mercredi 18 mai 2005
Je suis étudiant et je vis à la charge de mes parents, lesquels m’ordonnent de me raser et de ne pas laisser pousser ma barbe. Je souhaiterais avoir le point de vue de l’Islam sur le fait de se raser par obéissance à ses parents, alors que je souhaiterais moi-même la laisser pousser pour suivre l’exemple du Prophète — paix et bénédictions sur lui.
La tradition du Prophète — paix et bénédictions sur lui — consiste à laisser pousser sa barbe et à ne pas la raser ; il la taillait, la réduisait à ses extrémités et en sa partie supérieure, de façon à lui donner une apparence harmonieuse avec les traits du visage et l’allure générale. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — soignait sa barbe en la lavant à l’eau et en la peignant, tradition que les Compagnons — qu’Allâh les agrée — perpétuèrent après lui.
Plusieurs hadîths incitent à laisser pousser sa barbe et à en prendre soin, à l’instar des hadîths qui incitent à l’usage du bâton d’arak, à couper ses ongles et sa moustache. Certains juristes opinent que ces hadîths font état d’un commandement. De nombreux autres affirment qu’il s’agit seulement d’une recommandation dont l’accomplissement appelle une rétribution mais dont l’abandon n’a pas valeur de péché. Il n’existe aucune preuve à l’appui de ceux qui soutiennent le caractère illicite ou détestable du rasage de la barbe, si ce n’est les hadîths ordonnant de laisser pousser la barbe afin de se distinguer des zoroastriens et des polythéistes. L’usage de l’impératif dans les hadîths liés à cette question peut aussi bien signifier l’obligation que la simple recommandation de ce qui est meilleur [1].
L’opinion correcte indiquée par la Pure Sunnah et les règles de bienséance islamique dans leur ensemble stipule que les questions liées à l’habillement, à la nourriture, et à l’apparence des individus ne rentrent pas dans le domaine des actes cultuels (al-ʿibâdât) vis-à-vis desquels le musulman doit s’en tenir à ce que la tradition rapporte de la part du Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — et de ses Compagnons. Au contraire, le musulman doit suivre dans ces affaires-là ce qui est bien reçu dans son milieu et fait partie des coutumes en vigueur, dès lors que cela ne contredit pas un texte ni un jugement légal ne faisant l’objet d’aucune divergence.
Comme précisé ci-dessus, la question de laisser pousser sa barbe ou la raser connaît des divergences sur le sens à donner à l’usage de l’impératif employé dans le hadith.
Vu que l’auteur de la question dit que ses parents lui ordonnent de se raser et de ne pas laisser pousser sa barbe, et qu’il s’interroge sur le caractère illicite de la raser, alors qu’il souhaite lui-même la laisser pousser pour se conformer à la tradition du Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — ;
vu que l’auteur de la question doit choisir entre deux maux, désobéir à ses parents et leur faire de la peine en laissant pousser sa barbe, ou raser sa barbe en contradiction avec la Sunnah ;
vu que la bonne compagnie des parents est clairement établie par la lettre du Coran dans le verset suivant : « Et si tous deux te forcent à M’associer ce dont tu n’as aucune connaissance, alors ne leur obéis pas ; mais accompagne-les ici-bas de manière convenable » [2] ainsi que par d’autres versets coraniques et traditions prophétiques et que cela fait indiscutablement partie des prescriptions à observer — c’est la raison pour laquelle c’est un péché majeur que de faire de la peine aux parents en leur désobéissant, sauf au cas où ils incitent au paganisme ou à tout autre péché majeur du même ordre, et le rasage de la barbe n’est pas un péché majeur — ;
vu que laisser pousser sa barbe ou la raser fait l’objet de divergences entre les savants au plan de la signification de l’impératif rapporté à ce sujet dans la Sunnah, entre ceux qui y voient une obligation et ceux qui y voient une simple recommandation ;
vu tous ces éléments, l’auteur de la question doit s’attacher au commandement univoque figurant dans le Noble Coran, dont la violation équivaut au péché majeur qui consiste à mettre ses parents en colère et leur causer de la peine. Le rasage de la barbe, quant à lui, ne constitue pas un péché certain, vu que laisser pousser sa barbe est une tradition prophétique qui peut être interprétée comme un commandement ou comme une pratique dont l’exécution vaut une rétribution mais dont l’abandon ne vaut pas un péché.
Il ne fait aucun doute que la priorité va à la bonne compagnie des parents, jusqu’à ce que l’auteur de la question puisse les convaincre de sa volonté de porter la barbe pour mieux se conformer à la tradition prophétique afférente, quel que soit le sens qu’on lui donne. D’autre part, à supposer que la bonne compagnie des parents et le port de la barbe aient la même importance au plan de la signification et du statut, l’auteur de la question se trouve confronté à deux maux, à savoir encourir la colère de ses parents et leur causer de la peine en laissant pousser sa barbe — sachant que peiner ses parents est un péché majeur — ou se raser la barbe, ce qui est contraire à la Sunnah. Dans ce cas, les juristes sont d’avis que lorsque deux maux s’opposent, on opte pour le moindre. Az-Zaylâʿî dit dans le chapitre des prérequis de la prière : « Il est dans l’ordre des choses que lorsqu’un individu est éprouvé par deux maux équivalents, il choisisse comme bon lui semble, mais, s’il est face à deux maux de gravité différente, il doit choisir le moindre mal car la perpétration de l’illicite est conditionnée par l’absolue nécessité. » [3] Il ne fait point de doute que le rasage de la barbe est un mal bien moindre que d’encourir la colère des parents et de les peiner en la portant, car on ne peut contrarier les parents en leur désobéissant que dans le cas où ils enjoignent le paganisme ou un péché du même ordre, ce qui n’est pas le cas du rasage de la barbe, tant au plan de la signification que du statut.
Et Allâh — Exalté soit-Il — est le plus Savant.
Traduit de l’arabe de la Banque de Fatwâ d’Al-Azhar, alazhr.org.
[1] Conférer Zâd Al-Muslim fîmâ Ittafaqa ʿalayh Al-Bukhârî wa Muslim et son commentaire Fath Al-Munʿim, volume I, page 178 et 179, à propos du hadîth n°423, éditions Al-Halabî, deuxième édition.
[2] Sourate 31, Luqmân, verset 15.
[3] Al-Ashbâh Wan-Nadhâ'ir d’Ibn Nujaym, règle n° 5 intitulée "le préjudice doit être levé" et ses corollaires.
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