mardi 16 avril 2013
L’Imâm Abû ʿAbd Allâh Al-Husayn, fils de ʿAlî Ibn Abî Talib et de Fâtimah Az-Zahrâ, et petit-fils du Prophète, vit le jour le 19 janvier 626 à Médine. Sa naissance fut prématurée, puisque sa mère accoucha de lui après six mois seulement de grossesse. Aussitôt né, on l’amena au Messager de Dieu qui en fut très heureux. Il le prit dans ses bras et lui murmura à chacune de ses oreilles l’appel à la prière, afin que cet appel fût le premier qu’il entendît à son arrivée sur terre. Sept jours après sa naissance, le Prophète le prénomma Husayn, un prénom inédit chez les Arabes, et qui était le diminutif de Hasan, signifiant « bon », le prénom de son frère aîné. En l’honneur du nouveau-né, le Messager de Dieu abattit un mouton et demanda à sa fille Fâtimah de raser la tête de son nourrisson, et d’offrir en aumône l’équivalent en argent du poids de ses cheveux, tout comme elle l’avait fait avec son frère aîné Al-Hasan.
Husayn ressemblait physiquement au Messager de Dieu. D’une taille moyenne à l’âge adulte, il avait le front large, la barbe fournie, le torse développé, la carrure imposante, l’ossature lourde, les mains et les pieds larges, la chevelure lisse, le corps robuste, et la peau blanche d’une teinte rosâtre.
Le Prophète disait de lui : "Husayn est l’un de mes petits-fils. Qui m’aime doit aimer Husayn !" Ou encore : Puisse Dieu aimer qui aime Husayn !" Il est avec son frère Al-Hasan, selon les dires de leur grand-père, le suzerain des jeunes du Paradis.
Husayn passa son enfance dans le giron de son grand-père, puis dans celui de son père. Assidu aux cercles d’enseignement à la Mosquée du Prophète, il grandit dans un environnement pieux et studieux.
Bien qu’il était encore très jeune à la mort de son grand-père, il rapporta un certain nombre de paroles prophétiques, ce qui fait de lui l’un des plus jeunes transmetteurs de hadiths.
De nombreuses anecdotes reflètent la générosité de Husayn. Il se rendit ainsi un jour au chevet d’Usâmah Ibn Zayd qui était sur son lit de mort. Il l’entendit se plaindre : « Ô malheur ! – Quel est ton malheur ?, l’interrogea Husayn. – J’ai des dettes s’élevant à soixante mille dirhams, répondit Usâmah. – Je m’en chargerai, le consola le petit-fils du Prophète. – Mais j’ai peur de mourir avant qu’elles ne soient remboursées, poursuivit Usâmah. – Tu ne mourras pas avant que je les rembourse pour toi », déclara Husayn. Et il tint promesse.
On rapporte également qu’un jour, un mendiant errait dans les rues de Médine, jusqu’à ce qu’il se retrouvât devant la maison de Husayn. Il frappa alors à la porte et clama les vers suivants :
« Lam yakhib al-yawma man rajâka wa man harraka min khalfi bâbik al-halaqah
Fa-anta dhul-jûdi anta maʿdinuhu abûka qad kâna qatal al-fasaqah !
Nul homme t’implorant et frappant à ta porte, ne sera en ce jour par toi désappointé !
Car tu es fait de générosité, toi dont le père avait combattu les dépravés ! »
Husayn était alors debout en train de prier. Il acheva rapidement sa prière et ouvrit sa porte au bédouin. Il découvrit alors que celui-ci était dans une grande nécessité. Il appela lors Qunbur, son serviteur, et lui demanda ce qu’il restait de ses économies. Qunbur répondit : « Deux cents dirhams que tu m’as ordonné de répartir entre les membres de ta famille. – Apporte-les moi, ordonna Husayn, car voici que se présente un homme qui en a plus besoin qu’eux. » Lorsque son serviteur lui apporta l’argent, Husayn les donna au mendiant et répliqua à ses vers par d’autres vers, arborant la même rime :
« Khudhhâ fa-innî ilayka muʿtadhirun waʿlam bi-annî ʿalayka dhû shafaqah.
Law kâna fî sayrinâ al-ghadâta ʿasan kânat samânâ ʿalayka mundafiqah.
Lâkin rayb az-zamâni dhû nakadin wal-kaffu minnâ qalîlat an-nafaqah !
Prends cet argent. Je m’excuse du peu. Mais sache que j’éprouve pour toi une grande pitié !
Si nous détenions quelque autorité, tu serais éclaboussé par notre générosité ussé par notre générosité !
Mais l’heure nous est défavorable, et nous ne sommes en mesure de faire que peu de charité. »
L’Imâm Al-Husayn était d’une grande modestie, à l’image de son grand-père. Un jour, il passa auprès d’un groupe de pauvres, en train de manger du pain. Après qu’il les eut salués, ils le convièrent à venir partager leur repas. Il s’assit alors en leur compagnie et leur dit : « Si ce repas n’était pas issu de l’aumône légale, j’aurais volontiers mangé avec vous ! » En effet, il est interdit, dans le droit musulman, aux membres de la famille du Prophète, de consommer l’aumône légale versée par les musulmans ou d’en tirer profit. Aussi, pour pouvoir partager le repas de ces nécessiteux, Husayn les invita chez lui, leur offrant nourriture, habits ainsi qu’une somme d’argent.
L’Imâm Al-Husayn eut plusieurs épouses :
De toutes ces épouses, l’Imâm Al-Husayn eut dix enfants, six fils et quatre filles. Ses fils sont : ʿAlî l’aîné, dit le Martyr, ʿAlî le médian, dit l’Imâm Zayn Al-ʿÂbidîn, ʿAlî le cadet, Muhammad, ʿAbd Allâh le martyr et Jaʿfar. Ses filles sont : Sukaynah, Fâtimah, Zaynab et Ruqayyah.
En 656, lorsque son père ʿAlî accéda au poste de calife, succédant à ʿUthmân Ibn ʿAffân, assassiné par des insurgés, Al-Husayn se mit à son service et fut à ses côtés dans toutes ses entreprises. Il partit avec lui à Koufa, en Irak, lorsque celui-ci en fit sa nouvelle capitale, aux dépens de Médine. Il participa dans l’armée de son père à la bataille du Chameau, qui les opposa à une armée levée par des Compagnons du Prophète, dont la Mère des Croyants ʿÂ’ishah Bint Abî Bakr. Ceux-ci désiraient venger ʿUthmân et punir ses assassins, alors même que ʿAlî avait ordonné en tant que chef de l’Etat musulman de stopper toute velléité belliciste dans un califat menacé par la sédition, quitte à punir les insurgés dans un temps ultérieur.
La bataille, qui ne désigna pas de vainqueur, ne mit pas fin aux appels à la vengeance qu’entretenaient les proches de ʿUthmân, dont le leader n’était autre que le puissant gouverneur de Syrie, nommé par ʿUthmân et approuvé dans un premier temps par ʿAlî, le Compagnon du Prophète Muʿâwiyah Ibn Abî Sufyân. Celui-ci en voulait à ʿAlî de tarder à punir les assassins du troisième calife bien-guidé. ʿAlî le suspectait pour sa part d’utiliser cette affaire à des fins populistes, de manière à accroître son propre pouvoir. Leur rivalité atteignit son paroxysme lorsque, décidés tous deux à en découdre par les armes, ils s’affrontèrent à la bataille de Siffîn en 657, qui aboutit à un arbitrage entre les deux parties, permettant de maintenir un statu quo.
Cet arbitrage humain déplut à la frange la plus radicale des partisans de ʿAlî, pour qui Dieu seul était Arbitre. Cette frange accusa ʿAlî de compromission, de trahison du principe de l’autorité divine, voire d’apostasie, lesquelles accusations constituaient pour eux un mobile de mise à mort. Elle se mutina par conséquent contre ʿAlî et lui déclara la guerre. Ces radicaux furent depuis connus dans l’histoire de l’islam comme la secte des Khârijites (khawârij en arabe), littéralement des Mutins.
ʿAlî Ibn Abî Tâlib entra alors en guerre contre les séditieux et les écrasa à la bataille de Nahrawân en 657, à laquelle participa son fils Al-Husayn, à ses côtés. Les Khârijites ne furent toutefois pas éradiqués. Les survivants à la bataille poursuivirent l’exécution du complot visant à assassiner ʿAlî, ce qu’ils parvinrent à faire quatre ans plus tard, en 661.
Après l’assassinat de son père, Al-Husayn prêta serment d’allégeance à son frère aîné Al-Hasan, qu’il respectait énormément. L’élection d’Al-Hasan au poste de calife et successeur de son père fut désapprouvée par Muʿâwiyah Ibn Abî Sufyân, qui estimait être le mieux placé pour rétablir l’ordre dans un monde musulman en pleine tourmente. Soucieux de préserver les vies humaines, Al-Hasan accepta d’abdiquer et de céder le califat à Muʿâwiyah Ibn Abî Sufyân, moyennant des garanties et des engagements sur une bonne gouvernance. Al-Husayn ne parvint à se faire à cette décision, qu’il considéra comme une marque de faiblesse à l’égard de l’adversaire politique de son père puis de son frère. Ce faisant, il ne chercha pas à contester le choix d’Al-Hasan et s’accomoda du changement politique.
Après la mort d’Al-Hasan en 670, l’Imâm Al-Husayn vécut une dizaine d’années sous le règne de Muʿâwiyah jusqu’à la mort de celui-ci en 680. Avant de quitter le monde, Muʿâwiyah désigna son fils Yazîd comme son successeur à la tête du califat, fondant par cet acte la dynastie omeyyade. C’était la première fois depuis la disparition du Prophète que s’instaurait un pouvoir héréditaire, dans lequel le calife mourant désignait son fils à sa succession. Al-Hasan lui-même, auquel Al-Husayn avait prêté allégeance, n’avait pas été désigné par son père ʿAlî, mais avait été élu par la communauté des musulmans, comme le furent tous ses prédécesseurs depuis Abû Bakr.
Or avec Yazîd Ibn Muʿâwiyah, voici que les musulmans se voyaient imposer un calife, non pas en raison de ses qualités morales, politiques ou administratives, mais du seul fait qu’il était le fils du calife précédent. Cette nouvelle conception de la transmission du pouvoir, ayant peu à voir avec le mode électif connu jusque-là, déplut à un grand nombre de musulmans, d’autant que Yazîd n’était pas spécialement réputé pour sa piété ni pour ses qualités spirituelles. Muʿâwiyah pensait sans doute bien faire en nommant son fils, de manière à ce qu’il ne laissât pas de vide politique derrière lui, et à ce qu’aucune nouvelle guerre civile, telle celle qu’il vécut lui-même depuis la mort de ʿUthmân Ibn ʿAffân, n’éclatât au sein du monde musulman pour la prise du pouvoir. Il pensait ainsi couper court à toute velléité de contestation.
Néanmoins, ses prévisions furent démenties, et la contestation de son fils et successeur fut bel et bien réelle. L’Imâm Al-Husayn fut l’un des plus farouches contestataires de la prise de pouvoir de Yazîd, au point qu’il se refusa à lui prêter allégeance, l’accusant de dévoyer les principes politiques de l’islam relatifs au choix du gouvernant.
De son côté, Yazîd n’avait d’autre obsession que de recueillir l’allégeance de tous ceux qui la lui refusaient : il ordonna ainsi à son gouverneur à Médine Al-Walîd Ibn ʿUtbah Ibn Abî Sufyân de requérir le ralliement de ces opposants, avec à leur tête Al-Husayn Ibn ʿAlî.
Le petit-fils du Prophète décida alors de quitter Médine pour La Mecque, en compagnie de ses enfants, de ses frères, de ses épouses et de son ami ʿAbd Allâh Ibn Az-Zubayr. En route, ils rencontrèrent ʿAbd Allâh Ibn ʿUmar et ʿAbd Allâh Ibn ʿAbbâs qui faisaient le chemin inverse. Ceux-ci leur demandant ce qui se passait, ils répondirent : "Muʿâwiyah est mort. L’allégeance est à Yazîd." Ibn ʿUmar tenta de les dissuader de fuir cette allégeance : "Craignez Dieu et ne divisez pas la communauté des musulmans", les avertit-il, mais en vain.
Lorsque Ibn ʿUmar et ʿIbn ʿAbbâs arrivèrent à Médine, ils prêtèrent serment d’allégeance tandis que la nouvelle de l’abstention d’Al-Husayn se diffusa rapidement dans le monde musulman.
Nombreux furent ses partisans en Irak et dans la Péninsule arabe, qui reconnurent en lui l’homme le plus apte et le plus digne de reprendre le califat après Muʿâwiyah. N’était-il pas en effet le petit-fils du Messager de Dieu, l’être dont les qualités spirituelles et morales étaient les plus proches de l’idéal de l’homme parfait incarné par son grand-père ? N’était-il pas le suzerain des jeunes du Paradis, comme l’avait décrit son illustre aïeul ?
Aussi reçut-il des centaines de lettres en provenance d’Irak en particulier, lui prêtant allégeance, plutôt qu’à Yazîd, et lui assurant loyauté et obéissance. Entrevoyant par ces multiples encouragements une possibilité de renverser Yazîd et de rétablir la légalité islamique en matière de transmission du pouvoir, l’Imâm Al-Husayn dépêcha à Koufa son cousin Muslim Ibn ʿAqîl, en tant qu’émissaire et représentant, en charge de sonder les intentions et les motivations de ses partisans, et si elles s’avéraient sincères, d’organiser la résistance et la rébellion. Après avoir mené son enquête, Muslim acquit la certitude que les Irakiens voulaient sincèrement installer Al-Husayn à la tête du califat. Il prit alors leur allégeance au nom de son cousin dans la demeure de Hâni’ Ibn ʿUrwah. Ils étaient près de dix-huit mille partisans.
Lorsque Yazîd Ibn Muʿâwiyah apprit depuis Damas l’existence des tractations en cours en Irak, il fit parvenir à son gouverneur à Bassora, ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd, une lettre dans laquelle il lui demandait de gérer cette affaire et de faire cesser la contestation de son pouvoir par les Koufis, sans toutefois lui donner l’ordre d’assassiner Al-Husayn.
ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd se rendit alors à Koufa, où il apprit que le siège de la contestation était la maison de Hâni’ Ibn ʿUrwah où était retranché Muslim Ibn ʿAqîl qui recueillait les allégeances. Découvert, Muslim Ibn ʿAqîl prit alors la décision de lever une armée de quatre mille hommes contre le gouverneur de Bassora, à l’aide de laquelle il l’assiégea. ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd, en infériorité numérique, prit alors le parti de s’adresser aux partisans de Muslim en les menaçant des représailles de l’armée du calife, s’ils poursuivaient leur rébellion, et en les incitant à regagner leurs demeures en échange du pardon et de la réconciliation. Peu à peu, les hommes de Muslim le quittèrent les uns après les autres, jusqu’à ce qu’il ne furent plus qu’une trentaine d’irréductibles, qui eux aussi, finirent par l’abandonner. Muslim Ibn ʿAqîl fut alors arrêté et ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd ordonna sa mise à mort. Muslim lui demanda, avant l’exécution de la sentence, l’autorisation d’écrire une lettre à son cousin Al-Husayn, demande qui fut exaucée. Le message de Muslim disait : « Rentre chez toi avec les tiens, et ne te laisse pas berner par les gens de Koufa ! Ils t’ont trahi et m’ont trahi. Ne fais pas confiance à des traîtres ! »
Quelques jours auparavant, Muslim avait en effet envoyé un message d’une toute autre teneur à son cousin, alors qu’il pensait acquise la loyauté des Koufis. Il lui écrivit en effet qu’il pouvait venir en Irak et compter sur de nombreux soutiens.
Husayn était donc déjà en route pour Koufa, dans l’intention de lever une armée et de combattre Yazîd. Au moment de son départ de La Mecque, de nombreux Compagnons du Prophète, craignant pour sa vie, tentèrent de le dissuader de se rendre en Irak et de réaliser son projet de révolte. Parmi eux, on trouvait ʿAbd Allâh Ibn ʿAbbâs, ʿAbd Allâh Ibn ʿUmar, ʿAbd Allâh Ibn Az-Zubayr, ʿAbd Allâh Ibn ʿAmr, ou encore son propre demi-frère Muhammad Ibn Al-Hanafiyyah. Ibn ʿUmar lui dit dans une dernière tentative : « Laisse-moi te dire une chose ! Gabriel est venu voir le Prophète pour lui proposer la vie d’ici-bas ou celle de l’au-delà. Et il a choisi celle de l’au-delà, se détournant de celle d’ici-bas. Tu es son sang. Par Dieu, nul parmi vous ne prendra le pouvoir. Si Dieu ne vous a pas accordé le pouvoir, c’est parce qu’Il l’a donné à qui vous sera le plus profitable. » Voyant qu’il ne cédait pas à ses arguments, Ibn ʿUmar le prit dans ses bras en pleurant et lui dit : « Je te dis adieu, car je ne te vois pas revenir vivant ! » ʿAbd Allâh Ibn Az-Zubayr lui dit quant à lui : « Mais où vas-tu ? Chez des gens qui ont tué ton père et poignardé ton frère ? »
Al-Husayn refusa d’entendre ces appels, et partit la rencontre de son destin.
Lorsque Yazîd apprit quant à lui qu’Al-Husayn quitta La Mecque, il écrivit à Ibn Ziyâd : "J’ai appris qu’Al-Husayn est en route pour l’Irak. Installe des postes d’observation et des garnisons, et prends garde. Emprisonne en cas de doute et punis en cas de suspicion. Mais ne tue que ceux qui te combattent. Tiens-moi au courant de tout ce qui se passe. Paix sur toi."
Quand l’Imâm Al-Husayn Ibn ʿAlî apprit la nouvelle de la mort de Muslim, par le messager que celui-ci lui avait envoyé pour le mettre en garde contre la félonie des Koufis, il fut convaincu par ses cousins de poursuivre la route et de venger leur proche. Il fut toutefois intercepté, à Karbala, par une armée omeyyade de plusieurs centaines d’hommes, menée par ʿAmr Ibn Saʿd, Shimr Ibn Dhil-Jawshan et Husayn Ibn Tamîm. Voyant qu’il n’était pas de taille à les affronter seul, il décida de se rendre et les conjura soit de le mener auprès de Yazîd afin qu’il prêtât allégeance, le sachant opposé à le faire tuer, soit de le laisser repartir à Médine, soit de le laisser rejoindre le front où guerroyaient les armées de l’islam contre les ennemis extérieurs. Aucune de ces propositions ne satisfit néanmoins les cavaliers qui lui rétorquèrent que ce serait ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd, le gouverneur de Bassora, qui jugerait de son sort. L’un des cavaliers, Al-Hurr Ibn Yazîd qui était un général de l’armée d’Ibn Ziyâd, dont il connaissait la haine pour Husayn, s’opposa à la décision de ses compagnons, injustifiée selon lui à l’encontre du petit-fils du Messager de Dieu. « Pourquoi n’acceptez-vous pas sa proposition ? Par Dieu, si les Turcs ou les Daylamites [alors en guerre contre les musulmans] vous avaient fait une telle proposition, vous n’auriez pas eu le droit de la refuser ? », les sermonna-t-il. Voyant qu’ils ne se rangeaient pas à son avis, et que le sort d’Al-Husayn était scellé du fait qu’il refusait de se rendre, Al-Hurr s’éloigna de sa troupe et alla au devant d’Al-Husayn et des siens. Ceux-ci crurent tout d’abord qu’il venait pour les combattre, mais lorsqu’il s’approcha d’eux, il retourna son bouclier et les salua, avant de se retourner et de foncer sur la cavalerie omeyyade, tuant deux hommes, avant d’être lui-même tué.
Cet acte de bravoure pour la défense de l’Imâm Al-Husayn, qu’Al-Hurr savait voué à une mort certaine s’il était présenté à ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd, déclencha la bataille de Karbala, entre l’armée omeyyade d’une part et l’Imâm Al-Husayn et ses compagnons d’autre part. Le nombre des forces en présence était nettement au désavantage de l’Imâm, si bien que tous ses compagnons furent massacrés, tandis qu’il demeura seul à combattre tel un lion en furie. Mais la loi du nombre le fit céder et après une lutte héroïque, il fut terrassé par le javelot de Shimr Ibn Dhil-Jawshan qui le transperça. Les soldats omeyyades l’achevèrent, et sa tête fut décollée, d’aucuns disent par le même Shimr Ibn Dhil-Jawshan, d’autres par Sinân Ibn Anas An-Nakhʿî.
Aux côtés d’Al-Husayn, périrent ses frères consanguins (Abû Bakr, Muhammad, ʿUthmân, Jaʿfar et Al-ʿAbbâs), ses fils (Abû Bakr, ʿUmar, ʿUthmân, ʿAlî l’aîné et ʿAbd Allâh), et nombre de ses neveux et de ses cousins.
Cette tragédie se déroula le 10 Muharram, jour de ʿÂshûrâ de l’an 61 de l’Hégire, soit le 10 octobre 680. L’Imâm avait 54 ans.
Sa famille fut capturée et conduite à Damas tandis que sa noble tête fut emportée également, en guise de trophée. Son fils, Zayn Al-ʿÂbidîn Ibn Al-Husayn, inhuma sa dépouille trois jours plus tard à Karbala. Et le monde musulman pleura la disparition du dernier joyau hérité de la prophétie.
Chez les musulmans chiites, ce jour de ʿÂshûrâ constitue un jour de deuil, au cours duquel certains se livrent à des exercices d’auto-flagellation, symbolisant le remords d’avoir abandonné l’Imâm livré à son destin lors de son arrivée en Irak, alors qu’il pensait pouvoir compter sur un grand nombre de ses partisans. Les musulmans sunnites considèrent pour leur part que l’horreur que constitue le meurtre de Husayn en ce jour funeste ne justifie pas pour autant de telles pratiques. Le père de Husayn, ʿAlî Ibn Abî Tâlib avait lui-même été assassiné un vendredi du mois de Ramadân, alors qu’il se rendait à la prière de l’aube, sans que son assassinat ne fût célébré comme un jour de deuil, par les sunnites ou les chiites, alors même qu’il surpassait son fils en qualités morales. Pour les musulmans sunnites, la douleur de la perte ne doit pas faire oublier que tout n’est que prédestination divine, contre laquelle il est bien vain de vouloir s’élever.
La mort tragique de celui que le Prophète surnommait sa senteur parfumée constitue un événement historique majeur dans l’histoire de l’islam, en ce sens qu’il est porteur d’une douleur et d’une tristesse infinie. Toutefois, le récit historique ne peut souffrir l’accumulation de toute une série de légendes entourant le martyre du bienheureux Husayn, visant à élever sa mort au rang de la plus héroïque et la plus injuste des morts. Certains récits dénués de tout fondement et répétés à l’envi par les inconditionnels chiites de l’Imâm Al-Husayn relatent ainsi qu’il mourut après avoir été privé d’eau par ses assassins, qu’au moment de sa mort, il se mit à pleuvoir du sang, que le soleil s’éclipsa ou que l’horizon se teinta d’un rouge sanguin. Ces narrations sont d’autant moins crédibles que la mort tragique d’Al-Husayn n’avait rien d’inédit dans l’histoire de l’humanité. Ce n’était pas la première fois qu’un homme aussi pieux et aussi vertueux était mis à mort en toute injustice. Des êtres, infiniment meilleurs qu’Al-Husayn, connurent déjà un tel sort, sans qu’aucun des phénomènes cosmiques extraordinaires rapportés à son sujet ne le fut pour ces autres hommes. Ces êtres sont les messagers de Dieu, dont nombre d’entre eux furent assassinés dans d’atroces souffrances, à l’instar de Jean-Baptiste, dont la tête fut offerte en cadeau de mariage à une prostituée, ou de son père Zacharie, dont le corps fut tranché de haut en bas avec une scie.
Al-Husayn eut-il raison de se révolter contre Yazîd ? La réponse à cette question dépend grandement de la sensibilité de l’historien. Pour une minorité de spécialistes, Al-Husayn avait une mission à accomplir et une leçon à donner à l’humanité, consistant à se révolter contre l’arbitraire et l’injustice des gouvernants, et à être prêt à sacrifier sa vie pour la défense de son idéal.
Sans remettre en cause le bien-fondé des idéaux politiques d’Al-Husayn, la majorité des historiens estime toutefois que le petit-fils du Prophète n’opéra pas le meilleur choix lorsqu’il décida de se dresser militairement contre Yazîd, ignorant les mises en garde des nombreux Compagnons qui tentèrent de le dissuader de quitter La Mecque. Car sa révolte contre la tyrannie le conduisit à une mort certaine et au renforcement du pouvoir autoritaire omeyyade, tandis que s’il était resté en vie, son combat politique aurait pu être davantage profitable à la communauté des musulmans. Ainsi pour cette majorité d’historiens, la perte d’Al-Husayn est perçue comme un incommensurable gâchis.
Les chiites accusent Yazîd Ibn Muʿâwiyah d’avoir commandité le meurtre d’Al-Husayn. Mais les récits historiques sont sans appel : aucune narration ne rapporte que Yazîd eût donné un tel ordre. Le seul ordre que le calife omeyyade donna et qu’il transmit à son gouverneur de Bassora était d’empêcher Al-Husayn de prendre le pouvoir en Irak, et de ne le combattre que si lui-même levait une armée. Cet objectif d’empêcher Al-Husayn de contrôler l’Irak fut atteint dès lors qu’Ibn Ziyâd parvint à démobiliser les partisans koufis de Muslim Ibn ʿAqîl. Les événements ultérieurs n’étaient donc pas prémédités par le calife, d’autant qu’au moment de son arrestation, l’Imâm proposa de se rendre et de prêter allégeance à Yazîd.
En outre, lorsque Yazîd apprit la nouvelle de la mort sanglante d’Al-Husayn, il fut saisi d’effroi, et le petit-fils du Prophète fut pleuré dans tout Damas. Le calife disait : "Qu’aurais-je perdu si j’avais été un tant soit peu plus patient devant les difficultés, si j’avais installé Al-Husayn à mes côtés, et lui avais laissé prendre les décisions qu’il souhaitait ?! Même si cela m’aurait été désagréable, j’aurais au moins préservé l’honneur et les égards dus au Messager de Dieu ! Puisse Dieu maudire Ibn Murjânah (ʿUbayd Allâh Ibn Ziyâd) qui l’a poussé à bout et ne lui a laissé aucune porte de sortie. Il lui avait pourtant demandé de le laisser repartir à Médine, ou de le laisser venir à ma rencontre poser sa main dans la mienne, ou encore de laisser aller au front. Il ne lui a laissé aucun choix et l’a tué. Il m’a ainsi fait détester par tous les musulmans et a semé dans leur coeur les graines de la haine à mon endroit."
Cherchant un tant soit peu à rattraper cette erreur, Yazîd ordonna que les femmes et les enfants capturés à Karbala et conduits dans la capitale du califat furent traités avec les égards dus à leur statut de famille du Messager de Dieu, puis reconduits à Médine, dans l’honneur et la dignité.
Sources : Harouf.com, Islamicweb.com, Islamstory.com et Saaid.net.
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