lundi 4 mai 2009
Le Sheikh de l’Islam, Taqî Ad-Dîn Abû Al-ʿAbbâs Ahmad, fils de ʿAbd Al-Halîm, fils de ʿAbd As-Salâm, fils de ʿAbd Allâh, fils de Muhammad Al-Khidr, fils de Muhammad, fils d’Al-Khidr, fils de ʿAlî, fils de ʿAbd Allâh, fils de Taymiyah Al-Harrânî, plus connu sous le nom de Taqî Ad-Dîn Ahmad Ibn Taymiyah, vint au monde le lundi 29 janvier 1263, à Harran, ville située dans le sud-est de l’actuelle Turquie. Depuis sa naissance et pour l’éternité, son nom allait rester associé à celui d’une femme, Taymiyah. Taymiyah ou Taymiyyah était une lointaine aïeule de Ahmad. Elle avait été une savante, une prédicatrice et une traditionniste. À l’âge de sept ans, Ahmad, fils de Taymiyah, quitta son Harran natal avec son père pour aller se réfugier à Damas, avant l’arrivée des hordes tatares.
Ahmad Ibn Taymiyah grandit dans une pieuse famille de savants et de juristes réputés. Son père, ses ancêtres, ses frères, et un grand nombre de ses oncles étaient de célèbres érudits. Nombreux furent ainsi les savants qui portèrent le patronyme d’Ibn Taymiyah, à l’instar de son grand-père ʿAbd As-Salâm Ibn ʿAbd Allâh Ibn Taymiyah, dit Majd Ad-Dîn Abû Al-Barakât, auteur de plusieurs ouvrages, ou de son frère ʿAbd Ar-Rahmân Ibn Taymiyah. Néanmoins, l’aura et le renom de Ahmad éclipsa la réputation de tous les autres fils de Taymiyah.
Ce fut donc dans ce milieu pieux et érudit que grandit ce noble savant. Il commença très tôt l’acquisition du savoir : il apprit le Coran, étudia la Sunnah, le droit musulman, les fondements de la religion et l’exégèse auprès de son père et de plusieurs savants réputés tels Ibn ʿAbd Ad-Dâ’im, Ibn Abî Al-Yusr, Al-Kamâl Ibn ʿAbd, Ibn Abî Al-Khayr, Ibn As-Sayrafî, Al-Qâsim Al-Arbîlî, Ibn ʿIllân, Zayn Ad-Dîn Ibn Al-Manjâ, Al-Majd Ibn ʿAsâkir et bien d’autres. Il étudia l’arabe auprès d’Ibn ʿAbd Al-Qawî, et lut l’œuvre du plus grand grammairien de la langue arabe, Sîbawayh. Il étudia par ailleurs l’arithmétique, la logique, l’algèbre et les équations mathématiques. Il se tourna ensuite vers la théologie et la philosophie. Il était reconnu depuis son plus jeune âge pour son intelligence, sa vivacité d’esprit, sa puissante mémoire et son excellence. Il était profondément attaché à l’acquisition du savoir, ne trouvant aucun plaisir supérieur à la joie d’apprendre. L’un de ses contemporains, As-Safadî, raconte qu’un jour, son père, son frère, et le reste de sa famille lui demandèrent de venir avec eux un samedi pour une promenade dans la nature. Il déclina l’invitation. Lorsqu’ils rentrèrent le soir et le sermonnèrent pour son absence, il leur répondit : « Vous, vous n’avez rien appris de plus ni n’avez rien révisé de ce que vous auriez oublié. Mais moi, pendant votre absence, j’ai appris ce livre », et il leur montra un célèbre petit ouvrage de jurisprudence hambalite de l’Imâm Ibn Qudâmah Al-Maqdisî, intitulé Rawdat An-Nâdhir wa Jannat Al-Manâdhir (Le Jardin du Promeneur et le Paradis des paysages naturels), faisant ainsi allusion au fait que lui aussi s’était échappé pour une promenade dans la nature infinie de la science. Plus tard, lorsqu’il grandit, il approfondit ses connaissances et se plongea dans l’immensité de l’océan du savoir. À l’âge de vingt ans, il était déjà habilité à enseigner. D’obédience hambalite, il acquit toutes les vertus du juriste versé dans la religion, et fut reconnu par ses pairs comme un savant hors du commun, si bien qu’on lui donna plus tard le titre honorifique de Sheikh de l’Islam.
L’Imâm Ahmad Ibn Taymiyah devint expert de la science du Hadîth, tant au niveau de la critique des narrations qu’au niveau de leur interprétation. En jurisprudence et en théologie, il était doué d’une capacité d’analyse et de démonstration logique qui dépassaient largement la moyenne de ses semblables. Fin connaisseur des diverses sectes et doctrines qui s’exprimaient en son temps, il affichait des aptitudes au débat rationnel dont peu de gens pouvaient ou peuvent encore aujourd’hui se vanter. Néanmoins, malgré cette puissance d’érudition incomparable, l’Imâm Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyah fut l’objet de controverses et eut plusieurs détracteurs, dont le plus célèbre est très certainement l’Imâm Taqî Ad-Dîn As-Subkî. La raison en est que l’Imâm Ibn Taymiyah adopta des avis singuliers sur certaines questions juridiques et théologiques, et alla à l’encontre de ce qui était communément admis par les savants.
En 1298, il provoqua ainsi la colère de certains Shâfiʿites pour ses propos sur les Attributs divins tenus dans son épître Al-ʿAqîdah Al-Hamawiyyah (La Doctrine Hamaouie), appelée ainsi parce qu’elle fut rédigée à Hamâh, en Syrie. On l’accusa d’anthropomorphisme et on lui intenta un procès, au terme duquel il fut interdit d’exprimer publiquement ses vues. Néanmoins, il bénéficia du soutien de plusieurs personnalités syriennes, si bien qu’il put reprendre ses leçons du vendredi. Le Grand Cadi de Damas fut alors saisi de l’affaire. Il se rendit chez l’Imâm Ibn Taymiyah et discuta longuement avec lui de ses opinions. Lorsque l’entrevue s’acheva, le Grand Cadi sortit et déclara : « Quiconque dira du mal de Sheikh Ibn Taymiyah, nous le punirons ! »
Convoqué en Égypte, il eut plusieurs démêlés avec la justice en raison de ses opinions. Il fut notamment incarcéré à de nombreuses reprises au Caire et à Alexandrie. L’une des questions qui lui coûta particulièrement cher fut celle de la visite du tombeau du Messager de Dieu, qu’il jugea illicite et dangereuse car pouvant dégénérer en culte du Prophète et donc en paganisme. L’opinion majoritaire était que la visite du Messager de Dieu est un acte méritoire car participant de la revivification de la foi. Accusé d’hérésie, il fut emprisonné de nouveau, dans la citadelle de Damas cette fois-ci, d’où il ne ressortit que pour être inhumé dans sa tombe. Il fut également jugé pour ses positions plus souples en matière de divorce qui rétrécissaient le nombre de cas où le divorce devenait effectif, et ce, dans un souci de préserver la structure familiale. On l’accusa de vouloir faire cohabiter illégalement des couples divorcés.
En plus de son érudition et de son attachement à enjoindre le bien et à réprouver le mal, l’Imâm Ibn Taymiyah se distingua par de nombreuses vertus morales. Il était prodigue et généreux, versé dans l’adoration et l’invocation de Dieu, profondément attaché à la récitation du Coran. Il se levait toutes les nuits pour prier et en profitait pour demander à Dieu de l’aider à trouver la Vérité. Il implorait : « Ô Seigneur de Gabriel, de Michaël et de Rafaël, Créateur des cieux et de la terre, Connaisseur de ce qui est connu et de ce qui est inconnu, c’est Toi qui juge entre Tes Serviteurs de ce en quoi ils divergent. Guide-moi, par Ta Grâce, vers la Vérité. C’est Toi qui guides qui Tu veux vers le droit chemin ». Il était par ailleurs d’une piété exemplaire, d’un ascétisme profond malgré ses richesses, d’une modestie incomparable, lesquelles qualités faisaient de lui un personnage charismatique. Il forçait la crainte et le respect de tous, y compris des sultans et des rois ennemis.
Plusieurs anecdotes historiques illustrent ce point. Le souverain de Géorgie, ennemi implacable des musulmans, voulut attaquer la ville de Damas, massacrer les hommes, capturer les femmes et les enfants, et amasser un considérable butin. Mais ne pouvant agir de son propre chef de crainte de représailles, il paya un lourd tribut au sultan mongol récemment converti à l’Islam, Mahmûd Ghâzân, pour qu’il n’intervienne pas. L’accord fut scellé entre les deux rois et la nouvelle parvint à Damas aux oreilles du Sheikh de l’Islam Ahmad Ibn Taymiyah. Ce dernier se leva alors sans attendre, rassembla avec lui un certain nombre de notables damascènes et se rendit auprès du sultan mongol pour des explications. Il se mit à le sermonner et lui tint des propos que peu de gens s’aventureraient à adresser à un monarque. Il lui rappela, en tant que musulman, ses devoirs de loyauté envers Dieu et envers la nation islamique. Le Sultan l’écoutait avec attention, tel un disciple devant son maître. Il dit enfin : « Qui est ce Sheikh ? Je n’ai jamais vu quelqu’un comme lui, ni quelqu’un dont les paroles m’ont secoué plus que lui. Et je ne me suis jamais senti aussi docile devant quelqu’un autant que devant lui ! » L’Imâm demanda à l’interprète de dire au Sultan : « Tu prétends être un musulman ! Et d’après ce que nous en savons, tu aurais un cadi, un imam, un sheikh et des muezzins. Mais néanmoins, tu nous as attaqués. Ton père et ton grand-père étaient des infidèles, et ils ont fait la même chose que toi. Ils ont établi un pacte avec nous. Toi-même, tu as établi un pacte avec nous. Mais tu nous as trahis. Tu as donné ta parole mais tu as trahi ta promesse. Tu es un despote ! » Après avoir fait entendre au sultan ses quatre vérités, il obtint de lui que les vies des musulmans seraient épargnées.
Une autre histoire le vit faire face à un autre sultan inique qui opprimait ses sujets et leur extorquait illégalement leurs biens. Mis au courant des faits, l’Imâm se rendit chez ce souverain et entra dans sa cour. Le voyant, le sultan ironisa : « Je voulais justement venir chez toi, car tu es un savant et un ascète. » La coutume était en effet que les émirs et les sultans se rendent en personne auprès des savants et des ascètes pour leur rendre visite et recevoir des conseils de bonne gouvernance. Sans se démonter, le Sheikh répondit à l’insolent : « Moïse était meilleur que moi. Pharaon était pire que toi. Mais néanmoins, Moïse venait trois fois par jour à la porte de Pharaon pour lui proposer la foi ».
Le Sheikh de l’Islam était en outre réputé pour sa patience et son endurance lorsqu’il s’agissait de souffrir pour la Cause de Dieu. Tendant vers cet idéal de perfection spirituelle et humaine qui caractérisait le Prophète, Sheikh Ahmad Ibn Taymiyah était magnanime. Le pardon était systématiquement son attitude privilégiée lorsque c’était sa personne qui était lésée. Malgré les ennemis aussi invétérés que nombreux qui le calomnièrent et le firent jeter en prison, jamais il ne s’en vengea, alors qu’il eut le pouvoir de les faire condamner à leur tour pour diffamation, lorsque son innocence fut prouvée.
Le Sheikh de l’Islam, héraut de la raison et de la révélation, lutta de la manière la plus sincère pour la Cause de Dieu. Il lutta par la plume et par l’épée. Il incita les Musulmans au combat par ses paroles et par ses actes. Sur les champs de bataille, il guerroyait en personne avec son glaive en compagnie des preux et des pieux. Ceux qui l’observèrent durant la bataille ayant précédé la libération d’Âcre furent témoins de son courage et de sa bravoure face à l’ennemi.
Il participa également à la défense de Damas lorsqu’elle fut attaquée par les Tatars. Il les combattit au sud de la ville et les vainquit avec la Volonté de Dieu. Grâce à cette victoire, c’étaient toute la Syrie, la Palestine, l’Égypte et le Hijâz qui étaient sauvés. Il demanda aux dirigeants du monde musulman de poursuivre le combat afin d’anéantir les ennemis intérieurs de la nation islamique qui étaient des suppôts des envahisseurs mongols. Mais il s’attira l’inimitié plus ou moins fondée d’un grand nombre d’opposants : il fut persécuté, emprisonné, exilé et torturé. Il refusa néanmoins de se plier ou de se soumettre. Ce fut alors qu’il prononça sa célèbre parole : « Qu’est ce que mes ennemis peuvent bien me faire ? Mon jardin et mon paradis sont dans mon cœur ; où que j’aille, ils sont avec moi. À dire vrai, mon emprisonnement est une retraite spirituelle, mon exécution est un martyre et mon exil est un voyage de découverte ». Dans sa cellule de prison, il disait également : « Le prisonnier est celui dont le cœur est emprisonné de telle sorte qu’il ne peut aller à la rencontre de son Seigneur. Le captif est celui qui a été capturé par ses passions ». On raconte d’ailleurs que lors de ses séjours répétitifs en prison, la prison devenait une source de savoir et d’adoration rivalisant avec de nombreux écoles et centres spirituels. Les prisonniers l’écoutaient avec attention, au point que certains préférèrent rester en sa compagnie plutôt que de recouvrer leur liberté.
En sus de ce jihâd physique pour lequel l’Imâm Ahmad Ibn Taymiyah mobilisa son corps et son glaive, il mena également un jihâd intellectuel pour lequel il mobilisa sa plume et sa langue. Il se dressa face aux extrémistes et aux outranciers des diverses sectes et doctrines et combattit leur outrecuidance et leurs innovations. Il livra ainsi bataille aux philosophes, qui tenaient la philosophie grecque pour l’ultime source de sagesse, aux ésotéristes de tous bords qui croyaient pouvoir se passer de la lettre des textes sacrés pour la remplacer par des interprétations exotiques ou des délires prétendûment mystiques, aux athées, aux muʿtazilites et aux extrémistes de l’école ashʿarite. Fondées sur le Coran, la Sunnah et la force de la raison logico-déductive, les réponses qu’il formula en son temps aux thèses des uns et des autres constituent encore aujourd’hui une arme efficace contre les ennemis contemporains de la religion musulmane. Il était aidé pour cela par un savoir encyclopédique lui permettant de connaître les thèses de ses adversaires parfois mieux qu’eux-mêmes ne les connaissaient. Après le Coran et la Sunnah, les réponses du Sheikh de l’Islam Ibn Taymiyah sont considérées aujourd’hui comme le meilleur moyen de faire face à ces sectes égarées et à ces doctrines bancales qui existaient dans le passé et qui sont réapparues de nos jours sous d’autres noms, à l’instar du socialisme, du nationalisme, du Bahâ’isme ou du Qâdiyânisme.
Ayant toujours refusé de se marier pour se consacrer pleinement à la science et à la religion, le Sheikh de l’Islam Ibn Taymiyah est considéré comme l’un des auteurs les plus prolifiques de l’histoire de l’Islam. Il laissa un héritage colossal, qui, selon le Hâfidh Adh-Dhahabî, dépasserait les cinq cents livres, dans les diverses branches du savoir. Ces ouvrages vont de la simple épître au traité en plusieurs volumes. La plupart de ces écrits nous furent communiqués par son élève, le grand érudit et Imâm à son tour Shams Ad-Dîn Ibn Qayyim Al-Jawziyyah.
Parmi ses ouvrages, citons :
Bien qu’étant un savant d’obédience hambalite, le Sheikh Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyah prit progressivement son indépendance dans l’élaboration de ses jugements. Doté d’un savoir encyclopédique lui permettant d’avoir ses propres arguments pour étayer ses thèses, il s’écartait souvent des avis juridiques communément rendus par son école d’origine. Certaines de ses opinions s’écartaient même des quatre principales écoles juridiques du monde musulman, allant jusqu’à défendre des positions inédites dans l’histoire musulmane du droit et de la théologie. Cette audace lui valut des oppositions de la part de ses pairs, aussi bien parmi ceux de son époque que parmi ceux des époques ultérieures.
Ces oppositions étaient plus ou moins vives, d’un savant à un autre. Pour certains, il s’agissait d’une simple divergence d’ordre intellectuel et juridique, ne remettant nullement en cause le mérite et l’érudition d’Ibn Taymiyah, alors que pour d’autres, l’opposition s’était mue en adversité voire en inimitié personnelle.
Les principales opinions controversées d’Ibn Taymiyah sont les suivantes :
– le jugement selon lequel une personne qui aurait abandonné volontairement la prière obligatoire n’est pas tenue de rattraper ses prières, mais peut se contenter de multiplier les prières surérogatoires : cette opinion n’est pas celle retenue par la majorité des savants pour qui la prière est une dette dont chaque musulman est tenu de s’acquitter ;
– le jugement selon lequel la femme qui a ses menstrues peut circumambuler autour de la Kaʿbah : cette opinion est jugée contraire à l’exigence de purification rituelle qui doit précéder tout acte de circumambulation ou de prière ;
– le jugement selon lequel un homme qui jure de répudier son épouse si un événement se produit est un renégat de l’islam, car ayant juré par autre que Dieu ; ce verdict, ajouté à celui consistant en ce que la prononciation d’une répudiation triple (l’homme disant à son épouse : je te répudie par trois fois) ne compte que pour une répudiation simple, lui valut de nombreuses critiques et de nombreux ennuis judiciaires. En effet, en islam, au bout de trois divorces successifs, il n’est plus permis aux époux de se remarier, à moins que la femme n’épouse un autre mari puis qu’elle s’en sépare, soit par divorce soit par veuvage. Certains hommes prononcent donc la répudiation triple pour signifier la rupture définitive et sans possibilité de reprise de la vie conjugale à court terme ; la majorité des savants jugent cette répudiation triple effective et rendant illégal tout remariage du couple. En allant à l’encontre de l’opinion communément admise, Sheikh Ibn Taymiyah fut accusé de légaliser l’union de couples illégitimes ;
– le jugement selon lequel il est interdit de voyager dans l’intention de visiter le tombeau du Prophète, par crainte de favoriser l’émergence d’un culte du Messager de Dieu. Cette opinion fut vigoureusement combattue par ses contemporains qui rappelèrent, avec force arguments issus du Coran et de la Sunnah, la légitimité, voire le caractère recommandé, d’un tel acte de dévotion, et estimèrent les craintes d’Ibn Taymiyah infondées ;
– la théorie de la subdivision du monothéisme en monothéisme de seigneurie et en monothéisme de déité, qui suggère que le monothéisme de seigneurie est commun aussi bien aux monothéistes qu’aux polythéistes, tandis que c’est le monothéisme de déité qui différencie les deux parties ; cette théorie est vivement critiquée encore de nos jours par des savants contemporains [1].
Tout lecteur des biographies d’Ibn Taymiyah ne peut que constater l’ampleur des oppositions rencontrées par ce savant tout au long d’une vie ponctuée d’épreuves personnelles et de séjours en prison. Ces oppositions n’ont pas disparu après sa mort et n’ont même fait que s’amplifier, au point que certains l’accusent d’hérésie et d’apostasie. Cette personnalité complexe continue de susciter des débats et des critiques entre ses adversaires et ses inconditionnels qui brandissent parfois aveuglément son autorité intellectuelle pour justifier des prises de position dommageables.
Parmi les facteurs de ces oppositions radicales, il est possible de dégager les éléments suivants :
Le Hâfidh Ibn Hajar Al-ʿAsqalânî, l’un des plus fervents opposants au Sheikh de l’Islam sur la question de la visite du tombeau du Prophète, dit de lui : « Ce sur quoi il a vu juste, et qui constitue l’essentiel de son œuvre, est profitable à tous et doit nous conduire à lui demander la miséricorde de Dieu. Et ce sur quoi il s’est trompé ne doit pas être imité, mais on doit l’en excuser ».
Dans sa biographie de l’Imâm Ibn Taymiyah, As-Safadî écrit : « Le Sheikh Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyah est l’un des trois géants que j’ai côtoyés et qui n’avaient pas leurs pareils à leur époque, ni même dans le siècle écoulé. Ces trois géants sont le Sheikh Taqî Ad-Dîn Ibn Taymiyah, le Sheikh Taqî Ad-Dîn Ibn Daqîq Al-ʿId et notre Sheikh, l’érudit Taqî Ad-Dîn As-Subkî. J’ai composé ces vers pour leur rendre hommage.
Thalâthatun laysa lahum râbiʿu *** Fa-lâ takun min dhâka fî shakki
Wa kulluhum muntasibun littuqâ *** Yaqsuru ʿanhum wasfu man yahkî
Fa-in tasha’ qulta ibna taymiyatin *** Wabna daqîq al-ʿîdi was-subkî
Ils sont trois en tout et pour tout. Tu peux en être parfaitement sûr.
Tous sont des taqî aux normes de la piété et nul ne pourra les décrire à leur juste valeur.
Si tu veux, tu peux aussi bien parler d’Ibn Taymiyah, que d’Ibn Daqîq Al-ʿÎd que d’As-Subkî. »
Le même Ibn Daqîq Al-ʿÎd dit d’ailleurs : « Lorsque j’ai rencontré Ibn Taymiyah, j’ai vu un homme qui avait toutes les sciences entre les yeux. De toutes ces sciences, il prenait ce qu’il voulait et laissait ce qu’il voulait. Je lui ai dit : « Je ne pensais pas que Dieu créait encore des gens comme toi ! » » C’est un témoignage éloquent de la part de celui qu’on considère généralement comme le réformateur du septième siècle hégirien.
Après une vie dédiée à l’enseignement, à l’éducation des hommes et à la lutte pour la défense de ses idéaux, l’âme du Sheikh de l’Islam Taqî Ad-Dîn Ahmad Ibn Taymiyah Al-Harrânî retourna à son Seigneur dans la nuit du dimanche 3 octobre 1328, à l’âge de 65 ans, dans sa cellule de la prison de la citadelle de Damas.
Homme d’exception, il eut droit à des adieux d’exception. Le lundi 4 octobre 1328, après la prière de midi, on s’acquitta à son égard de la prière funéraire dans la Grande Mosquée Omeyyade avant de l’inhumer aux côtés de son frère ʿAbd Allâh dans le cimetière des Soufis.
Fait rarissime, des milliers de femmes étaient présentes pour pleurer sa mort et suivre son dernier cortège. Lui qui avait, toute sa vie, porté le nom d’une femme, qui, durant toute sa vie, ne prit jamais femme, voici que son cortège funéraire ressemblait à un cortège nuptial auquel assistaient des milliers de femmes. Certaines sources précisent que le cortège était formé de plus de soixante mille personnes.
Que Dieu fasse miséricorde à Taqî Ad-Dîn Ahmad Ibn Taymiyah.
Sources : le site des Instituts azharites, le site de l’Université Islamique de Médine, Almeshkat.net, Fustat.com et Sadazaid.com.
[1] Conférer à cet effet l’article de Sheikh Yûsuf Ad-Dijwî, « Critique de la subdivision du tawhîd en ulûhiyyah et en rubûbiyyah ».
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