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ʿImâdeddîn Zinkî - Zengi

vendredi 1er août 2003

Les quatre Etats latins d’Orient

Dans les tréfonds de l’invasion croisée de l’Orient islamique, les Musulmans vivaient dans l’espoir de voir apparaître un puissant chef qui viendrait les sauver après leur malheur, les réunir après leurs divisions, unifier leurs efforts et les mener, à travers la route du jihâd et de la résistance, vers leur ultime et noble objectif.

La terre qui donna naissance aux sublimes héros - ces héros qui tracèrent le cours de l’Histoire, portèrent le flambeau de l’Islam et entraînèrent les Musulmans dans de glorieuses épopées - n’était pas encore morte et elle pouvait encore offrir une nouvelle génération de fiers guerriers, qui allaient poursuivre le chemin de leurs ancêtres et refaire la gloire de leurs aïeux.

Les matrices des mères, qui avaient donné naissance aux nocturnes ascètes et aux diurnes chevaliers, n’étaient pas non plus devenues stériles : elles allaient à nouveau mettre au monde une génération d’enfants et de petits-enfants qui hériteraient la gloire de leurs pères et la fierté de leurs grands-pères.

Dans cette atmosphère où régnait l’obscurité de la douloureuse défaite et de la plus humiliante des soumissions, scintilla une lueur. Cette lueur allait s’affirmer comme une flamme ardente qui éclairerait le chemin. Les âmes prêtèrent leur attention, les cœurs abandonnèrent leur résignation, les ardeurs se ravivèrent et les coudes se resserrèrent : tous les yeux se tournaient désormais vers ce héros tant attendu, qui était venu concrétiser leurs rêves, redonner vie à leurs espérances, chasser le fantôme de la défaite et faire regagner leur dignité et leur honneur à des millions de Musulmans, non seulement ceux de son époque, mais bel et bien également ceux des générations à venir.

Ce héros c’était : ʿImâdeddîn Zinkî, dit Zengi.

La famille de ʿImâdeddîn

ʿImâdeddîn Zinkî Ibn Âq Sunqur Ibn ʿAbd Allâh Âl Turghân vit le jour en 1084 E.C. dans une famille issue de la tribu turcomane des Sâb Yû. Son père, Âq Sunqur était l’esclave du Sultan seldjoukide Malikshâh duquel il était très proche et auprès duquel il jouissait d’une haute estime. Le Sultan lui confiait en effet de nombreuses affaires dont l’esclave s’acquittait de la meilleure façon. Cette rigueur dans son travail lui valut tous les honneurs auprès de son maître.

Âq Sunqur participa à de nombreuses batailles seldjoukides, si bien que le Sultan Malikshâh finit par le nommer gouverneur de la province d’Alep. Âq Sunqur réussit - au cours de cette période - à rétablir l’ordre et la sécurité dans le pays. Il parvint à faire cesser les actes de banditisme et de brigandage en vogue en ces temps lointains et qui causaient les plus grands dommages aux secteurs agricole et commercial. L’esclave-gouverneur s’activa donc à poursuivre les malfaiteurs et les bandits de grand chemin, en enjoignant notamment à ses fonctionnaires de mener les enquêtes nécessaires et d’assurer la protection et la sécurité des voyageurs.

La relation qu’entretenaient le Sultan Malikshâh et Âq Sunqur était une relation de cordialité et de respect mutuel.

Lorsque Malikshâh décéda en 1092 E.C., ce fut son fils Barkiyâruq qui prit la succession. Tâjeddîn Titish, l’oncle de ce dernier, ne fut pas en reste et décida de se soulever contre son neveu. Âq Sunqur apporta tout son soutien au fils de son ancien maître, mais Titish parvint à le vaincre et à le capturer en mai 1094 E.C.. Puis il le fit tuer.

Âq Sunqur perdit ainsi la vie en voulant rester fidèle à la mémoire de son Sultan, Malikshâh, et en voulant protéger son fils Barkiyâruq après sa mort.

Sacrifice et fidélité

Le nouveau Sultan, Barkiyâruq, n’oublia pas le sacrifice que Âq Sunqur avait fait de sa vie pour lui préserver son trône et pour respecter sa fidélité envers son père. Son sentiment de gratitude envers celui qui l’avait défendu le poussa à s’occuper d’une manière attentionnée de son fils unique, ʿImâdeddîn Zinkî, qui n’avait pas encore atteint sa dixième année.

ʿImâdeddîn habitait Alep et vivait sous l’œil bienveillant des esclaves de son père. En 1096, il se rendit à Mossoul où il trouva la protection du prince seldjoukide Karbûqâ (Kerbogha). Il demeura auprès de lui jusqu’à sa mort qui devait survenir en 1101. La succession au trône de Mossoul revint alors à Shamseddîn Jakarmish qui apporta à son tour toute son affection à ʿImâdeddîn. Il l’aima d’ailleurs tellement qu’il en fit son fils adoptif. ʿImâdeddîn demeura également auprès de lui jusqu’à sa mort qui devait survenir en 1106. Cette fois-ci, ce fut Jâwalî Saqâw qui prit la direction de la province de Mossoul. Une relation très forte s’établit entre ʿImâdeddîn et le nouveau gouverneur, jusqu’à ce que ce dernier se fût soulevé contre le Sultan. ʿImâdeddîn se désolidarisa alors de son ami et se rallia au nouveau gouverneur : Mawdûd Ibn At-Tûntakîn que le Sultan avait nommé à la direction de Mossoul, en raison de la confiance qu’il plaçait en lui et de l’estime qu’il lui portait.

Un héros épique

ʿImâdeddîn participa avec Mawdûd à un grand nombre de batailles contre les Croisés, en Syrie et en Mésopotamie. Mawdûd fut très agréablement surpris par le grand courage et la remarquable adresse militaire de son compagnon.

Lorsque le Sultan seldjoukide Mahmûd succéda à feu le Sultan Muhammad en 1117, de nombreux soulèvements eurent lieu, visant à le renverser. Mais ʿImâdeddîn resta fidèle au Sultan et parvint à gagner sa confiance et son respect. En outre, il démontra ses capacités à gérer la province de Wâsit lorsque celle-ci lui fut confiée, notamment en repoussant les hordes de bédouins qui y pratiquaient le brigandage et en restaurant la sécurité dans le pays.

En 1123, les Seldjoukides parvinrent - grâce au remarquable plan établi par ʿImâdeddîn - à administrer un cuisant revers à l’armée de Dubays, un prince soulevé contre le Calife ʿabbâside. Ils purent ainsi sauver le Califat d’un danger imminent qui le menaçait. Dubays se rallia après sa défaite aux Croisés et participa avec eux au siège d’Alep, dans l’espoir de pouvoir s’en emparer.

La fuite vers Tikrit

Lorsque les relations entre le Calife ʿabbâside Al-Mustarshid et le Sultan seldjoukide Mahmûd se détériorèrent en 1125, ʿImâdeddîn joua un grand rôle pour mettre fin au conflit et apaiser la situation avant que ne fusassent de toutes parts ses étincelles, et que n’éclatât entre les deux adversaires une confrontation véritablement néfaste pour l’intérêt de la communauté.

Lorsque le Sultan Mahmûd décéda en 1131, le Sultan Masʿûd Ibn Muhammad - gouverneur de l’Azerbaïdjan - chercha à s’emparer du trône seldjoukide en Irak. Il parvint même à obtenir l’amitié de ʿImâdeddîn qui l’aiderait à réaliser son objectif. Mais son frère, Saljûqshâh, qui projetait la même ambition, fut plus prompt à aller demander au Calife ʿabbâside la permission de monter sur le trône. Une bataille éclata alors entre les deux parties et se scella par la défaite de ʿImâdeddîn qui vit une importante partie de son armée capturée. Ce fut ce qui le poussa à aller se réfugier à Tikrit, dont le gouverneur et futur père de Salâheddîn (Saladin), Najmeddîn Ayyûb, l’accueillit avec tous les égards et l’aida à surmonter ses difficultés et à remettre à pied son armée.

ʿImâdeddîn et le Sultan Masʿûd

Masʿûd réussit finalement à devenir Sultan seldjoukide, régnant sur l’Irak et la Perse, après avoir éliminé ses concurrents au trône. Quant à ʿImâdeddîn, il fut désigné gouverneur de Mossoul après la mort de ʿIzzeddîn Al-Bursuqî. Mais ʿImâdeddîn refusa de se soumettre à l’autorité du nouveau Sultan, si bien que leur relation se détériora sérieusement. Sur un autre front, ʿImâdeddîn était entré en conflit avec le Calife ʿabbâside qui, à la tête de 30 mille hommes, alla l’assiéger pendant 80 jours. ʿImâdeddîn résista néanmoins jusqu’à ce que le Calife Al-Mustarshid lui proposât, en 1133, la signature d’un accord de paix qu’il accepta sur-le-champ.

Les relations entre le Sultan Masʿûd et ʿImâdeddîn Zinkî s’améliorèrent également, bien que le Sultan ressentait toujours quelques appréhensions vis-à-vis de ʿImâd Ad-Dîn, étant donné la relative indépendance dont disposait ce dernier et l’influence sans cesse grandissante qu’il exerçait.

Le monde musulman et la première croisade

Après leur première campagne qui s’étendit de 1096 à 1105, les Croisés parvinrent à mettre la main sur une grande partie de la Syrie et de la Mésopotamie. Ils purent ainsi créer leurs quatre États latins d’Orient : le Comté d’Édesse, la Principauté d’Antioche, le Comté de Tripoli et le Royaume de Jérusalem.

La présence croisée en Orient musulman constituait dès lors une menace de la première importance pour les autres territoires islamiques. Et cette menace était d’autant plus grande que le monde musulman vivait alors une situation de chaos, de divisions et de délabrement, entre autres à cause des conflits permanents entre les princes, ou encore à cause du profond différend qui existait entre les ʿAbbâsides et les Fâtimides d’une part, et entre le Califat ʿabbâside et les soulèvements de princes voulant acquérir leur indépendance d’autre part.

Les Croisés tâchèrent d’étendre leur influence et d’asseoir leur autorité sur un nombre croissant de territoires musulmans. Ils y fondaient de nouvelles principautés croisées qui serviraient d’épines plantées dans le dos du monde musulman, et qui constitueraient la prémice à une destruction ultérieure.

Les préparatifs de la bataille décisive

ʿImâdeddîn ne chercha pas à intervenir dès le début contre les Croisés. Il voulait d’abord renforcer les bases de son nouvel État, reconstruire son armée et augmenter ses potentialités militaires et économiques.

Il œuvra également à unifier sous une même bannière les petites principautés éparpillées ça et là autour de lui. Car le danger que constituaient ces principautés en guerre perpétuelle entre elles n’était pas moins important que le danger croisé qui les guettait.

Aussi ʿImâdeddîn travailla-t-il à préparer la nation musulmane et à l’unifier avant de mener la bataille qui les attendait. Parmi les villes qui tombèrent sous son contrôle durant cette période, on peut citer Nusaybîn, Sinjâr, Harrân, etc. Il signa ensuite une courte trêve avec Josselin de Courtenay, le Comte d’Édesse, afin de se consacrer aux préparatifs de la confrontation avec les Croisés et à la course derrière l’unification des Musulmans.

Il put ainsi prendre Alep, tout en lançant diverses attaques contre les positions croisées qui l’entouraient. Le château de Litharb était l’une des plus importantes de ces positions. Les Musulmans hésitèrent à l’attaquer, mais ʿImâdeddîn insista et finit par infliger une très dure défaite aux Croisés : « Voici notre première exploit, déclara-t-il. Faisons-leur goûter de notre force ce qui les terrorisera à tout jamais ! » Il s’empara également de Baʿrîn que les Croisés considéraient comme une pièce maîtresse dans la défense de leurs principautés d’Orient. Ils essayèrent donc en vain, sous le commandement de l’Empereur byzantin Jean Comnène, de récupérer cette position.

ʿImâdeddîn s’activa également à semer la discorde entre la dangereuse coalition établie entre les Croisés de Syrie et les Byzantins. Il réussit ainsi à semer la suspicion de part et d’autre afin de briser toute forme de coopération entre les deux alliés. Au même moment, il envoyait des délégations à tout le monde musulman afin qu’on lui apportât un soutien militaire dans sa lutte.

La route vers Édesse

ʿImâdeddîn chercha à s’emparer de Damas, afin d’unifier le front syrien et le préparer à sa confrontation prochaine avec les Croisés. Mais les princes de la ville, sous l’autorité de Mujîreddîn Ubuq se rallièrent à l’envahisseur chrétien et obligèrent ʿImâdeddîn à rebrousser chemin. Ce dernier renforça néanmoins sa position en prenant un certain nombre de châteaux rattachés au Comté d’Édesse. Il put ainsi couper toute communication entre le Comte d’Édesse et ses alliés.

Le Comté d’Édesse était en réalité l’un des principaux États latins d’Orient, notamment à cause de ses puissantes fortifications et de sa proximité de l’Irak qui était alors le noyau du Califat ʿabbâside. Cet État était pour ainsi dire l’un des dangers les plus imminents pour les territoires musulmans avoisinants.

Conscient de tout cela, ʿImâdeddîn se fixa comme objectif de reconquérir cet État. Il étudia minutieusement la situation et parvint à la conclusion qu’il ne pourrait prendre Édesse que s’il parvenait à attirer Josselin II de Courtenay, Comte d’Édesse, en-dehors des murs de la ville. Pour ce faire, il employa une ruse très astucieuse qui lui permit de parvenir à sa fin. Il fit semblant de vouloir assiéger la ville de Âmid, tout en donnant l’ordre à ses espions d’observer les mouvements de Josselin. Dès que ce dernier vit que ʿImâdeddîn s’était détourné de lui pour s’occuper de Âmid, il sortit avec son armée vers la ville de Turbessel, sur la rive occidentale de l’Euphrate, où il pourrait profiter de toutes sortes de délicieux plaisirs terrestres.

C’était bien ce qu’escomptait ʿImâdeddîn. Il se dépêcha alors, à la tête d’une très grande armée, de marcher sur Édesse. Il rassembla avec lui tous les Musulmans capables de porter les armes contre les Croisés. Un nombre considérable de volontaires se joignirent ainsi à lui, si bien qu’il était en mesure d’assiéger la ville de tous les côtés. Il essaya de dialoguer pacifiquement avec les habitants de la ville et employa tous ses efforts pour les convaincre de se rendre, leur garantissant la sécurité. Mais ils refusèrent. Il n’eut plus d’autre choix que de renforcer le blocus et d’utiliser les armes de siège, notamment les béliers, qu’il avait apportées avec lui. Il lui fallait agir vite, avant que les Croisés ne pussent rassembler leurs troupes et sauver la ville.

Le siège et la chute d’Édesse

Après 28 jours de sièges, le 27 novembre 1144, l’une des murailles de la citadelle céda et l’armée de ʿImâdeddîn entra dans la ville. Les biens furent spoliés, les hommes tués et les femmes et les enfants capturés. Mais très vite, voyant qu’il avait tout à perdre en détruisant une telle ville, ʿImâdeddîn donna l’ordre immédiat à ses soldats de cesser tout acte de guerre, de ne capturer personne et de ne prendre aucun butin. Il leur demanda même de restituer ce qu’ils avaient déjà pris à leurs propriétaires.

Il débuta aussitôt des travaux de réparation et de réhabilitation dans la ville, notamment sur les murs et les édifices qui avaient été détruits lors de l’invasion d’Édesse. Il fit preuve de justice et de bonté avec les habitants, de sorte qu’ils pussent regagner leur sécurité et leur sérénité. Il leur laissa leurs églises et leurs monastères et n’en détruisit aucun. Ils étaient libres de pratiquer leur culte comme bon leur semblait.

Le mystérieux assassinat de ʿImâd Ad-Dîn

La libération d’Édesse fut la plus noble et la plus grande œuvre réalisée par ʿImâdeddîn. Il venait en effet d’abattre l’un des quatre États latins d’Orient, et non le moindre. Pourtant, le 15 septembre 1146, deux ans à peine après cette éclatante victoire, alors qu’il assiégeait la citadelle de Jaʿbar, il fut assassiné par Yaranqash, son serviteur personnel, qui pénétra dans sa tente et l’égorgea dans son sommeil.

Un certain nombre d’historiens estiment que l’assassinat de ʿImâdeddîn tenait plus de raisons politiques que personnelles. L’homme était en effet au faîte de sa gloire dans sa lutte contre les Croisés, tout comme il était parvenu à obtenir un autre grand succès en mettant en place un puissant front islamique uni. Il ne pouvait donc qu’exciter les jalousies et raviver les basses rancunes de ses adversaires.

Mais sa mort ne signifiait pas pour autant la fin de cette génération de héros. Son fils, Nûreddîn Mahmûd, allait désormais lui succéder, marcher sur ses pas et reprendre le flambeau du jihâd contre cet ennemi venu d’outre-mer.

P.-S.

Sources : Islamonline.net, Al-Kâmil fî At-Târîkh d’Ibn Al-Athîr, disponible en ligne sur Al-Eman.com et Târîkh Ibn Khaldûn d’Ibn Khaldûn, disponible également en ligne sur Al-Eman.com.

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