dimanche 1er novembre 2009
La Médersa Al-Mustansiriyyah est une grande université islamique médiévale qui enseignait les sciences coraniques, le droit, la Tradition du Prophète, la langue arabe, la médecine ainsi que les mathématiques. On considère généralement qu’Al-Mustansiriyyah fut la première université œcuménique du monde musulman, dans le sens où elle enseignait le droit musulman selon les quatre écoles juridiques les plus répandues : hanafite, chaféite, hambalite et malékite. Les autres institutions étaient davantage spécialisées dans l’un ou l’autre de ces droits.
La Médersa Al-Mustansiriyyah porte le nom de son fondateur, le calife abbasside Al-Mustansir Billâh. Celui-ci la fit construire dans la cité de la Paix et la capitale du califat, Bagdad, sur la rive est du Tigre.
Al-Mustansir Billâh, un calife pieux et honnête qui régna pendant 17 ans entre 1226 et 1243, démarra les travaux de sa Médersa en 1228. La construction dura cinq ans et nécessita un budget de sept cent mille dinars. Lorsque les travaux furent achevés, une grande cérémonie d’inauguration fut organisée. On saigna près d’un millier de moutons en l’honneur des convives, on prépara des pâtisseries et des mets que les chroniqueurs de l’époque décrivent comme aussi succulents les uns que les autres. Les plus grands notables de Bagdad et d’Irak étaient présents : le vizir, les gouverneurs de provinces, les secrétaires du calife, les cadis, le corps professoral, les juristes, les maîtres des confréries soufies, les prédicateurs, les lecteurs de Coran ainsi que les poètes. Le calife participa lui-même à cette inauguration, dans un opulent cortège de hauts dignitaires de l’Etat. On veilla à ce que tout Bagdad pût profiter de la fête, en acheminant dans chaque quartier de la ville une part de cet opulent festin.
Al-Mustansir Billâh désigna lui-même les professeurs habilités à enseigner dans son institut. Ceux-ci étaient tous des éminences dans leurs domaines respectifs, provenant de différentes contrées musulmanes : l’Irak, la Syrie, l’Égypte, etc. Ils étaient secondés par des assistants, chargés notamment de répéter la dictée du cours que donnaient les professeurs. Le calife fixa par ailleurs le nombre d’étudiants, sélectionnés parmi les plus brillants, qui pouvaient être accueillis dans l’établissement, ainsi que le programme d’enseignement. Il nomma également les lecteurs de Coran et de Hadith et dota l’Université d’un doyen, d’un administrateur chargé de la trésorerie, de bibliothécaires, de secrétaires, de concierges, de personnel de chambres et de cuisiniers. Il légua à la bibliothèque universitaire des milliers d’ouvrages, certaines sources les estimant à 80000 manuscrits, ayant trait aussi bien aux sciences religieuses que profanes. Les bibliothécaires avaient pour mission de classer ces livres et de les mettre à disposition de manière à en faciliter l’usage auprès des étudiants. Le calife fixa en outre les salaires du corps enseignant et du personnel de service, ainsi que les bourses attribuées aux étudiants, qui étaient nourris et logés.
Le financement de la médersa, qui fonctionnait de manière autonome, était obtenu grâce à l’exploitation de domaines agricoles constitués en habous (biens de mainmorte placés sous séquestre) et légués par le calife. La valeur de ces propriétés domaniales était estimée à un million de dinars, une somme considérable. Les rentes annuelles, qui s’élevaient à quelque trois cent mille dinars par an, suffisaient à l’entretien des étudiants, au paiement des salaires et au fonctionnement général de l’établissement.
La Médersa Al-Mustansiriyyah était constituée de plusieurs sections où étaient enseignées différentes disciplines. On y donnait ainsi des cours de droit selon les quatre écoles juridiques, et l’enseignement de chacune de ces écoles était dispensé dans un endroit réservé de l’établissement. En général, les cours de droit étaient donnés dans les grandes salles situées dans les bâtiments sud de la Médersa. C’était la première fois dans l’histoire des universités islamiques que dans un même établissement, étaient enseignés les différentes écoles juridiques musulmanes. Les cours de Coran et de Tradition du Prophète étaient quant à eux délivrés dans des salles situées côté nord, juxtaposées à la bibliothèque universitaire. En face du bâtiment principal, se trouvait celui dédié à la section de médecine, et où officiaient les médecins et leurs assistants. C’était également dans ce bâtiment que se trouvaient la pharmacie et le dispensaire où les étudiants étaient confrontés à des cas concrets de maladies.
Le complexe, novateur dans le sens où étaient regroupés sur un même lieu, des instituts scientifiques aux champs disciplinaires distincts, était en outre doté d’une cuisine, d’un hammam pour les étudiants, ainsi que d’un système d’acheminement de l’eau du Tigre dans l’enceinte de la Médersa. A l’entrée de l’établissement, il y avait une horloge, qui donnait l’heure des prières.
Cette conception nouvelle de l’interdisciplinarité dont le calife Al-Mustansir Billâh se fit l’architecte, fit des émules dans les années qui suivirent. Une décennie plus tard, au Caire, le Roi pieux Al-Malik As-Sâlih Najm Ad-Dîn Ayyûb d’Égypte, fit construire à son tour en 1243, un institut interdisciplinaire : la Médersa As-Sâlihiyyah, qui enseignait également les quatre écoles juridiques musulmanes. Puis vint le tour de la sultane Bâb Bashîr, qui était l’épouse du dernier calife abbasside, Al-Mustaʿsim Billâh, de fonder en 1251 la Médersa Al-Bashîriyyah, à l’ouest de Bagdad, sur le modèle de la Mustansiriyyah, un modèle en pleine expansion depuis lors.
La Médersa Al-Mustansiriyyah, fleuron de l’Université islamique médiévale, fut décrite et visitée par de nombreux auteurs prestigieux, à l’instar de Kamâl Ad-Dîn Ibn Al-Fûtî, de Jalâl Ad-Dîn As-Suyûtî, d’Abû Al-Faraj Ibn Al-ʿIbrî (Bar-Hebraeus), de Salâh Ad-Dîn As-Safadî, de ʿIzz Ad-Dîn Ibn Al-Athîr, de Taqî Ad-Dîn Al-Maqrîzî, d’Abû Al-Faraj Ibn Al-Jawzî, d’Ibn As-Sâʿî, d’Abû Jaʿfar Ibn At-Taqtaqî, et bien d’autres.
Elle tint le rôle qui lui fut assigné à sa fondation, à savoir, la diffusion du savoir, pendant plus de quatre siècles, entre son inauguration en 1233, et sa fermeture définitive en 1638. Entre ces deux dates, il y eut néanmoins plusieurs fermetures temporaires de plus ou moins longue durée, consécutives aux événements politiques extérieurs. Elle fut ainsi fermée une première fois en 1258 à la suite du sac de Bagdad par les hordes mongoles. Les cours ne reprirent qu’en 1259 et se poursuivirent de manière ininterrompue pendant près de 150 ans après la chute du califat abbasside. Le fonctionnement de la médersa fut de nouveau perturbé à la toute fin du XIVe siècle et au tout début du XVe, des suites de l’invasion de Tamerlan. Le conquérant sanguinaire, mais néanmoins épris de lettres et de beaux-arts, fit déporter l’élite intellectuelle et artisanale de Bagdad dans sa capitale Samarcande et pilla les bibliothèques de Bagdad qu’il transporta également dans son pays. Les savants qui ne furent pas massacrés ou déportés, choisirent de s’exiler en Égypte, en Syrie ou dans d’autres contrées musulmanes, fuyant la terreur moghole. Cet épisode sonna dès lors le glas d’Al-Mustansiriyyah qui demeura fermée pendant près de deux siècles jusqu’à sa réouverture en 1589 par les Ottomans. Mais cette révouverture fut éphémère puisque la prestigieuse institution fondée par le calife abbasside Al-Mustansir Billâh ferma définitivement ses portes en 1638.
Depuis lors, les bâtiments du complexe furent utilisés à d’autres fins : ils devinrent tour à tour centre des impôts, caravansérail, caserne militaire, avant d’être abandonnés progressivement à la ruine. Certaines parties du complexe ont ainsi disparu. Ce n’est qu’en 1940, que la Direction du patrimoine culturel irakien, après avoir pris possession du complexe, put entreprendre des travaux de réhabilitation et de restauration, qui conduisirent à sa réouverture aux visiteurs en tant que monument historique en 1960. Les travaux, qui comprenaient également, un projet d’agrandissement du complexe se prolongèrent encore sur plusieurs années, jusque dans les années 1970. Dans la mesure du possible, on veilla à reproduire à l’identique les bâtiments et les décorations usés par le temps et la négligence. En 1963, lorsque fut créée l’Université Al-Mustansiriyyah contemporaine, appelée ainsi en hommage à la médersa médiévale, les bâtiments de cette dernière furent intégrés à ceux de l’institution moderne. La médersa était notamment utilisée comme bibliothèque et centre culturel. Mais depuis 2003, suite à l’invasion américaine et à la chute de Bagdad, la médersa fut de nouveau laissée à l’abandon. Pire, l’ancien temple bagdadi de la connaissance devint un repaire de criminels et de bandits, qui n’hésitèrent pas à faire du trafic avec les ouvrages de la bibliothèque.
Aujourd’hui, malgré les violences qui continuent à secouer l’Irak, les amoureux d’Al-Mustansiriyyah continuent à se battre pour préserver ce monument historique de la perdition, pour le restaurer et lui redonner son lustre d’antan.
Source : Islamweb.net.
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