vendredi 30 novembre 2001
Sheikh Muhyiddîn ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî (1077 E.C./472 H. - 1166 E.C./561 H.) fut un phare de son époque dans les sciences spirituelles et les disciplines relatives à la Loi divine. Sa réputation fut telle dans les sciences du soufisme et de la sharîʿa que certains lui donnèrent le titre de Pôle [1].
Il s’agit du noble Sheikh, le pieux, le modèle, Abû Muhammad ʿAbd A-Qâdir Ibn Abî Sâlih Mûsâ Jankî Dôst Ibn Abî ʿAbd Allâh Ibn Yahyâ Az-Zâhid (le dévot) Ibn Muhammad Ibn Dâwûd Ibn Mûsâ Ibn ʿAbd Allâh Ibn Mûsâ Al-Jûn Ibn ʿAbd Allâh Al-Mahd Al-Mujall Ibn Al-Hasan Al-Muthannâ Ibn Al-Hasan Ibn Alî Ibn Abî Tâlib [2],, que Dieu l’agrée.
Ainsi, sa lignée rejoint-elle du côté paternel la branche florissante de l’Imâm Al-Hasan Ibn ʿAlî Ibn Abî Tâlib, que Dieu les agrée tous deux.
Du côté maternel, il est le fils de Umm Al-Khayr Fâtimâh Bint Abî ʿAbd Allâh As-Sawmaʿî. Sa mère fut, selon l’expression même d’Ibn Al-Wardî, "dotée d’états spirituels et de prodiges" [3]. Quant à son grand-père maternel, Sheikh Abî ʿAbd Allâh As-Sawmaʿî, il est originaire de "Jîl", encore appelé "Kîl" ou "Kilân" ou "Jilân" dont il était l’un des plus nobles savants. [4]
Il naquit dans la cité de Jîlân, dans la province nord-est de la Perse, en l’an 1077 A.D. A l’âge de dix-huit ans, il partit pour Bagdad à la poursuite de la connaissance et de la guidance divines.
Ses premiers maîtres en Loi divine furent le Sheikh Abû Al-Wafâ Ibn ʿAqîl, le Sheikh Muhammad Ibn Al-Hasan Al-Baqlânî et Abû Zakariyâ At-Tabrîzî. A l’ombre de ces trois grands, il apprit la science de l’exégèse du Coran, la science du Hadîth, la science de la vie du Prophète (sîrah), la théologie, la jurisprudence (fiqh), la grammaire, la récitation du Coran et la philologie. Il étudia l’école de jurisprudence hanbalite, mais il donnait aussi des verdicts religieux (fatwâ) selon l’école chaféite [5]. Il connaissait le Coran par coeur, et le récitait dans sept lectionnaires.
Après avoir acquis la maîtrise de treize disciplines relatives aux sciences religieuses et des sciences connexes, il se tourna alors vers la voie spirituelle sous la guidance du Sheikh Hammâd Ibn Muslim Ad-Dabbâs. Il reçut l’initiation dans la voie des chercheurs du Sheikh Al-Mubârak Saʿîd Ibn Al-Hasan. Le Sheikh Al-Mubârak Saʿîd fut le Sheikh de la plupart des plus grands chercheurs et maîtres de son temps à Baghdâd.
Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî reçut l’ijazah (autorisation et certificat d’un savant reconnu) et la direction de la tarîqah (voie - désigne en général une confrérie soufie) à l’âge de cinquante ans, de son Sheikh, Sheikh Al-Mubârak Saʿîd. Peu de temps après avoir reçu le titre officiel de Sheikh At-Tarîqah, on le reconnaissait dans la cité et ses environs comme un grand maître, et comme la source à laquelle tous les coeurs habités d’un désir ardent devaient se tourner pour trouver la guidance et l’illumination propres à diriger les coeurs sur la voie de l’amour divin et de l’inspiration divine.
Notre maître ʿAbd Al-Qâdir raconte : "Au commencement, seules quelques personnes fréquentaient mon groupe. Quand de plus en plus de gens eurent entendu parler de moi, l’école devint surpeuplée. Je pris alors l’habitude de m’installer dans la mosquée de Bâb Al-Hilbah, qui finit par être trop petite pour accueillir le grand nombre de gens qui venaient m’écouter. Ils venaient même au milieu de la nuit, portant des lampes et des bougies pour voir. Finalement, le lieu ne put contenir les foules, et on transporta la chaire d’où j’enseignais sur une voie de circulation, puis dans les faubourgs de la ville, dans un endroit qui devint le nouveau lieu de rassemblement. Les gens y venaient à pied, à cheval, à dos de mule, d’âne ou de chameau. On put voir jusqu’à soixante-dix mille auditeurs assistant à ces rassemblements". Le grand savant indien Sheikh Abû Al-Hasan ʿAlî An-Nadwî Al-Hasanî dit à ce sujet : "Près de soixante-dix mille personnes assistaient à son assemblée. Plus de cinq milles juifs et chrétiens sont rentrés en islam par ses efforts." [6].
Dans ces rassemblements, il enjoignait aux gens de faire le bien, et les dissuadait de commettre le mal. Son conseil s’adressait aux ministres, aux gouverneurs, aux juges, à ses disciples et aux gens ordinaires. Selon l’Imâm Ibn Kathîr, le grand exégète et historien : "Il se tenait debout dans les mosquées et réprimandait publiquement les gouverneurs qui commettaient le mal. Il le faisait en présence de tous, qui pouvaient ainsi en témoigner, dans des interventions publiques. Il évitait toutes les formes de conciliabule politique, et ne craignait personne quand il parlait, sinon Dieu le Tout Puissant. Aucun reproche ne l’affectait".
Un jour, comme le calife du monde islamique venait de nommer une personne injuste comme grand juge, notre maître ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî se leva, dans la plus grande mosquée de Bagdad, pour prononcer le sermon du vendredi. Il s’y adressa directement au calife. Il dit : " Tu as désigné le pire des injustes pour juger des affaires des musulmans ! Que répondras-tu demain au Seigneur des mondes, au Plus Miséricordieux des miséricordieux ? " Entendant cela, le calife trembla de peur. Versant des larmes abondantes, il se hâta, après la prière, de démettre ce juge.
Notre maître ʿAbd Al-Qâdir appelait les gens à se corriger eux-mêmes, à purifier leur coeur et à en chasser l’amour excessif de la vie ici-bas. Il les pressait de remplir leur coeur de l’amour de Dieu, de Son Messager et de ses saints (awliyâ’). Il les exhortait à suivre le Prophète dans chacun de leurs actes et chacune de leurs pensées, en tout comportement et en toute attitude. Il les exhortait à éviter l’hypocrisie et les feintes, à chasser de leur coeur l’orgueil, l’auto-satisfaction, la haine et l’hostilité, la jalousie, la tyrannie, la tromperie et la rancoeur. Il appelait les gens à briser leur attachement à ce monde et à ceux qui en sont les esclaves, et de se tourner de tout leur coeur vers Celui qui nourrit, Dieu le Tout Puissant, cherchant Sa satisfaction, Sa guidance, Sa miséricorde et Son pardon.
Il ouvrait la porte aux gens pour qu’ils renouvellent leur pacte avec leur Seigneur. Musulmans comme non musulmans, ils venaient en masse l’écouter, se repentir de leurs mauvaises actions et l’accepter comme chef et guide sur la voie qui mène à Dieu, acceptant de n’associer personne à Dieu, que ce soit ouvertement ou de façon subtile, de louer Dieu et de Le remercier pour Ses faveurs bienveillantes, de suivre la voie des prédécesseurs vertueux dans la religion et la guidance droite, d’éviter toute déviation et schisme en religion, d’unifier leurs coeurs et de les réunir comme au creux d’une main, dans l’amour de Dieu, de Ses prophètes et de Ses saints. Ils détournaient leur coeur de l’amour de ce bas-monde et le dirigeaient vers l’amour de l’au-delà. Ils le détournaient des plaisirs des sens et de la recherche de la fortune et le dirigeaient vers l’amour de Dieu et l’acceptation de Ses ordres et de Ses interdits.
A ce sujet, Sheikh Abû Al-Hasan An-Nadwî écrivit : "Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî ouvrit grande la porte de l’allégéance et du repentir. Des musulmans des quatre coins du globe y entrèrent pour renouveler leur pacte avec Dieu, en s’engageant à ne pas tomber dans le polythéisme ni la mécréance, ni la corruption, ni l’innovation, ni l’injustice et à ne pas rendre licite ce que Dieu interdit, ni délaisser ce qu’Il prescrivit. Ils s’engageaient à ne pas se dépenser dans la recherche de l’ici-bas et à ne pas oublier l’au-delà. Entrèrent par cette porte que Dieu eut ouverte par la main de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jilânî des gens dont Dieu Seul connaît l’effectif tant ils étaient nombreux : leurs états étaient droits et leur islam fut bon. Le Sheikh persévéra dans leur éducation et l’évaluation de leurs actes, il supervisa leur état et leur progression si bien que ces disciples spirituels sentirent la responsabilité qui leur incombait après le pacte, le repentir et le renouvellement de la foi". [7]
Dans l’une de ses prêches dont on dit qu’y assistaient plus de quatre cents scribes, il dit : "Les murs de la religion sont tombés et leurs fondations ont craqué. Rassemblons-nous, ô gens de la terre, et reconstruisons ce qui est en ruine, rétablissons ce qui est tombé ! C’est inacceptable. Ô soleil ! Ô lune ! Ô jour ! Venez tous ! Ô gens, la religion implore aide et assistance, tenant ses mains au-dessus de sa tête en signe de détresse, une détresse due aux débauchés, aux insolents, aux innovateurs, à ceux qui pervertissent la loi divine, aux gens insouciants, aux injustes et aux tyranniques, à ceux qui falsifient la connaissance divine et pourtant la revendiquent, alors qu’en fait elle n’est pas entre leurs mains.
" Ô hommes ! Que vos coeurs sont devenus durs ! Même un chien sert son maître. Il le garde, l’accompagne dans ses marches, chasse pour lui, garde ses troupeaux et veille sur lui avec loyauté dans l’espoir que son maître lui accordera quelques bouchées de son repas ou les lui mettra de côté pour plus tard. Réfléchissez-y et comparez à la façon dont vous vous rendez obèses par les bontés de Dieu, la façon dont vous satisfaites grâce à elles vos désirs vils, sans même obéir à Ses commandements ni éviter ce qu’Il a interdit ! Vous ne Lui payez pas ce que vous Lui devez, vous négligez Ses ordres et vous n’observez pas les limites de ce qu’Il vous a ordonné".
Notre maître ʿAbd Al-Qâdir conseilla ses disciples dans un chapitre sur le soufisme dans le livre Ghunyat At-Tâlibîn en disant : "Il convient pour celui qui débute dans cette voie, d’avoir une foi correcte, qui est la base première de toute chose, en suivant les croyances des nos pieux prédecesseurs (As-Salaf As-Sâlih), les gens de la Sunnah, la Sunnah des prophètes et des messagers, celle des compagnons, des successeurs (tabiʿîn), les alliés à Dieu et des véridiques".
Tel était l’attachement sincère au Noble Coran et à la Sunnah auquel appelaient ces nobles savants et éducateurs spirituels que furent Sheikh ʿAbd Al-Qâdir, Sheikh Ahmad Ar-Rifâʿî, Sheikh Abû Al-Hasan Ash-Shadhlî et leur semblable. Puisse tout prétendant à la discipline du tasawwuf (soufisme) appliquer ce valeureux conseil de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir.
Il disait aussi, que Dieu lui fasse miséricorde : "Toute vérité pour laquelle la législation ne témoigne point est zandaqah (mécréance hypocrite). Chemine vers le Vrai (Al-Haqq) en battant des ailes du Coran et de la Sounnah. Et présente-toi devant Lui, main dans la main avec le Messager d’Allâh, paix et bénédiction de Dieu sur lui." [8]
Dans le même sens, il disait à ses disciples : "Délaisser les oeuvres de cultes imposées est une mecréance. Tomber dans l’interdit est un péché. Nul n’a le droit de délaisser les Ordres [divins] en tout état de cause".
Il dit également dans Adab Al-Murîd : "Si le Murîd (disciple d’un sheikh, aspirant à l’éducation spirituelle) voit une erreur de la part de son Sheikh, il doit le lui signaler. S’il s’écarte de son erreur, tant mieux. Sinon, il (le disciple) doit laisser sa parole et suivre le sharʿ (la législation islamique)". Ce qui n’est pas sans nous rappeler la parole du noble Sheikh Ahmad Ar-Rifâʿî que Dieu l’agrée : "Ne t’oppose pas aux états [spirituels] des gens tant qu’ils ne contredisent pas le Sharʿ. Si jamais ils font une entorse au Sharʿ, laisse-les et suit le Sharʿ".
Les savants sont unanimes pour reconnaître la rigueur et la droiture de ce noble maître du Fiqh et du Tasawwuf, ainsi que ses frères en science et en piété. Nous retiendrons en particulier ce témoignage de Sheikh Ibn Taymiyah : "Quant aux gens de la droiture parmi les Sâlikînes (itinérants qui cheminent vers Dieu), comme la plupart des gens du Salaf, Al-Fudayl Ibn ʿIyâd, Ibrâhîm Ibn Adham, Abû Sulaymân Ad-Dârânî, Maʿrûf Al-Karkhî, As-Sarrî As-Saqtî, Al-Junayd Ibn Muhammad [Al-Baghdâdî], et d’autres parmi les prédécesseurs, ou encore des contemporains comme, Sheikh ʿAbd Al-Qâdir [Al-Jilânî], Sheikh Hammâd [Ad-Dabbâs], Sheikh Abû Al-Bayân, et d’autres, ils refusent que le sâlik (itinérant) fasse une entorse aux commandements et aux interdits, même s’il volait en l’air ou marchait sur l’eau. Au contraire, [ils exigent] qu’il applique les ordres divins et s’écarte des interdits jusqu’à sa mort. Et ceci est la vérité enseignée par le Coran et la Sunnah, et le consensus du Salaf. Et cela revient souvent dans leurs paroles". [9]
Les prodiges attribués à Sheikh ʿAbd Al-Qâdir sont trop nombreux pour qu’on puise les dénombrer. Certains sont rapportés de façon pour laquelle le coeur s’apaise, alors que d’autres ressemblent à des fables farfelues tissées par une imagination fertile - l’imagination d’un aimant ignorant ou d’un jaloux menteur.
L’un de ses prodiges c’est que Dieu a fait de lui une cause de guidance pour de nombreuses personnes, touchées par ses exhortations, sa dévotion et son ascétisme.
’Alî Ash-Shatnûfî cite, dans Bahjat Al-Asrâr, de nombreux miracles en mentionnant chaque fois la chaîne de transmission. Mais comme nous l’avons dit, ce livre contient de nombres récits controuvés et faussement attribués à Sheikh ʿAbd Al-Qâdir.
L’Imâm Adh-Dhahabi, tout en affirmant qu’il croit d’une façon générale aux miracles de ʿAbd Al-Qâdir, se déclare cependant sceptique sur nombre d’entre eux. Il évoqua cela dans Siyar A’lâm An-Nubalâ’ : "Le Sheikh ʿAbd Al-Qâdir (Al-Jîlânî), le Sheikh, l’imâm, le savant, le zâhid (ascète), le connaissant, le modèle, le Sheikh de l’islâm, l’emblème des awliyâ’ (saints), le hanbalite, le Sheikh de Bagdad. Je dis qu’il n’en est aucun parmi les grands Sheikhs qui ait plus d’états spirituels et de prodiges (karâmat) que le Sheikh ʿAbd Al-Qâdir, mais beaucoup de ces miracles ne sont pas véridiques et beaucoup de ces choses sont impossibles".
Sheikh Ibn Taymiyah dit de lui : "Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jilânî, que Dieu lui fasse miséricorde, ainsi que ses semblables, sont parmi les plus illustres sheikhs de leur époque, ordonnant le strict respect du shar’ (législation islamique), des Ordres [Divins] et des interdits, en leur donnant la préémience sur le goût (dhawq) et la fatalité. Il est du nombre des plus illustres sheikhs qui enjoignaient à abandonner la passion, la volonté propre. [...] Il ordonne au sâlik (cheminant dans la voie de Dieu) de ne pas avoir de volonté propre à la base, pour vouloir ce que Dieu Exalté Soit-Il veut". [12]
Dans son livre Hâdir Al-’Âlam Al-Islâmi (le Présent du Monde Musulman), l’Emir Shakîb Arslân s’exprima sur le noble Sheikh en ces termes : "Abd Al-Qâdir Al-Jîlânî qui naquit à Jilân en Perse fut un soufi grandiose, qui a eu une noble jeunesse. Il a des disciples que l’on ne peut décompter tant ils sont nombreux. Sa voie (tarîqa) est arrivée en Espagne. Puis, après la disparition du gouvernement arabe de Gharnâta (Grenade), le centre de la voie qâdiriyyah fut transféré à Fès. Par les lumières de cette voie, les innovations disparurent dans les rangs des berbères et ils se sont attachés à la Sunnah et la Jamâ’ah (regroupement). par ailleurs, c’est par l’intermédiaire de cette voie que les africains noirs en Afrique de l’ouest ont trouvé la guidance, au 15e siècle". [13]
Sheikh Abû Al-Hasan An-Nadwi Al-Hasanî témoigna del’étendue des enseignements de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî en disant : "Sheikh ʿAbd Al-QâdirAl-Jîlânîouvritgrande la porte de l’allégéance et du repentir. Des musulmans des quatre coins du globe y entrèrent pour renouveler leur pacte avec Dieu, en s’engageant à ne pas tomber dans le polythéismenila mécréance, ni la corruption, ni l’innovation, ni l’injusticeet à ne pas rendrelicitece que Dieu interdit, ni délaisser ce qu’Il prescrivit. Ils s’engageaient à ne pas se dépenser dans la recherche de l’ici-baset à ne pas oublier l’au-delà. Entrèrent par cette porte que Dieu eut ouverte par la main de Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jilânî des gens dont Dieu Seul connaît l’effectif tant ils étaient nombreux : leurs états étaient droits et leur islam fut bon. Le Sheikh persévéra dans leur éducation et l’évaluation de leurs actes, il supervisa leur état et leur progression si bien que ces disciples spirituels sentirent la responsabilité qui leur incombait après le pacte, le repentir et le renouvellement de la foi". [14]
As-Sam’ânî dit : " ʿAbd Al-Qâdir, originaire de Jilân, est l’Imâm des hanbalites, leur Sheikh de l’époque. Il fut un pieux juriste, droit dans la religion, vertueux et généreux. Il faisait le dhikr abondamment, il était absorbé par la méditation en permanence et ses larmes coulaient rapidement. Il s’initia au Fiqh auprès de Al-Makhramî, puis accompagna Sheikh Hammâd Ad-Dabâs. Il habitait à Bâb Al-Azj dans une école qui fut construite pour lui. Nous sommes partis lui rendre visite. Il vint et s’assit parmi ses disciples. Ils terminèrent la récitation du Coran, puis il donna une leçon dont je n’ai compris un seul mot. Ce qui est encore plus étrange, c’est que ses disciples se sont levés et ont redonné le cours. Peut-être qu’ils ont compris, habitués à ses paroles et son expression comme ils le sont ".
Siyar A’lâm An-Nubalâ où l’Imâm Adh-Dhahabî écrivit : " Le Sheikh ʿAbd Al-Qâdir (Al-Jîlânî), le Sheikh, l’imâm, le savant, le zâhid (ascète), le connaissant, le modèle, le Sheikh de l’islâm, l’emblème des awliyâ’ (saints), le hanbalite, le Sheikh de Bagdad."
"Si l’arbre se juge à ses fruits, ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî est certes un arbre d’une valeur inestimable : il inspire en effet la plus ancienne des confréries soufies, la qâdiriyya, aujourd’hui encore la plus importante du monde musulman. Né en 1077 dans un village du jîlân (dans l’Iran actuel), ʿAbd Al-qâdir arrive à Bagdad vers 1095 pour étudier. La Nizâmiyya, première université musulmane, vient juste de perdre le grand Al-Ghazâlî, parti à la découverte de lui-même. Alors ʿAbd Al-qâdir renonce à s’y inscrire, et c’est avec plusieurs maîtres qu’il se forge en quelques années, dans une cité où se côtoient les plus grands saints et les pires perversions, une solide formation dans les différentes sciences religieuses. Il y mène, semble-t-il, une vie agitée, tant au plan spirituel qu’au plan matériel.
Puis il part pour, disent certains, vingt-cinq années d’errance et de retraite. "Me prenant par la main, Dieu m’a élevé au-dessus de tous les adorateurs. Je suis proche de mon Seigneur et comblé de L’avoir rencontré". Son maître le plus marquant est alors Abû Al-Khayr Ad-Dabbâs, celui qui a dit : "Le plus court chemin qui mène l’homme à Dieu, c’est de L’aimer. " On dit qu’il a également été formé par abû yûsuf Al-hamadânî, un des premiers maîtres de la chaîne de la confrérie naqshbandiyya.
En 1127, il réapparaît à Bagdad, et se révèle alors un prédicateur hors pair. Le "faucon gris de Dieu" embrase le coeur des milliers de fidèles qui se pressent pour écouter ses sermons. Et cette aptitude à ouvrir les coeurs continue à oeuvrer depuis bientôt mille ans, même si un orientaliste moderne n’accorde (avec un peu de présomption ou de naïveté ...) que peu de valeur aux sermons d’ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî, pas assez en tout cas pour justifier sa réputation !
Dans sa propre école, ʿAbd Al-Qâdir passe le reste de sa longue vie (il meurt en 1166) à enseigner, entouré d’une nombreuse famille. Son enseignement prône à la fois le respect de la loi divine (ʿAbd Al-Qâdir se rattache au hanbalisme) et la lutte intérieure (le grand jihâd) contre les passions. Le secret des secrets est un petit livre que le maître a écrit pour ses disciples. Il n’est peut-être pas inutile de préciser ici ce que signifie le mot " soufi ", puisqu’aussi bien ce livre est un " livre de soufisme ". Le mot est aujourd’hui utilisé à propos de quiconque s’engage dans une démarche spirituelle dans la voie du soufisme. En toute rigueur, le mot doit être réservé à celui qui est parvenu au terme du voyage. Celui-là n’a d’ailleurs rien à dire, ni à ceux (très rares) qui sont, comme lui, réalisés (cela ne servirait à rien), ni à ceux qui le suivent sur le chemin (ils ne comprendraient pas). Autant dire qu’un " soufi " ne se révèle pas. Ceux qui suivent la voie soufie sont un peu plus nombreux : ils ne se diront jamais soufis, car ils savent. Enfin viennent ceux, très nombreux, qui se préparent à entrer dans la voie soufie. Parmi eux, beaucoup pensent avoir déjà emprunté la voie, alors que le long, très long travail de purification préalable est à peine entamé et que peu parviendront à franchir cette première étape. À tous ceux-là, le Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî apportera une aide précieuse, si Dieu le veut, car c’est pour eux qu’il a écrit le présent livre.
Il semble qu’il faille aussi préciser que, contrairement à une idée malheureusement répandue, le soufisme est indissociable de l’islam. Le soufisme repose sur la tradition, c’est-à-dire la transmission ininterrompue depuis le Prophète Muhammad (la chaîne de transmission de certaines confréries remonte à Dieu, par Gabriel). Les maîtres auto-proclamés, sans lien établi avec la tradition, n’ont pas cours dans le soufisme. Car couper le soufisme de sa source essentielle revient à le réduire à une sorte de gymnastique ou d’hygiène " spirituelle ". Elles peuvent être utiles, mais elles ne nourrissent pas cette attitude intérieure spécifique où se mêlent la nostalgie du temps du pacte primordial et le désir ardent de retrouver l’intimité du Créateur. Que Dieu soit remercié pour la sollicitude dont Il a fait preuve pour guider la plume de Son serviteur dans ce que ce travail a de meilleur. Et qu’Il veuille bien pardonner les erreurs que ce travail contient, et qui ne sont dues qu’à la négligence de Son serviteur, car Lâ hawla wa lâ quwwâta illâ billâh, Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu". [15]
Que Dieu fasse miséricorde au noble Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jîlânî, cet illustre savant, emblème de la piété et de l’observance de Dieu. Qu’Il aide les prétendants à cette noble voie, une voie lumineuse, éclairée par le Coran et la Sunnah, loin de toute déviation, à honorer leur pacte avec Allâh.
"Chemine vers le Vrai (Al-Haqq) en battant des ailes du Coran et de la Sounnah. Et presente-toi devant Lui, main dans la main avec le Messager d’Allâh, paix et bénédiction de Dieu sur lui", tels furent les enseignements et la vie de cet Imâm, que Dieu lui fasse miséricorde et qu’Il l’agrée.
[1] Qutb Al-Islâm wa Al-Muslimîn, le pôle de l’Islam et des musulmans, est un titre honorifique attribué par des savants à des Imâms qui furent des sommités en sciences religieuses et des modèles de piété et d’observance de Dieu. Il en va de même pour des titres comme "sheikh Al-islâm". L’expression Qutb Al-Islâm fut par exemple employée par le célèbre juriste Ahmad Ibn Hajar Al-Haythamî Al-Makkî au sujet du noble Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jilânî (cf. Al-Fatâwâ Al-Hadîthiyyah, p. 149). De même, l’Imâm As-Sakhâwî intitula la biographie qu’il a écrite de l’Imâm An-Nawawî : Al-Manhal Al-’Adhb Ar-Râwî fî Tarjamat Qutb Al-Awliyâ’ An-Nawawî, La Source d’Eau Douce dans la biographie du "Pôle des Saints" An-Nawawî. On la trouve également dans le livre "Madjmûʿ Al-Fatawâ" de Sheikh Ibn Taymiyah. Ces titres honorifiques ne confèrent aucun pouvoir propre au Sheikh. Aussi, les fables que certains ignorants ou hérétiques ont tissé pour faire du "pôle" ou du "ghawth" un saint qui gouverne le monde ou qui a un pouvoir propre de gestion du monde, relèvent de l’égarement manifeste et du polythéisme, dont tout musulman s’innocente. Ces nobles Sheikhs, Al-Jilânî, Ar-Rifâʿî, An-Nawâwî, et leurs semblables seront les premiers à s’innocenter de toute personne qui leur a attribué un pouvoir de gestion du monde ou d’autres mythes polythéistes. La personne qui use de ces titres honorifiques doit savoir qu’ils sont attribués à des serviteurs de Dieu, qui furent des hommes bénis, connus pour leur science et leur piété.
[2] Cette lignée est établie dans de nombreux livres de biographies. Elle est citée, entre autres, dans Shadharât Adh-Dhahab par l’Imam l’historien ʿAbd Al-Hayy Ibn Al-’Imâd Al-Hanbalî (m. 804 A.H.) et le Târikh du juriste chaféite Ibn Al-Wardî. Il est dit au sujet d’Ibn Al-Wardî (m. 749 A.H.) dans Fawât Al-Wafiyyât, volume 3 p. 157 : "le très noble juge, l’Imâm, le juriste, l’homme de lettres, Zayn Ad-Dîn Ibn Al-Wardî Al-Ma’arrî Ash-Shâfi’î. Il est du nombre des personnes vertueuses, des juristes, des hommes de lettres et des poètes de son époque".
[3] Târikh Ibn Al-Wardî.
[4] Târîkh Ibn Al-Wardî.
[5] Dans Al-Fatâwâ Al-Hadîthiyyah p. 149, le Hâfidh Ibn Hajar Al-Makkî rappelle que Sheikh ʿAbd Al-Qâdir Al-Jilânî était versé dans la Sunnah et le Fiqh selon les écoles chaféites et hanbalites et qu’il donnait des verdicts selon les deux écoles.
[6]Al-Muslimûna fil-Hind, "Les Musulmans en Inde", p 140-146 par l’érudit Sheikh Abû Al-Hasan An-Nadwî.
[7] Rijâl Al-Fikr wa Ad-Daʿwah, les hommes de la pensée et l’appel à Dieu, p. 248 par Sheikh Abû Al-Hasan An-Nadwî.
[8] Al-Fath Ar-Rabbânî wal-Fayd Ar-Rahmânî , L’Ouverture Seigneuriale et la Manne du Miséricordieux, par Sheikh ʿAbd -Al-Qâdir Al-Jilânî, p29
[9] Madjmû’ Al-Fatâwa, par Ibn Taymiyah, volume 10, p 516-517
[10] Force est de constater qu’une anecdote très similaire est attribuée à l’Imâm Ahmad Ar-Rifâʿî Al-Husaynî. L’ordre d’égorger un poulet dans un endroit où nul ne nous voit est alors donné par Sheikh Mansûr Al-Batâ’ihî, l’oncle maternel et le Sheikh de l’Imâm Ar-Rifâʿî. A la fin de la journée, l’Imâm Ahmad fut le seul disciple à retourner au Sheikh sans avoir égorgé le poulet, car quel que soit l’endroit où il allait il se rappelait que Dieu le voit. C’est d’ailleurs suite à cet événement que Sheikh Mansûr choisit son neveu, l’Imâm Ar-Rifâʿî, comme successeur de son école d’éducation spirituelle. La similitude entre les deux anecdotes est d’autant plus frappante que les deux nobles Sheikhs Ar-Rifâʿî et Al-Jilânî sont contemporains et étaient liés par une grande fraternité. In shâ’Allâh nous y reviendrons dans la biographie de l’Imâm Ar-Rifâʿî, que Dieu l’agrée.
[11] Al-Fatâwâ Al-Hadîthiyyah p. 149, par Ibn Hajar Al-Makkî
[12] Majmûʿ Fatâwâ Ahmad Ibn Taymiyah, volume 10, p. 488-489.
[13] Hâdir Al-ʿÂlam Al-Islâmî (le Présent du Monde Musulman), v. 2 p. 396, par l’Emir Shakîb Arslân
[14] Rijâl Al-Fikr wa Ad-Daʿwah, les hommes de la pensée et l’appel à Dieu, p. 248 par Sheikh Abû Al-Hasan An-Nadwî.
[15] avec son autorisation, la préface de ʿAbd -el-Wadûd Bour, traducteur du "Secret des secrets" (Sirr Al-Asrâr) édité par Al-Bouraq, préface où il insiste sur la différence entre les soufis réalisés, très rares, et ceux plus nombreux qui cheminent ou en sont aux balbutiements, lesquels n’ont aucune raison de se parer de ce nom.
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