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Shah Waliyullâh Ad-Dahlawî

L’homme de la Sunnah en Inde

vendredi 28 février 2003

Introduction

Gouvernée par les musulmans depuis la conquête de Muhammad Al-Ghaznawî en 1001 E.C., l’Inde a vu diverses dynasties se succéder au pouvoir, avant d’être gouvernée par la famille Timouride. Cette famille assuma ses responsabilités et établit une civilisation florissante. De nombreux commerçants anglais affluèrent vers l’Inde et s’y installèrent. Ils furent honorés par les gouverneurs musulmans qui leur ont facilité le séjour et le commerce. Au fil des années, le cercle d’influence et de pouvoir de ces commerçants britanniques ne cessa de croître au point que les gouverneurs leur confièrent des postes officiels. A cette époque, ils ne constituaient pas une menace pour la stabilité du pays. Mais lorsque le pouvoir du gouvernement connut un fort déclin, ils montrèrent leur vrai visage et contrôlèrent l’ensemble du pays.

Dans un pays où les gouverneurs ne se souciaient plus que de leurs désirs, des voix fortes se sont élevées pour éveiller les insouciants, rétablir l’honneur et appeler à la dignité. La voix de l’Imâm, le juriste, l’ascète, Sheikh Al-Islâm Waliyullâh Ad-Dahlawî retentit et eut un écho gravé dans l’Histoire de ce pays.

Naissance et apprentissage

Sheikh Al-Islâm Ahmad Ibn Abd Ar-Rahîm Ibn Wajîh Ad-Dîn Al-ʿUmarî Ad-Dahlawî, surnommé Shah Waliyullâh, naquit à Delhi en Inde le 2 mars 1703 E.C. Il grandit dans un foyer de science et de piété ; son père — un juriste et un soufi distingué — fut partie prenante dans la révision des Fatâwâ Hindiyyah [1].

Sous l’encadrement de son père, Shah Waliyullâh acheva la mémorisation du Noble Coran à l’âge de sept ans, puis étudia la langue persane et la langue arabe. A l’âge de dix ans, il entamma l’étude du commentaire Sharh Al-Kâfiyah du gnostique Al-Jâmî. Au cours de son enfance et de sa jeunesse, il s’initia aux sciences du Coran, celles du Hadîth et se forma en jurisprudence islamique selon l’école hanafite auprès de grands savants indiens, et surtout auprès de son père qui lui enseigna de nombreux ouvrages et épîtres en arabe et en langue persane :

 En Hadîth, il étudia une partie de Sahîh Al-Bukhârî et du livre Ash-Shamâ’il [2]de l’Imâm Abû ʿÎsâ At-Tirmidhî. Outre ce que son père lui a enseigné en science du Hadîth, il fréquentait l’Imâm du Hadîth de son temps en Inde, Sheikh Muhammad Afdal As-Siyalkûthî.

 En Fiqh, il étudia Sharh Al-Wiqâyah wal-Hidâyah.

 Pour ce qui est des Fondements de la Jurisprudence [3], il étudia Al-Husâmî et une partie de At-Tawdîh wat-Talwîh.

 En logique, il étudia Sharh Ash-Shamsiyyah et une partie de Sharh Al-Matâliʿ.

 En Credo, il étudia Sharh Al-ʿAqâ’id.

 Pour le Tasawwuf [4], il étudia une partie de ʿAwârif Al-Maʿârif d’As-Suhrawardî.

À l’âge de quatorze ans, il se maria et étudia l’éxégèse d’Al-Baydâwî. À quinze ans, il fut habilité à enseigner.

Il s’initia également à la médecine [5] et se pencha sur quelques épîtres en arithmétique.

Il eut un penchant pour l’ascétisme et le Tasawwuf à un âge précoce, ce qui insuffla en lui une haute spiritualité, une grande énergie, un mépris à l’égard des futilités de ce bas-monde et un dévouement total pour la vérité. Ces qualités que Dieu lui a accordées ont fédéré les cœurs autour de lui, si bien que les gens le surnommèrent « Shah Waliyullâh », c’est-à-dire « grand allié de Dieu ».

Enseignement

Après le décès de son père en 1719 E.C., fort de son excellence en sciences islamiques, Shah Waliyullâh commença à enseigner malgré son jeune âge. Il enseigna pendant douze ans la jurisprudence et le Hadîth, puis fut pris d’une langueur fervante pour l’accomplissement du pèlerinage et la visite des terres saintes. Il partie pour le pèlerinage en compagnie de son oncle maternel, Sheikh ʿUbaydullâh Al-Bâhûrî, son cousin Muhammad ʿÂshiq et d’autres compagnons de route. Une fois le pèlerinage terminé, il séjourna deux ans dans la ville bénie du Prophète — Médine — et à la Mecque Honorée, et rencontra les savants de ces deux villes.

Il étudia auprès de l’érudit, Sheikh Abû Tâhir Muhammad Ibn Ibrâhîm Al-Kurdî Al-Madanî divers ouvrages de grande importance dont : le Sahîh d’Al-Bukhârî entièrement et une partie du Sahîh de Muslim, Al-Jâmiʿ d’At-Tirmidhî, les Sunan de Abû Dawûd, les Sunan d’Ibn Mâjah, le Muwatta’ de l’Imâm Mâlik et le Musnad de l’Imâm Ahmad Ibn Hanbal. Il écouta de lui un exposé du Musnad du Hâfidh Ad-Dârimî, en dix séances qui se tinrent dans le mihrâb ʿuthmânî, près de la tombe bénie du noble Messager de Dieu — paix et bénédiction de Dieu sur lui. Sheikh Abû Tâhir lui donna une habilitation à l’enseignement de la science qu’il a acquise auprès de lui.

À la Mecque, il étudia le Muwatta’ de l’Imâm Mâlik auprès de Sheikh Wafd Allâh Al-Mâlikî Al-Makkî. Il assista également aux cours de Sheikh Tâjuddîn Al-Qalʿî Al-Makkî qui l’habilita à l’enseignement de ce qu’il a appris dans ses cercles de science.

De retour en Inde en 1732 E.C., il poursuivit ses efforts d’enseignement, d’abord dans sa maison où il recevait ses étudiants, puis lorsque son cercle de science s’étendit au point que sa maison ne pouvait l’accueillir, le Sultan Muhammad Shah ordonna qu’on lui construise une grande école qu’il inaugura personnellement. Cette école fut connue sous le nom de « Dâr Al-ʿUlûm ». Elle forma de nombreux savants imprégnés de la science de l’Imam Shah Waliyullâh, référence incontournable des savants Indiens.

Ses efforts dans la réforme

Shah Waliyullâh voyait son pays décliner, avec à sa tête des gouverneurs de plus en plus faibles. Les Anglais s’étaient emparés du pays. Les innovations, les mythes et les inanités avaient envahi les esprits. Voyant les choses aller de mal en pis, Shah Waliyullâh ne fuit pas la vérité amère, il ne se contenta pas d’enseigner les sciences islamiques en fermant les yeux devant les maladies qui minaient sa société. Au contraire, il se dressa pour dire un mot de vérité, pour conseiller les gouverneurs et diriger les gens vers la voie de la réforme et le chemin du salut.

Il appela au Tasawwuf dans son sens véridique, basé sur le cheminement sincère vers Dieu et l’application des enseignements du Coran et de la Sunnah. Il purifia l’arbre du Tasawwuf des parasites que constituaient les transgressions de ses faux-prétendants et les éléments de philosophie puisés dans des sphères étrangères à la religion. Il appela également à l’ouverture de la porte de l’Ijtihâd en matière de jurisprudence et exposa, avec une science abondante, des sagesses et des vérités de la Noble Législation.

Les efforts d’enseignement et de réforme de l’Imam Shah Waliyullâh portèrent leurs fruits et influencèrent grandement ses élèves, notamment son fils Shah ʿAbd Al-ʿAzîz qui, comme son père, excella en Hadîth et en Fiqh. Après la mort de Shah Waliyullâh, Shah ʿAbd Al-ʿAzîz porta l’étendard de la réforme de son père et s’opposa aux Anglais en disant sa phrase devenue célèbre : « On ne peut concevoir la présence d’un roi sans pouvoir, à moins d’imaginer un soleil sans lumière ! ». C’est aussi Shah ʿAbd Al-ʿAzîz qui déclara que l’Inde était devenue « Dâr Harb » (territoire de guerre) et non une terre d’Islam, car le gouverneur musulman avait perdu son pouvoir au profit des colons Anglais qui nommaient les employés, surveillaient la justice, payaient les salaires...

L’école de Shah Waliyullâh forma des savants qui ont dirigé le jihâd pour libérer l’Inde de la grippe des colons Anglais. Parmi ces savants, l’Imâm Ahmad ʿIrfân, un disciple de deux des fils de Shah Waliyullâh [6], se distingua par son dynamisme et son dévouement.

Ouvrages

Dieu accorda à Shah Waliyullâh une pieuse descendance porteuse de l’étendard de la science et de la réforme. Ses étudiants en sciences du Hadîth se comptent par centaines. Az-Zabîdî [7], l’auteur du célèbre dictionnaire Tâj Al-ʿArûs [8], fut parmi ses plus célèbres étudiants.

Il est remarquable de voir que, en plus de l’enseignement et de la réforme, Dieu a béni le temps de cet Imâm qui composa plus de cinquante ouvrages. Parmi ses ouvrages de grande valeur traitant du Hadîth, la Législation et l’Exégèse, il y a :

 Hujjatullâh Al-Bâlighah fî Asrâr Al-Hadîth wa Hikam At-Tashrîʿ, publié en Inde en 1869, puis en Égypte en 1877.
 Al-Insâf fî Bayân Sabab Al-Ikhtilâf où il aborde des thèmes relatifs aux fondements de la jurisprudence islamique et l’avènement des écoles juridiques.
 ʿIqd Al-Jîd fî Ahkâm Al-Ijtihâd wa At-Taqlîd, où il aborde de nombreuses questions qui relèvent de l’Ijtihâd et de l’imitation des Mujtahids.
 Al-Fawz Al-Kabîr fî Usûl At-Tafsîr où il expose les principes et les outils que doit acquérir la personne qui s’intéresse à l’exégèse du Noble Coran.
 Traduction du sens des versets du Coran en persan (Fath Ar-Rahmân fî Tarjamat Al-Qur’ân)
 Qurrat Al-ʿAynayn fî Tafdîl Ash-Shaykhayn
 Izâlat Al-Khafâ’ ʿan khilâfat Al-Khulafâ’
 Al-Muqaddimah As-Saniyyah fî intisâr Al-Firqah As-Sunniyyah.

Dans le domaine du Tasawwuf et de la spiritualité, on doit au Sheikh des ouvrages précieux comme :

 Altâf Al-Quds fî Latâ’if An-Nafs
 Al-Intibâh fî Salâsil Awliyâ’ Allâh, "Les chaînes initiatiques des alliés de Dieu".
 Al-Qawl Al-Jamîl fî Bayân Sawâ’ As-Sabîl fî Sulûk At-Turuq Ath-Thalâthah Al-Mashhûrah Al-Qâdiriyyah wash-Shishtiyyah wan-Naqshabandiyyah, épître traitant du cheminement spirituel selon les trois voies célèbres en Inde, la Qâdiriyyah, la Chishtiyyah et la Naqshabandiyyah.
 As-Sataʿât, "Les Éclats".
 Al-Hawâmiʿ fî Sharh Hizb Al-Bahr ʿalâ Lisân Al-Haqâ’iq wa Al-Maʿârif, "Explication de la litanie de la mer, par la langue des vérités et de la gnose".
 At-Tafhîmât Al-Ilâhiyyah, "Les Explications Divines".
 Fuyûd Al-Haramayn, "Les Affluences des deux Sanctuaires".
 Anfâs Al-ʿÂrifîn, "Souffles des Gnostiques".

Pour une liste plus exhaustive, le lecteur arabophone pourra consulter avec profit la longue biographie réservée à Shah Waliyullâh dans Nuzhat Al-Khawâtir de Sayyidî Sheikh Abd Al-Hayy Al-Hasanî, le père de l’Imâm Abû Al-Hasan An-Nadwî Al-Hasanî, puisse Dieu les agrée tous.

Retour à Dieu

Après avoir dépensé sa vie dans l’apprentissage, l’enseignement, la revivification de la Sunnah par la Volonté de Dieu et la réforme du pays, ce noble savant devint une référence incontournable dans les chaînes de transmission du Hadîth des savants de l’Inde. Il retourna à Dieu en laissant derrière lui des traces bénies, des ouvrages parfumés d’une science abondante et d’un souffle spirituel, et des enfants qui ont porté l’étendard de l’Islam : Shah ʿAbd Al-ʿAzîz, Shah Rafîʿ Ad-Dîn, Shah ʿAbd Al-Qâdir et Shâh ʿAbd Al-Ghanî. Puisse Dieu les récompenser pleinement et puisse-t-Il éclairer leurs tombes.

P.-S.

Cet article se base sur la présentation qui est réservée à Shah Waliyullâh dans Nuzhat Al-Khawâtir de Sheikh Abd Al-Hayy Al-Hasanî, le père de l’Imâm Abû Al-Hasan An-Nadwî Al-Hasanî, et sur le site islamonline.net.

Notes

[1Fatâwâ Hindiyyah, littéralement les fatâwâ indiennes.

[2Ash-Shamâ'il Al-Muhammadiyyah, "Les Mérites Muhammadiens"

[3Usûl Al-Fiqh.

[4En arabe, le tasawwuf désigne le soufisme.

[5Il étudia un abrégé du Qânûn, le "Canon".

[6L’Imâm Ahmad ʿIrfân est un élève de Shah ʿAbd Al-ʿAzîz et Sheikh ʿAbd Al-Qâdir, deux fils de l’Imâm Shah Waliyullâh.

[7Il s’agit d’As-Sayyid Murtadâ Ibn Muhammad Al-Husaynî Az-Zabîdî, décédé en 1790.

[8L’auteur de Hilyat Al-Bashar relate qu’As-Sayyid Az-Zabîdî acheva ce dictionnaire encyclopédique en 14 volumes en Égypte. Il le présenta aux grands Sheikhs d’Égypte de son temps — comme Sheikh ʿAlî As-Saʿîdî, Sheikh Ahmad Ad-Dirdîr, As-Sayyid ʿAbd Ar-Rahmân Al-ʿAydarûs, Sheikh Muhammad Al-Amîr, Sheikh Hasan Al-Jiddâwî, Sheikh ʿAtiyyah Al-Ajhûrî, Sheikh Ahmad Al-Biyalî, Sheikh ʿÎsâ Al-Barrâwî, et d’autres — qui inscrivirent leur appréciation, en prose et en vers, au début de l’ouvrage.

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