lundi 14 novembre 2005
Ce texte reprend le script du discours donné par Sheikh Ahmad Kuftârû lors de la 5ème conférence du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques, tenue au Caire, en Égypte, du 19 au 21 janvier 1993, sur le thème : « Les conflits idéologiques et leur influence sur la stabilité de la communauté musulmane et sur son avenir ».
Au Nom de Dieu le Clément le Miséricordieux.
Louanges à Dieu, le Seigneur des mondes et que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur notre maître et notre guide Muhammad, le Prophète de la miséricorde et le Bien-Aimé de Dieu, ainsi que sur sa famille et tous ses Compagnons.
Vos excellences, nous sommes réunis ici pour examiner l’un des problèmes contemporains les plus importants du monde musulman, à savoir l’extrémisme religieux qui est devenu une réalité que nul ne peut ignorer, ni passer outre.
D’abord, nous devons préciser ce que nous entendons par « extrémisme religieux ».
Il est de coutume en Occident de qualifier de fondamentalisme tout courant rigoriste qui n’accepte pas le dialogue et dont les adeptes luttent pour que les gens réadoptent une idéologie, un mode de vie et une conception, que l’on tenait à une époque donnée pour une fidélité aux conditions de vie et aux valeurs ancestrales. Cette définition du fondamentalisme semble exacte quand l’Occident l’emploie pour désigner le fondamentalisme évangélique, hindou, communiste et juif. Toutefois, cette définition cesse d’être exacte lorsqu’on qualifie de « fondamentalistes musulmans » les groupes extrémistes religieux qui portent sur le monde entier le même regard que les Kharijites [1] sur la majorité des musulmans qu’ils considéraient comme le combustible de l’enfer, niant le caractère sacré de leurs sangs, de leurs biens et de leur honneur. L’association ainsi faite entre le fondamentalisme et les fondements de la législation islamique est vaseuse et inconsistante car elle ne prend pas en considération l’une des caractéristiques les plus importantes de cette législation munificente, à savoir sa flexibilité et son évolutivité sous l’égide des valeurs divines stables. C’est grâce à cette caractéristique précisément que la législation islamique a pu, de façon réaliste et évidente, convenir à toute époque et à tout lieu.
Cette idée n’a pas échappé aux penseurs musulmans, et j’aimerais, en passant, citer le propos de Monsieur le Président Hafez Al-Assad en réponse à une question du correspondant de l’un des journaux américains sur le problème des fondamentalistes, le Président a répondu : « Nous n’avons aucun problème avec le fondamanetalisme musulman, mais plutôt avec les non fondamentalistes. Car ceux qui se réfèrent aux fondements de l’islam sont conscients qu’il prêche la tolérance, l’amour et le bien. Ils apprécient sa flexibilité, son développement. Par conséquent, il est absolument impossible qu’ils constituent un fardeau pour n’importe quel pays musulman. »
Chers frères, je m’excuse de cette digression ; le comité organisateur m’a demandé de parler du moyen de résoudre le problème du fondamentalisme, mais il était indispensable d’élaircir ce point de terminologie.
Chers frères, je considère le phénomène de l’éveil islamique comme une véritable bénédiction pour cette communauté, un bien évident et une manne bénie qui mériterait que les croyants louent amplement le Seigneur — Exalté soit-Il —. Mais, l’orientation de cet éveil et sa direction est de la responsabilité des prédicateurs à qui il incombe d’empêcher la politisation de ces nobles sentiments dans des voies destructrices qui font plus de tort à l’islam que de bien et qui portent gravement préjudice aux musulmans et leur nuisent.
Chers frères, le phénomène de l’extrémisme — dont les dangers et les conséquences néfastes ont été explicités avec brio par les conférenciers qui m’ont précédé — ne peut être battu en brèche qu’à condition d’en connaître les causes et les motifs.
Je pense, pour ma part, que l’origine de l’extrémisme religieux se rapporte à cinq facteurs principaux :
La position de nombreux pays musulmans vis-à-vis du phénomène de débauche et de licence morale est déconcertant. En fait, il est des pays qui ne prennent aucune mesure contre la propagation de la prostitution et du vice, ni contre la dislocation de la famille et l’ébranlement des relations sociales. Ces pays ne prennent pas les mesures requises contre la propagation de l’alcool et des drogues, etc.
Les médias assument la plus grande responsabilité dans ce phénomène, étant donné que les médias, en pénètrant dans chaque maison, diffusent le crime, incitent aux vices, exhortent à la dislocation des liens familiaux et présentent toujours les assassins et les criminels comme des héros intrépides. En moyenne, avant ses dix ans, un enfant aura vu de ses propres yeux des dizaines de meurtres ; des centaines d’indices à peine voilés incitant à la prostitution et au vice, des dizaines de séries qui prônent ouvertement le renoncement à l’éducation islamique qui contrarierait les aspirations modernistes de la nouvelle génération, sans parler de la corruption due aux cassettes vidéo qui ne sont soumises à aucune surveillance des organes médiatiques.
Nous possédons des centaines d’indices et de preuves sur ces faits qui contribuent à diviser la société en deux pôles, ô combien ! distants : soit une débauche et une dépravation totales, ainsi qu’une dépendance aveugle à tout courant contraire aux vertus, soit une grande colère globale et une absence totale de la confiance supposée lier les peuples musulmans et leurs gouvernements et dirigeants nationaux sur tous les niveaux : politique, social et religieux. Ainsi, la société devient-elle victime des convoitises des opportunistes qui savent instrumentaliser cette colère. En fait, peu de gens sont capables de se positionner de manière équilibrée entre ces réalités très contrastées.
Donc, l’extrémisme non religieux joue un rôle primordial dans la naisssance de l’extrémisme religieux. Nous ne saurions orienter l’éveil islamique béni sans lutter avec sagesse contre le phénomène de débauche et de licence morale et sans que les vertus et les valeurs morales ne retrouvent leur juste place dans la législation, auprès des appareils du pouvoir et des médias de masse et ce, sur la foi de la Parole de Dieu — Exalté soit-Il — : « Allâh ne change point l’état d’un peuple, tant que (ses membres) ne changent pas ce qui est en eux-mêmes. » [2]
Au début de ce siècle, est né dans le monde musulman le courant occidentaliste qui vise à imiter l’Occident dans ses différentes activités, avec la conviction que les traditions occidentales sont l’un des facteurs clés de la supériorité civilisationnelle de l’Occident, et que cela constitue une loi universelle manifeste. Ce phénomène a trouvé un écho dans la majorité des universités et des établissements scolaires et était sans cesse entretenu par les centres d’enseignement privé des organismes d’évangélisation. En résumé, les partisans de ce courant prêchaient la nécessité d’imiter l’Europe tant dans ses régimes, que dans ses priorités et ses coutumes relatives à l’habillement, au logement, à l’alimentation, etc. Ceux-ci ne se sont pas rendu compte que les lois de la vie dépendent de la situation de chaque nation, de son héritage et de son histoire. Mais, très vite, les chantres de ce mouvement n’ont reçu que les miettes des banquets de l’Occident, se trouvant plus dociles que les orphelins à la table des malins. Il s’est avéré que la civilisation européenne, fondée avant tout sur le principe de l’intérêt, ne reconnaît la souffrance des nations que dans la mesure où cela réalise ses propres intérêts. Ainsi, une fois de plus, voyons-nous les communautés musulmanes divisées en deux parties opposées et distantes :
La marginalisation et l’occultation de la législation islamique et du glorieux héritage islamique vivant par de nombreux régimes ont donné naissance à un courant considérant tous les régimes arabes et musulmans comme des régimes athées et mécréants et faisant de la lutte contre ces derniers une partie du jihâd que Dieu a prescrit à cette communauté.
Il faut donc que la législation islamique retrouve sa place dans tous les domaines de la vie, d’autant que personne parmi nous n’ignore que cette législation munificente est capable de s’adapter au développement à toute époque et en tout lieu. Dieu — Exalté soit-Il — dit : « [Voici] un Livre béni que Nous avons fait descendre vers toi, afin qu’ils méditent sur ses versets et que les doués d’intelligence réfléchissent ! » [3]
Dans leur discours sur la crise de l’extrémisme religieux au Moyen-Orient, les médias de masse mondiaux font mine d’oublier que l’extrémisme sioniste qui exerce les formes les plus horribles de violence et de persécution contre les Palestiniens — défiant ainsi les normes et les décisions internationales sans jamais perdre sa position d’enfant gâté de l’Occident — est le facteur le plus important dans la naissance dudit fondamentalisme musulman. En outre, nous continuons à voir le Conseil de Sécurité des Nations Unies se contenter d’être au rang des spectateurs devant la souffrance des musulmans du monde, notamment en Palestine, en Bosnie-Herzégovine, etc. sans jamais adopter une position ferme contre l’extrémisme anti-musulman qui pratique les pires formes de tyrannie. Alors que nous sommes réunis ici au Caire, plus de quatre cents Palestiniens sont sur le point de se transformer en cadavres sous des couches épaisses de neige au Sud du Liban à Marj Az-Zuhûr ; pour sa part, le Conseil de Sécurité se contente de souhaiter timidement qu’Israël mette fin à ce problème, sans se donner la peine de décider la moindre sanction, économique ou autre, contre Israël.
J’ai entendu de mes propres oreilles Marguerite Thatcher, l’ex-premier ministre Britannique, dire ouvertement sur les ondes de la BBC que : « La civilisation occidentale avait deux ennemis principaux ; le premier était le communisme que l’on a pu vaincre sans effusion de sang et, désormais, il ne reste plus qu’un seul ennemi de l’Occident, l’islam. » Telle est la raison fondamentale de la naissance de l’extrémisme religieux.
C’est là que nous nous trouvons face à notre responsabilité en tant qu’hommes de religion et leaders musulmans. Les quatre facteurs évoqués précédemment sont du ressort des hommes politiques et des professionels des médias, tandis que la mauvaise orientation est de notre responsabilité directe, nous les dignitaires religieux.
Les programmes de l’enseignement et de l’éducation islamique en général ont besoin d’être réformés. En effet, les conditions dans lesquelles certaines fatwas ont été édictées à une certaine époque, leurs cadres et leurs motifs ont complètement changé ; il faut donc les réexaminer lucidement et en extraire le sens à la lumière des nouvelles conditions et dans le cadre tracé par le Livre et par la Sunnah. En outre, diplômer des générations d’étudiants en sciences islamiques, introvertis et inconscients de l’évolution de l’histoire et déconnectés du monde où ils vivent est un effort mal placé que l’on doit rectifier afin qu’il converge avec le regard que porte l’islam sur l’univers et sur la vie, et qu’il soit conforme aux finalités de la législation munificente qui vise à bâtir une communauté glorieuse et un monde où règnent la fraternité et l’amour sous l’égide du Livre d’Allâh et de la tradition de Son auguste Messager.
Les leaders musulmans ont réussi à surmonter le phénomène du sectarisme juridique qui constituait, il y a peu, l’un des problèmes islamiques les plus sensibles. Aujourd’hui, les dirigeants des mouvements islamiques dans le monde entier sont priés de résoudre le problème des divergences confessionnelles sur la base du dialogue, de la compréhension mutuelle et de la coopération, non pas sur la base de la haine, de l’animosité et de la contrainte.
La situation islamique que traverse l’Afghanistan aujourd’hui ne plaît à personne et le monde musulman a été choqué de voir les canons qui servaient jadis à combattre la tyrannie rouge se transformer absurdement en un moyen de liquider des différends politiques et jurisprudentiels qui devraient être réglés par le dialogue basé sur l’amour. Ce qui s’est passé en Afghanistan et avant cela au Liban, puis aujourd’hui en Algérie pourrait demain se répéter dans de nombreuses capitales islamiques, si les prédicateurs et les responsables n’accomplissent pas leur devoir en matière de réforme de l’enseignement, d’orientation religieuse et la mise en exergue du dialogue et du vivre-ensemble dans toute culture que reçoit l’étudiant.
Le Prophète Muhammad — paix et bénédictions sur lui — a commencé à prêcher son Message à Médine alors qu’elle était formée de communautés disparates. Pendant la bataille de Uhud, le tiers de l’armée médinoise a battu en retraite et le Prophète s’est rendu compte que le tiers des gens étaient des hypocrites. Malgré le grand nombre d’hypocrites et la multitude de leurs crimes et de leurs infamies, on n’a jamais entendu que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — a ordonné l’effusion du sang de quiconque. À force de patience, d’indulgence, de tolérance et d’éducation, Médine s’est soumise à lui. « C’est par quelque miséricorde de la part d’Allâh que tu as été si doux envers eux ! Mais si tu étais rude, au cœur dur, ils se seraient enfuis de ton entourage. Pardonne-leur donc, et implore pour eux le pardon. Et consulte-les.” [4]
De même, l’histoire a enregistré une attitude compréhensive, une coopération et une ouverture du Prophète — paix et bénédictions sur lui — à l’égard du roi éthiopien le Négus bien que celui-ci n’ait ni prié, ni jeûné, ni émigré auprès du Messager de Dieu. Dieu — Exalté soit-Il — dit : « Quant à ceux qui ont cru et n’ont pas émigré, vous ne serez pas liés à eux, jusqu’à ce qu’ils émigrent. ». [5]. D’ailleurs, dans son Sahih, l’Imâm Al-Bukhârî a rapporté que le jour où le Négus a décédé, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — a dirigé les musulmans dans la prière funèbre offerte en sa faveur. En outre, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — traitait cordialement et avec compassion les chrétiens de Najrân malgré leur christianisme, ainsi qu’Al-Moqawqis le roi d’Égypte alors qu’il était copte. D’ailleurs, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — est décédé en laissant son bouclier en hypothèque chez un juif. La méthode calamiteuse consistant à soumettre les gens par la force et à censurer leurs idées et leurs opinions par la violence n’a jamais fait partie de la méthodologie du Prophète. Il a vécu et est mort couronné de l’honneur de la parole de Dieu — Exalté soit-Il — : « Et Nous ne t’avons envoyé qu’en guise de miséricorde pour l’univers. » [6]
Chers frères, nous devons tous, chefs d’État et populations, suivre l’éducation du Coran et de la Sunnah ainsi que leur méthodologie céleste pour préparer des générations de prédicateurs de manière à révéler ce que ces sources recèlent comme amour, bonté, tolérance, lumière, fraternité et compassion. Je suis confiant en l’avenir. Le monde entier n’a jamais été aussi prêt à admettre le Message de Dieu, surtout après que les idéologies athées se sont écroulées dans le monde entier, laissant l’homme libre de chercher son identité parmi un tas de croyances incohérentes. Le monde entier a acquis la certitude que les anciens symboles de l’athéisme n’étaient que de fausses divinités, et est en bonne route vers « lâ ilâha illâ Allâh » (« il n’y a de divinité sauf Allâh »). Le monde entier est sur le point d’entendre la deuxième partie de la profession de foi : « Muhammad est le Messager de Dieu ». Dieu — Exalté soit-Il — dit : « Nous leur montrerons Nos signes dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne manifeste que cela est la Vérité. » [7] De même, Il dit : « Et dis : “Œuvrez, car Allâh verra votre œuvre, de même que Son messager et les croyants, et vous serez ramenés vers Celui Qui connaît l’invisible et le visible. Alors Il vous informera de ce que vous faisiez. » [8]
Et louanges à Dieu, le Seigneur des mondes.
Traduit de l’arabe du site kuftaro.org.
[1] Les kharijites sont les adeptes d’une « secte dissidente de l’islam qui, à l’origine, regroupait les adeptes de ʿAlî - que Dieu l’agrée - devenus ses adversaires quand Muʿâwiyah le déposa. » D’après le Dictionnaire Universel, Hachette, 1995. NdT.
[2] Sourate 13, Ar-Raʿd, Le Tonnerre, verset 11.
[3] Sourate 38, Sâd, verset 29.
[4] Sourate 3, Âl ʿImrân, La famille d’Amram, verset 159.
[5] Sourate 8, Al-Anfâl, Le butin, verset 72.
[6] Sourate 21, Al-Anbiyâ’, Les Prophètes, verset 107.
[7] Sourate 41, Fussilat, verset 53.
[8] Sourate 9, At-Tawbah, Le repentir, verset 105.
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