lundi 28 juillet 2003
Dans son livre Ad-Dîn Wal-ʿIlm (La Religion et la Science), le Maréchal Ahmad ʿIzzat écrit :
« La croyance au destin est un point de dogme chez les Sunnites. Je pense que toute personne qui réfléchit et médite avec circonspection sur les pans de sa vie ressentira qu’elle est toute entière soumise à un schéma d’organisation supérieur.
Tel homme peut par exemple mener une entreprise en prenant toutes sortes de mesures et de précautions, et chaque fois qu’il fait un pas en avant, son objectif s’éloigne de lui d’une distance égale. Et finalement, voici que les portes du bonheur s’ouvrent devant lui avec une facilité qui ne lui serait jamais venue à l’esprit.
Tel autre homme, réputé pour son discernement et ses compétences, peut être éprouvé par la pauvreté et la misère, de telle manière qu’il ne sait même plus où trouver sa subsistance ! A l’inverse, un homme ignorant et sot peut s’acquérir des biens et des distinctions sociales, des richesses et des salaires. Cette situation - qui se répète régulièrement et qui surpasse la simple exigence d’intelligence et de prise correcte des dispositions chez l’être humain - peut-elle être imputable au seul hasard ?
Si une personne étudie soigneusement sa propre existence ou l’existence de l’environnement dans lequel elle vit, elle comprendra que cette situation que nous venons de développer, bien que non soumise à une logique compréhensible, n’en demeure pas moins qu’elle ne saurait découler d’un pur hasard. Cette personne reconnaîtra dès lors sa faiblesse devant une volonté insaisissable devant laquelle rien ne résiste.
D’autre part, nous disons que l’action et la prise des dipositions sont nécessaires dans la vie.
Néanmoins, parmi les gens, il en est qui ont remporté de grands acquis pour des raisons futiles. Et il en est qui ont perdu la semoule qu’ils avaient à la maison alors qu’ils étaient en route vers Damiette pour acheter du riz.
Il demeure que celui qui ne se meut pour aller à la boulangerie acheter son pain, en attendant que le destin le lui apporte entre les mains, mourra à coup sûr.
De nombreuses divergences ont opposé les penseurs musulmans sur cette question conflictuelle.
La majorité des savants musulmans ont résolu le problème en affirmant que les créatures et les événements sont, sans exception, soumis à une totale volonté divine, mais que Dieu a accordé à l’être humain une volonté partielle, qui lui sert de repère lui permettant de distinguer entre le bien et le mal, le beau et le laid.
Un deuxième groupe de savants a énergiquement soutenu la responsabilité morale de l’être humain. Il s’est ainsi catégoriquement opposé à la prédestination, prétendant que l’être humain crée lui-même ses actions. Il a feint d’ignorer l’impuissance de l’être humain devant les obstacles qui peuvent survenir à lui au cours de son existence tout comme il a feint d’ignorer que l’être humain est ainsi fait que lorsqu’il reçoit une aide quelconque, il affiche sa gratitude. Ces savants ont incliné vers l’orgueil et le dogmatisme. La raison pour laquelle ils ont adopté cette opinion est qu’ils pensaient que si l’être humain était poussé à agir par autre chose que par sa volonté propre, alors la récompense et le châtiment promis pour l’Au-Delà seraient contraires à la notion de justice.
Le dernier groupe de savants a dit : « Tout est soumis à la Toute-Puissance divine. L’être humain est entièrement soumis à la volonté de Dieu. De toute éternité, tous ses actes sont prédestinés et pré-établis dans la Tablette Préservée [1]. »
Ces personnes ont ainsi confisqué à l’être humain sa volonté partielle, et ont poussé l’humanité d’ici-bas à la passivité et à l’inaction. Ils ont par ailleurs fait de l’injustice un attribut de Dieu, le Très Juste. S’ils ne l’ont pas fait explicitement, du moins l’ont-ils fait implicitement, concernant la Rétribution de l’Au-Delà. Cette opinion est née par crainte de sombrer dans l’association, si nous disons que la volonté humaine peut s’opposer à la volonté divine. Pourtant, les hommes sont pétris par cette caractéristique de pouvoir distinguer d’eux-mêmes entre le bien et le mal. Et l’être humain est rétribué et tenu responsable, ici-bas et dans l’Au-Delà, pour le bien et le mal qu’il commet.
Nous pouvons comparer la volonté humaine partielle à l’autorité conférée à un employé. Tout comme cette autorité n’annule pas les droits dûs par l’employé à son supérieur, ni n’amoindrit la dignité et le pouvoir de ce dernier, la sanction de quiconque abuserait de son autorité ne serait pas contraire à la justice.
L’expression « les actions sont pré-établies dans la Tablette Préservée » indique que la science de Dieu est éternelle. Mais il ne faut pas s’imaginer des Tablettes posées auprès de Dieu comme on pourrait le faire avec les ardoises utilisées dans les écoles.
Car la Science divine, infinie, échappe au temps et à l’espace.
Or, toute quantité finie est négligeable devant une quantité infinie. En conséquence, la vie d’un être humain et la vie de la terre elle-même ne sont qu’une durée infime et indivisible dans la Présence divine.
Certaines personnes font des prospectives sur l’avenir. Mais le fait que la vie humaine soit connue du Connaisseur de l’Inconnu et de la Cause des causes, le fait que tout le passé, tous les événements survenus suite à de nombreuses convergences de circonstances lui soient également connus, ne mérite pas de se fatiguer l’esprit ni de se torturer l’âme. La volonté humaine partielle est incapable de dépasser les limites de ses intentions, de ses choix, de ses actions et des mesures qu’elle prend pour réaliser ces actions. En vérité, c’est dans la synergie de toutes ces circonstances qu’apparaît l’influence d’une force insaisissable, qui peut soit nous aider soit nous constituer un obstacle. C’est cette force insaisissable que nous appelons, dans notre religion, le destin.
En fonction de l’action entreprise par l’individu, le résultat peut lui être soit favorable soit défavorable ; il peut en être récompensé ou bien sanctionné, en fonction de l’intention qui a accompagné son acte : Les actions sont jugées d’après les intentions. [2] »
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî, Difâʿ ʿan Al-ʿAqîdah Wash-Sharîʿah didd Matâʿin Al-Mustashriqîn, éditions Nahdat Misr, deuxième édition, janvier 1997.
[1] Littéralement, Al-Lawh Al-Mahfûdh signifie la Tablette Préservée. Il s’agit du Livre gardé par Dieu et dans lequel est consignée toute la création. NdT
[2] Hadith rapporté par Al-Bukhârî, Muslim, At-Tirmidhî, An-Nasâ’î, Abû Dâwûd et Ibn Mâjah.
© islamophile.org 1998 - 2024. Tous droits réservés.
Toute reproduction interdite (y compris sur internet), sauf avec notre accord explicite. Usage personnel autorisé.
Les opinions exprimées sur le site islamophile.org sont celles de leurs auteurs. Exprimées dans diverses langues étrangères, ces opinions sont mises à la portée des lecteurs francophones par nos soins, à des fins d'information, de connaissance et de respect mutuels entre les différentes cultures et religions du monde.