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Suhayl Ibn ʿAmr

jeudi 30 mai 2002

Lors de la bataille de Badr, lorsque Suhayl fut fait prisonnier par les musulmans, ʿUmar Ibn Al-Khattâb s’adressa au Prophète — paix et bénédictions sur lui — :

" Ô Messager d’Allâh ! Permets-moi d’arracher les deux incisives de Suhayl Ibn ʿAmr afin qu’il ne puisse plus jamais dire du mal de toi !
- Non ʿUmar, répondit le Prophète, je ne mutilerais personne car Allâh me mutilerait même si je suis son Prophète. ʿUmar, peut-être Suhayl accomplira-t-il plus tard une oeuvre qui méritera notre satisfaction. "

Suhayl Ibn ʿAmr jouissait d’un haut statut parmi les Qurayshites. Intelligent et brillant orateur, son opinion pesait pour beaucoup parmi ses concitoyens. Il était le porte-parole et orateur des Qurayshites. Il joua en outre un rôle non négligeable dans la conclusion du célèbre traité de Hudaybiyyah.

Vers la fin de l’an six de l’Hégire, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — accompagné d’environ mille cinq cents compagnons quittèrent Médine pour La Mecque afin d’accomplir la ʿUmrah. Pour prouver qu’ils venaient en paix et dans la seule intention d’accomplir le pélerinage, les musulmans n’étaient armés que de simples épées de voyageurs. Ils avaient également emmené avec eux les bêtes destinées aux sacrifices.

Néanmoins, les Qurayshites en apprenant leur venue se mirent immédiatement sur le pied de guerre et se jurèrent de ne jamais permettre aux musulmans de pénétrer dans La Mecque. Khâlid Ibn Al-Walîd fut envoyé à la tête d’une cavalerie en vue de barrer la route aux musulmans. Lui et son armée attendaient les pèlerins à Kara Al-Ghanim. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — eut vent de cette embuscade. En dépit du conflit qui l’opposait aux Qurayshites, il prit soin d’éviter la confrontation avec l’ennemi. Il demanda :

" Y a-t-il un homme parmi vous qui pourrait nous emmener à La Mecque par un autre chemin ? "

Un homme de la tribu des Aslam se proposa. Il fit passer les musulmans à travers le terrain difficile de Warah, mais le reste de la marche fut relativement facile. Ils approchèrent La Mecque par le sud. Ayant finalement compris la tactique des musulmans, Khâlid Ibn Al-Walid retourna à La Mecque frustré.

Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — s’installa près de Hudaybiyyah et attendit une réaction des Qurayshites à propos du pèlerinage. Ces derniers envoyèrent Budayl Ibn Warqâ’ et des membres de la tribu des Khuzâʿah afin de sonder les véritables intentions des musulmans. Budayl rencontra le Prophète — paix et bénédictions sur lui — et s’en revint faire part de ses intentions pacifiques aux Qurayshites. Ils n’accordèrent cependant aucun crédit à son rapport car les Khuzâʿah et Budayl étaient de soi-disant alliés du Prophète — paix et bénédictions sur lui —.

" Muhammad a-t-il l’intention de venir lui et ses soldats en prétendant accomplir la ʿUmrah ? Les Arabes apprendront qu’il est entré de force à La Mecque quand nous étions en état de guerre. Par les dieux ! Nous n’autoriserons jamais cela. "

Les Qurayshites dépêchèrent Hulays Ibn ʿAlqamah, le chef de leurs alliés les Ahabish. Quand le Prophète — paix et bénédictions sur lui — vit Hulays, il remarqua :

" Cet homme est issu d’un peuple très attaché au rituel du sacrifice. Faites en sorte qu’il voit les animaux destinés au sacrifice. " Ses directives furent exécutées. Hulays fut également accueilli par des musulmans récitant la talbiyyah " labbayk allahouma labbayk ".

A son retour, Hulays s’exclama :

" Subhan Allâh ! Gloire à Dieu ! On ne doit pas empêcher ces gens de pénétrer dans La Mecque. Comment peut-on laisser des lépreux et des ânes accomplir le pélerinage et empêcher le fils d’Al-Muttalib (Muhammad) de visiter la maison de Dieu ? Par le seigneur de la Kaʿbah, puissent les Qurayshites être exterminés ! Ces hommes sont venus pour accomplir la ʿUmrah et rien d’autre ! "

Dès que les Qurayshites entendirent ses propos, ils se moquèrent de lui :

" Va-t-en ! Tu n’es qu’un nomade arabe. Tu ne connais rien aux complots et aux intrigues. "

Ils envoyèrent alors ʿUrwah Ibn Masud, le chef des Thaqafi de Tail afin de rendre compte de la situation. ʿUrwah déclara au Prophète, paix et bénédictions d’Allâh sur lui :

" Ô Muhammad, tu as rassemblé tous ces gens et tu es revenu dans ta ville natale. Les Qurayshites sont résolus à ne pas te laisser entrer dans La Mecque. Par Dieu ! Tous ces gens pourraient bien t’abandonner. "

Sur ce, Abu Bakr lui répondit : " Nous, l’abandonner ? Malheur à toi ! "

Pendant que ʿUrwah parlait, sa main effleura la barbe du Prophète — paix et bénédictions sur lui —, Mughirah Ibn Shuʿbah l’en écarta :

" Ôte ta main, lui dit-il.
- Quelle insolence, rétorqua ʿUrwah. "

Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — sourit.

" Qui est cet homme ô Muhammad ?, demanda ʿUrwah.
- Cet homme est ton cousin, Al-Mughîah Ibn Shuʿbah, répondit le Prophète.
- Quelle perfidie, insulta ʿUrwah. "

Il se mit alors à épier les faits et gestes des compagnons du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Il remarqua qu’au moindre de ses ordres, ils s’empressaient d’obéir, qu’en sa présence ils parlaient d’une voix douce et que par respect pour lui ils baissaient le regard.

De retour parmi les siens, ʿUrwah fit part de son grand étonnement :

" Par Dieu, ô Qurayshites, je n’ai jamais rencontré de roi traité par son peuple tel que l’est Muhammad par ses compagnons. Ces hommes lui sont dévoués plus que tout et pour rien au monde ils ne l’abandonneraient. Reconsidérez votre position. Il fait preuve d’une parfaite loyauté. Acceptez ce qu’il vous présente. Je crains sincèrement que vous ne puissiez jamais le vaincre. "

" Cesse de parler ainsi, rétorquèrent les Qurayshites, nous le forcerons à renoncer au pèlerinage pour cette année. Peut-être pourra-t-il revenir une prochaine fois. " Pendant ce temps, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — envoya ʿUthmân Ibn ʿAffân auprès des chefs qurayshites pour les informer de son intention de rentrer à La Mecque et pour permettre aux musulmans de rendre visite à leurs proches. ʿUthmân fut également chargé de prendre contact avec les oppressés parmi les musulmans qui étaient restés à La Mecque afin de leur annoncer la proche délivrance. Les Qurayshites restèrent fermes dans leur refus quant au projet du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Ils proposèrent néanmoins à ʿUthmân d’accomplir seul la circumabulation (tawâf) autour de la Kaʿbah mais il refusa catégoriquement. Il fut placé en détention. La rumeur selon laquelle il avait été assassiné se propagea.

Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — adopta une attitude nouvelle :

" Nous ne partirons pas d’ici sans avoir combattu ! "

Il ordonna à cet effet aux musulmans de prêter serment d’allégeance. Autour du Prophète — paix et bénédictions sur lui —, ils jurèrent tous de se battre. Plus tard, quand la rumeur se révéla sans fondements, les Qurayshites désignèrent Suhayl Ibn ʿAmr afin qu’il négocie et persuade le Prophète — paix et bénédictions sur lui — de retourner à Médine.

Si Suhayl fut choisi, ce fut sans nul doute pour son sens de la persuasion et ses éminentes qualités de négociateur. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — devina un changement de tactique chez les Qurayshites :

" Ils souhaitent la réconciliation, c’est pourquoi ils ont envoyé cet homme, déclara-t-il. "

Les négociations entre le Prophète — paix et bénédictions sur lui — et Suhayl prirent un certain temps avant d’aboutir. ʿUmar et d’autres compagnons déçus sentirent que l’accord désavantageaient les musulmans. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — les rassura en leur déclarant qu’il suivait scrupuleusement les commandements d’Allâh qui ne les abandonnera jamais. Il fit ensuite appel à ʿAli Ibn Abî Tâlib pour transcrire les termes du traité.

" Ecris, lui ordonna-t-il, bismillahi-rahmani-rahim.
- Je ne comprend pas cette phrase, objecta Suhayl. Ecris plutôt bismika allahuma (en ton nom ô Allâh)
Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — concéda et reprit :
" Muhammad, Messager de Dieu et Suhayl ont convenu... "

" Non, rétorqua Suhayl, si j’avais effectivement attesté que tu es le Messager de Dieu, je ne t’aurais pas combattu, écris plutôt le nom de ton père. "

Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — accéda de nouveau à sa requête. Il chargea ʿAlî d’écrire : "Muhammad, fils de Abdallah et Suhayl..."

Ils se mirent d’accord sur une trêve de dix ans durant laquelle les deux parties devaient vivre en paix et s’abstenir de tout acte d’agression. De plus, tout membre de la tribu des Qurayshites qui se rendrait à Médine sans une autorisation délivrée par un wali devait être remis aux Qurayshites. Suhayl s’arrangea pour sauver la face aux Qurayshites et obtint le plus grand nombre de faveurs grâce à la tolérance dont faisait preuve le Prophète — paix et bénédictions sur lui —.

Or en l’an huit de l’Hégire soit trois ans après la signature du traité, les Qurayshites violèrent la trêve en s’alliant aux Banu Bakr dans une sanglante bataille contre les Khuzâʿah, alliés au Prophète. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — décida alors d’envahir La Mecque sans pourtant chercher à se venger. C’est ainsi que dix mille fidèles entrèrent à La Mecque pendant le mois de ramadhan. Les Qurayshites comprirent qu’ils n’avaient aucune chance de résister et qu’ils étaient complètement à la merci du Prophète — paix et bénédictions sur lui —.

Lorsque le Prophète — paix et bénédictions sur lui — fut rappelé auprès d’Allâh, la nouvelle se répandit rapidement à travers La Mecque où résidait Suhayl. Les musulmans furent plongés dans un état de consternation. A Médine, Abu Bakr mit fin à la confusion grâce à ses sages paroles :

" A celui qui adore Muhammad, Muhammad est mort et à celui qui adore Allâh, Allâh est Hayy, et ne meurt pas ! "

À La Mecque, Suhayl se chargea de combattre les mauvaises interprétations et de ramener tous les musulmans sur la voie de la vérité. Il prôna l’unité entre les croyants de manière brillante. Il affirma que Muhammad est effectivement le Messager d’Allâh. Il n’est mort qu’une fois sa mission accomplie. Il est du devoir de chaque musulman de veiller à suivre scrupuleusement les principes de la sunna ou tradition du Prophète.

Ainsi se concrétisèrent les paroles prophétiques que le Messager adressa à ʿUmar Ibn Al-Khattâb le jour où il voulut arracher les incisives de Suhayl lors de la bataille de Badr. Lorsque les musulmans de Médine prirent connaissance du rôle exemplaire de Suhayl, ʿUmar se remémora ces paroles. L’islam avait bel et bien tiré profit des deux incisives de Suhayl !

Le jour de sa conversion, Suhayl fit le serment de déployer toute son énergie au service de l’islam tout comme il l’avait fait auparavant en faveur des polythéistes. Après avoir adoré les idoles durant de longues années, il veilla scrupuleusement à pratiquer la prière et observer le jeûne au nom d’un Dieu unique. Après avoir mené une guerre sans merci contre l’islam, il combattit avec bravoure contre les empires perse et byzantin au nom de l’Islam. Il prit part notamment à une campagne en Syrie et participa à la bataille de Yarmûk contre les Byzantins.

Bien qu’attaché à sa ville natale, Suhayl refusa de retourner à La Mecque au terme de la campagne victorieuse de Syrie.

" J’ai entendu, dit-il, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dire qu’une entreprise menée sur la voie de Dieu vaut mieux que toutes les oeuvres qu’accomplirait l’un d’entre vous chez lui. " Il se jura d’être un murâbit sur la voie d’Allâh et de ne jamais plus retourner à La Mecque.

Suhayl continua à honorer son serment jusqu’à sa mort à Amawas, un village palestinien proche de Jérusalem.

P.-S.

Traduit de "Companions of The Prophet", Vol.1, écrit par Abdul Wâhid Hâmid.

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