mercredi 20 avril 2005
Ce texte est le sermon du vendredi prononcé par le Sheikh Muhammad Sa`îd Ramadân Al-Bûtî le 23 mai 2003 en Syrie. Nous avons omis les invocations finales achevant le sermon.
Louanges à Dieu moult fois renouvelées. Louanges à Dieu à la hauteur de Ses bienfaits et de Son supplément de Faveur. Seigneur, louanges à Toi comme il se doit pour Ta Face honorée et la Magnificence de Ton Pouvoir. Gloire à Toi Seigneur ; je ne suis point capable de Te louer comme il convient ; Tu es Tel que Tu T’es loué Toi-Même. J’atteste qu’il n’y a de divinité hormis Allâh, l’Unique sans associé. Et j’atteste que notre maître et Prophète Muhammad est le Serviteur, le Messager, l’Élu et l’Ami intime de Dieu, le meilleur Prophète envoyé par Dieu. Dieu l’a envoyé au monde entier en guise d’annonciateur de la bonne nouvelle et en guise d’avertisseur. Seigneur, accorde Ta prière, Ta paix et Tes bénédictions, à notre maître Muhammad, ainsi qu’à sa famille, une prière et une paix permanentes et indissociables jusqu’au Jour Dernier. En outre, je vous recommande — ô musulmans — ainsi qu’à mon âme pécheresse la crainte révérencielle d’Allâh — Exalté soit-Il.
Ô Serviteurs de Dieu,
Les deux Sheikhs, Al-Bukhârî et Muslim, ainsi que les Imâms Ahmad et Abû Dâwûd rapportent d’après Anas Ibn Mâlik — que Dieu l’agrée — que le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — dit : « Nul d’entre vous n’aura une foi complète tant que je ne serai pas plus cher pour lui que ses enfants, que ses parents et que tout être humain quel qu’il soit. »
Bien entendu, lorsque le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — tint ce discours et le transmit à ses Compagnons et aux générations ultérieures, cela n’était nullement motivé par un sentiment de supériorité, ni par fatuité. En réalité, il ne fit qu’exécuter une injonction divine stipulant de transmettre ce message à sa Communauté. Si le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — n’avait pas transmis ce que Dieu lui avait révélé, il aurait trahi le dépôt, ce dont, bien sûr, il est innocent.
Ainsi, une foi exclusivement rationnelle en la mission du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — n’est ni suffisante, ni utile, à elle seule. Il est indispensable que cette foi rationnelle soit couronnée d’amour. L’amour, ô Serviteurs de Dieu, est un réflexe involontaire et non point un acte choisi. Dans Sa grande Sagesse et Sa grande Miséricorde, lorsque Dieu façonna Son Prophète Muhammad — paix et bénédictions sur lui —, Il le dota de qualités et de nobles manières qu’il est rare de retrouver chez un homme parmi les générations antérieures ou postérieures. Si nous nous interrogeons sur la raison pour laquelle Dieu — Exalté soit-Il — distingua Son Messager Muhammad — paix et bénédictions sur lui — par toutes ces qualités d’entre tous les hommes, la réponse serait que, de cette façon, dans Sa grande Bonté, Dieu facilite à Ses Serviteurs l’amour du Messager de Dieu et l’intronise dans leurs cœurs ; il s’agit donc d’une manifestation de la Bonté divine.
Ainsi donc, tout individu doté d’un cœur sain et d’une humanité inaltérée et qui prend connaissance des qualités du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — et de son éthique sera nécessairement imprégné de l’amour celui-ci. Que dire alors de ceux qui virent le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — et furent les témoins visuels de ses qualités ?
Par conséquent, que nul ne demande : Par quel moyen puis-je aimer le Messager de Dieu ? Lis la biographie du Messager de Dieu et prends connaissance de ses qualités. Libère ton esprit et ton humanité des impuretés qui les frelatent, tu tomberas fou amoureux de Muhammad — paix et bénédictions sur lui.
Dès lors que Dieu — Exalté soit-Il — fait don à Ses Serviteurs de la foi rationnelle, puis qu’Il leur donne la joie de cet amour sans lequel la foi rationnelle ne serait point suffisante, dès lors que Dieu donne à Ses Serviteurs croyants la joie de cet amour que le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — nous a enjoint, les effets de cet amour feront nécessairement leur œuvre ; cet amour portera nécessairement ses fruits dans la vie des musulmans, qu’ils le veuillent ou non, car, comme je vous le disais, l’amour est un réflexe et ses conséquences relèvent également du réflexe. Lorsque le doux souvenir de la naissance du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — traverse des cœurs débordant d’amour et de langueur pour le Messager de Dieu, lorsque le doux souvenir enveloppe les détenteurs de ces cœurs, quelle peut-être leur attitude ? Ces cœurs réagiront obligatoirement à l’anniversaire de cet événement, et seront nécessairement pleins d’émoi. Par la force des choses, les détenteurs de ces cœurs exprimeront leur grand amour et leur profond attachement à la figure centrale de cet événement, notre maître Muhammad — paix et bénédictions sur lui. Ainsi se réalise la condition mentionnée par le Messager de Dieu dans le hadîth consensuel [1]. Lorsque l’anniversaire de la naissance de l’Élu — paix et bénédictions sur lui — arrive, lorsque son souvenir balaye l’esprit, la conscience et les sentiments du musulman, ce dernier est bien obligé d’exprimer ses sentiments débordants, sans quoi il étoufferait. Il célébrera alors nécessairement ce jour qui vit naître le Messager de Dieu. Il célébrera obligatoirement le temps et le lieu qui virent naître le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui et sur sa famille.
Muslim rapporte dans son Sahîh, ainsi que Ahmad Ibn Hambal, Abû Dâwûd et Al-Hâkim dans son Mustadrak, entre autres traditionnistes, que : « Un bédouin vit le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — jeûner un lundi et s’en enquit auprès de lui. Il s’en expliqua disant : “C’est le jour où je suis né, le jour où je fus chargé de ma mission, et le jour où j’ai reçu la révélation.” » Notez comment le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — célébrait le jour de sa naissance et lui réservait un accueil spécial ; C’est en ce jour également que le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui et sur sa famille — reçut sa mission prophétique.
Je répète cependant que lorsque l’Élu — paix et bénédictions sur lui — célébrait le jour de sa naissance, en vouant un jeûne, il ne faisait pas cela par fatuité, ni parce qu’il nourrissait un sentiment de supériorité, il ne visait pas non plus à inciter chacun de nous à prendre l’habitude de célébrer son anniversaire, non. Toujours est-il que cette naissance est une naissance distinguée. Il s’agit de la naissance de celui que Dieu — Exalté soit-Il — envoya en tant que miséricorde pour les mondes. C’est grâce à cette mission que le soleil de la guidance éclaira le monde entier. L’accueil particulier que le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — réservait au jour de sa naissance était l’expression de sa gratitude envers Dieu — Exalté soit-Il —, l’expression de la célébration de ce jour où Dieu l’envoya en guise de miséricorde pour tous Ses Serviteurs.
Si telle est la raison qui poussa le Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — à célébrer le jour de sa naissance, qu’en serait-il de nous qui fûmes chargés par le Messager de Dieu, et même par le Seigneur des Mondes, de porter l’amour du Messager de Dieu dans nos cœurs, plus encore que notre amour pour nos enfants, ou nos parents, ou tout être humain quel qu’il soit ? Quelle devrait être notre attitude en ce jour digne d’être célébré, ce jour où Dieu — Exalté soit-Il — créa celui qu’Il destinait à être une miséricorde pour les mondes, ce jour où Il fit du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — un Prophète, ce jour où se leva le soleil de la guidance sur tous Ses Serviteurs, sans compter l’amour qui trouve un accès facile au plus profond de nos cœurs ? Ne devrions-nous pas réserver un accueil particulier à l’anniversaire de la naissance du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — tous les ans ? Je dirais même : Est-ce que nous avons le choix, lorsque les sentiments d’amour pour le Messager de Dieu s’attisent dans nos cœurs, et que son souvenir les saisit, est-ce que nous pouvons nous abstenir de le célébrer ? Est-ce que nous pouvons nous abstenir d’exprimer l’ardeur de notre amour et de notre langueur, alors que nous sommes ceux qui avons cru au Messager de Dieu, que nous avons entendu bien des choses sur le Messager de Dieu, que nous connaissons les qualités du Messager de Dieu, que nos cœurs désirent ardemment le voir — ce dont nous sommes privés actuellement, nos yeux n’ayant pas la joie de le voir comme ses Compagnons, que Dieu les agrée, l’ont vu ? La langueur ne nous saisit-elle pas ? Les flammes de l’amour que nous lui réservons ne s’attisent-elles pas ? Et lorsqu’elles s’attisent, comment exprimons-nous cela ? L’amoureux peut-il rester imperturbable et immobile tel un roc ? Quel serait alors la signification de cet amour ? Y a-t-il dans ce monde quelqu’un qui ne pense pas que c’est l’amour qui meut, qui guide, qui brûle les membres, qui rapproche ce qui est distant, et facilite ce qui est difficile ? Y a-t-il quelqu’un qui ignore cela, chers frères ?
Il y a cependant un problème dont peu de gens s’alertent à notre époque, un phénomène qui a failli dénaturer l’islam dans l’esprit et l’imaginaire de nombreux musulmans. À notre époque, l’islam est devenu un islam intellectuel. [2] Il y a désormais une relation forte entre la pensée et l’islam. Si vous revenez un siècle ou plus en arrière, vous ne trouveriez point ce vocable dans le lexique de l’islam. « La pensée islamique », « les penseurs islamiques », « les conceptions islamiques », toutes ces expressions qui parviennent à vos oreilles, en trouvez-vous la trace dans la terminologie islamique ? Les trouvez-vous dans le lexique des sciences islamiques dans toute leur diversité ? Point du tout. Vous n’en trouverez aucune trace.
Pourquoi, à notre époque, entend-on souvent ce genre d’expressions ? Car il y a un plan, ourdi à l’extérieur du monde musulman, pour dénaturer l’islam afin de le couper de ses racines sentimentales et spirituelles ancrées dans le cœur. Il se transforme en une pensée que la raison embrasse. Et quelle pensée ? Une pensée émanant de l’homme et non plus une révélation émanant de Dieu — Exalté soit-Il. En effet, lorsqu’on entend sans cesse ce genre d’expressions, « les penseurs islamiques », « les conceptions islamiques », « la pensée islamique », se cristallise dans l’esprit l’idée que l’islam est une somme de conceptions qui sont le fruit des cerveaux humains. S’installera et se cristallisera dans l’être l’idée que l’islam n’est que la quintescence de la production des intellectuels, transcrite, consignée, puis transformée en littérature, puis présentée comme étant l’islam.
Il se peut que ce plan ait réussi dans une certaine mesure. Nombreux sont les musulmans, à travers notre monde musulman, qui abordent l’islam d’un point de vue intellectuel et juridique, et n’en font point l’expérience au plan sentimental et spirituel. Le temps ne nous permettrait pas de traiter de ce long sujet plein de chagrins.
Chers frères, l’islam est devenu pour beaucoup de gens, voire pour beaucoup de leaders des mouvements islamiques, une somme d’idées, d’opinions, de déductions juridiques, de débats, de mouvements, de comparaisons avec divers autres systèmes. Quant aux racines de toute cette affaire, à savoir la Servitude envers Dieu, caractérisée par l’amour de Dieu, et par l’accomplissement de Sa Parole — Exalté soit-Il — : « Parmi les hommes, il en est qui prennent, en dehors de Dieu, des égaux à Lui, les aimant comme on aime Dieu. Or les croyants sont les plus ardents en l’amour de Dieu » [3], peu nombreux sont les musulmans qui abordent l’islam de cette façon. Pourtant, il s’agit de la base. Lorsque la base vole en éclats, l’apparence visible n’a aucune valeur. C’est l’une des principales raisons expliquant que, tandis que l’islam se répand sur terre tous azimuts, et que les musulmans seront bientôt un milliard et demi d’être humains, lorsqu’on jette un œil sur les musulmans, ils sont dans l’ensemble semblables à l’écume charriée à la surface de l’eau ; lorsqu’on cherche l’impact de leurs discours, de leurs paroles et de leurs idées, on se rappelle l’adage : « Beaucoup de bruit pour rien. »
Les actions islamiques qui occupent actuellement la scène sont celles qui opposent les musulmans les uns aux autres. De nos jours, les œuvres pies de nombreux musulmans consistent à lever l’étendard de ce qu’on appelle l’innovation religieuse (bidʿah). La célébration de la naissance du Messager de Dieu serait une innovation religieuse. L’excès dans l’amour du Messager de Dieu serait une innovation religieuse. Il y a peu, loin de notre monde musulman, alors que je donnais un discours dans une mosquée comme celle-ci, un individu m’a dit sans sourciller que l’excès dans l’amour du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — était une innovation religieuse. Si les musulmans en sont là aujourd’hui, alors il est inutile d’espérer les fruits du combat des musulmans, tels que nous les décrit le Coran. Néanmoins, Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. Ainsi ne faudrait-il pas exagérer notre amour pour le Messager de Dieu. Comme si les musulmans aujourd’hui aimaient le Messager de Dieu plus que ses Compagnons, si bien que leur amour a atteint cette ligne rouge qu’il ne faudrait pas franchir.
Au lieu que les musulmans cherchent à jeter les ponts de l’amitié entre eux, à briser les causes de leurs différends, à mettre en veilleuse des paroles creuses à propos de l’innovation religieuse proférées par des gens qui ignorent ce qu’est l’innovation religieuse, il faut que nous renouvelions notre pacte avec Dieu et que nous écoutions attentivement le décret de Dieu — Exalté soit-Il — disant : « Ô les croyants ! Quiconque parmi vous apostasie de sa religion... Dieu va faire venir un peuple qu’Il aime et qui L’aime » [4]. Comprenez bien le début de ce verset à la lumière des conséquences annoncées : « Dieu va faire venir un peuple qu’Il aime et qui L’aime ». Ainsi la raison de l’apostasie dont seront éprouvés de nombreux musulmans n’est pas de douter après avoir atteint la certitude, ni de douter après avoir eu la foi, la raison de cette apostasie est justement la dénaturation dont je vous ai parlé. Leur islam se transforme en un islam intellectuel, un islam de parole, un islam de comparaison entre les systèmes. Quant aux cœurs, ils sont vacants de l’amour de Dieu — Exalté soit-Il —, vacants de l’amour du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui —, débordants d’amour pour les choses contingentes. D’où l’expression divine : « Quiconque parmi vous apostasie de sa religion ». Sinon, il est rare d’entendre qu’un musulman a apostasié, au sens conventionnel du terme. La preuve en est Sa parole : « Dieu va faire venir un peuple » qui ne sont pas atteints par cette maladie : « Dieu va faire venir un peuple qu’Il aime et qui L’aime ».
Chers frères, j’implore Dieu — Exalté soit-Il — de remplir mon cœur et vos cœurs de l’amour de notre Prophète Mhammad — paix et bénédictions sur lui — jusqu’à ce qu’il nous soit plus cher que nos enfants, que nos parents, que tout être humain quel qu’il soit, et plus cher que notre propre personne. Je L’implore de faire que notre amour pour Son Messager soit l’un des fruits les plus magnifiques de notre amour pour notre Seigneur le Magnifique.
Tel sera mon propos et j’implore le pardon de Dieu le Magnifique.
Traduit de l’arabe du site Bouti.com.
[1] Un hadîth est qualifié de consensuel (muttafaqun ʿalayh) lorsqu’il est rapporté par les Sommes Authentiques des deux Imâms Al-Bukhârî et Musulim. Ici, le Sheikh renvoie au hadîth cité en préambule du sermon. NdT.
[2] Il convient ici de rappeler que le Sheikh ne s’oppose pas à la raison, ni au développement d’une pensée islamique, mais il rejette une telle évolution si elle n’est pas fondée sur un cœur vibrant d’amour pour Dieu et pour Son Messager — paix et bénédictions sur lui. NdT.
[3] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 165.
[4] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La Table servie, verset 54.
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