mardi 8 mars 2005
Honorable Sheikh, que la paix soit sur vous.
De nos jours, une certaine confusion entoure l’expression « tolérance islamique ». Aussi, pourriez-vous faire la lumière sur l’esprit de tolérance en Islam ?
Que Dieu vous en rétribue.
[1]
L’intolérance gagne du terrain dans le monde aujourd’hui, semant la mort, le génocide, la violence, la persécution religieuse ainsi que que des affrontements à différents niveaux. Tantôt il s’agit d’une intolérance raciale et ethnique, tantôt d’une intolérance religieuse et idéologique, et tantôt d’une intolérance politique et sociale. Dans tous les cas, l’intolérance est néfaste et douloureuse. Comment pouvons-nous résoudre le problème de l’intolérance ? Comment pouvons-nous affirmer nos propres croyances et nos positions sans être intolérants envers les autres ? Comment pouvons-nous promouvoir la tolérance dans le monde aujourd’hui ?
Je souhaiterais discuter de ces sujets d’un point de vue islamique. Qu’est-ce que la tolérance ? Littéralement, la "tolérance" désigne le fait de "supporter". Conceptuellement, la tolérance signifie "le respect, l’acceptation et l’appréciation de la grande diversité des cultures du monde, des formes d’expression et des comportements humains". En arabe, la tolérance est appelée "tasâmuh". Elle a également d’autres synonymes, tels que "hilm" (patience), "ʿafw" (pardon, rémission) ou "safh" (magnanimité, indulgence). Dans les langues persane et urdue, nous employons le mot "rawadari" qui est formé des mots "rawa" qui signifie "acceptable ou supportable" et "dashtan" signifiant "juger". Ainsi, "rawadari" signifie juger que quelque chose est acceptable ou supportable.
La tolérance est un principe fondamental en Islam. C’est un devoir moral et religieux. Elle ne signifie pas "la concession, la condescendance ou l’indulgence". Elle ne consiste pas à renoncer à ses principes, ou à considérer ses principes avec peu de sérieux. Parfois, on dit que les gens sont tolérants dans les domaines qui ne les intéressent pas. Mais, ce n’est pas le cas en Islam. La tolérance, selon l’Islam, ne signifie pas que nous croyons que toutes les religions se valent. Elle ne signifie pas que nous ne sommes pas convaincus de la supériorité de l’Islam sur les autres croyances et les autres idéologies. De même, elle ne signifie pas que nous nous abstenons de transmettre le message de l’Islam aux autres, ni que nous ne souhaitons pas qu’ils deviennent musulmans.
Les principes de l’UNESCO concernant la tolérance stipulent :
« Conformément au respect des droits de l’homme, pratiquer la tolérance ce n’est ni tolérer l’injustice sociale, ni renoncer à ses propres convictions, ni faire de concessions à cet égard. La pratique de la tolérance signifie que chacun a le libre choix de ses convictions et accepte que l’autre jouisse de la même liberté. Elle signifie l’acceptation du fait que les êtres humains, qui se caractérisent naturellement par la diversité de leur aspect physique, de leur situation, de leur mode d’expression, de leurs comportements et de leurs valeurs, ont le droit de vivre en paix et d’être tels qu’ils sont. Elle signifie également que nul ne doit imposer ses opinions à autrui. »
La tolérance émane de la reconnaissance de :
Le Coran parle de la dignité de tous les êtres humains. Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - parla de l’égalité de tous les êtres humains, indépendamment de leur race, de leur couleur, de leur langue ou de leurs origines ethniques. La Législation islamique reconnaît à tous les hommes le droit à la vie, à la propriété, à avoir une famille, à l’honneur, à la liberté de conscience.
L’Islam met l’accent sur l’établissement de l’égalité et de la justice, ce qui est impossible sans un certain degré de tolérance. L’Islam reconnaît depuis toujours le principe de liberté de conviction ou de liberté religieuse. Il a stipulé très clairement qu’aucune coercition n’est permise en matière de foi et de conviction. Le Coran enseigne à cet effet : « Nulle contrainte en religion ! » [2]
Si, dans les questions de religion, la coercition n’est pas permise, alors, par voie de conséquence, cela n’est pas admissible non plus dans d’autres questions d’ordre culturel et pratique. Dans la sourate Ash-Shûrâ, Allâh dit au Prophète - paix et bénédictions sur lui - « S’ils se détournent, Nous ne t’avons pas envoyé pour assurer leur sauvegarde : tu n’es chargé que de transmettre le message » [3]. Dans une autre sourate, Allâh dit : « Par la sagesse et la bonne exhortation appelle les gens au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon. Car c’est ton Seigneur qui connaît le mieux celui qui s’égare de Son Sentier et c’est Lui qui connaît le mieux ceux qui sont bien guidés » [4].
De plus, Allâh dit aux croyants : « Obéissez à Allah, obéissez au Messager, et prenez garde ! Si ensuite vous vous détournez, alors sachez qu’il n’incombe à Notre messager que de transmettre clairement le message » [5].
On peut également citer les paroles suivantes d’Allâh : « Dis : "Obéissez à Allâh et obéissez au Messager. S’ils se détournent, il n’est alors responsable que de ce dont il est chargé ; et vous assumez ce dont vous êtes chargés. Et si vous lui obéissez, vous serez bien guidés". Et il n’incombe au Messager que de transmettre explicitement son message » [6].
Tous ces versets indiquent que les Musulmans ne contraignent personne ; ils sont tenus de présenter aux autres le message de la manière la plus convaincante et la plus claire, les inviter à la Vérité et veiller à présenter le message de Dieu à tous les hommes, libre à chacun de l’accepter ou non. Allâh dit : « Et dis : “La vérité émane de votre Seigneur”. Quiconque le veut, qu’il croie, et quiconque le veut qu’il mécroie”. » [7]
On peut donc nous demander : si Allâh donne aux hommes le choix de croire ou de ne pas croire, alors pourquoi punit-Il le peuple du Prophète Noé, les ʿÂd, les Thamûd, le peuple du Prophète Lot, le peuple du Prophète Shuʿayb ainsi que Pharaon et ses sectateurs ? La réponse est dans le Coran lui-même. Ces gens ne furent pas punis seulement pour leur incroyance, mais parce qu’ils étaient devenus oppresseurs : ils attaquaient ceux qui adoptaient la bonne voie et empêchaient les autres de suivre la voie d’Allâh. Nombreux sont ceux qui ne croyaient pas en Allâh, mais Il ne punit pas chacun d’eux. Ibn Taymiyyah, le célèbre savant musulman, dit : « Les États peuvent vivre longtemps malgré l’infidélité de leurs peuples, mais ils ne vivent pas longtemps lorsque leurs peuples deviennent oppresseurs. »
Une autre question peut être soulevée au sujet du jihâd. Certains disent : "N’est-il pas du devoir des Musulmans de faire le jihâd ?" Mais le but de jihâd n’est pas de convertir les gens à l’Islam. Allâh dit : « Nulle contrainte en religion ! » [8]. Le vrai but du jihâd est de mettre fin à l’injustice et à l’agression. Il est permis aux Musulmans d’entretenir de bonnes relations avec les non-Musulmans. Allâh dit : « Allâh ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. » [9]
L’Islam prêche que les Musulmans ne combattent que ceux qui leur font la guerre. Allâh dit : « Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et n’agressez pas. Certes, Allah n’aime pas les agresseurs ! » [10]
L’Islam peut tout tolérer, mais il n’admet aucune tolérance en cas d’injustice, d’oppression, ou de violation des droits de l’homme. Allâh dit : « Et qu’avez-vous à ne pas combattre dans le Sentier d’Allah, et pour la cause des faibles : hommes, femmes et enfants qui disent : "Seigneur ! Fais-nous sortir de cette cité dont les gens sont injustes, et assigne-nous de Ta part un allié, et assigne-nous de Ta part un secoureur." » [11]
L’Islam enseigne la tolérance à tous les niveaux : au niveau des individus, des groupes et des États. Ce devrait être une exigence politique et légale. La tolérance est le mécanisme qui assure les droits de l’homme, le pluralisme (y compris le pluralisme culturel), et le règne de la loi. Le Coran indique très clairement : « À chaque communauté, Nous avons assigné un culte à suivre. Qu’ils ne disputent donc point avec toi l’ordre reçu ! Et appelle à ton Seigneur. Tu es certes sur une voie droite. Et s’ils discutent avec toi, alors dis : “C’est Allâh qui connaît le mieux ce que vous faites. Allâh jugera entre vous, le Jour de la Résurrection, de ce en quoi vous divergiez. » [12]
La tolérance s’exerce à divers niveaux :
Les Musulmans ont généralement fait preuve de beaucoup de tolérance. Nous devons aujourd’hui mettre l’accent sur cette vertu parmi nous et dans le monde entier. La tolérance est nécessaire dans nos communautés : nous devons favoriser la tolérance par des politiques et des efforts réfléchis. Nos centres devraient être multi-ethniques. Nous devrions enseigner à nos enfants le respect mutuel. Nous devrions nous abstenir des généralisations consistant à émettre un jugement sur les autres races et les autres cultures. Nous devrions favoriser les échanges de visites et les réunions avec les autres. Il faut même encourager les mariages mixtes entre les Musulmans de différentes origines ethniques.
Vis-à-vis des non-Musulmans, nous devrions établir un dialogue et entretenir de bonnes relations avec eux, sans pour autant accepter ce qui va à l’encontre de notre religion. Nous devrions les informer de ce que nous jugeons acceptable ou non. Grâce à l’information, je suis sûr que le respect et la coopération se développeront entre nous.
Traduit de l’anglais du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.
[1] Dr Muzammil Siddîqî est l’ex-Président de la Société Islamique d’Amérique du Nord.
[2] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 256.
[3] Sourate 42, Ash-Shûrâ, La Consultation, verset 48.
[4] Sourate 15, An-Nahl, Les Abeilles, verset 125.
[5] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La Table servie, verset 92.
[6] Sourate 24, An-Nûr, La Lumière, verset 54.
[7] Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne, verset 29.
[8] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 256.
[9] Sourate 60, Al-Mumtahanah, L’Éprouvée, verset 8.
[10] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 190.
[11] Sourate 4, An-Nisâ’, Les Femmes, verset 75.
[12] Sourate 22, Al-Hajj, Le Pèlerinage, versets 67 à 69.
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