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La civilisation occidentale a-t-elle contribué au bien-être de l’humanité ?

jeudi 2 janvier 2003

Question

Chers savants, je tiens à vous remercier pour tous les efforts que vous entreprenez en vue de nous éclairer dans notre religion. Que Dieu vous récompense ! J’avais une question à vous poser. Quel regard porte l’Islam sur la civilisation occidentale ? Je m’interroge à ce propos, car, comme nous le savons tous, les Occidentaux se targuent sans cesse de leur civilisation et de leur avance scientifique, et se permettent au nom de cette supériorité de regarder les autres peuples avec dédain. Mais à mes yeux, cette civilisation génère plus de maux et de dégâts que de bienfaits et d’avantages. Quel est votre avis sur la question ?

Réponse de Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî

Tout d’abord, nous devons souligner qu’une nation qui a connu autrefois l’apogée est à même de créer une nouvelle civilisation en utilisant les brillants aspects de l’avance scientifique occidentale, pour autant que cette nation insère ces aspect positifs dans un cadre régi par des valeurs humaines et spirituelles conformes à la Législation divine. De cette façon, les défauts de la civilisation contemporaine seront éliminés.

Aujourd’hui, aux quatre coins du monde, les hommes sont éperdus d’admiration devant l’avancée technologique de l’Occident qui a eu raison des obstacles spatio-temporels. Le progrès scientifique a rendu à l’homme la vie si facile qu’à présent, la plupart de ses besoins peuvent être satisfaits par simple pression sur un bouton. Il est même des cas où il n’a pas à y recourir : lorsqu’il veut entrer chez lui, la porte s’ouvre toute seule. Les robinets automatiques, les escalators ne sont que des exemples de l’immense palette que la civilisation occidentale propose à l’homme en fait de luxe et de confort...

L’homme s’est aventuré dans l’espace, il a marché sur la Lune et en a rapporté des échantillons de roches pour les étudier en laboratoire. Ce progrès scientifique phénoménal va au delà de l’idée que l’imagination pouvait s’en faire autrefois. De telles réalisations font cependant l’objet d’allusions dans ce verset coranique : "Et il crée ce que vous ne savez pas." (sourate 16 intitulée les Abeilles, An-Nahl, verset 8).

De cette civilisation, l’homme récolte misère et tourments

Nous en venons à présent à cette question capitale : le progrès scientifique qui a permis à l’homme d’aller sur la lune lui a-t-il apporté le bonheur ?

La réalité amère du quotidien nous incline à répondre par la négative. Cette conception occidentale purement matérialiste de la connaissance n’apporte à l’homme qu’un confort matériel, non spirituel. Oui, l’homme a réussi à élaborer des technologies de pointe mais il n’a pas su trouver la paix de l’âme, ce qui a suscité une sorte de dualité entre son apparence extérieure et son for intérieur. Son existence, sous des dehors animés et bigarrés, n’est qu’un grand vide à l’intérieur.

C’est chose courante de nos jours que d’entendre les multiples plaintes arrachées par la détresse, la peur, le chagrin et le désespoir, qui affligent les hommes de ce monde prétendument développé. Bien qu’environnés de tous les moyens de confort possibles, ils manquent de sérénité spirituelle.

Il n’est dès lors pas étonnant que les psychiatres dans ces pays aient des emplois de temps surchargés, ayant à faire face à une foule innombrable de patients qui leurs confient leurs soucis devant la corruption morale, la désintégration de la famille, le manque de solidarité sociale. Cette situation alarmante trouve son paroxysme dans le taux élevé de la criminalité qui crée un climat de peur et d’anxiété dans la population.

La cause de tous ces ennuis réside dans cette liberté absolue et sans frein dont l’homme jouit dans la civilisation occidentale. Cette liberté excessive a corrompu la nature originelle de l’homme et n’a pas su satisfaire ses désirs inassouvis. Satisfaire ses désirs à tout va ouvre la porte à toutes sortes de lubies. L’Occident peine à comprendre que la liberté absolue n’existe pas dans l’univers. Toutes les planètes et étoiles se meuvent selon une trajectoire déterminée. Les bateaux et avions doivent suivre un certain itinéraire car la moindre déviation peut provoquer une catastrophe mortelle.

L’homme n’est pas la seule victime de cette civilisation : elle a aussi porté préjudice à son environnement. La pollution, les déchets nucléaires et chimiques s’accroissent et se multiplient, mettant en péril les espèces vivantes de la planète. L’amertume est d’autant plus grande que la recherche génétique, supposée soigner les maux de l’homme, compromet sa sécurité. Dans un autre registre, le cas de la maladie de la vache folle n’est qu’un aperçu...

Un poète arabe a dit :

Dans les jours à venir,
Nous sont réservées bien des surprises.

Ce ne sont là que les résultats naturels de l’œuvre humaine, lorsque l’homme s’octroie toute licence et se considère comme le maître absolu de l’univers, oubliant qu’il n’est rien de plus qu’une créature et qu’il doit se plier aux Lois de son Seigneur pour connaître la prospérité.

Pourquoi les hommes souffrent-ils ?

Les maux des hommes proviennent du fait qu’ils ont oublié leur Seigneur, aussi les amène-t-Il à s’oublier eux-mêmes. Il leur manque aujourd’hui le "carburant essentiel à la vie". Ils n’entrevoient plus leur futur que sous une sombre perspective. Ils sont semblables à des mort-vivants errant sur la terre.

Maints savants et philosophes, maints hommes de lettres et politiques ont averti cette société des effets pernicieux de la civilisation occidentale sur l’homme. Parmi ces penseurs figurent Alexis Carrel et René Dubois, lauréat du Prix Nobel.

Le célèbre philosophe américain John Dewey dit : "Une civilisation qui permet à la science de détruire les valeurs existantes sans avoir la capacité d’en créer des nouvelles est une civilisation auto-destructrice."

Le penseur britannique contemporain et historien réputé Arnold Toynbee a déclaré que la solution aux problèmes de la société occidentale consistait à donner la priorité à la religion afin de gagner le salut.

L’intellectuel américain John Steinbeck a écrit à son ami Edlai Stevenson : "Le problème de l’Amérique provient de son luxe et de tout ce qu’il comporte. Avec tout cela, il ne peut nous proposer aucune vocation spirituelle. Nous avons grandement besoin de quelque chose qui saura nous tirer de notre profond sommeil. Nous avons dompté la nature mais sommes incapables de dompter notre propre être."

Le poète allemand Brochert a explicité le problème des ces nouvelles générations qui ont grandi à l’ombre de cette civilisation en disant : "Notre génération est vide de l’intérieur. Nous manquons cruellement de religions de bien-être et de tranquillité. Notre conception de l’amour se réduit à sa dimension physique et l’éclat de la jeunesse se fane en nous. Notre génération ne connaît ni limites, ni frontières, ni protections."

Parmi les politiciens qui ont fait part de leurs préoccupations à ce sujet, il y a le célèbre secrétaire d’État John Foster Dulles, auteur d’un livre intitulé War or Peace (Guerre ou paix) où il consacre un chapitre à « Nos besoins spirituels » ("Our Spiritual Need"). Dans ce chapitre, il évoque les nombreuses choses qui manquent à l’Amérique. Il écrit ainsi : "Le problème ne se situe pas au plan matériel, nous possédons un équipement de pointe. Ce dont nous avons vraiment besoin c’est d’une foi fortement ancrée en nous, sans quoi tous nos biens ne valent pas un clou. Les carences qui résultent d’un manque de foi ne peuvent être palliées ni par des politiciens, ni par des diplomates, ni par des savants, ni par quiconque."

Il ajoute plus loin : "Avant sa démission, le Président Wilson a écrit : "A tout prendre, notre civilisation ne peut continuer dans cette voie, à moins de retrouver sa spiritualité.""

La Science ne peut apporter le bonheur à l’homme

De nos jours, les gens se plaignent d’être malheureux, ils sentent que leur vie n’est orientée par aucun but. Malgré toutes ces technologies et ces découvertes scientifiques sans précédent, les hommes n’arrivent pas à trouver le bonheur, ces formes de savoir ne peuvent supprimer la misère et la douleur humaine. Les grands scientifiques ont toujours répété inlassablement que la science ne saurait assumer le rôle de sauveur de l’humanité.

Propos de grands scientifiques

Parmi ces grands scientifiques figure Alexis Carrel, lauréat du Prix Nobel en science et auteur du livre intitulé L’homme, cet être inconnu dans lequel il soumet la civilisation occidentale à une critique reposant sur des critères scientifiques.

Alexis Carrel écrit : "La civilisation moderne est au cœur d’un dilemme, car elle n’est pas vraiment faite pour nous. Elle a été établie sur des images de découvertes scientifiques, sur le désir des gens, sur des idées, des théories et des aspirations fausses. Bien que nous en soyons les auteurs, cette civilisation n’est pas faite pour nous."

Ailleurs il écrit : "L’homme doit être libéré des chaînes de cet univers. Ce sont les astronomes et les scientifiques qui ont jeté les hommes dans les fers. Bien qu’il soit immense, le monde de la matière est toujours un espace étriqué pour l’homme."

Enfin, Carrel conclut : "Il est temps désormais que l’homme secoue ces chaînes, l’homme doit revivifier son être. Il ne s’agit pas d’imposer un programme, car un programme n’est rien d’autre qu’une nouvelle chaîne qui emprisonne notre avenir dans la geôle de notre esprit."

Le fameux psychologue américain, Dr. Henry Link écrit :
"La science n’a pas de remèdes aux problèmes si complexes de la vie. La science n’est pas la source du bonheur car l’accroissement du progrès scientifique va de pair avec l’accroissement de la complexité de la vie. Si l’on n’unifie pas ces sciences et qu’on ne les replace pas dans un cadre de vie éclairé, elles nous mèneront fatalement à la décadence morale et à l’effondrement total. Seule la foi est en mesure de jouer ce rôle fondamental."

L’Occident est déconnecté de la religion

En plus de tout ceci, la science en Occident s’est développée en se séparant de la religion, voire en se définissant contre la religion. L’Église avait adopté une position hostile vis-à-vis de la science et de ses découvertes. Les scientifiques de leur coté voyaient en la religion une menace et la maintenaient à distance. Loin d’eux l’idée de mentionner Dieu dans leurs écrits.

C’est pour cette raison que toutes les études scientifiques cherchaient à établir des lois universelles émanant de la nature et non du divin. Aucun de ces scientifiques n’a dit à ses étudiants que telle ou telle chose relevait de la création divine, au lieu de cela, il préféraient invoquer l’action de "Dame Nature".

En réalité, l’univers tout entier témoigne du fait que c’est Dieu le Tout Puissant qui a créé toute chose. Dieu le Très Haut dit : "Notre Seigneur est celui qui a donné à toute chose sa nature propre, puis l’a dirigée." (sourate 20 intitulée Tâ-Hâ, verset 50).

L’Occident utilise les technologies modernes à des fins aussi bien positives que négatives. Les deux guerres mondiales ont mis en évidence les capacités de destruction que recèle cette civilisation occidentale. Hiroshima et Nagasaki en sont d’autres exemples tout aussi éloquents.

Comment pourrions nous dire, après tout cela, que l’Occident est en mesure d’apporter au monde la félicité. Comment attendre de ceux qui ne sont au fond d’eux-mêmes que vacuité infinie, qu’ils soient nos sauveurs ? Comment penser que des gens enlisés dans leur propre misère sont à même de faire notre bonheur ? En effet, celui qui n’a rien ne peut rien donner.

P.-S.

Traduit de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

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