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Les attentats de Bali : une approche juridique

jeudi 7 novembre 2002

Question

Nous avons entendu parler de l’incident sanglant qui a eu lieu sur l’île de Bali où un grand nombre de touristes étrangers ont été tués. Ce que je voulais dire c’était qu’un tel incident serait automatiquement imputé à l’Islam et aux Musulmans.

Ma question est la suivante. Au cas où il serait prouvé que ceux qui ont dirigé les attaques de Bali étaient musulmans, quelle serait la position de la législation islamique (Sharîʿah) à cet égard ?

Réponse du Cheikh Yûsuf Al-Qaradâwî

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Louanges à Dieu, et paix et bénédiction sur Son Messager.

Tout d’abord, nous devons insister sur le fait que l’Islam interdit non seulement de s’en prendre aux non-Musulmans qui ne lancent pas d’attaques contre les Musulmans, mais il invite également les Musulmans à traiter ces non-Musulmans avec respect et obligeance, en particulier ceux qui vivent avec des Musulmans en territoire islamique. Cette règle fait l’unanimité des juristes musulmans.

Dans sa réponse à votre question, l’éminent savant musulman, Dr Yûsuf al-Qaradâwî, dit :

"Cela va sans dire que la tragédie de Bali, dans laquelle l’explosion d’une bombe ôta la vie à plus de cent touristes, est en réalité un crime atroce. C’est même un acte de corruption sur terre (fasâd fil-ard), une Hirâbah dans le langage juridique ; ce crime de la Hirâbah appelle en Islam une punition sévère, sans discrimination de race, de couleur, de nationalité ou de religion du coupable. Le châtiment est clarifié dans le verset suivant : "La rétribution de ceux qui font la guerre contre Dieu et Son Messager, et qui s’efforcent de semer la corruption sur terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas ; et dans l’au-delà, il y aura pour eux un énorme châtiment." (sourate 5, La table servie, Al-Mâ’idah, verset 33).

En réalité, deux choses m’ont choqué dans ce tragique incident : premièrement, il s’en est pris à des civils innocents et, deuxièmement, il s’est produit dans un pays qui a la plus grande population musulmane au monde. Un tel pays devrait donner le meilleur exemple de coexistence pacifique et de maintien de la sécurité, accordant une attention toute particulière à la préservation des vies, de l’honneur et des biens. L’Islam se fonde sur la préservation de la sacralité de cinq choses qui sont considérées comme les objectifs principaux de la législation islamique : la religion, la vie, les biens, la lignée et la raison. Il a mis en place un châtiment dissuasif pour toutes personnes qui oserait violer la caractère sacré de ces cinq éléments.

Tous les Musulmans doivent alors unir leurs efforts pour déclarer la guerre à l’oppression et à la transgression, aussi petite soit-elle, et ce, indépendamment de la nature des cibles de cette oppression, indépendamment de la nationalité des victimes, qu’ils soient d’innocents touristes australiens, de pauvres citoyens palestiniens ou n’importe quelle autre personne dans le monde. L’Islam affirme clairement que la paix et la justice doivent être l’éthique régissant les relations entre les gens. Il est inutile de rappeler que faire face à l’oppression et combattre la transgression est la clé du maintien de la paix."

Indiquant clairement que l’évaluation de la conduite des gens ne devrait pas se faire aux dépens de leur religion, Dr Yûsuf Al-Qaradâwî ajoute :

"Même s’il est établi que les attentats de Bali sont l’œuvre de musulmans, il demeure néanmoins que l’Islam ne saurait être blâmé pour ces attaques. Une ligne de démarcation claire doit être tracée entre les enseignements de l’Islam, qui interdisent de telles attaques, et les actes de quelques musulmans qui possèdent une vision étroite de l’Islam.

J’aimerais ici rappeler que tout au long de l’histoire de l’Islam, certains adeptes de cette religion ont agi d’une façon qui viole les enseignements islamiques et qui les mettent au bûcher. Ainsi, ces personnes font du mal à l’Islam et aux musulmans par leur mauvais comportement ; car la menace qu’ils font peser sur l’Islam est bien plus énorme que celle des ennemis de l’Islam qui le combattent becs et ongles, de jour comme de nuit. C’est pourquoi on dit qu’"un ennemi sage est meilleur qu’un ami imbécile". En outre, le poète arabe a dit :

Pour toute maladie il existe une cure,

Seule l’idiotie n’a pas de cure.

On sait également que les droits définis pour les non-musulmans vivant sous la protection de l’État islamique ne sont pas simplement de l’encre sur du papier. Au contraire, ils sont considérés comme des "droits inaliénables" établis par la législation islamique. Ces droits doivent donc être dûment respectés. Chaque musulman, adorant Dieu avec sincérité et agissant en concordance avec les préceptes de Dieu, ne devrait jamais enfreindre ces droits. La société musulmane toute entière devrait les respecter.

L’Islam ne permet pas l’ agression contre des personnes innocentes, que cela soit contre leur personne, contre leurs biens ou contre leur honneur. Ces règles s’appliquent à tous, sans égard au poste, au statut ou au prestige. En Islam, tout sujet de l’État islamique est guidé par les enseignements islamiques, au même titre que le dirigeant ou le Calife ; il n’est pas autorisé à spolier aux gens leurs droits, leur vie, leur honneur, leurs biens etc.

Durant le Pèlerinage de l’Adieu [1], le Prophète — paix et bénédiction sur lui — énonça le principe selon lequel les vies, les biens, et l’honneur des gens seraient inviolables jusqu’au Jour du Jugement. Cette règle n’est pas réduite aux seuls musulmans ; elle inclut également les non-musulmans, aussi longtemps que ceux-ci ne déclarent pas la guerre aux musulmans. Même en cas de guerre, l’Islam ne permet pas que l’on tue ceux qui ne sont pas impliqués dans le combat, tels les femmes, les enfants, les vieux, et les prêtres qui se retirent pour l’adoration de Dieu.

Ceci ne devrait pas être étonnant : l’Islam est une religion qui prohibe même l’agression contre les animaux. D’après Ibn ʿUmar — que Dieu les agrée tous deux [2] -, le Prophète — paix et bénédiction sur lui — dit : "Une femme entra en l’Enfer à cause d’une chatte qu’elle avait attachée, sans lui donner à manger ni même la laisser libre d’aller manger les vermines de la terre." (rapporté par Al-Bukhârî).

Si telle est la sentence islamique au sujet des actes d’agression contre des animaux, a fortiori, la punition est beaucoup plus sévère lorsque un être humain se trouve être la victime d’une agression, d’une torture ou d’un meurtre injuste.

Ceci a conduit les historiens occidentaux objectifs à déclarer que tout au long de l’histoire, les conquêtes musulmanes furent très justes et clémentes. En Islam, la notion machiavélique de "la fin justifie les moyens" n’a pas sa place. Pour nous musulmans, il n’est pas permis d’atteindre de bons objectifs via de mauvais moyens. Ainsi, l’aumône provenant de revenus illicites n’est pas licite. Dans ce contexte, on a rapporté que le Messager de Dieu — paix et bénédiction sur lui — dit : "Certes, Dieu est Bon et n’accepte que ce qui est bon."

Cela peut expliquer pourquoi nos pieux prédécesseurs ont stipulé que pour qu’un acte soit religieusement agréé, il doit nécessairement être fait exclusivement pour la Face de Dieu, et doit être conforme à la Sunnah prophétique. De ce fait, il ne peut en aucun cas être permis à un musulman d’utiliser des moyens religieusement prohibés pour atteindre un certain but qu’il considère lui-même comme noble alors qu’en fait il peut être dénué de toute noblesse.

En conséquence, un musulman désirant atteindre une fin noble n’est nullement autorisé à utiliser des moyens qui humilieraient les gens, les terroriseraient ou répandraient leur sang de manière illicite.

Pire encore, certains individus revendiquent de tels attentats en affirmant qu’ils agissent au nom de l’Islam. De cette manière, quel que soit le crime qu’ils pourront commettre, il sera automatiquement attribué à l’Islam, ce qui est faux et inacceptable.

L’Islam considère les attaques contre les non-musulmans, qui ne se lancent pas dans une guerre contre les musulmans, comme une forme d’injustice qui est à la fois prohibée et abhorrée par le Coran, la Sunnah prophétique et les nobles enseignements des Compagnons du Prophète — que Dieu les agrée —.

En outre, la pure compréhension des juristes musulmans, le véritable esprit de la civilisation musulmane et le courant modéré de cette Communauté islamique dénient catégoriquement de tels crimes contre l’humanité, qui ne sont rien de plus qu’une barbarie dépourvue de toute moralité et de tout sentiment humain. De telles actions barbares exigent des savants musulmans, ayant une vision claire et approfondie de l’Islam, qu’ils redoublent et conjuguent leurs efforts pour aider les masses déroutées à comprendre la vérité.

Vraies sont les paroles de Dieu, et Le Tout-Puissant guide sur le Droit Chemin."

Puisse Dieu vous guider sur le Droit Chemin, et vous guider vers ce qu’Il agrée.

Et Dieu est le plus Savant.

P.-S.

Traduit de l’anglais à partir de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Ce pèlerinage est le premier et le dernier pèlerinage effectué par le Prophète. Il a eu lieu en l’an 10 de l’Hégire, soit quelques trois mois avant la mort du Prophète. C’est au cours de ce pèlerinage que le dernier verset du Coran a été révélé. En outre, le sermon prononcé par le Prophète lors de ce pèlerinage constitue une charte résumant l’essentiel de la mission pour laquelle le Prophète a été envoyé sur Terre.

[2Il faut comprendre : "que Dieu agrée ʿUmar (Ibn Al-Khattâb) et son fils (ʿAbd Allâh) Ibn ʿUmar".

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