vendredi 5 mai 2000
Il fut connu pour son style simple et suave dans l’explication des versets du Coran. Son insistance sur les points ayant trait à la foi rendit son discours plus proche du cœur de son auditoire, d’autant plus proche que ses paroles s’adressaient à tous les niveaux intellectuels, des plus simples d’esprit aux plus érudits.
Il s’agit du Sheikh Muhammad Mitwallî Ash-Shaʿrâwî, le plus célèbre exégète du Coran du XXème siècle.
Sheikh Muhammad Mitwallî Ash-Shaʿrâwî naquit le 5 avril 1911 dans le village de Daqâdûs, situé das le province d’Ad-Daqahliyyah, en Égypte. Il était issu d’une famille de la classe moyenne, connue pour sa piété. Dès la naissance de Sheikh Ash-Shaʿrâwî, son père porta en lui de grands espoirs et pressentit un avenir brillant pour son fils.
Dans son enfance, il partit à l’école coranique de son village où il commença à apprendre du Coran. Quand il acheva l’apprentissage par cœur du Coran, à l’âge de onze ans, ses covillageois lui donnèrent le surnom de Sheikh Amîn. C’est un surnom qui l’accompagna dans son enfance.
En 1930, il suivit l’enseignement primaire d’Al-Azhar dans l’Institut religieux de Zaqâzîq. Chaque fois qu’il retournait à son village, son Sheikh qui lui enseigna le Coran l’encourageait à enseigner les sciences islamiques dans la mosquée du village. C’était la première expérience d’enseignement pour Sheikh As-Shaʿrâwî devant une audience de son village.
La même année, en 1930, le village de Sheikh Ash-Shaʿrâwî protesta contre le gouvernement égyptien de l’époque et les villageois refusèrent de participer aux élections législatives. Cela entraîna des conflits entre la police et le village, placé alors sous couvre-feu. Ce couvre-feu coïncidait avec le souvenir de la mort du leader égyptien Saʿd Zaghlûl. Sheikh Ash-Shaʿrâwî prépara un poème à cette occasion et le lut publiquement malgré la présence de la police.
En 1936, Sheikh Ash-Shaʿrâwî partit au Caire pour suivre les cours de la Faculté de Lettres arabes d’Al-Azhar. Beaucoup d’enseignants et de prédicateurs contribuèrent à l’enrichissement de la personnalité de Sheikh Ash-Shaʿrâwî. Parmi les savants musulmans d’Al-Azhar qui l’influencèrent à cette époque, il cite Sheikh Ahmad Yûsuf Najâtî, Sheikh Ahmad ʿImârah, Sheikh Ibrahîm Hamrûsh, un génie de la langue arabe selon lui, et enfin Muhammad Mustafâ Al-Marâghî. Sheikh Ash-Shaʿrâwî cite aussi d’autres savants musulmans, comme Sheikh Hasan Al-Bannâ qui fut un grand orateur. Lui-même poète, Sheikh Ash-Shaʿrâwî appréciait l’œuvre de Ahmad Shawqî, surnommé en Égypte et dans le monde arabe le "Prince des poètes".
Au milieu des années 1930, Sheikh Ash-Shaʿrâwî conduisit une manifestation étudiante qui visait à maintenir l’indépendance d’Al-Azhar. Ce mouvement portait le nom de « Mouvement Al-Marâghî » puisque ses membres demandaient le retour de Sheikh Al-Marâghî au poste du Recteur et de Grand Imâm d’Al-Azhar. L’objectif du mouvement était opposé à la volonté des dirigeants égyptiens de l’époque. Figurant parmi les leaders du mouvement, Sheikh Ash-Shaʿrâwî fut détenu un mois dans la prison de Zaqâzîq. L’action du mouvement finit par porter ses fruits et l’Imâm Al-Marâghî retrouva son poste à la tête d’Al-Azhar.
Sheikh Muhammad Mitwallî Ash-Shaʿrâwî obtint son diplôme de la Faculté de Lettres arabes en 1941. Deux ans plus tard, il obtint un diplôme d’études supérieures de la même Faculté. Il commença à enseigner dans l’Institut des Études Religieuses d’Al-Azhar dans la ville de Tantâ. Il enseigna ensuite dans des instituts équivalents d’Az-Zaqâzîq et d’Alexandrie.
En 1950, il commença sa longue carrière d’enseignement à l’extérieur de l’Égypte. Al-Azhar l’envoya ainsi enseigner à l’Université du Roi ʿAbd Al-ʿAzîz Âl Saʿûd à La Mecque. Il retourna en Égypte au début des années 1960 et occupa différents postes dans la hiérarchie d’Al-Azhar.
Au milieu des années 1960, l’Algérie fut libérée après une longue guerre d’indépendance contre le colonisateur français. Al-Hawwârî Bûmadyan, l’une des plus importantes figures politiques algériennes de l’indépendance donna la priorité à la langue arabe qui avait été altérée par près d’un siècle et demi de colonisation française. En 1966, Al-Azhar envoya une délégation de spécialistes en langue arabe, avec en tête de la délégation, Sheikh Ash-Shaʿrâwî.
C’est durant son séjour en Algérie qu’eut lieu la Guerre des Six Jours, en juin 1967. Bien que Sheikh Ash-Shaʿrâwî ressentit une douleur très vive en apprenant la nouvelle de la plus lourde défaite jamais subie par l’Égypte et la nation arabe, il accomplit une prière de gratitude à Dieu, pour le remercier en ces terribles circonstances, montrant par-là l’attitude que doit avoir le Musulman, aussi bien dans le bonheur que dans le malheur. A son retour au Caire, Sheikh Ash-Shaʿrâwî occupa un certain temps le poste de directeur des biens de mainmorte de la province d’Al-Gharbiyyah ainsi que diverses autres fonctions, dont une au sein d’Al-Azhar.
En 1970, il enseigna une seconde fois à l’Université du Roi ʿAbd Al-ʿAzîz en Arabie Saoudite.
Il retourna finalement en Égypte en 1975. Cette année-là, son apparition dans le programme télévisé hebdomadaire "Lumière sur lumière" eut un impact impressionnant en Égypte. Son style dans la prédication et l’enseignement était unique et il exposait ses idées d’une façon construite et accessible à toute son audience. Depuis, sa renommée grandit de façon extraordinaire.
Il partit à la retraite en 1976, après sa riche carrière dans Al-Azhar. La même année, le Président As-Sâdât le nomma Ministre des Biens de mainmorte, poste qu’il occupa pendant deux ans avant de démissionner.
Malgré ce bref passage dans le gouvernement égyptien, le Sheikh marqua de manière indélébile la vie économique en Égypte, puisqu’il fut le premier à émettre une directive ministérielle demandant la création de la première banque islamique en Égypte, la Banque Faysal. Bien qu’il s’agisse là d’une prérogative relevant du Ministère de l’Economie et des Finances, le Docteur Hâmid As-Sâyih, Ministre de l’Economie à l’époque, lui demanda personnellement de s’occuper de ce problème, demande qui fut acceptée par le Conseil du Peuple, équivalent du Parlement en France.
En 1980, il commença la très célèbre série de leçons du vendredi, diffusée par la télévision égyptienne. Ces séances d’explication du Coran (tafsîr), diffusées dans de nombreux pays musulmans, attira une audience, comptée par millions, sans antécédent pour un savant du XXe siècle.
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En 1987, Sheikh Muhammad Mitwallî Ash-Shaʿrâwî fut élu à la majorité des voix pour devenir membre de l’Académie arabe, l’Académie des Eternels. Ému, il déclara le jour de son élection : « Je suis très heureux en cette occasion, un bonheur qui s’est déroulé en plusieurs étapes : j’ai été heureux lorsqu’on m’a porté candidat, j’ai été heureux lorsqu’on m’a élu, et je suis heureux en voyant l’accueil qui m’a été réservé. Je suis d’autant plus heureux que cet honneur m’a été accordé sans que je le convoite. Je me sens davantage comme un invité. Je prie Dieu par cette prière prononcée par Son Prophète Muhammad - paix et bénédiction sur lui : « Ô Dieu, je demande refuge auprès de Toi de tout acte par lequel je rechercherais Ta Face, mais dans lequel viendrait s’immiscer autre que Toi ». Lorsque cette Académie m’a proposé d’être candidat, j’ai eu le sentiment que nous vivions dans un bienfait éternel, et que ce bienfait ne nous quitterait pas aussi longtemps que le Livre de Dieu sera parmi nous. D’aucuns me demandèrent si j’avais accepté de me joindre à l’Académie des Eternels, et l’éternité avait jamais été dévolue à un être humain ? Ma réponse fut que l’éternité est relative : cette Académie a la responsabilité de préserver la langue arabe, et la langue arabe est au service du Coran ; par conséquent l’Académie est elle-même au service du Coran. L’Académie est donc éternelle dans la mesure où le Coran l’est ».
Sheikh Ash-Shaʿrâwî se maria alors qu’il suivait l’enseignement primaire d’Al-Azhar, avec une femme que lui choisit son père et pour laquelle il donna son accord. Le jeune couple donna naissance à trois garçons, Sâmî, ʿAbd Ar-Rahîm et Ahmad, et à deux filles, Fâtimah et Sâlihah. Le Sheikh estimait que le premier facteur garantissant le succès d’une vie matrimoniale était le libre choix et le consentement des deux époux au moment du mariage. Concernant l’éducation de ses enfants, le Sheikh explique : « La chose la plus importante au niveau de l’éducation, c’est l’exemple donné à l’enfant. Si les parents donnent le bon exemple, l’enfant, par mimétisme, fera comme eux. A contrario, toute attitude négative peut détruire une grande partie de l’éducation donnée. [...] L’enfant doit bien observer. Il y a une différence entre instruire son enfant et éduquer en lui les données de l’existence. Lorsque les facultés de l’enfant se développent et sont prêtes à prendre conscience du monde qui l’entoure, lorsque son oreille est prête à entendre, lorsque ses yeux sont prêts à voir, lorsque son nez est prêt à sentir, lorsque ses doigts sont prêts à toucher, nous devons respecter toutes ces facultés en ayant une attitude polie avec lui et devant lui, et ce, afin de préserver son ouïe et sa vue de toute expression ou image grossières. Si nous voulons donner à nos enfants une éducation islamique, nous devons appliquer les enseignements de l’Islam dans l’accomplissement de nos obligations, dans la perfection de notre travail, nous devons aller à la prière à l’heure, lorsque nous commençons à manger, nous devons dire « Bismillâh, Au Nom de Dieu », lorsque nous finissons de manger, nous devons dire « Al-hamdu lillâh, Louanges à Dieu », etc. Si l’enfant nous voit faire tout ceci, il le fera également, même si nous ne lui parlons pas de toutes ces choses, car l’action est plus importante que les paroles ».
Sheikh Ash-Shaʿrâwî était un amoureux de la langue arabe, réputé pour son éloquence, pour la simplicité de son discours et la beauté de son verbe. Il était par ailleurs un excellent poète, maîtrisant indifféremment la poésie qui mobilise les foules en temps de guerre, la poésie amoureuse, la poésie religieuse chantant la gloire du Créateur et la poésie satirique. Il recourait souvent lors de ses cours d’exégèse du Coran à des explications versifiées, qui avaient l’avantage d’être concises, et qui marquaient les esprits des étudiants.
Parmi les nombreux ouvrages commis par Sheikh Ash-Shaʿrâwî, on peut citer :
En juin 1998, le monde musulman versa de chaudes larmes de deuil pour cet homme généreux qui a vécu pour le Coran en en devenant le plus grand exégète. L’éloquence du Sheikh, son humour, ses réflexions, les exemples puisés dans la tradition mais aussi dans la vie de tous les jours pénétraient les cœurs et éclairaient les esprits lorsque le Sheikh interprétait le Coran.
« Ce n’est pas tous les jours que naît un Imâm aussi grandiose, un homme qui a employé sa vie au service de la Parole de Dieu », dit Sheikh Muhammad Tantâwî, Recteur actuel d’Al-Azhar.
Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî, qui fut à une époque l’un des étudiants de Sheikh Ash-Shaʿrâwî, a parlé du décès de « l’homme du Coran » et d’un des plus grands Imâms qui ont interprété le Coran. Il était un modèle du savant pieux, de l’homme aux goûts raffinés, au cœur radieux et chaleureux et de l’enseignant qui a éclairé les cœurs par les enseignements de l’islam. Sheikh Al-Qaradâwî dit avec nostalgie : « La communauté musulmane a certainement perdu un astre brillant dans le ciel de la guidance. Un homme qui était pendant toute sa vie au service de la science, du Coran et de l’Islam. ». Il poursuit : « Nous avons perdu Sheikh Ash-Shaʿrâwî, « l’homme du Coran », [...] qui était au nombre de ceux qui ont eu une profonde compréhension du Coran. »
A l’unanimité, Ash-Shaʿrâwî a exploré en profondeur le Coran pour en extraire des perles, généreusement offertes à un large public, incluant d’éminents théologiens, des scientifiques, des jeunes, des personnes âgées, des lettrés et des illettrés.
La spiritualité fut une caractéristique de la vie et des exhortations de Sheikh Ash-Shaʿrâwî et Sheikh Al-Qaradâwî de souligner : « Sheikh Ash-Shaʿrâwî avait la sensibilité spirituelle du soufisme ». Parmi les perles qu’il nous a laissées figure son remarquable ouvrage : Muʿjizat Al-Qur’ân (Le Miracle du Coran).
Par la grâce de Dieu, ce savant, au cœur généreux et éclairé, a permis à des générations entières de savourer les versets du Coran. Il continue, même après sa mort, à vivre dans de nombreux foyers musulmans, à travers ses discours enregistrés et diffusés sur diverses chaînes de télévision.
Puisse Dieu le récompenser et puisse-t-Il nous faire bénéficier de son savoir.
Source : Al-Eman.com.
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