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Les non-musulmans dans la société islamique
Section : Les devoirs des dhimmis

La capitation et l’impôt foncier

lundi 28 avril 2003

Nous avons cité plus haut les droits des citoyens non-musulmans dans la société musulmane et les garanties de leur respect. Mais quels sont les devoirs auxquels l’islam engage les non-musulmans en contrepartie des droits dont ils jouissent ? En effet, il est convenu qu’à tout droit dont on jouit, il faut s’engager à un devoir.

Les devoirs des dhimmis se limitent à :

- s’aquitter des devoirs financiers que sont la jizyah [1], le kharâj [2] et l’impôt commercial ;

- respecter les dispositions de la loi islamique dans leurs rapports civils ;

- respecter les pratiques cultuelles des musulmans et leurs sentiments.

La jizyah est un impôt annuel sur les personnes. Il s’agit d’une petite somme d’argent que les riches doivent payer, chacun selon sa fortune. Quant aux pauvres, ils en sont complètement exemptés. Le Très-Haut dit : "Allâh n’impose à personne que selon ce qu’Il lui a donné, et Allah fera succéder l’aisance à la gêne." (Sourate 65, At-Talâq, le Divorce, verset 7)

La jizyah n’a pas de montant fixe, mais c’est le dirigeant du pays qui doit prendre en considération les capacités de ceux qui s’en acquittent et éviter de les accabler. Il doit également veiller à l’interêt public de la nation. Ainsi, ʿUmar a-t-il fait payer 48 dirhams aux riches, 24 aux aisés et 12 à la classe la moins riche. Ce système a dévancé le concept fiscal moderne qui confirme le principe de la disparité des impôts selon la capacité de paiement. Il n’y a aucune contradiction entre l’attitude de ʿUmar et ce que le Prophète - paix et bénédiction d’Allah sur lui - dit à Muʿâdh quand il l’envoya au Yémen : "Prends de chaque homme ayant atteint la puberté un dinar." (hadith rapporté par Ahmad et les auteurs des Sunan et jugé bon par At-Tirmidhî). En effet, le Prophète - paix et bénédiction d’Allah sur lui - prit en considération la pauvreté de la majorité du peuple yéménite à cette époque-là.

La promulgation de la jizyah a pour source dans le Coran la parole du Très-Haut : "Combattez ceux qui ne croient ni en Dieu ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce que Dieu et Son Messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, en toute soumission." [3]. La soumission signifie le fait de se résigner, de rendre les armes et de se soumettre au régime de la nation musulmane.

Dans la Sunnah, le Prophète - que la paix et les salutations soient sur lui - préleva la jizyah des mazdéens du Bahreïn. Il en fut de même pour les Califes Bien-Guidés qui la perçurent des gens du Livre et de ceux qui avaient un statut similaire dans les différents pays conquis. Ce prélevement fut pratiqué de façon permanente et fut établi à l’unanimité.

En ce qui concerne le kharâj, il s’agit d’un impôt foncier sur la terre que les non-musulmans continuent à posséder. C’est également le dirigeant légal qui estime la valeur du kharâj, pouvant par exemple choisir de partager avec eux le tiers ou le quart des récoltes. De même, le dirigeant peut imposer une proportion fixe mesurée ou pesée qui varie avec la rentabilité de la terre, comme ʿUmar le fit en Irak. Le kharâj peut également être acquitté en monnaie courante.

La différence entre la capitation et l’impôt foncier est que la première est omise en cas de conversion à l’islam, contrairement l’impôt financier. En effet, même si le dhimmî se convertit à l’islam, il n’est pas exempté de l’impôt foncier, mais continue à s’en acquitter. Bien plus, par rapport au dhimmi qui conserve sa religion, le converti devient redevable en tant que musulman du dixième ou de la moitié des récoltes de la terre tout en continuant à s’acquitter de l’impôt foncier, et ce conformément aux trois écoles juridiques de l’islam et à la majorité des juristes, hormis Abû Hanifah. Effectivement, le kharâj est assimilable à l’impôt foncier tandis que le dixième est un impôt sur l’exploitation agricole.

Les raisons pour lesquelles la capitation fut imposée aux dhimmis

Les gens superficiels trouvent que l’islam fut injuste en imposant la jizyah aux non-musulmans. Pourtant, s’ils étaient justes et considéraient l’affaire de plus près, ils se rendraient compte que l’islam fut parfaitement juste en prélevant cette modique somme d’argent.

En effet, l’islam impose aux musulmans le service militaire comme une obligation de suffisance communautaire (fard al-kifayâh), ou comme une obligation religieuse individuelle (fard al-ʿayn). Les musulmans sont donc chargés de défendre la nation, ce dont les non-musulmans sont exemptés bien qu’ils vivent sous son égide. Etant donné que la nation musulmane est une nation fondée sur un crédo ou une nation idéologique (selon l’expression contemporaine), c’est-à-dire qu’elle est basée sur un principe ou une idée, alors une telle nation ne peut être défendue que par ceux qui croient en la justesse de ses principes et en la rectitude de son idéal. Il est impensable que quelqu’un soit obligé de risquer sa vie et de braver la mort pour une idée qu’il juge fausse ou une religion à laquelle il ne croit pas. Par ailleurs, la religion de ces non-musulmans peut leur interdire de défendre une autre religion et de combattre en sa faveur. C’est pourquoi l’islam a limité le devoir de la lutte armée (jihâd) aux seuls musulmans, car il constitue une obligation religieuse sacrée et un culte qui permet au musulman de se rapprocher de Dieu, et ce à un tel point que celui qui lutte pour l’Islam est mieux récompensé que le dévot abstinent qui jeûne le jour et qui prie la nuit. C’est pour cette raison que les juristes ont stipulé que la lutte dans le Sentier de Dieu est le meilleur culte par lequel le musulman se rapproche de Dieu.

Mais l’islam impose à ces citoyens non-musulmans de contribuer aux frais de la défense et de la protection de la patrie en leur faisant payer la jizyah, comme on l’appelle dans la terminologie islamique. Outre que la jizyah est considérée comme un symbole de soumission au régime musulman, elle est en réalité une substitution financière au service militaire obligatoire pour les musulmans.

Par conséquent, l’islam a imposé la jizyah à tout homme apte à porter les armes. Il fait ainsi exception des femmes et des enfants qui ne peuvent pas combattre. ʿUmar dit en désignant la jizyah : "Ne l’imposez ni aux femmes, ni aux enfants". C’est pourquoi, selon les juristes, si la femme paie la jizyah pour être admise en terre d’islam (dâr al-islâm), elle doit être accueillie en terriroire musulman et on doit lui rendre la somme qu’elle a payée, puisque cette somme a été perçue sans aucun droit. Si elle en fait toutefois don tout en sachant qu’elle n’est pas tenue de payer la jizyah, on l’accepte en tant que don. Au même titre que la femme et l’enfant, le vieillard, l’aveugle, l’infirme, l’invalide et toute personne incapable de porter une arme ne paient pas la jizyah. De même, les musulmans ont décidé avec indulgence de dispenser de la jizyah le moine qui se consacre au culte dans son couvent car il n’est pas de ceux qui font la guerre. [4].

Selon le chroniqueur occidental Adam Metz : "Les dhimmis qui jouissaient de la tolérance des musulmans et de leur protection payaient la jizyah, chacun selon sa capacité. Cette jizyah ressemblait à l’impôt de défense nationale. En conséquence, elle n’était payée que par l’homme capable de porter une arme. Les infirmes, les moines et les ermites en étaient exemptés sauf s’ils étaient fortunés." [5].

D’ailleurs, il existe un autre motif pour lequel la jizyah fut imposée aux dhimmis, à savoir le motif qui pousse n’importe quel gouvernement de n’importe quelle époque à imposer des impôts à ses ressortissants : leur participation aux charges des services publics dont tout le monde jouit tels que la justice, la police, la reconstruction des routes, l’installation des ponts et tout ce qui assure une vie digne à chaque individu, qu’il soit musulman ou non-musulman. Les musulmans contribuent à toutes ces charges en payant la zakât sur leur fortune, leur commerce, leurs bestiaux, leurs produits agricoles et leurs récoltes, en plus de l’aumône de fin du jeûne (zakât Al-Fitr) etc. Il n’est donc pas étonnant de demander aux non-musulmans d’y contribuer par cette petite somme d’argent : la jizyah.

Par conséquent, les livres des juristes malékites classent les prescriptions relatives à la jizyah payée par les dhimmis dans le même chapitre traitant des prescriptions de la zakât payée par les musulmans. [6]

Les cas d’exemption de la jizyah

Comme nous l’avons cité, la jizyah est, en premier lieu, payée en contrepartie de la protection militaire offerte par la nation musulmane aux dhimmis. Alors, si la nation ne peut pas assumer cette protection, elle n’a pas droit à cette jizyah ou à cet impôt. C’est ce que Abû ʿUbaydah fit quand ses agents du Shâm (i.e. La Grande Syrie) l’informèrent que les légions des Romains se rassemblaient. Il leur donna l’ordre de rendre la jizyah à ceux qui l’avaient payée et de leur déclarer : "Nous vous rendons votre argent car nous avons appris que des légions se rassemblaient pour nous assaillir ; et vous avez stipulé que nous vous protégions. Etant dans l’incapacité de vous protéger, nous vous rendons ce que nous vous avons prélevé, tout en nous engageant aux conditions du pacte que nous avions signé avec vous si nous triomphons". (Rapporté par Abû Yûsuf dans Al-Kharâj). De même, dans plusieurs pactes ratifiés par les chefs musulmans - comme Khâlid et d’autres - en faveur des gens de la dhimmah, on peut lire ce texte : "Si nous vous protégeons, nous méritons la jizyah ; sinon ne la payez pas jusqu’à ce que nous vous protégions". (Rapporté par At-Tabarî dans ses Chroniques).

Par ailleurs, les gens de la dhimmah ne doivent pas s’acquitter de la jizyah s’ils participent avec les musulmans à la lutte armée pour défendre la terre de l’islam contre ses ennemis. C’est ce qui a été explicitement cité dans les traités et les pactes conclus entre les musulmans et les gens de la dhimmah à l’époque de ʿUmar - que Dieu l’agrée. [7]

En ce qui concerne la manière et la période de perception de la jizyah, les auteurs d’Al-Islâm wa Ahl Adh-Dhimmah, en référence aux sources les plus authentiques, ont cité : "La jizyah était perçue une fois par annnée lunaire." [8] Il était permis que la jizyah soit reglée en numéraire ou en nature. Mais, il était interdit de remplacer la jizyah par les animaux morts, le porc, ou le vin. ʿUmar Ibn Al-Khattâb donna des ordres pour dégrever les dhimmis : "Dégrevez celui qui ne la supporte pas et aidez celui qui ne peut s’en acquitter car ce n’est pas l’affaire d’un an ou deux." [9] Il arrivait souvent que la nation musulmane reportât le prélèvement de la jizyah jusqu’à ce que les produits agricoles mûrissent et que les dhimmis pussent payer la jizyah sans peine. Abû ʿUbaydah dit : "En remettant le paiement de la jizyah jusqu’à la récolte, nous visons à dégrever les dhimmis." [10]

L’Etat musulman était toujours indulgent et bienveillant dans la perception de la jizyah. L’un des agents de ʿUmar Ibn Al-Khattâb lui présenta les sommes perçues en termes de jizyah ; ʿUmar les trouvant très élevées dit à son agent : "Auriez-vous accablé les gens ?" L’agent répondit : "Non. Par Dieu, nous n’avons perçu la jizyah de la part des dhimmis que de leur plein gré." Umar demanda : "Sans fouet, ni flèche ?" L’agent confirma : "Sans fouet, ni flèche." Umar dit : "Louanges à Dieu Qui n’a pas voulu que ces procédés [11] soient accomplis par moi ou sous mon règne." [12]

P.-S.

Nous nous sommes basés sur la source arabe disponible sur qaradawi.net

Notes

[1La jizyah : la capitation. NdT

[2Le kharâj : l’impôt foncier. NdT

[3Sourate 9 intitulée le Repentir, At-Tawbah, verset 29. Il est bien entendu que ce verset ne s’applique que lorsque les deux parties, l’Etat islamique et la partie adverse, sont déjà en situation de guerre. Il ne saurait donc constituer un appel inconditionnel à la violence. Ce verset a en fait été révélé lors des préparatifs de l’expédition de Tabûk en l’an 9 de l’Hégire que le Prophète allait mener contre Héraclius, Empereur de Byzance, après que les Musulmans eurent vent des nouvelles de préparatifs byzantins pour attaquer Médine. NdT

[4Conférer Matâlib Ulî An-Nuhâ, volume 2, p. 96

[5La civilisation musulmane, volume 1, p. 69.

[6Conférer Ar-Risâlah d’Ibn Nâjî et Zarrûq, volume 1, p. 331 ; et la suite de cet ouvrage où la jizyah est incluse dans les chapitres de la zakât.

[7Voir Ahkâm Adh-Dhimmiyyîn wal-Musta’manîn fî Dâr Al-Islâm du Docteur ʿAbd Al-Karîm Zaydân, p. 155 et suivantes, ainsi que Futûh Al-Buldân d’Al-Balâdhurî, p. 217, Beyrouth, où l’agent d’Abû ʿUbaydah pactisa avec les Garaguima chrétiens en leur proposant d’aider les musulmans et d’espionner les ennemis, ou bien de s’acquitter de la jizyah, etc.

[8Al-Mâwardî dans Al Ahkâm As-Sultâniyyah, p. 138.

[9Ibn ʿAsâkir dans Târîkh Madînat Dimashq, volume 1, p.178.

[10Al-Amwâl, p. 44.

[11Il désigne les actes de violence dans la perception de la jizyah.

[12Al-Amwâl, p. 43.

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