vendredi 10 août 2001
Le rôle d’Al-Azhar n’était pas d’enseigner ou de former des savants et prédicateurs uniquement. Il était au cœur de la société et de la vie des gens. C’était la citadelle de ceux qui fuyaient l’injustice ou la tyrannie. Il punissait les injustes et soutenait la cause des opprimés. Lorsque Murâd Bek, une personnalité éminente parmi les Mamelouks sous le règne des Ottomans, attaqua des foyers égyptiens au Caire en 1785 et leur amputa injustement leur propriété, les opprimés se dirigèrent vers Sheikh Ahmad Ad-Dardîr, qui était l’un des grands savants d’Al-Azhar. Celui-ci se révolta contre cette injustice et commença à mettre en place une rébellion contre cette tyrannie. Ibrahim Bek qui dirigeait le pays avec Murâd Bek eut des échos de la révolte de Sheikh Ahmad. Inquiet de des conséquences de l’action de ce Sheikh, il lui envoya ses excuses et lui promit d’intervenir personnellement et de rectifier dans les meilleurs délais cette erreur.
Dix ans après cet incident, Sheikh ʿAbd Allâh Ash-Sharqâwî, le Grand Imâm d’Al-Azhar, dirigea une révolte pour regagner des droits violés, pour repousser la tyrannie, lorsqu’un groupe de paysans de la ville de Balbîs de la province de la Sharqiyyah lui adressèrent une plainte dénonçant l’injustice de Muhammad Bek Al-Alfî. Cette révolte ne prit fin qu’après la signature d’un traité stipulant l’interdiction de tout impôt n’ayant pas été agréé par les députés du peuple, ainsi que le devoir de recourir à la loi et de respecter le droit pour les personnes influentes.
C’est également Al-Azhar, sous l’Imamat de Sheikh ʿAbd Allâh Ash-Sharqâwî, qui constitua la grande forteresse de la résistance et la lutte contre l’invasion francaise, malgré les tentatives de Bonaparte de séduire les savants d’Al-Azhar.
Plus tard, en 1919, les savants d’Al-Azhar et ses étudiants participèrent à la révolution menée par Ahmad ʿUrâbî. La Mosquée et sa cour étaient devenues un centre de réunion pour préparer la révolution et nombreux étaient les hommes qui moururent en martyr devant les portes d’Al-Azhar.
La mission de ces savants était de porter la science et de la transmettre, mais aussi de guider le peuple, de vivre ses soucis et ses peines, de combattre pour le respect de ses droits et de repousser les injustices lorsque les tyrans abattaient le fouet de l’oppression sur lui.
Sheikh Jâd Al-Haqq était l’un de ces savants qui occupèrent le poste de Grand Imâm d’Al-Azhar. Son Imamat fut marqué par son courage, son intégrité, son scrupule et sa responsabilité, d’autant plus qu’il dirigea Al-Azhar dans des conditions difficiles où les politiques et les lois mettaient du plomb dans les ailes de l’illustre Mosquée-Université, pour annuler son indépendance et réduire son autorité.
Il naquit dans le village de Batrah affilié à Talkhah dans la Province de Daqahliyyah, le jeudi 5 Avril 1917. Il reçut son éducation élémentaire dans l’école coranique de son village où il mémorisa le Noble Coran et apprit l’écriture et la lecture. Puis, il partit à l’Institut Ahmadî à Tantâ - institut Azharite portant le nom de Sidi Ahmad Al-Badawî - où il termina le cycle primaire et débuta le cycle secondaire, qu’il termina à l’Institut Islamique au Caire. Au terme du cycle secondaire, il se dirigea vers la Faculté de la Sharîʿah (Législation Islamique) où il obtint le diplôme d’Al-ʿÂlamiyyah en 1944. Il suivit deux ans de spécialisation qui lui permirent d’accéder aux postes juridiques dans les tribunaux.
Après avoir obtenu son diplôme de spécialisation en 1946, Sheikh Jâd Al-Haqq travailla dans les tribunaux sharʿi (appliquant la législation islamique), puis en 1953, il fut nommé secrétaire de la Fatwa dans la Maison de l’Iftâ Egyptienne. Il retourna aux tribunaux islamiques un an plus tard, puis évolua dans la hiérarchie des tribunaux jusqu’en 1978.
Les tribunaux où il exerça ses fonctions sauvegardèrent dans leurs archives les dossiers qu’il avait traités. Souvent ils renfermaient des études riches relatives à l’application du Droit et des Ijtihâds juridiques pour les questions sans antécédents.
Il fut nommé Mufti d’Égypte en 1978. Il oeuvra pour amplifier les activités du centre de Fatwâ et la préservation de son patrimoine juridique. Il décida de compiler à partir des archives les Fatwas comportant les analyses juridiques les plus importantes et les plus demandées. Il réunit alors ces Fatwas dans une encyclopédie d’une vingtaine de volumes, constituant un précieux patrimoine juridique qui répond à de très nombreuses questions modernes qui préoccupent la communauté musulmane et qui s’appuie sur les fondements de la législation islamique et ses sources. Cette encyclopédie des Fatwas englobe près d’un siècle d’activité du Centre de Fatwa, entre 1895 et 1982. Les volumes 8, 9 et 10 contiennent les Fatwas qu’il a émises en tant que Mufti d’Égypte, et recouvrent près de 1328 Fatwas.
En janvier 1982, Sheikh Jâd Al-Haqq occupa la fonction de Ministre des Donations Islamiques. Il quitta ce poste deux mois plus tard pour devenir, le 17/03/1982, Grand Imâm d’Al-Azhar. C’était le début d’une ère florissante pour Al-Azhar tant sur le plan de l’Université elle-même que sur le rôle d’Al-Azhar et sa mission en tant qu’autorité religieuse et responsable de l’enseignement islamique en Égypte.
L’occupation de divers postes juridiques dans les tribunaux, et ce depuis sa jeunesse, se refléta dans l’Imamat de ce sheikh. C’était un homme imprégné par les études juridiques rigoureuses et objectives, la recherche de la vérité et la justice pour l’intérêt public et privé, loin de la passion et des sentiments excessifs ou déplacés.
Il fut connu pendant son Imamat pour son courage et son intégrité, même si le prix était de contredire les passions des gens ou se heurter à la colère des hommes au pouvoir. Lorsqu’il devint Grand Imâm d’Al-Azhar, il soutint le Jihad Afghan contre l’envahisseur russe et considéra les évènements en Bosnie-Herzégovine comme de nouvelles croisades visant à exterminer des musulmans. Il appela au soutien des musulmans et la défense de leur cause où qu’ils soient. Il rappela cela pour la Tchétchénie et la Palestine.
Il eut une position très claire vis-à-vis de l’amélioration des relations avec Israël. Il s’y opposa fermement, malgré le traité de paix signé entre l’Égypte et Israël et malgré l’orientation politique vers l’amélioration de ces relations. Ainsi, il émit une Fatwa interdisant la visite d’Al-Quds (Jérusalem) jusqu’à ce qu’elle soit libérée et refusa de recevoir la moindre délégation israélienne souhaitant visiter Al-Azhar, en dépit du mécontentement éventuel de certains hommes politiques.
Sheikh Jâd Al-Haqq dépensa beaucoup d’énergie pour répandre l’enseignement d’Al-Azhar en construisant de nouveaux Instituts islamiques qui lui sont affiliés dans tout le territoire. La renommée du Sheikh et la confiance que les gens lui accordaient expliquent les nombreuses donations et actions financières faites pour soutenir ces projets et les mener à bien. Ainsi, l’Égypte compta sous son Imamat cinq mille Instituts Islamiques affiliés à Al-Azhar. Il fonda par ailleurs un certain nombre de facultés azharites dans les grandes villes et provinces égyptiennes.
Aussi, pour faciliter aux gens l’apprentissage des jugements légaux qui touchent leur vie au quotidien, il étendit l’action du Centre de Fatwa d’Al-Azhar au Caire en fondant vingt cinq centres de Fatwas locaux, dans les provinces qui accueillent un Institut ahzarite. Il sélectionna les plus brillants des savants et les mieux à même de délivrer les Fatwas pour travailler dans ces centres soutenus par les ouvrages et les références nécessaires.
Sheikh Jâd Al-Haqq laissa de nombreux ouvrages, les plus importants étant :
Ses livres révèlent sa méthodologie dans l’approche juridique. Pour une question donnée, il commence par les définitions linguistiques, puis le sens juridique, puis il poursuit avec l’exposition des jugements légaux selon les quatre Écoles de Jurisprudence prévalentes ainsi que les autres opinions solides et étayées, puis il précise à la fin l’opinion qui lui paraît la plus juste et celle qui, selon lui, réalise au mieux les finalités voulues par Le Législateur Le Très Sage.
Sheikh Jâd Al-Haqq était un homme de science doté d’un savoir abondant, d’un esprit intelligent et vif, et d’une opinion posée et pertinente. Il réussit à sélectionner un ensemble de savants d’Al-Azhar qu’il employa au service de l’islam et sa défense contre les attaques des calomniateurs et des malintentionnés.
Le monde musulman reconnut le rang de ce savant et lui décerna quelques prix en guise de reconnaissance pour ses efforts. Dans la remémoration et la célébration du millénaire d’Al-Azhar, en 1983, on lui décerna Wishâh An-Nîl (l’Écharpe du Nil) - le prix le plus élevé accordé en Égypte. Le Maroc lui donna également la médaille de « La Compétence Intellectuelle et Scientifique » avec excellence. En 1995, il obtint le prix mondial du Roi Faysal pour les services rendus à l’islam.
Après une longue vie au service de l’Islam, Sheikh Jâd Al-Haqq ʿAli Jâd Al-Haqq, décéda suite à une crise cardiaque, le vendredi 15 mars 1996, à l’âge de 79 ans. Qu’Allâh lui fasse miséricorde et qu’Il le récompense généreusement.
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