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Idrîs As-Sunûsî

Le Roi soufi

vendredi 7 janvier 2005

Idrîs As-Sunûsî (1890 - 1983)

Contrairement à d’autres confréries soufies, le Sénousisme ne limitait pas ses centres d’intérêt au culte et à l’adoration, en négligeant les affaires profanes de ce bas-monde. C’était un mouvement qui associait la religion à la politique, la théorie à la pratique, l’éducation à la lutte armée. Les zaouias, que cette confrérie avait fondées en Libye et en Afrique de l’Ouest, étaient des lieux de culte et d’enseignement, en même temps qu’ils étaient des centres de discussion et de réunion, des bases du gouvernement et du pouvoir.

Les Sénousis eurent profondément d’influence dans les endroits où ils s’implantèrent, et ce, depuis la fondation de leur ordre dans la première moitié du XVIIIe siècle hégirien. Leur influence était telle que l’Empire ottoman, qui gouvernait alors la Libye, s’appuya sur leurs efforts pour mener à bien la politique intérieure du pays, puis plus tard, pour combattre le colonialisme qui commençait à s’infiltrer en Afrique de l’Ouest.

Lorsque les Italiens envahirent la Libye en 1911, le Sénousisme ne cessa de brandir pendant trente ans la bannière du jihâd pour chasser l’ennemi de la terre libyenne.

Entre l’avènement de cette confrérie et sa disparition, quatre chefs et réformateurs se succédèrent à sa tête : As-Sayyid Muhammad Ibn ʿAlî As-Sunûsî, le fondateur de l’ordre sénousi, son fils As-Sayyid Al-Mahdî, As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf, et le dernier Idrîs As-Sunûsî.

Naissance et jeunesse

Muhammad Idrîs Ibn As-Sayyid Al-Mahdî Ibn Muhammad As-Sunûsî naquit le 12 mars 1890 dans la région d’Al-Jabal Al-Akhdar en Cyrénaïque, Libye. Il grandit sous la coupe de son père, qui était le chef de la confrérie sénousie, et qui mena cette confrérie à l’apogée de sa puissance et de son expansion.

Idrîs As-Sunûsî rejoignit l’école coranique. Il acheva ainsi l’apprentissage du Coran dans la zaouia de Koufra, qui était le centre du Sénousisme. Il poursuivit son éducation en compagnie des savants sénousis, avant de repartir en Cyrénaïque en 1902. Le destin voulut que son père As-Sayyid Al-Mahdî mourût cette année-là après que son mouvement eut atteint son apogée. À sa mort, le nombre de zaouias s’élevait à 146, réparties en Cyrénaïque, en Tripolitaine, au Fezzan, à Koufra, en Égypte, au Soudan et en Arabie. Le leadership du mouvement soufi fut alors transféré à As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf As-Sunûsî, qui devint en même temps le tuteur de son cousin, le jeune Idrîs.

L’invasion italienne de la Libye

Lorsque la Lybie se trouva confrontée à l’invasion italienne en 1911, les Sénousis durent endosser la responsabilité de défendre l’honneur de la patrie et de chasser l’envahisseur, et ce, en dépit du déséquilibre flagrant entre les moyens militaires des Italiens d’une part et des Sénousis d’autre part. La garnison ottomane présente en Libye, et constituée de deux mille deux cent dix soldats, était incapable à elle seule de faire face à une armée de quarante mille hommes. Ce fut la raison pour laquelle la responsabilité de défendre le pays incomba aux autochtones.

Pendant toute la période de l’occupation, les exactions italiennes à l’encontre des habitants ne cessèrent ni peu ni prou. Aussi bien pendant les opérations militaires que dans la période suivante, le comportement des envahisseurs relevait plus de la bestialité que de sentiments humains. Leurs crimes firent de l’occupation de la Libye des pages noires, non seulement dans l’histoire de l’Italie, mais dans l’histoire de l’humanité.

L’un des crimes les plus sordides commis par les Italiens fut sans doute le terrible massacre auquel ils se livrèrent après la chute de Tripoli, près d’Al-Manshiyyah. Ils tuèrent entre quatre mille et sept mille civils, mutilèrent les morts, violèrent les femmes et torturèrent les survivants. Ils en déportèrent neuf cents et jetèrent des milliers d’hommes et de femmes dans les prisons. Pour se jutifier, les Italiens prétextèrent que les habitants de cette région assassinaient les soldats envahisseurs.

Après le départ des troupes ottomanes de Tripoli, As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf As-Sunûsî prit la tête des combattants libyens et mena une résistance acharnée contre l’occupant. Malgré le peu de moyens humains et logistiques dont ils disposaient, les Sénousis causèrent de graves défaites à l’ennemi. Les combattants avaient décidé de ne pas affronter les Italiens dans des batailles rangées, mais en privilégiant la guerilla et les batailles-éclairs. Cette technique alourdit notablement les pertes italiennes.

Durant cette période, As-Sayyid Idrîs As-Sunûsî avait atteint l’âge qui lui permettait de prendre en main les affaires du Sénousisme. Certains chefs sénousis proposèrent alors que Idrîs reprenne le flambeau de son père, mais le jeune homme refusa, par respect pour son cousin et tuteur.

Les Sénousis attaquent la Grande-Bretagne

Après le début de la Première Guerre mondiale, l’Italie dut retirer le gros de ses troupes qui étaient en Libye. Au même moment, les Sénousis décidèrent de prêter main forte à l’Empire ottoman qui était entré en guerre. As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf mena une campagne militaire en Égypte dans le but de contraindre la Grande-Bretagne de combattre sur les frontières occidentales de l’Égypte et, par conséquent, de la détourner de la campagne turco-allemande sur le Canal de Suez. Cette entreprise libyenne se solda néanmoins par un échec et As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf rentra chez lui vaincu, abandonnant la tête du mouvement sénousi au profit de son cousin Muhammad Idrîs As-Sunûsî. Celui-ci saisit les affaires de la confrérie d’une main de fer, en frappant durement les membres corrompus. Il choisit la ville de Ajdâbiyâ comme capitale de son émirat naissant, et organisa des opérations contre les camps militaires italiens.

Négociations entre Idrîs et l’Italie

Alors que la Première Guerre mondiale approchait de son dénouement et que les batailles entre Libyens et Italiens ne s’avéraient pas décisives, les deux parties recoururent à la table des négociations et signèrent une trêve en 1917, dans laquelle elles déclaraient un cessez-le-feu. Cette trêve comportait plusieurs clauses, parmi lesquelles l’obligation pour les Italiens de s’arrêter aux territoires qu’ils occupaient déjà, le maintien des tribunaux islamiques, l’ouverture d’écoles scientifiques et techniques en Cyrénaïque, la restitution par l’Italie des zaouias sénousies et des terres rattachées à celles-ci ainsi que leur exonération des taxes. Les Sénousis s’engageaient en contrepartie à dissoudre leurs milices et à désarmer les tribus. On peut raisonnablement se poser des questions sur la justesse du calcul opéré par les diplomates sénousis, puisque cette trêve, malgré les quelques avantages qu’elle leur procurait, restait manifestement en leur défaveur.

Quoiqu’il en soit, les clauses de cette trêve ne furent pas appliquées concrètement. Les deux parties reprirent donc les négociations et signèrent un nouvel accord en 1920, l’Accord d’Ar-Rajmah, dans lequel la Cyrénaïque était partagée en deux : le nord - comprenant les côtes et une partie d’Al-Jabal Al-Akhdar - passait sous domination italienne, tandis que le sud - comprenant Jaghbûb, Ûjîlah, Jâlû et Koufra - serait indépendant et deviendrait l’Émirat sénousi. As-Sayyid Muhammad Idrîs porterait désormais le titre d’ « Émir », mais garderait le droit de se déplacer dans toute la Cyrénaïque, et d’intervenir dans l’administration de la partie italienne de cette province, lorsqu’il sentirait que son intervention était de l’intérêt des Libyens autochtones. En contrepartie, l’Émir devrait dissoudre ses forces militaires, et ne garder qu’un millier d’hommes pour l’administration intérieure et la sécurité de son émirat. Autant dire que ce nouvel accord n’était pas plus heureux que le précédent.

Idrîs, chef d’État

Tous ces accords ne réussirent guère à calmer la situation dans le pays ni à ramener la stabilité. Dans les coulisses, l’Italie cherchait à semer les graines de la division entre les différentes forces libyennes. Les sages comprirent alors que seule l’unification des efforts permettrait de contrecarrer les offensives de l’occupant. On organisa pour ce faire une conférence à laquelle assistèrent les chefs du mouvement national et qui se tint à Gharyân en novembre 1920. Y fut prise la décision suivante : « La situation à laquelle est arrivé le pays ne pourra s’améliorer qu’en mettant en place un gouvernement capable, érigé sur les fondements de la Législation islamique, et mené par un homme musulman élu par la nation, qui ne pourra être déposé que pour des raisons légales et après l’approbation du Parlement. Il aura les pleins pouvoirs religieux, civil, et militaire, conformément à une constitution qui sera adoptée par la nation, représentée par ses députés. Son autorité devra s’exercer sur tout le pays, dans ses limites territoriales reconnues ».

Premier et dernier Roi de Libye (1952 - 1969)

Cette conférence donna naissance à l’Association Centrale de la Réforme qui, en 1922, prêta serment d’allégeance à Idrîs As-Sunûsî, en tant qu’Émir de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, et ce, afin d’unifier les efforts de défense de la patrie et de lutte contre l’occupant.

L’acceptation par As-Sunûsî de cette allégeance et la coordonnation des efforts libyens constituaient les principales craintes italiennes. As-Sunûsî comprit pour sa part qu’en acceptant cette allégeance, il pouvait s’attendre au pire de la part de l’Italie et devenait une cible potentielle. Il décida alors d’aller se réfugier en Égypte, laissant à ʿUmar Al-Mukhtâr le soin de conduire le mouvement de la résistance sur le territoire libyen.

Après que les Fascistes eurent pris le pouvoir en Italie en 1922, le poids de l’occupation se fit encore plus lourd pour les Libyens. Les massacres reprirent de plus belle, et les occupants s’emparèrent des zaouias sénousies, en décrétant l’annulation de tous les accords que le précédent gouvernement italien avait signés avec les Sénousis. La conséquence de cette position fut que le mouvement du jihâd s’enflamma. S’avérant incapables de mater la résistance, les colonisateurs employèrent toutes sortes de moyens d’extermination massive, combattirent la langue arabe et l’Islam, et œuvrèrent à évangéliser les Musulmans en s’attaquant à leur religion et à leurs principes moraux.

As-Sunûsî en Égypte

Après que Idrîs As-Sunûsî se fut établi au Caire, ses mouvements furent limités du fait que l’occupation britannique lui imposa de ne plus faire de politique. Il se contentait alors, de temps à autre, d’écrire dans les journaux égyptiens pour la cause libyenne.

Lorsque éclata la Seconde Guerre mondiale, Idrîs As-Sunûsî reprit ses activités et le 20 octobre 1939, il organisa une réunion, chez lui à Alexandrie, à laquelle assistèrent quelque quarante Sheikhs libyens réfugiés en Égypte. Les participants décidèrent de déléguer l’Émir pour négocier avec les gouvernements égyptien et britannique la formation d’une armée sénousie, qui participerait avec les Alliés aux combats contre l’Italie pour libérer la Libye.

L’Émir commença la préparation des troupes qui rejoindraient les Alliés dans la guerre. On créa un camp d’entraînement à Imbâbah en Égypte, qui fut rejoint par plus de quatre mille volontaires Libyens. Ces troupes constituèrent une grande aide par la suite pour les Alliés, dans leurs batailles contre les forces de l’Axe en Afrique du Nord. Les civils libyens eux-mêmes participèrent également à leur manière dans l’effort de guerre contre l’Italie.

Le retour de Idrîs en Libye

Après la défaite de l’Italie et son départ de la Libye, Idrîs As-Sunûsî retourna dans son pays en juillet 1944. Il fut accueilli par son peuple en Cyrénaïque en héros national.

À peine installé en Cyrénaïque, il commença à travailler au transfert du pouvoir à son gouvernement. Il publia ainsi un décret demandant la nomination d’un gouvernement libyen qui administrerait le pays. Puis il publia la Constitution de la Cyrénaïque, considérée aujourd’hui comme un des plus importants documents officiels de l’histoire arabe moderne. Cette Constitution garantissait la liberté de conscience et de pensée, l’égalité des citoyens et le droit à la propriété privée. Elle faisait de la langue arabe la langue officielle de l’État et stipulait que le gouvernement cyrénaïque serait un gouvernement constitutionnel avec un parlement élu.

En 1946, l’Italie reconnut l’indépendance de la Libye et le pouvoir légitime d’As-Sayyid Muhammad Idrîs As-Sunûsî. Néanmoins, le jeune émirat n’était pas totalement souverain en raison de la présence de forces anglo-françaises sur le territoire libyen.

Naissance de la Libye moderne

En réponse aux demandes des Libyens qui réclamaient le maintien de l’unité des trois régions que sont la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan sous l’autorité de l’Émir Idrîs As-Sunûsî, les Nations Unies envoyèrent un émissaire en Libye pour juger de la situation et consulter l’avis des chefs de tribus sur celui qu’ils voulaient voir les gouverner. L’avis majoritaire pencha en faveur de l’Émir Idrîs As-Sunûsî, qui fut choisi comme dirigeant de la Libye unifiée.

Après cette étape d’unification, l’Émir travailla à renforcer son pays sur tous les plans. Ainsi instaura-t-il le 25 novembre 1950 la première Assemblée Nationale qui représenterait les différentes provinces libyennes. Cette Assemblée prit un certain nombre de décisions allant dans le sens de la création d’un État libyen constitutionnel. Elle décida que « la Libye serait un État démocratique, fédéral, indépendant et souverain dont le régime serait une monarchie constitutionnelle. Son Altesse l’Émir As-Sayyid Muhammad As-Sunûsî, Émir de Cyrénaïque, deviendrait le Roi du Royaume Uni de Libye ». Cette Assemblée rédigea également la Constitution du pays, composée de 204 articles, et la publia le 7 octobre 1951.

Idrîs As-Sunûsî, au centre, désigné Roi de Libye par l’Assemblée Nationale

Après que le Roi Idrîs As-Sunûsî eut déclaré que la Libye était devenue un État souverain, suite à la publication de la Constitution, son pays rejoignit la Ligue des États Arabes en 1953, puis l’Organisation des Nations Unies en 1955.

Le Roi Idrîs déclare l’indépendance de la Libye.

La fin de la monarchie et la mort du Roi Idrîs

As-Sunûsî demeura Roi de Lybie jusqu’à la Révolution du 1er Septembre 1969, menée par le Colonel Muʿammar Al-Qadhdhâfî qui destitua le Roi Idrîs As-Sunûsî. Ce dernier s’installa alors en Égypte en tant que réfugié politique et y resta jusqu’à son décès qui survint le 25 mai 1983.

P.-S.

Source : Islamonline.net.

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