marché et vit de la nourriture qui semblait savoureuse et délicieuse. Il en commanda et l’envoya au Prophète — paix et bénédictions sur lui — comme cadeau de sa part. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — en fut enchanté et lui et sa famille mangèrent à satiété. C’est alors que le marchand vint voir An-Nuʿaymân pour récupérer son dû.Ce dernier lui dit : " Allez voir le Messager de Dieu, c’était pour lui. Lui et sa famille ont mangé cette nourriture". Le marchand alla chez le Prophète qui à son tour demanda à An-Nuʿaymân : " N’es-tu pas celui qui m’a donné cette nourriture ?". "Si, dit An-Nuʿaymân, j’ai pensé que cela te plairait et j’ai voulu que tu en manges alors je t’ai envoyé ceci. Mais je n’ai rien pour payer le marchand. Alors paye-le Ô messager de Dieu ! "
Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — se mit à rigoler ainsi que ses Compagnons. Un rire à ses frais puisqu’il dut payer le prix d’un cadeau non sollicité ! An-Nuʿaymân conclut qu’il ressortait deux choses positives de cet incident : le Prophète et sa famille ont mangé de la nourriture qu’ils ont appréciée et les musulmans ont bien ri.
Il advint qu’Abû Bakr et quelques compagnons partirent pour une expédition marchande à Busra. On attribua à diverses personnes de cette expédition des fonctions précises. Suwaybit Ibn Harmalah fut chargé de s’occuper de la nourriture et des provisions. An-Nuʿaymân, qui faisait partie du groupe, eut soudain très faim en chemin. Il demanda à Suwaybit de la nourriture.
Suwaybit refusa et An-Nuʿaymân lui dit : " Sais-tu seulement ce que je pourrais te faire ?". Il continua à l’avertir et à le menacer mais en vain. C’est alors que An-Nuʿaymân alla voir un groupe d’Arabes qui se trouvaient au marché. Il leur demanda : " Aimeriez-vous que je vous vende un esclave fort et vigoureux ? ". Ils se montrèrent intéressés. An-Nuʿaymân poursuivit : " Il a une langue bien pendue. Il vous résistera certainement et vous dira qu’il est libre. Mais ne l’écoutez pas ! ". Les hommes payèrent le prix de l’esclave - dix qala’is (pièces d’or) que An-Nuʿaymân empocha. Il conclut ainsi cette transaction avec une grande efficacité. Les acheteurs l’accompagnèrent pour prendre possession de l’esclave. An-Nuʿaymân se dirigea vers Suwaybit et leur dit : " Voici l’esclave que je vous ai vendu". Les hommes s’emparèrent de Suwaybit qui protesta : " Je suis libre ! Je suis Suwaybit Ibn Harmalah ".
Mais ils ne lui prêtèrent aucune attention et le traînèrent par le cou comme ils l’auraient fait avec n’importe quel esclave. Pendant toute cette scène, An-Nuʿaymân ne rit pas et ne cligna pas même des paupières. Il resta complètement calme et sérieux tandis que Suwaybit continuait à protester amèrement. Les camarades de voyage de Suwaybit, réalisant ce qui se produisait, se précipitèrent pour chercher Abû Bakr, qui avait pris la tête de la caravane. Celui-ci accoura et vint aussi vite qu’il put. Il expliqua aux acheteurs de quoi il en retournait. Ainsi, ils acceptèrent de libérer Suwaybit et purent récupérer leur argent.
Abû Bakr rit de bon cœur tout comme Suwaybit et An-Nuʿaymân. Quand ils furent de retour à Médine et que cette aventure fut racontée au Prophète et à ses compagnons, tous rirent encore davantage.
Un homme vint un jour voir le Prophète avec une délégation. Il attacha son chameau à la porte de la mosquée. Les Compagnons notèrent que ce chameau avait une grande bosse bien grasse et il leur vint soudain l’envie de manger une viande bien goûteuse et succulente. Ils se tournèrent vers An-Nuayman et lui demandèrent : " Pourrais-tu t’occuper de ce chameau ? "
An-Nuʿaymân comprit ce que cela signifiait. Il se leva et abattit le chameau. Le bédouin sortit et réalisa ce qui s’était passé quand il vit des personnes griller, partager et manger de la viande. Dans sa détresse, il cria : " Waa ’aqraah ! Waa Naqataah ! (O mon chameau !) ".
Le prophète entendit les cris et sortit. Il apprit de la bouche des Compagnons ce qui s’était produit et se mit à la recherche de An-Nuʿaymân mais ne le trouva pas. Craignant d’être blâmé et puni, An-Nuʿaymân s’était sauvé. Le Prophète suivit ses empreintes de pas qui le conduisirent à un jardin appartenant à Danbaah, la fille d’Az-Zubayr, une cousine du Prophète. Il demanda aux Compagnons où se trouvait An-Nuʿaymân. Tout en montrant du doigt un fossé voisin, ils répondirent fort pour ne pas alerter An-Nuʿaymân : " Nous ne l’avons pas trouvé, Ô Messager de Dieu". An-Nuʿaymân fut trouvé dans le fossé couvert de branchages et de feuilles de palmier et en sortit avec de la terre sur sa tête, sa barbe et son visage.
Il se tint en présence du Prophète qui le prit par la tête et épousseta la saleté de son visage tandis qu’il riait sous cape. Les Compagnons partagèrent cette bonne humeur. Le Prophète versa le prix du chameau à son propriétaire puis ils se régalèrent tous ensemble. Le Prophète considérait évidemment les farces d’An-Nuʿaymân pour ce qu’elles étaient : de joyeuses boutades censées apporter du réconfort et provoquer les rires. L’Islam n’exige pas des gens qu’ils rejètent le rire et la légèreté pour demeurer perpétuellement graves et sombres. Un sens de l’humour approprié est souvent une source de grâce.
An-Nuʿaymân survécut au Prophète et continua à jouir de l’affection des musulmans. Mais a-t-il mis un terme à ses facéties ?
Pendant le califat de ʿUthmân, que Dieu l’agrée, un groupe de Compagnons se reposaient à l’intérieur de la mosquée. Ils virent Makhramah Ibn Nawfal, un vieil homme qui avait environ cent quinze ans et évidemment plutôt sénile. Il avait des liens de parenté avec la soeur de ʿAbd Ar-Rahmân Ibn ʿAwf, qui était une femme de An-Nuʿaymân. Makhramah était aveugle. Il était si faible qu’il pouvait à peine se déplacer de sa place dans la mosquée. Il se leva pour uriner et eut très bien pu l’avoir fait dans l’enceinte de la mosquée.
Mais les Compagnons le disputèrent pour l’en empêcher. An-Nuʿaymân se leva et alla le porter à un autre endroit, comme il le lui fut demandé. Quel est cet autre endroit où An-Nuʿaymân l’a porté ? En fait il se contenta de le déplacer très près de l’endroit où le vieil homme se trouvait auparavant et l’assit là, toujours dans la mosquée ! Makhramah se fit alors réprimander et on le fit lever à nouveau. Le pauvre vieil homme en fut affligé et dit : "Qui a fait ceci ? ". " An-Nuʿaymân Ibn Amr, " lui a-t-on répondu. Le vieil homme jura qu’il frapperait An-Nuʿaymân sur la tête avec son bâton s’il le rencontrait.
An-Nuʿaymân s’en alla puis revint. Il devait certainement préparer une de ses farces. Il vit ʿUthmân Ibn Affân, le commandeur des croyants, faisant sa prière dans la mosquée. Rien ne pouvait distraire ʿUthmân de sa prière. An-Nuʿaymân vit également Makhramah. Il alla vers lui, changea sa voix et lui dit : " Voulez-vous que je vous mène à An-Nuʿaymân ?". Le vieil homme se rappela ce que An-Nuʿaymân lui avait fait. Il se souvint de la promesse qu’il avait faite de le châtier et s’écria : " Oui ! Où est il ? ". An-Nuʿaymân le prit par la main et le mena à l’endroit où le Calife ʿUthmân se tenait et lui indiqua : " Il est ici ! " Le vieil homme leva son bâton et frappa la tête de ʿUthmân jusqu’à le faire saigner. Les gens s’écrièrent : " C’est Amir Al-Muminin ! (le Commandeur des Croyants) ". Makhramah fut entraîné loin tandis que d’autres voulurent s’occuper de An-Nuʿaymân mais ʿUthmân les retint et leur demanda de le laisser en paix. Malgré les coups qu’il reçut, ʿUthmân rit de ce qu’avait fait An-Nuʿaymân.
An-Nuʿaymân vécut jusqu’ à la période du califat de Muʿawiyah. C’est alors que la fitnah et la discorde emplirent son cœur d’angoisse et de tristesse. Il perdit sa gaieté légendaire et on ne l’entendit plus jamais rire.
Traduit de l’anglais de Companions of The Prophet, volume 1, de Abdul Wâhid Hâmid.
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