jeudi 30 janvier 2003
Certains Musulmans s’efforcent d’accomplir le pèlerinage majeur (hajj) chaque année. Certains vont même jusqu’à accomplir le pèlerinage mineur (ʿumrah) à chaque Ramadân. Or, on sait que l’affluence au pèlerinage aujourd’hui est devenue tellement grande que certaines personnes en meurent, en particulier lors de la circumambulation (tawâf) autour de la Kaʿbah, de la course (saʿy) entre les collines de Safâ et de Marwâ et du jet de cailloux (ramy al-jimâr).
N’est-il dès lors pas meilleur pour ces personnes qui se rendent là-bas tous les ans de dépenser l’argent de leurs pèlerinages répétitifs et surérogatoires dans le soutien des pauvres et des indigents, ou dans des œuvres caritatives, ou encore dans des associations islamiques, dont l’activité est souvent réduite faute de ressources et de moyens humains ? Cela est-il possible ou bien est-ce que les dépenses d’argent pour les pèlerinages répétitifs sont préférables aux aumônes et aux dépenses dans le Sentier de Dieu et pour le secours porté à l’Islam et aux Musulmans ?
J’aimerais une explication à la lumière des arguments juridiques. Merci.
Louanges à Dieu et paix et bénédiction sur le Messager de Dieu.
Il faut savoir que l’accomplissement des obligations religieuses est la première chose qui incombe au Musulman responsable, surtout s’il s’agit des piliers de la religion. Par ailleurs, la surérogation par des œuvres pies est une chose que Dieu apprécie et qui permet de se rapprocher se Son Agrément. Al-Bukhârî rapporte le hadith transcendant (hadîth qudusî) [1] suivant : « Mon Serviteur ne cessera de se rapprocher de Moi en exécutant ce que Je lui ai ordonné, et il ne cessera de se rapprocher de Moi par des surérogations jusqu’à ce que Je l’aime. Et si Je l’aime, Je deviens l’ouïe par laquelle il entend et la vue par laquelle il voit [...] »
Nous devons néanmoins expliciter les règles juridiques suivantes.
En conséquence, tous ceux qui accomplissent des pèlerinages surérogatoires mais négligent le paiement obligatoire de l’aumône légale purificatrice (zakâh), que ce soit la totalité ou une partie de la somme, voient leurs pèlerinages refusés. Il est en effet plus important de purifier son argent par le paiement de l’aumône légale que de le dépenser dans le pèlerinage surérogatoire.
Il en est de même pour ceux qui croulent sous des dettes, comme les commerçants par exemple, ou de ceux qui achètent une marchandise avec paiement à durée déterminée et ne paient pas la somme convenue à l’échéance de la dette, ou encore de ceux qui font un emprunt et qui ne le remboursent pas. Il est défendu pour une telle personne d’accomplir un pèlerinage surérogatoire avant de s’être débarrassée de toutes ses dettes.
L’affluence excessive entraîne des difficultés sans fin, comme la propagation des maladies ou la mort de personnes piétinées par les autres pèlerins. Ces personnes meurent soit parce qu’elles perdent connaissance, soit parce qu’elles ne parviennent pas à se dégager. Dans ce contexte, il devient impératif pour les pèlerins partis sur la base du volontariat de s’abstenir de se rendre au pèlerinage, afin de diminuer cette affluence autant que faire se peut. Le premier pas à faire pour réduire cette affluence est donc l’abstention de ceux qui ont déjà effectué le pèlerinage à maintes reprises, afin qu’ils laissent leur place à autrui, parmi ceux qui n’ont pas encore effectué leur pèlerinage obligatoire.
L’Imâm Al-Ghazâlî mentionne parmi les règles que le pèlerin doit observer : « Qu’il ne vienne pas en aide aux ennemis de Dieu — Exalté soit-Il — en leur payant le mikass (impôt prélevé injustement). Ces ennemis de Dieu sont les gouverneurs de la Mecque, obstruant le chemin menant à la Mosquée Sacrée [2], ainsi que les Bédouins pratiquant le grand banditisme. Le pèlerin qui leur payerait la somme qu’ils réclament leur viendrait de fait en aide dans leur injustice et leur faciliterait les voies de celle-ci. L’aide financière qu’il leur apporterait serait similaire à une aide personnelle. Il doit donc trouver une ruse pour leur échapper. S’il n’y parvient pas, alors dans ce cas, certains savants sont d’avis — et cet avis semble correct — que le pèlerin doit abandonner son pèlerinage surérogatoire. Faire demi-tour lui est préférable que d’aider les injustes.
Et qu’on ne dise pas qu’on a été contraint de payer l’impôt qu’ils réclament. Car s’il demeure chez lui ou s’il fait demi-tour, ils ne lui prendront rien du tout. S’il paye, c’est que c’est lui qui a fait en sorte d’être contraint à payer. » (conférer Al-Ihyâ’, section 1, page 236, édition Al-Halabî ; conférer également notre livre Al-ʿIbâdah fî Al-Islâm (L’Adoration en Islam), pages 324 et suivantes, deuxième et troisième éditions).
L’argument que nous tirons de cet extrait est que le pèlerinage surérogatoire n’est ni louable ni légitime, s’il mène à la transgression d’interdits, ou à une aide à cette transgression, même si cette aide est indirecte. Il est dès lors préférable pour le Musulman qui recherche l’Agrément de son Seigneur d’abandonner un tel pèlerinage. Voilà la jurisprudence éclairée.
Si l’intérêt de certains individus se trouve dans le fait d’accomplir de manière répétée des pèlerinages surérogatoires et que cela constitue un tort à l’encontre de milliers, voire de centaines de milliers de pèlerins, qui subissent ainsi des dommages dans leurs âmes et dans leurs corps — les pèlerins en situation de surérogation n’étant eux-mêmes pas épargnés par ces dommages -, alors il devient obligatoire de se prémunir contre un tel tort en repoussant sa cause, c’est-à-dire cette affluence excessive.
Ainsi, si le pèlerinage surérogatoire occasionne du tort ou des dommages à d’autres Musulmans, alors il faut savoir que Dieu a montré d’autres voies au Musulman, par lesquelles ce dernier peut se rapprocher de Dieu sans causer du tort à autrui.
– Il y a ainsi la charité pour les pauvres et les nécessiteux. Cela est d’autant plus valable avec les proches parents. Le hadith dit en effet : « La charité faite à un pauvre est considérée comme une charité. Faite à un proche parent, elle est considérée comme une double charité : une charité et un entretien des liens de parenté. » (rapporté par Ahmad, At-Tirmidhî, An-Nasâ’î, Ibn Mâjah et Al-Hâkim d’après Salmân Ibn ʿÂmir As-Sayfî, avec une chaîne de narration authentique). Il se peut même que l’entretien financier de ses proches parents devienne obligatoire pour le Musulman, s’il vit dans l’aisance alors qu’eux vivent dans la gêne.
– Il en est de même avec les pauvres parmi les voisins. A ces derniers revient en effet le droit du bon voisinage, après le droit que leur confère leur qualité de Musulmans. L’aide qui doit leur être fournie peut là aussi atteindre le degré de l’obligation. Celui qui n’observe pas cette obligation aura commis un péché. Le hadith dit en effet : « N’est pas Croyant celui qui passe la nuit le ventre plein alors que son voisin, à côté de lui, a le ventre vide. » (rapporté par At-Tabarânî et Abû Yaʿlâ, d’après Ibn ʿAbbâs ; rapporté également par Al-Hâkim d’après ʿÂ’ishah et par At-Tabarânî et Al-Bazâr d’après Anas, avec quelques différences de tournure).
– Il y a aussi les dépenses pour les associations religieuses, les centres islamiques, les écoles coraniques, les fondations socio-culturelles s’appuyant sur l’Islam. Toutes ces associations pataugent dans une confusion générale, faute de moyens financiers et humains. À l’inverse, les fondations évangélistes trouvent des fonds se comptant par centaines de millions de dollars, de livres ou de toute autre devise. Ces fonds leur sont collectés pour qu’elles réussissent dans leur travail de parasitage de l’Islam, de déchirement de l’unité des Musulmans, et dans leur tentative d’extirper le Musulman de l’Islam, voire de le convertir au Christianisme. L’important est d’ébranler sa foi même s’il demeure sans religion.
L’échec d’un grand nombre de projets islamiques n’est pas dû à l’insuffisance des ressources musulmanes. Car il existe certaines régions du monde musulman qui figurent parmi les pays les plus riches du monde. Cet échec n’est pas dû non plus à une faible proportion de Musulmans désireux d’accomplir le bien. Mais le fait est qu’un grand nombre de dons et de dépenses ne sont pas placées à bon escient.
Si ces centaines de milliers de personnes qui partent en pèlerinage surérogatoire amassaient l’argent qu’ils dépensent au pèlerinage, pour mettre sur pied des projets islamiques ou pour aider les projets déjà existants, si tout cela était organisé convenablement, les fruits de ces efforts retomberaient incontestablement sur l’ensemble des Musulmans. Les prédicateurs dévoués trouveraient alors une aide précieuse pour résister face à ces courants évangélistes, communistes, laïques et autres courants collaborant avec l’Occident ou l’Orient. Tous ces courants divergent bel et bien entre eux, mais tous sont en accord pour faire face au courant islamique authentique, essayant de faire obstacle à son avancement et essayant de déchirer la Communauté islamique par tous les moyens.
C’est ce que je conseille aux frères pratiquants et dévoués qui s’efforcent de renouveler le pèlerinage chaque année. Je les invite à se contenter des pèlerinages qu’ils ont déjà acquis, et s’ils veulent absolument recommencer, qu’ils le fassent tous les cinq ans. Ainsi, ils en retireront deux avantages grandement rétribués :
Nous devons enfin mentionner que les actions relevant de l’effort de lutte (jihâd) sont meilleures que les actions relevant du pèlerinage. Cette vérité est acquise d’après le Coran lui-même : « Ferez-vous de la charge de donner à boire aux pèlerins et d’entretenir la Mosquée sacrée des devoirs comparables au mérite de celui qui croit en Dieu et au Jour dernier et lutte dans le sentier de Dieu ? Ils ne sont pas égaux auprès de Dieu et Dieu ne guide pas les gens injustes. Ceux qui ont cru, qui ont émigré et qui ont lutté par leurs biens et leurs personnes dans le sentier de Dieu, ont les plus hauts rangs auprès de Dieu... et ce sont eux les victorieux. » (sourate 9 intitulée le Repentir, At-Tawbah, versets 19 et 20).
Et Dieu est le plus Savant.
Traduit de l’arabe à partir de la Banque de Fatâwâ du site Islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.
[1] Un hadith transcendant est un hadith dans lequel le Prophète rapporte les paroles de Dieu. Ces paroles sont néanmoins à distinguer du Coran.
[2] La Mosquée Sacrée est la mosquée de la Mecque.
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