jeudi 7 août 2003
Nûreddîn Mahmûd fit son entrée sur la scène de l’Histoire dans la première moitié du sixième siècle hégirien. Les gens éprouvaient alors le plus grand besoin d’avoir un homme comme lui qui leur tiendrait paternellement la main, dans cette époque obscure qui avait enveloppé leur pays, depuis l’arrivée des Croisés sur leur sol et la profanation de la Ville sainte de Jérusalem. A l’horizon, aucune lueur d’espoir n’était perceptible. L’aube de ce cauchemar semblait encore lointaine. La Syrie vivait une ère de chaos et d’anarchie. Les princes et les gouverneurs n’étaient préoccupés que de leurs intérêts propres et de leur égoïsme cupide, alors que l’envahisseur ancrait solidement ses pieds sur le terrain fertile des dissensions intra-musulmanes et qu’il renforçait sa puissance grâce à leurs divisions.
La première lueur d’espoir scintilla avec l’apparition de ʿImâdeddîn Zinkî (Zengi) qui put, grâce à ses capacités et à ses qualités, devenir le gouverneur de Mossoul. Il réussit à étendre son pouvoir jusqu’à Nusaybîn et Harrân, se préparant à mener le jihâd contre les Croisés. Il prit néanmoins conscience que tous ses efforts seraient vains tant que les forces de la nation musulmane ne seraient pas unifiées en Irak et en Syrie. Ce fut pour cette raison qu’il décida de prendre le contrôle d’Alep, alors noyée dans le chaos le plus total après la mort de son atabek ʿIzzeddîn Masʿûd Al-Bursuqî. Les Seldjoukides et les Croisés ambitionnaient chacun de leur côté de s’emparer de la ville. Mais ʿImâdeddîn Zinkî fut plus prompt que ces cupides prétendants : il prit Alep en 1128 E.C.. De nombreuses entraves s’opposèrent à lui dans sa progression. Des troubles furent en effet semés dans les régions passées sous son contrôle, dus à l’égoïsme de certains princes jaloux de son succès. ʿImâdeddîn dépensa alors quelques années à repousser les dangers qui s’amassaient autour de lui jusqu’à être parvenu, après sept ans de lutte continuelle, à terrasser tous ses adversaires intérieurs. Désormais, il allait pouvoir consacrer toute son énergie à la confrontation avec les Croisés. Ses efforts attinrent leur apogée avec la chute du Comté d’Édesse en 1144 E.C.. C’était l’un des coups les plus durs que devaient encaisser les Croisés depuis leur arrivée au Proche-Orient en 1098 E.C.. Le Comté d’Édesse était en fait la toute première principauté établie en Orient lors de la première croisade. ʿImâdeddîn ne fut malheureusement pas épargné par son destin pour qu’il pût finir sa tâche : il fut traîtreusement assassiné le 15 septembre 1146 E.C..
Nûreddîn Mahmûd naquit le 11 février 1118 E.C.. C’était le deuxième enfant de ʿImâdeddîn Zinkî, après son premier fils Sayfeddîn Ghâzî. Tous les enfants de ʿImâdeddîn furent influencés par les vertus et les qualités de leur père, tous étaient des hommes de jihâd et de preux chevaliers, bien que les uns eussent été plus influencés que d’autres.
Après la mort de ʿImâdeddîn Zinkî, ses deux fils, Sayfeddîn Ghâzî et Nûreddîn Mahmûd, se partagèrent son royaume. Le premier s’établit à Mossoul tandis que l’autre gouverna Alep. La frontière entre les deux nouveaux royaumes était matérialisée par le fleuve de Nahr Al-Khâbûr. Chacun des deux frères était véritablement prêt à relever les défis que lui réservait le destin. Sayfeddîn Ghâzî était patient et fin politicien, tandis que Nûreddîn était un homme de terrain dévoué, débordant de sentiments et sincère croyant. Comme son père, il prônait l’unification des Musulmans pour chasser leurs ennemis de leurs territoires. Sa finesse et son sentimentalisme lui valurent l’amour de ses sujets.
Nûreddîn devait poursuivre la politique de son père dans la lutte contre les Croisés. C’était sa nature, empreinte d’un amour pour le jihâd, qui le poussait à agir ainsi, de même qu’il accompagnait son père, autrefois, dans ses batailles. A Alep, dans sa proximité des Croisés, Nûreddîn était plus conscient que jamais du danger que représentaient ces derniers.
Nûreddîn entama son règne par une série d’attaques contre la Principauté croisée d’Antioche. Il put se saisir de plusieurs châteaux au Nord de la Syrie, tout comme il parvint à contenir l’offensive de Josselin II de Courtenay qui tenta en vain de récupérer la ville d’Édesse que lui avait prise naguère ʿImâdeddîn Zinkî. La nouvelle défaite des Croisés à Édesse fut encore plus terrible que la première. Nûreddîn punit les Arméniens d’Édesse qui avaient trahi les Musulmans, tandis que les Chrétiens qui habitaient la ville, craignant pour leur vie, quittèrent le pays.
Nûreddîn cherchait sans cesse à engager des liens cordiaux et amicaux avec ses voisins musulmans du Nord de l’Irak et de la Syrie, et ce, afin de renforcer le front islamique dans sa lutte contre l’ennemi croisé. Il signa ainsi en 1147 E.C. un traité de coopération bilatérale avec Muʿîneddîn Unur, gouverneur de Damas, traité à l’issue duquel il épousa la fille de ce gouverneur. Lorsque Unur fut confronté au danger croisé, il ne trouva personne d’autre en dehors de Nûreddîn qui pût le protéger ou le défendre. En vertu du traité d’entraide mutuelle, le Sultan d’Alep se mit en marche vers Damas et s’allia à Muʿîneddîn Unur pour contenir les Croisés. Tous deux purent ainsi prendre Bustra et Sarkhand avant qu’elles ne tombassent entre les mains des Croisés. Pour rassurer Muʿîneddîn sur ses intentions et lui faire comprendre que son unique objectif était de combattre leur ennemi commun, Nûreddîn écourta son séjour à Damas et se mit en route vers les châteaux de la Principauté d’Antioche. Il put ainsi s’emparer de Artâh, de Kafar Lâthâ et de Basarfût.
Les Croisés furent terrorisés par ces victoires successives de Nûreddîn. Ils comprirent qu’ils avaient face à eux un homme non moins habile que son père, leur ancienne terreur, ʿImâdeddîn. Lorsque ce dernier fut assassiné, ils crurent que c’en était fini avec ces hommes qui leur menaient la vie dure. Mais leurs espérances s’évanouirent devant la motivation et le courage du fils de l’ancien Sultan de Mossoul. Nûreddîn avait alors 29 ans, mais il était pourvu d’une sagesse à toute épreuve et du sens de la politique.
En 1147 E.C., débarquait en Syrie la deuxième croisade, menée par le Roi de France Louis VII le Jeune et par Conrad III d’Angleterre. Mais cette croisade échoua à réaliser ses objectifs et elle dut essuyer de cuisants revers. Ainsi ne put-elle pas prendre Damas, grâce entre autres à l’endurance des combattants musulmans et à leur union sous une même et unique bannière. Les troupes de Sayfeddîn Ghâzî et de son frère Nûreddîn Mahmûd furent de la plus grande importance pour tenir en échec cette croisade. Nûreddîn profita de son influence en Syrie ainsi que du désastre et de l’humiliation que venaient de subir les Croisés, pour préparer une attaque contre Antioche. En 1149 E.C., il lança une offensive contre les territoires dominés par le château de Hârim, situé sur la rive orientale de l’Oronte, après quoi il assiégea le château de Inab. Le Prince d’Antioche, Raymond de Poitiers, vola au secours de la citadelle assiégée. Les deux armées se rencontrèrent vers la fin du mois de juin 1149 E.C. pour se livrer bataille. Les Musulmans purent ainsi concrétiser leur victoire et décimer l’armée croisée. Parmi les morts les plus prestigieux de cette bataille figurait... le Prince d’Antioche. Ce fut une journée de bonheur pour les Musulmans.
L’idéal de Nûreddîn était d’unifier la nation musulmane, de rassembler ses forces éparpillées entre l’Euphrate et le Nil pour faire front commun devant les convoitises des Croisés. Mais Damas constituait un obstacle majeur à cette unification. Muʿîneddîn Unur, Sultan de Damas, entretenait en effet des relations amicales avec les Croisés et avait signé avec eux des accords et des traités. Après sa mort, Mujîreddîn Abaq poursuivit la politique de son prédécesseur. Il affichait son humiliation et sa soumission aux royaumes croisés. Se détournant de l’unification de la nation musulmane, il alla jusqu’à accepter de faire verser par les habitants de Damas un tribut annuel aux Croisés, en échange de la protection que ces derniers lui accorderaient. Les émissaires francs se mirent dès lors à entrer dans la ville pour collecter cette capitation sans que le gouverneur musulman ne sourcillât.
C’en était trop pour Nûreddîn qui ne parvint à réfréner son indignation. Il montra sa solidarité avec les mouvements de colère qui avaient saisi les Damascènes et réussit, grâce à l’aide de la population, à renverser en 1154 Mujîreddîn Abaq et annexer Damas à son État. C’était une étape décisive dans l’histoire des Croisades. La Syrie était enfin unifiée sous l’autorité de Nûreddîn : d’Édesse au Nord à Hawrân au Sud. Le front islamique venait de trouver son équilibre face au front croisé qui avait profité jusque-là des divisions et des dissidences inter-musulmanes pour frapper les territoires de l’Islam. La situation était alors telle que lorsque les Croisés attaquèrent Ascalon en 1153 E.C., Nûreddîn ne put même pas voler au secours de la ville, car Damas l’empêcha de traverser son territoire.
Après le succès de Nûreddîn dans la première étape de l’unification du front islamique en Irak et en Syrie, il ne restait plus aux Croisés que la route du Sud pour pouvoir étendre leurs conquêtes et réaliser leurs desseins expansionnistes. Ce fut pour cette raison que les Croisés regardèrent du côté de l’Égypte, qui représentait pour eux un nouvel axe potentiel dans leur expansion. Ils furent notamment encouragés par la situation de délabrement politique que vivait alors l’Empire fâtimide, souffrant les affres de la mort. En s’emparant d’Ascalon, ils déclaraient leur volonté de s’attaquer désormais à l’Égypte, profitant du désordre social qui régnait dans le pays. Le Roi de Jérusalem Baudouin III décida de mener une offensive contre l’Égypte en 1163, prétextant que les Fâtimides ne payaient plus la capitation qu’ils lui devaient. Sa campagne échoua néanmoins et il dut se retirer.
Cette audacieuse initiative de la part d’un Roi croisé provoqua des craintes chez Nûreddîn. Il résolut alors de mener des campagnes contre les Croisés en Syrie et en Palestine afin de les détourner de leurs ambitions en Égypte. Le Sultan d’Alep menait désormais une course contre la montre pour pouvoir gagner le pays du Nil. A partir de 1164 et pendant près de cinq ans, il envoya ainsi plusieurs détachements sous le commandement de Asadeddîn Shîrkûh et de son neveu Salâheddîn Al-Ayyûbî (Saladin). Ce ne fut qu’après ces longues péripéties et cette course effrénée avec les Croisés que Nûreddîn put finalement prendre l’Égypte en 1169. Son général, Shîrkûh, devint le Vizir du Calife fâtimide Al-ʿÂdid, qui allait par ailleurs devenir le dernier calife de cette dynastie. Cependant, deux mois plus tard, Shîrkûh décéda et ce fut Salâheddîn qui prit la succession au vizirat.
Salâheddîn Al-Ayyûbî réussit à remettre de l’ordre en Égypte et à reprendre en main le cours des événements. L’occasion se présenta enfin à lui pour renverser la dynastie fâtimide et changer l’allégeance de l’Égypte au Califat ʿabbâside de Bagdad.
La prise de l’Égypte par Nûreddîn provoqua un terrible retentissement, non seulement dans le Royaume latin de Jérusalem, mais aussi dans l’Occident chrétien. Des voix s’élevèrent pour réclamer l’envoi d’une nouvelle croisade qui relèverait de la dignité et de l’influence des Croisés en Syrie. Cependant, cette nouvelle croisade ne put réaliser ses objectifs, grâce à la déroute que lui infligea Salâheddîn en Égypte.
Après avoir rallié l’Égypte, Nûreddîn venait de boucler l’unification de la nation musulmane, qui était fin prête à administrer aux Croisés la plus terrible des corrections.
Nûreddîn croyait en l’Islam et en sa grandeur. C’était le secret du succès qui lui permit de réaliser ce que d’autres gouverneurs, bien plus puissants que lui, n’avaient pu entreprendre. Il ne combattait pas les Croisés en tant que Chrétiens. Il les combattait en tant qu’étrangers aux territoires arabo-musulmans, venus d’outre-mer spolier les terres et profaner les lieux sacrés. Ce fut pour cette raison que jamais il ne s’en prit aux Chrétiens qui vivaient sous son autorité. Il les considérait comme des citoyens auxquels il devait apporter tout le soin et les garanties nécessaires. Jamais il ne détruisit une église, ou causa un tort à un prêtre ou un moine.
Le jihâd et l’unification des rangs musulmans ne le détournèrent nullement de la construction des universités et des mosquées qui se comptaient alors par centaines et se répartissaient dans toutes les villes qu’il contrôlait. A chaque université qu’il fondait, il accordait un large fonds pour la construction. Il s’efforçait de lui choisir les meilleurs enseignants et lui assignait des legs pieux. Ces universités s’occupaient principalement de Coran et de Hadith. Nûreddîn était féru de Hadith et aimait par-dessus tout que les spécialistes de cette discipline lui en fissent la lecture. Certains d’entre eux, qui étaient ses professeurs, lui accordèrent même un diplôme de narration du Hadith [1]. Un jour, il récita devant son professeur un hadith dit « à chaîne souriante ». Cela signifie qu’en prononçant ce hadith, le Prophète avait souri. Le Compagnon qui narra ce hadith d’après le Prophète, le fit aussi en souriant, afin d’imiter le Prophète, aussi bien dans les mots que dans la gestuelle. Le Successeur qui narra ce même hadith d’après le Compagnon le fit également en souriant. Le Successeur du Successeur qui narra à son tour le hadith le fit toujours en souriant. Et chaque maillon de la chaîne des narrateurs du hadith rapporte la hadith en souriant. Le hadith est alors dit « à chaîne (de narration) souriante ». Lorsque Nûreddîn Mahmûd récita ce hadith devant son professeur ou son sheikh, il ne sourit point. Le professeur lui dit alors : « Souris Nûreddîn, afin que ta narration du hadith soit complète, tant dans les mots que dans la gestuelle. » Le Sultan répondit : « Comment puis-je sourire alors qu’une ville musulmane est actuellement assiégée ? » Il s’agissait en fait de la ville de Damiette en Égypte. Le cœur de Nûreddîn était constamment préoccupé par les crises que traversait la Communauté.
Il s’occupa également de faire construire des hôpitaux gratuits dans chacune des villes de son État. C’était l’occasion pour les plus pauvres et les plus démunis d’avoir accès aux soins sans contrepartie. Il fit également édifier des caravansérails sur les routes afin que les voyageurs pussent s’y arrêter et s’y reposer. Il nomma également des gens chargés de s’occuper de ces aires de repos et de servir les voyageurs.
Nûreddîn était un croyant sincère et dévoué, en plus d’être un prestigieux chevalier. C’était un ascète et un soufi qui n’allait se coucher qu’après minuit pour se lever quelques heures plus tard pour faire ses ablutions et prier en compagnie de son épouse Khâtûn. Il demeurait ainsi, dans ses prières et ses supplications, jusqu’à l’aube, après quoi il prenait en main les affaires de son État. Prier la nuit et jeûner le jour : tel était son quotidien. Un matin, en se levant, il trouva son épouse attristée et affligée. Il lui demanda : « Qu’as-tu ? » Elle lui répondit : « Le sommeil m’a emportée et je n’ai pas pu me lever cette nuit pour prier. » Il ordonna alors qu’on vînt jouer du tambour, chaque matin, une heure avant l’aube pour que ceux qui désiraient se lever pour prier la nuit pussent le faire. Lors de ces prières nocturnes, Nûreddîn avait l’habitude de demander à Dieu de lui accorder le martyre. Toute sa vie, son souhait le plus vif était de mourir en tant que martyr. Voyant que son rêve ne se réalisait pas, il se disait qu’il ne devait pas encore être assez digne de cet honneur. A cause de son amour du martyre, les gens le surnommèrent justement le Martyr. En réalité, il mourut de maladie sur son lit mais à cause de ce souhait qui lui était si cher, les gens lui conférèrent ce titre.
Nûreddîn Mahmûd fut un personnage exemplaire. Il maîtrisait à la perfection les arts équestres, le tir à l’arc et autres techniques militaires, tout comme il était grand sportif. Il pratiquait en particulier le polo. Certains savants lui reprochaient de s’adonner à ce jeu. Il leur répondit : « Les actions sont jugées d’après les intentions. Nous sommes des hommes de guerre et nous n’aimerions pas oublier les arts militaires tout comme nous n’aimerions pas que nos chevaux oublient l’effort physique et l’endurance prolongée. En réalité, nous exerçons nos chevaux et nous nous exerçons nous-mêmes afin de ne pas oublier. Et chacun récoltera le fruit de ses intentions. »
C’était un homme juste, équitable envers les gens, petits et grands. Il tenait deux, quatre ou cinq fois par semaine une séance où les gens venaient chez lui lui demander de leur rendre justice contre ses généraux, ses gouverneurs ou ses employés, lorsque ceux-ci leur causaient un quelconque tort. Il remarqua un jour qu’il n’avait jamais reçu de plainte contre l’un de ses généraux : Asadeddîn Shîrkûh, l’oncle de Salâheddîn. En effet, Asadeddîn avait prévenu les gens que quiconque sentait qu’il l’avait lésé, alors il devait venir lui en parler directement et non aller lui faire un scandale devant Nûreddîn. Lorsque le Sultan s’enquit de cette affaire et apprit que son général agissait ainsi, il se prosterna face à Dieu pour Le remercier de lui avoir donné un entourage aussi scrupuleux de ses devoirs.
Nûreddîn surveillait ses actes petits et grands, de jour comme de nuit, de crainte de tomber dans une transgression des Commandements divins. Il appliquait la législation de Dieu en disant : « Nous sommes les serviteurs de Muhammad - paix et bénédiction sur lui - et les serviteurs de sa législation. » Un jour, l’un de ses fonctionnaires ou de ses ministres lui proposa de faire preuve de plus de sévérité dans l’application des sanctions pénales, par rapport à la limite imposée par la législation islamique. Il justifia sa demande par le fait qu’il existait de grands criminels contre lesquels les sanctions prévues par la loi ne suffisaient pas, et qu’il fallait les corriger avec plus de sévérité que ce que la loi préconisait. Nûreddîn lui répondit : « Magnificience de Dieu ! Comment peux-tu me faire une telle proposition ? C’est comme si tu me disais que je suis plus savant que Dieu - Exalté et Loué soit-Il - et que ce que nous proposons de nous-mêmes est plus juste que la voie légiférée par Dieu. Par Dieu, je ne le ferai pas et jamais je ne transgresserai les limites de Dieu. » Cet homme pensait, avec justesse, que tout ajout ou soustraction à la législation que Dieu nous a donnée reviendrait à dire que la raison humaine est plus puissante que la science divine.
Nûreddîn avait l’habitude, au cours de ses batailles, de rentrer dans la mêlée se moquant de savoir s’il allait terrasser la mort ou si la mort allait le terrasser. Le Sheikh Qutbeddîn An-Naysâbûrî lui dit alors un jour : « Ô notre Sultan, je te conjure de ne pas mettre ta vie en péril ! Car si tu es tué, tous tes compagnons le seront également. Le pays sera alors conquis et les Musulmans seront perdus. » Nûreddîn répliqua : « Tais-toi Qutbeddîn ! Ne dis pas cela ! Car tu fais montre d’impolitesse envers Dieu. Qui est donc Mahmûd [2] ? Qui donc, en dehors de Dieu, l’Unique, défendait la religion et le pays avant moi ? Qui est donc Mahmûd ? C’est Dieu - Exalté et Loué soit-Il - qui est le Défenseur de la religion et le Protecteur des croyants. Si je meurs ou que je suis tué, Dieu enverra des gens que nous ne connaissons même pas et qui défendront cette religion ! » Quelle sensibilité et quelle modestie est-ce là ? Lui, le défenseur de la religion et le protecteur des Musulmans, refuse qu’on dise de lui qu’après sa mort, la communauté sera perdue.
Un autre trait de profonde modestie se dégage de l’anecdote suivante. Les prédicateurs des mosquées avaient l’habitude de prier pour lui, en lui attribuant toutes sortes de titres honorifiques et pompeux : « Ô Dieu, assiste le seigneur, le Sultan, le Roi, le Juste, le Savant, l’Actif, l’Ascète, le Pieux, le Scrupuleux, le Combattant, l’Endurant, le Preux chevalier Nûreddîn, ainsi que ses hommes. Le Pilier et le Glaive de la religion, le Chef et le Fondement de l’État, l’Élu et la Gloire du Califat, l’Agrément et le Joyau de l’Imâmat, la Fierté et la Grandeur de la nation, le Soleil et le Roi des zéniths, le Suzerain et le Sultan des rois d’Orient et d’Occident, le Revivificateur universel de la justice, le Juge impartial, le Secours de la religion, le Commandeur des croyants... » Nûreddîn ordonna d’ôter tous ces titres et de ne garder qu’une seule prière : « Ô Dieu, assiste Ton pauvre Serviteur, Mahmûd Zinkî. » « N’en rajoutez pas plus », demanda-t-il aux prédicateurs des mosquées. Certains savants zélés lui demandèrent l’autorisation d’ajouter telle ou telle formule. Il leur répondit : « Si ce ne sont pas des propos mensongers, alors vous pouvez les dire. Mais s’il s’agit de louanges mensongères et d’exagérations hypocrites, alors jamais il ne sera permis qu’elles soient prononcées sur la chaire d’une mosquée. »
A cause de son ascétisme et de son mépris pour l’apparat de la gouvernance et du pouvoir, il ne touchait même pas de salaire. Il se nourrissait et s’habillait de biens qu’il avait achetés de ses propres deniers. Il n’avait même pas de maison où loger. Il habitait une petite chambre située dans la citadelle de la ville dans laquelle il se trouvait. Un jour, son épouse lui envoya un page pour lui demander de lui augmenter sa pension. Rouge de colère, il s’exclama : « Et d’où puis-je lui augmenter sa pension ? Ce qu’elle a ne lui suffit-il pas ? Par Dieu, je ne suis pas prêt de m’enfoncer dans le Feu de l’Enfer derrière ses passions. Si elle croit que les biens que je détiens sont à moi, alors elle se méprend. Ce sont les biens des Musulmans, que je m’emploie à dépenser pour leur intérêt et pour détruire l’ennemi de l’Islam. Je suis le garant de ces biens et je n’ai pas idée de trahir la confiance qu’on a placée en moi. A Homs, je possède trois boutiques. Je les lui donne et qu’elle les garde. » A vrai dire, ces trois boutiques rapportaient à peine vingt dinars par an.
Alors que Nûreddîn Mahmûd s’apprêtait à se rendre en Égypte, il fut saisi par une fièvre qui le terrassa le 15 mai 1174 E.C.. Il avait alors 59 ans. La nouvelle de son décès provoqua un terrible soubresaut de douleur dans le monde musulman. Les gens ressentirent la grandeur de la perte et pleurèrent la terrible catastrophe qui s’abattit sur eux.
Mais Dieu voulut que cette série de combattants poursuivît son chemin. Dès que l’un d’eux disparaissait du champ de bataille, un nouveau faisait son apparition. Et le nouveau détenait encore plus de capacités et de potentialités que son prédécesseur. Après ʿImâdeddîn Zinkî et Nûreddîn Mahmûd, le flambeau du jihâd contre les Croisés fut saisi par Salâheddîn Al-Ayyûbî qui allait enfin réaliser le rêve de la nation musulmane : la libération de Jérusalem.
Sources : Islamonline.net, Meshkat.org et Qaradawi.net.
[1] Il s’agit d’une habilitation permettant à celui qui la possède d’enseigner le Hadith. C’est le diplôme dit de la ijâzah en Hadith.
[2] Nûreddîn Mahmûd parle bien entendu de lui-même.
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