dimanche 20 août 2006
Je suis revenu avec ma mémoire à la période de mes études à l’université d’Al-Azhar, il y a de cela quelque cinquante ans.
Nous assistions au cours de la science du Tawhîd (Le Monothéisme) et écoutions l’enseignant nous exposer des exemples de versets équivoques. Nos esprits étaient chargés de nombre de considérations à propos de la parole du très-Haut : « Le Tout Miséricordieux S’est établi (Istawâ) sur le Trône. » [1] et Sa parole : « la main d’Allâh est au-dessus de leurs mains. » [2]
Après un long exposé, le Sheikh — qu’Allâh lui fasse miséricorde — a dit : « Et la méthode du Salaf est plus saine, alors que la méthode du Khalaf est plus judicieuse ! »
— Pourquoi ?, ai-je demandé.
Il m’a répondu : « La méthode du Salaf est plus saine car moins sujette à l’erreur dans l’affirmation du sens et elle tend mieux à espérer la récompense divine. En effet, elle s’éloigne de l’interprétation (Ta’wîl) et accepte le Tafwîd [3] comme il nous a été ordonné. Cependant, la méthode du Khalaf est plus judicieuse, car elle est plus apte à répondre aux accusations, et plus à même de dissiper les doutes et de confondre les adversaires. »
Nous avions, nous autres étudiants, accepté l’enseignement. Les années se sont écoulées tandis que la polémique perdurait entre les deux parties.
À bien réflechir au problème, j’ai constaté qu’aussi bien le Salaf que le Khalaf ont eu recours à l’interprétation de certains versets.
Par exemple, dans la parole d’Allâh : « Il est avec vous où que vous soyez. » [4], il ne s’agit pas d’une présence par Son Essence, mais par Sa Science !
Dans Sa parole : « et Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire » [5], ou Sa parole : « Et Nous sommes plus proche de lui que vous » [6], il s’agit des anges et non de l’Essence divine, c’est ce que dit le Salaf...
Les interprétations du Khalaf, quant à elles, sont nombreuses à l’instar de Sa parole : « Le Tout Miséricordieux S’est établi (Istawâ) sur le Trône. » [1] L’établissement ne correspond pas à l’installation ni au contact, mais il s’agit d’emprise et de domination, etc.
J’avais pour ma part penché pour l’avis du Salaf et cela s’est vu dans mon livre intitulé La foi du Musulman [7]. Cependant en creusant plus avant et après davantage de recherches, j’ai abouti à la conclusion que le Tafwîd était requis tant qu’il ne vire pas à quelque anthropomorphisme et que l’interprétation était requise tant qu’elle ne conduit pas à la négation (Taʿtîl) des Attributs divins.
Sur ce, j’ai refusé la méthode des Muʿtazilites car, influencés par la philosophie grecque, ils ont donné une image corrompue de la divinité ! J’ai refusé également le comportement de quelques extrémistes parmi les Hanbalites car ils ont failli professer l’anthropomorphisme...
J’ai alors passé en revue les paroles des savants à travers les siècles, et j’ai ainsi constaté que les paroles des uns confirmaient celles des autres, ou presque. J’ai remarqué que la différence était ténue entre les narrations rapportées de la part du Salaf et celles rapportées de la part du Khalaf et qu’il n’y avait là rien qui puisse justifier des affrontements sanglants entre les uns et les autres.
Abû Hâmid Al-Ghazâlî — un Imâm du Khalaf — déclare dans son livre Al-Iqtisâd fil-Iʿtiqâd (La modération dans la croyance) :
Si l’on demandait :— Quel est le sens de Sa parole — Exalté soit-Il — : « Le Tout Miséricordieux S’est établi sur le Trône. »" [1] ? Ou quel est le sens de la parole du Prophète — paix et bénédictions sur lui — : « Allâh descend chaque nuit dans le ciel inférieur » ?
Nous répondrions : Le sens apparent des textes de ce genre se prête à de très longs développements. Toutefois, nous allons tracer une méthode à l’égard de ces deux textes pouvant servir de repère pour les énoncés similaires. Cela consiste à dire que : les gens se divisent en deux catégories à propos de ce genre de textes, les gens du commun, d’une part, et les savants, d’autre part.
À notre avis, il est plus approprié et plus convenable de ne pas entraîner les gens du commun dans de telles interprétations. Au contraire, il faut débarrasser leurs croyances de tout ce qui impliquerait une quelconque ressemblance entre le Créateur et Ses créatures, ou serait de nature accidentelle, et confirmer chez eux qu’Il est — Exalté soit-Il — Existant : « Il n’y a rien qui Lui ressemble ; et Il est l’Audient, le Clairvoyant » [8].
Et s’ils posent des questions sur le sens de ces versets, il faut éconduire leur curiosité et leur dire : « Ceci n’est pas de votre ressort, passez votre chemin... Chaque science a ses spécialistes. » Il leur sera également répondu de la même manière qu’a répondu Mâlik Ibn Anas : « L’établissement est connu, le comment est inconnu, y croire est obligatoire et le questionnement à ce sujet est une innovation. »
Cela est dû au fait que l’esprit des masses ne peut pas appréhender les choses rationnelles, ni maîtriser les finesses des langues, ni la richesse des métaphores dans la langue Arabe.
Quant aux savants, il leur sied davantage de connaître tout cela et de le comprendre ! Je ne suis pas en train de dire qu’il s’agit d’une obligation individuelle, car nous n’avons reçu aucun commandement en ce sens. En revanche, il nous a été ordonné de déclarer Sa Transcendance (Tanzîh) — Gloire à Lui — par rapport à toute ressemblance à autrui.
De son côté, l’Imâm An-Nawawî dit dans son commentaire de Sahîh Muslim au sujet du hadith de la servante — dont le prédicateur de l’une des mosquées a usé et abusé dans son discours — :
Ce hadith fait partie des hadiths relatifs aux Attributs, il existe à son sujet deux approches.La première consiste à y croire sans discuter de son sens, en ayant la croyance que rien ne ressemble à Allâh — Exalté soit-Il — et en affirmant Sa transcendance (Tanzîh) par rapport aux caractéristiques des créatures.
La seconde consiste à l’interpréter de manière convenable. Ceux qui adoptent cette approche affirment que le but était de tester la servante pour savoir si elle était monothéiste et croyait qu’Allâh est le Créateur et le Régisseur, qu’Il est Celui que l’invocateur supplie en s’orientant vers le ciel, tel l’orant qui s’oriente vers la Kaʿbah lorsqu’il accomplit sa prière, car le ciel est la direction (Qiblah) des invocateurs tout comme la Kaʿbah est la direction des orants, ou bien si elle était idolâtre. En répondant « au ciel », il était acquis qu’elle était une croyante et non une idolâtre.
L’Imâm cite également le Juge ʿIyâd qui dit :
Il n’y a point de divergence entre l’ensemble des Musulmans, tous juristes, traditionnistes, théologiens, leaders ou imitateurs confondus, concernant le sens apparent que l’on trouve dans certains versets, tels que : « Êtes-vous à l’abri que Celui qui est au ciel vous enfouisse en la terre ? Et voici qu’elle tremble ! » [9] ; ce genre de versets ne sont pas pris au pied de la lettre, mais sont plutôt interprétables à l’unanimité.
L’excès dans l’interprétation, comme c’est le cas chez les Muʿtazilites, a fait disparaître des cœurs la crainte d’Allâh, tout comme il a fait choir ceux qui le pratiquent dans des contradictions étonnantes, car comment peut-on dire d’Allâh qu’Il est « Savant sans science » ou « Puissant sans puissance » ?!
Cette façon de raisonner est une mauvaise imitation d’Aristote qui a dénué son dieu de tout attribut et de toute action si bien qu’il en a fait un dieu qui ne fait que se contempler !
Les Muʿtazilites avaient plus d’audace à interpréter les textes qu’à critiquer les philosophes, comportement blâmable au demeurant.
Traduit de l’arabe de Mushkilât fî Tarîq Al-Hayâh Al-Islâmiyyah, Maktabat Rihâb Al-Jazâ’ir, 1989.
[1] Sourate 20, Tâhâ, verset 5.
[2] Sourate 48, Al-Fath, La conquête, verset 10.
[3] Le Tafwîd consiste à s’en remettre à Allâh en ce qui concerne le sens des Attributs divins. NdT.
[4] Sourate 57, Al-Hadîd, Le fer, verset 4.
[5] Sourate 50, Qâf, verset 16.
[6] Sourate 56, Al-Wâqiʿah, verset 86.
[7] Ce livre disponible en français dans les librairies islamiques. NdT.
[8] Sourate 42, Ash-Shûrâ, La consultation, verset 12.
[9] Sourate 67, Al-Mulk, La royauté, verset 16.
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