samedi 23 mars 2002
Julaybib, nom peu commun et réducteur n’est autre que la forme diminutive de " Jalbab " et signifie " petit homme ". On comprend par là que Julaybib était petit et trapu, voire nain. Il était, en outre, décrit comme étant " damîm " c’est-à-dire repoussant ou laid.
Fait plus gênant que sa difformité, Julaybib ne connaissait ni sa mère ni son père ni même sa tribu d’appartenance. On comprend la gravité de cet handicap quand on sait que la société arabe était régie par les liens familiaux et tribaux. Julaybib ne pouvait par conséquent espérer ni compassion, ni secours, ni protection. En somme, Julaybib savait simplement qu’il était arabe et qu’au sein de la récente communauté musulmane il faisait partie des Ansars. Cependant, on ne sait pas s’il appartenait à l’une des tribus des environs de Médine qui avaient migré par la suite vers la ville ou s’il était un Ansar de la ville même.
Ses handicaps étaient d’autant plus difficiles à vivre qu’il était constamment mis à l’écart, humilié ou raillé. Un certain Abû Barzah de la tribu des Aslam lui avait même interdit l’entrée de sa maison. Il dit un jour à son épouse : " Ne laisse jamais Julaybib entrer chez nous, sinon je serais sans pitié envers lui. "
En effet, à force d’être l’objet de moqueries de la part des hommes, Julaybib avait l’habitude de se réfugier en la compagnie des femmes.
Julaybib pouvait-il espérer le respect et la considération ? Allait-il pouvoir satisfaire ses besoins émotionnels élémentaires en tant qu’homme et individu ? Etait-il impossible qu’il entretienne des relations humaines normales ? Dans le cadre de la nouvelle société islamique, allait-il encore être écarté des affaires de l’Etat et des questions courantes ?
Malgré les problèmes qui le préoccupaient, le Prophète de la Miséricorde — paix et bénédictions sur lui — sut également écouter les besoins et la sensibilité du plus humble de ses compagnons. Pensant à Julaybib, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — alla trouver un Ansar pour lui demander la main de sa fille.
" Quelle merveille et quelle bénédiction, ô Messager de Dieu ! Quel plaisir ce serait à mes yeux, répondit l’Ansârite débordant de joie et de bonheur.
- Je ne la veux pas pour moi, ajouta le Prophète.
- Pour qui alors, ô Messager de Dieu ?, demanda l’homme quelque peu déçu.
- Pour Julaybib, répondit le Prophète. "
Trop déstabilisé pour réagir, l’Ansârite se contenta de dire qu’il allait consulter son épouse. Il raconta à son épouse : " Le Messager de Dieu, puisse Dieu lui accorder paix et miséricorde, est venu demander la main de notre fille. " Elle fut transportée de joie. " Quelle merveilleuse idée et quel plaisir ce serait ! " Quand son mari ajouta : " Il ne la veut pas pour lui mais pour Julaybib. ", ahurie, elle protesta :
" Pour Julaybib ? Non jamais de la vie ! Non par Dieu, nous ne la marierons pas à Julaybib. "
La jeune fille entendit les protestations de sa mère tandis que son père était sur le point d’informer le Prophète — paix et bénédictions sur lui — de la décision de son épouse. Elle s’enquit du nom du prétendant. Sa mère lui fit part de la demande du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Lorsqu’elle apprit que la requête venait du Prophète — paix et bénédictions sur lui — et que sa mère était complètement opposée à cette idée, la jeune fille en fut très perturbée.
" Refuses-tu la requête du Messager de Dieu ? J’accepte car il ne peut m’égarer." N’est-ce pas là la réponse d’une grande femme consciente des exigences de l’islam ? Existe-t-il satisfaction plus grande que d’obéir aux commandements du Messager de Dieu ? Ce compagnon du Prophète — paix et bénédictions sur lui — dont nous ne connaissons même pas le véritable nom avait certainement eu connaissance de ce verset du Coran :
" Il n’appartient pas à un croyant ou à une croyante, une fois qu’Allah et Son messager ont décidé d’une chose d’avoir encore le choix dans leur façon d’agir. Et quiconque désobéit à Allah et à Son messager, s’est égaré certes, d’un égarement évident. " (Le Coran, sourate Al-Ahzab 33, verset 36)
Ce verset avait été révélé suite au mariage de Zaynab Bint Jahsh et de Zayd Ibn Hârithah arrangé par le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dans le but de promouvoir l’esprit égalitaire de l’islam. Zaynab, offensée à l’idée d’épouser Zayd, un esclave affranchi, avait refusé cette union. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — eut le dessus et le mariage fut célébré. Il se termina néanmoins en divorce et Zaynab finit par épouser le Prophète — paix et bénédictions sur lui — lui-même. La jeune fille Ansârî aurait cité ce verset à ses parents et dit : " Je suis heureuse et me soumets à tout ce que le Messager de Dieu juge bon pour moi. "
Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — eut vent de sa réaction et pria pour elle : " Ô Seigneur, accorde-lui le bien en abondance et écarte de sa vie les souffrances et les ennuis. "
Parmi les Ansars, on disait qu’il n’y avait pas épouse plus accomplie qu’elle. Elle fut mariée à Julaybib par le Prophète — paix et bénédictions sur lui — et ils vécurent ensemble jusqu’à sa mort.
Il fut tué lors d’une expédition avec le Prophète — paix et bénédictions sur lui — qui les opposa à des mushrikins. À la fin de la bataille, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — interrogea ses compagnons sur leurs pertes. Chacun de citer les noms de ses parents ou amis proches tombés pendant le combat. Le Prophète de s’écrier : " Mais j’ai perdu Julaybib. Partez à sa recherche. "
Il fut trouvé près de sept polythéistes qu’il avait tués avant de tomber. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — se rendit à l’endroit où gisait Julaybib, son petit compagnon difforme et dit : " Il a tué sept hommes avant de mourir. " Il répéta alors plusieurs fois : " Cet homme est de moi et je suis de lui".
Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — le prit alors dans ses bras. Il lui creusa une tombe et l’y plaça, sans le laver car les martyrs ne reçoivent pas le bain rituel avant l’enterrement.
Julaybib et son épouse ne font habituellement pas partie des compagnons du Prophète — paix et bénédictions sur lui — dont on chante les actes et dont on admire les exploits. Néanmoins le peu que l’on sait d’eux et qui a été repris ici montre que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — a su mettre un terme au désespoir et à l’humiliation d’êtres humbles et leur apporter joie et dignité.
La réponse positive de la jeune ansârite dénote une profonde compréhension de l’islam. Son attitude reflète l’effacement de ses désirs et préférences personnels alors qu’elle aurait pu compter sur le soutien de ses parents. Elle ne fit aucun cas des pressions sociales et s’en remit totalement à la sagesse et à l’autorité bienfaisante du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Elle était du nombre des vrais croyants.
À cause de son apparence, Julaybib avait été mis en marge de la société. En lui prêtant secours, le Prophète lui redonna sa confiance. Ainsi soutenu et encouragé, Julaybib fut capable d’actes de courage. Son suprême sacrifice lui valut d’être loué par le Prophète — paix et bénédictions sur lui — : " Il est de moi et je suis de lui. "
Traduit de "Companions of The Prophet", volume 1, de Abdul Wâhid Hâmid.
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