jeudi 21 septembre 2006
On trouve par ailleurs un autre genre d’individus prétendant au Tafwîd [1] et à la Salafiyyah, qui pourchassent des textes insignifiants dont les chaînes de narration sont ténébreuses et y puisent les articles du credo ! Ils pourchassent des textes ça et là, font des raccourcis entre eux, pour aboutir finalement à une forme d’anthropomorphisme [2] que les Musulmans, Salaf et Khalaf confondus, ne connaissent pas.
Il ne faut pas se laisser impressionner par les titres et les appellations. Certains prétendirent en effet qu’Ibn Khuzaymah et le fils de l’Imam Ahmad, seraient des adeptes de ces positions et auraient formé un groupe de vauriens, ayant causé quelques troubles à Bagdad, avant de tomber dans l’oubli.
D’après Al-Kâmil fit-Târîkh d’Ibn Al-Athîr, le calife abbasside Ar-Râdî Billâh promulgua un édit à leur encontre, contenant entre autre : « Vous prétendez que vos visages hideux sont à l’image du Seigneur des mondes, et que votre apparence ignoble épouse Son apparence ! Vous citez les mains, les doigts et les pieds dorés, les cheveux crépus, l’ascension dans le ciel et la descente sur terre ! Qu’Allâh soit Exalté au-dessus de ce que disent les injustes et les Négateurs, etc. »
Cela se passa au IVème siècle, en l’an 323 A.H.
Ibn ʿAsâkir rapporta également dans son livre Tabyîn Kadhib Al-Muftarî ʿAlâ Al-Imâm Abî Al-Hasan Al-Ashʿarî (Déconstruction des mensonges portés contre Abû Al-Hasan Al-Ashʿarî) : « Ces Anthropomorphistes ne voulurent rien savoir et déclarèrent que l’Adoré possède un pied, des molaires, une luette et des phalanges et qu’Il descend sur terre en personne sous la forme d’un jeune homme ! Etc. »
Les savants Shaféites portèrent leur affaire à la connaissance du gouverneur, les décrivirent comme un groupe de racailles et de vauriens se revendiquant du hanbalisme et demandèrent au gouverneur de prendre des sanctions à leur encontre. L’Imam Ahmad Ibn Hanbal — qu’Allâh l’agrée — est bien entendu innocent de cette filiation. Il ne fut jamais un adepte de l’anthropomorphisme, ni un dévoyé.
Lisons ci-après le commentaire d’Ibn Al-Jawzî au sujet du comportement de ces idiots dans son livre intitulé Sayd Al-Khâtir :
« Je suis étonné du comportement de certaines personnes qui, tout en prétendant être des savants, glissent vers le l’assimilationnisme [3] en comprenant les textes de manière littérale. S’ils avaient fait passer ces textes tels qu’ils nous sont parvenus, ils seraient saufs, car celui qui les fait passer tels quels sans s’impliquer, n’aura rien affirmé, ni pour lui ni contre lui !Mais il est des gens au bagage scientifique réduit. Ils considèrent qu’une lecture non littérale des textes est une forme de négation [4]. Or s’ils avaient saisi la richesse de la langue, ils n’auraient pas pensé cela. Ils ne sont pas sans rappeler l’épisode où Al-Khansâ’ fit l’éloge d’Al-Hajjâj dans un poème où elle dit :
Idhâ Habata Al-Hajjâju Ardan Saqîmatan *** Tatabbaʿa Aqsâ Dâ’ihâ fa-Shafâhâ
(Lorsqu’Al-Hajjâj arrive dans une terre malade *** Il guérrit ses plus dures maladies)
Celui-ci dit à son secrétaire après qu’elle eut terminé son poème : « Coupe lui la langue ! » [5] Simplet, le secrétaire fit venir un couteau !
Al-Khansâ’ lui dit : « Malheur à toi, il voulait dire : "Donne lui une récompense généreuse !!" »
Puis, elle retourna voir Al-Hajjâj et lui dit : « Par Allâh, il a failli m’amputer de la langue ! »
Il en est de même pour les Littéralistes qui ne se sont pas contentés d’accepter les textes tels quels. Car celui qui lit les versets et les hadiths sans rien ajouter, nul reproche à lui faire, et ceci est la méthode du Salaf.
Mais celui qui affirme que le hadith implique ceci, ou se comprend de telle manière, comme par exemple le fait de dire : « Il S’est établi sur le Trône en personne (bi-Dhâtihi) », et « Il descend au ciel inférieur en personne (bi-Dhâtihi) » ; il s’agit là d’ajouts compris par l’auteur de ses paroles, issus de sa perception personnelle et non du texte !! Je reste étonné de cet homme andaloux du nom d’Ibn ʿAbd Al-Barr [6] l’auteur du livre intitulé At-Tamhîd, dans lequel il mentionna le hadith de la descente d’Allâh au ciel inférieur, et commenta : « Ceci prouve qu’Il est sur le Trône, sinon la parole (du Prophète) "Il descend" n’aurait aucun sens ! »
Ces paroles ne peuvent émaner que d’un homme méconnaissant Allâh — Exalté soit-Il —, car celui-là jaugea l’attribut d’Allâh à l’aune de sa connaissance de la descente des corps acquise de manière sensorielle ! Où en sont ces gens de l’attachement aux Textes ? Ils prononcèrent les pires paroles que peuvent proférer les Allégoristes, puis ils critiquèrent les adeptes du Kalâm...
Sache, chercheur de la guidée, que nous tenons deux principes fondamentaux tirés de la raison et de la tradition, à l’aune desquels on jauge toutes les narrations.
Au plan de la tradition, nous avons Sa Parole — Exalté soit-Il — : « Rien ne Lui ressemble. » [7] Celui qui comprend cela, n’interprètera jamais un attribut divin selon le sens dicté par son expérience sensorielle.
Au plan de la raison, il est de notoriété que le Créateur est différent des créatures ; le caractère accidentel de ces dernières est prouvé par ce qu’elles sont sujettes aux changements, et aux émotions. De ce fait découle le Qidam [8] du Créateur. »
Puis Ibn Al-Jawzî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — poursuivit l’explication de son point de vue, répondant aux Assimilationnistes et interprétant les textes dont la lettre pourrait faire accroire leurs thèses : « N’est-il pas rapporté dans le hadith authentique que la mort sera immolée entre le paradis et l’enfer ? » Puis il s’interrogea :
« Comment peut-on imaginer raisonnablement l’immolation de la mort ? Et comment interpréter ce hadith ?La réponse est que ces paroles sont citées à titre de parabole, et l’image rapportée vise à rapprocher l’idée de la propre mort de la mort et de l’éternité des gens dans ce qu’ils auront obtenu comme rétribution.
Il en est de même de la narration authentique selon laquelle les sourates Al-Baqarah et Âl ʿImrân viendront tels deux nuages. Les paroles ne sauraient être des nuages ! On entend par là la venue de la récompense de la récitation. Quelle preuve empêche l’interprétation de ces textes de manière littérale ? L’empêchement tient au fait avéré que les paroles ne ressemblent pas aux corps, et que la mort ne s’immole pas comme les bestiaux !!
Alors si nous écartons de la mort et des paroles ce qui ne leur sied pas, ne devrions nous pas, à plus forte raison, écarter d’Allâh ce qui Le rend semblable à Ses créatures alors que nous possédons à cet égard des preuves rationnelles et textuelles ?! »
De ce qui précède, on pourrait penser qu’Ibn Al-Jawzî est un partisan de l’interprétation allégorique (Ta’wîl), et que s’il n’appartenait pas au Khalaf, il aurait à tout le moins adopté leur méthode et marché sur leurs pas. Mais il n’en est rien ! Nous citerons ci-après une charge sévère qu’il porta à l’encontre des Allégoristes. L’homme rejetait l’assimilationnisme et tout ce qui peut y mener, et souhaitait appréhender les textes dans le cadre des deux fondements précités : la tradition et la raison. Il dit — qu’Allâh lui fasse miséricorde — :
Les propos des Allégoristes et des Négateurs des Attributs sont parmi les choses les plus nocives pour les gens du commun. Les Prophètes — paix et bénédictions sur eux — insistèrent en effet sur l’affirmation des Attributs (Al-Ithbât) afin que l’existence du Créateur soit établie dans l’esprit des gens du commun. Car les esprits apprécient les affirmations. Mais lorsque les gens du commun entendent ce qui implique la négation, ils rejetent les idées qu’ils se faisaient !Clarifions un peu ; Allâh — Exalté soit-Il — déclara S’être établi sur le Trône, alors les esprits apprécient l’affirmation de Dieu et de Son existence.
Allâh dit : « Seule subsistera La Face de ton Seigneur » [9]
Et il dit : « Au contraire, Ses deux mains sont largement ouvertes : Il distribue Ses dons comme Il veut. » [10]
Il dit : « des gens contre qui Allâh S’est courroucé » [11]
Et aussi : « Allâh les a agréés » [12]
Le Messager nous informa par ailleurs qu’Allâh descend au ciel inférieur, et il dit : « Les cœurs des hommes sont entre deux doigts du Miséricordieux. » Il dit également : « De Sa Main, Il écrivit la Torah ; Il écrivit un Livre qu’Il conserva auprès de Lui au-dessus du Trône. » Et bien d’autres textes qu’il serait fastidieux de citer.
Lorsque le cœur de la personne du commun ou de l’enfant s’emplit de l’affirmation (des Attributs), il lui sera dit : « Rien ne Lui ressemble » [3] Alors s’effacera de son cœur ce que l’imagination lui suggérait.
La plupart des gens n’appréhendent l’affirmation des Attributs qu’à travers ce dont ils ont l’habitude de percevoir, alors le Créateur accepte et tolère cela, jusqu’à ce qu’ils comprennent la transcendance divine (Tanzîh) [13].
Mais, si pour commencer, nous disions à l’homme du commun qu’Allâh n’est ni dans le ciel ni sur le Trône, qu’il ne peut lui être attribué une main, que la parole est un attribut inhérent à Son Essence qui n’a rien de commun avec notre faculté, et que l’on ne peut concevoir Sa descente etc., alors il cessera de révérer le Coran. Pis, l’affirmation de Dieu ne se réaliserait pas en lui, ce qui constitue un crime majeur à l’encontre des Messagers...
Cela signifie que cette attitude, purement rationnelle, détruit ce que les Prophètes se sont efforcés de bâtir et de prôner.
L’affaire ne nécessite pas d’interpréter la main par le bienfait ou la puissance, ni d’expliquer le hadith des cœurs entre deux doigts, en disant que les cœurs sont entre deux manifestations de la Seigneurie (Rubûbiyyah), à savoir le maintien sur la voie droite et l’égarement de cette voie, entre autres considérations des Allégoristes à propos des textes équivoques.
La meilleure chose à faire consiste à dire : « Faîtes passer ces choses telles quelles, et ne leur cherchez pas d’interprétation à tout prix. »
Après avoir exposé son point de vue, Ibn Al-Jawzî dit : « Celui qui a compris ce chapitre sera à l’abri de l’assimilationnisme des Anthropomorphistes et de la négation des Négateurs, et aura mis le pied sur la voie du Salaf... »
Les critiques d’Ibn Al-Jawzî l’accusèrent de se contredire ! Cela est injuste, car cet homme accordait beaucoup d’intérêt aux vérités de la religion et veillait à ce que la transcendance d’Allâh et Sa Gloire soient proclamées. Il était donc obligé de sauver l’Islam de deux sortes de gens dangereux :
Étant donné que l’interprétation est indispensable pour expliquer certains textes, et puisque le Salaf aussi bien que le Khalaf furent obligés d’y recourir, alors à l’instar du Salaf, nous usons de Tafwîd [1]refusant l’anthropomorphisme et, à l’instar du Khalaf, nous recourons à l’interprétation refusant la négation des attributs (Taʿtîl) !
Traduit de l’arabe de Mushkilât fî Tarîq Al-Hayâh Al-Islâmiyyah, Maktabat Rihâb Al-Jazâ’ir, 1989.
[1] Le Tafwîd consiste à s’en remettre à Allâh en ce qui concerne le sens des Attributs divins. NdT.
[2] Le Tajsîm, que nous traduisons par anthropomorphisme, consiste à attribuer à Dieu une forme ou des organes similaires à ceux de l’être humain. NdT.
[3] Le Tashbîh, que nous traduisons par assimilationnisme, consiste à établir une ressemblance entre Dieu et Ses créatures. Partant, l’anthropomorphisme est une forme particulière d’assimilationnisme. NdT.
[4] Le Taʿtîl consiste à nier les attributs en les vidant de toute signification. NdT.
[5] Expression métaphorique signifiant le fait de donner une récompense à la hauteur de l’éloge prononcée. NdT.
[6] Ibn ʿAbd Al-Barr est un grand savant, et nous n’apprécions guère la manière dont Ibn Al-Jawzî parle de lui.
[7] Sourate 42, Ash-Shûrâ, La consultation, verset 11.
[8] Al-Qidam, littéralement, l’Ancienneté, l’Éternité, l’Antériorité absolue de Dieu. NdT.
[9] Sourate 55, Ar-Rahmân, Le Miséricordieux, verset 27.
[10] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La table servie, verset 64.
[11] Sourate 58, Al-Mujâdalah, verset 14.
[12] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La table servie, verset 119.
[13] Le Tanzîh consiste à affirmer la transcendance de Dieu par rapport à tout attribut imparfait caractéristique des créatures. NdT.
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