dimanche 16 juin 2002
Revenant à la hâte à La Mecque après un voyage d’affaires en Syrie, Talhah demanda à sa famille :
" S’est-il passé quelque chose à La Mecque depuis mon départ ?
- Oui, lui répondit-on, Muhammad Ibn ʿAbd Allâh a fait savoir qu’il est Prophète et Ibn Abî Quhâfah (Abû Bakr) le soutient. "
"J’avais l’habitude de fréquenter Abû Bakr ", dit Talhah. " C’est un homme facile à vivre, aimable, doux. Il est droit et honnête en affaires. Nous l’aimions beaucoup. Sa connaissance de l’histoire et de la généalogie de Quraysh rendait sa compagnie très agréable. "
Talhah alla trouver Abû Bakr et lui demanda :
" Est-il vrai que Muhammad Ibn ʿAbd Allâh se déclare Prophète et que tu le soutiens ?
-Oui, répondit Abû Bakr, et ce serait une bonne chose si tu adhérais également à sa religion. "
Talhah raconta à Abû Bakr l’histoire de l’étrange échange qu’il eut peu auparavant avec un ascète sur le marché de Busra en Syrie. Cet ascète lui aurait dit qu’un homme au nom de Ahmad allait bientôt émerger à La Mecque et qu’il serait le dernier des Prophètes. Selon l’histoire, il aurait également prédit à Talhah que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — allait émigrer de La Mecque vers une contrée au sol fertile, riche en eau et en palmiers...
Abû Bakr, stupéfait par ce récit, conduisit Talhah auprès de Muhammad. Il raconta au Prophète — paix et bénédictions sur lui — sa conversation avec l’ascète de Busra. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — lui présenta l’islam et lui récita quelques versets du Coran. Enthousiaste, Talhah prononça séance tenante la shahâdah - il n’y a aucun Dieu à part Allâh et Muhammad est Son Messager. Talhah fut la quatrième personne qu’Abû Bakr amena à l’islam.
La conversion du jeune homme stupéfia les Qurayshites, surtout sa mère qui en fut consternée et malheureuse. Elle avait espéré que son caractère noble et ses remarquables vertus auraient fait de lui un leader dans sa communauté. Quelques Qurayshites inquiets tentèrent d’éloigner Talhah de sa nouvelle religion, mais il resta ferme et convaincu. Puisque la manière douce était inefficace, ils recoururent à la violence pour le dissuader.
L’histoire suivante est rapportée par Masʿûd Ibn Kharash :
" Tandis que je faisais le saʿy (foulées rituelles) entre Safâ et Marwah, je vis une foule persécuter de coups un jeune homme avec les mains liées. Une vieille femme particulièrement virulente le flagellait.
Je demandai : " Qu’a fait cet homme ?
- C’est Talhah Ibn ʿUbaydillâh. Il a renoncé à sa religion pour celle de l’homme des Banû Hâshim.
- Qui est cette femme derrière lui ? demandai-je.
- C’est Sabâh Bint Al-Hadramî, sa mère, me répondit-on. "
Les Qurayshites ne s’arrêtèrent pas là. Nawfal Ibn Khuwaylid, surnommé le lion de Quraysh attacha Talhah et Abû Bakr avec une même corde et les remit aux cruels Mecquois qui les torturèrent. Cette expérience partagée contribua sans aucun doute à rapprocher Talhah et Abû Bakr.
Les années passèrent. Grandi par les épreuves endurées au nom de Dieu et de Son Prophète — paix et bénédictions sur lui —, Talhah gagna en assurance. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — l’appelait Talhah le Bon ou Talhah le Généreux. Suite à la bataille d’Uhud, il reçut le surnom unique de " martyr vivant ".
Talhah n’avait pu participer à la bataille de Badr car le Prophète — paix et bénédictions sur lui — les avait envoyés en mission, lui et Said Ibn Zayd, à l’extérieur de Médine. A leur retour, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — et ses compagnons étaient déjà en route vers Badr. Ils étaient tous deux très peinés de ne pouvoir prendre part à la première campagne du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Ils furent néanmoins heureux d’apprendre qu’ils allaient être récompensés au même titre que ceux qui s’étaient battus.
À Uhud, quand les musulmans furent mis en déroute, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — fut dangereusement exposé. Onze Ansâr et un Muhâjir - Talhah Ibn ʿUbaydillâh - étaient alors à ses côtés. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — escalada une montagne suivi de près par quelques polythéistes. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — cria : " Celui qui repoussera ces ennemis sera mon compagnon au Paradis. " " Moi ! O Messager de Dieu ", cria Talhah. " Non, reste à ton poste ", répondit le Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Un Ansârite se porta volontaire. Il lutta mais finit par mourir sous les coups ennemis. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — poursuivit son ascension toujours talonné par les polythéistes . " N’y a-t-il personne pour les repousser ? "
Talhah se proposa de nouveau mais le Prophète — paix et bénédictions sur lui — lui ordonna de maintenir sa position. Un autre soldat tenta d’arrêter l’ennemi sans succès. Il fut tué. Tous ceux qui accompagnaient le Prophète — paix et bénédictions sur lui — tombèrent en martyre à l’exception de Talhah.
" Maintenant, oui, tu peux y aller ", signala le Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Aussi se lancèrent-ils dans la bataille. Au terme de la lutte, plusieurs dents du Prophète — paix et bénédictions sur lui — étaient cassées, son front et ses lèvres étaient blessés et le sang coulait sur son visage. Il était épuisé. Talhah fonça sur l’ennemi qu’il éloigna du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Il revint auprès du Prophète — paix et bénédictions sur lui — pour le mettre à l’abri plus haut dans la montagne. Il l’allongea sur le sol et reprit le combat.
Enfin, il parvint à repousser l’ennemi. À cette occasion, Abû Bakr dit : " À ce moment, Abû Ubaydah Ibn Al-Jarrâh et moi-même étions loin du Prophète — paix et bénédictions sur lui —. Quand nous l’avons rejoint pour lui porter secours, il nous somma de le laisser et d’aller plutôt prêter main forte à notre compagnon Talhah."
Talhah gisait inconscient dans un creux. Le sang coulait abondamment. Son pied avait été coupé et les épées, les lances et les flèches ennemies ne l’avaient pas épargné.
Plus tard, le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : " Celui qui est heureux de voir un homme toujours vivant alors qu’il est arrivé au terme de sa vie, qu’il regarde Talhah Ibn Ubaydallah. "
Puis, chaque fois qu’Uhud était évoqué, As-Siddîq, puisse Allâh être satisfait de lui, dit : " Ce jour-là, c’était bel et bien le jour de Talhah. "
C’était ainsi que Talhah devint le martyr vivant. D’autres situations lui valurent d’être appelé Talhah le Bon et Talhah le Généreux.
Talhah était un commerçant avisé. Ses nombreux voyages d’affaires dans la péninsule arabe étaient très fructueux. Au retour de l’un d’eux à Hadramawt, il accumula des profits s’élevant à près de sept cent mille dirhams. Cette immense richesse l’angoissait. Ses nuits étaient très agitées. Son épouse, Umm Kulthûm, la fille d’Abû Bakr, lui demanda alors :
" Qu’est-ce qui ne va pas , ô père de Muhammad ? T’ai-je blessé en quoique ce soit ?
- Non , répondit Talhah, tu es une épouse merveilleuse pour un musulman. Mais depuis hier soir je me demande : comment un homme peut-il penser à son Seigneur, Celui qui pourvoit quand il va dormir avec tout cet argent sous son toit ?
- Pourquoi cela te dérange tant ? fit remarquer Umm Kulthum. Tu n’as qu’à distribuer dès demain matin cet argent aux indigents de ta communauté et à tes amis.
- Dieu te bénisse. Tu es vraiment merveilleuse et tu es certes la fille d’un homme merveilleux , dit Talhah à son épouse."
Le lendemain matin, Talhah mit l’argent dans des sacs qu’il distribua aux pauvres Emigrés (Muhâjirîn) et Auxiliaires Médinois (Ansâr). On raconte qu’un homme vint trouver Talhah dans le but de lui demander de l’aide en faisant mention de la famille qu’ils avaient en commun.
" On m’a déjà parlé de ce lien de parenté auparavant ", répondit Talhah, réputé pour sa générosité envers tous les membres de son clan. Talhah annonça à l’homme qu’il venait de vendre une parcelle de terrain à ʿUthmân Ibn ʿAffân pour plusieurs milliers de dirhams. L’homme avait le choix entre l’argent et la terre que Talhah pouvait racheter à ʿUthmân. L’homme opta pour l’argent. Talhah lui remit l’intégralité de la somme.
Talhah aidait volontiers ceux qui avaient des problèmes de dettes, les chefs de famille dans le besoin et les veuves. L’un de ses amis, As-Saib Ibn Zayd, raconta à son propos : " J’ai accompagné Talhah Ibn ʿUbayd Allâh dans ses voyages. J’ai passé du temps chez lui. Je ne connais personne d’aussi généreux avec l’argent, les vêtements et la nourriture que Talhah. "
Il méritait bien d’être appelé Talhah le Bon et Talhah le Généreux.
Le nom de Talhah fut également mêlé à la première fitnah (discorde entre musulmans) après la mort du Prophète — paix et bénédictions sur lui —.
Les graines de discorde furent semées pendant le Califat de ʿUthmân Ibn ʿAffân. Les fauteurs de trouble ne se satisfirent pas des plaintes et des accusations alléguées contre ʿUthmân. Ils souhaitaient en finir avec lui une fois pour toutes.
En l’an 35 A.H. (c’est-à-dire en 656 E.C.), un groupe d’insurgés prit d’assaut la maison de ʿUthmân. Ils l’assassinèrent lâchement tandis qu’il récitait le Coran. Ce fut l’un des événements les plus choquants de la jeune histoire de l’islam.
ʿAlî fut persuadé d’accepter la charge de Calife. Aussi tous les musulmans lui firent-ils serment d’allégeance, y compris Talhah et Az-Zubayr Ibn Al-ʿAwwâm. Ces derniers furent profondément touchés par le meurtre de ʿUthmân. Ils décidèrent de punir les meurtriers et de se faire ainsi justice. Or, la punition des meurtriers n’était pas une tâche facile dans la mesure où le crime impliquait un grand nombre de personnes.
Talhah et Az-Zubayr demandèrent à ʿAlî la permission d’aller à La Mecque accomplir la ʿumrah. Aishah, l’épouse du Prophète — paix et bénédictions sur lui —, était tout aussi bouleversée quand elle apprit l’assassinat de ʿUthmân. Talhah, Az-Zubayr et Aishah partirent pour Basrah où s’étaient réunis en masse ceux qui voulaient venger la mort de ʿUthmân.
Cette importante mobilisation à Basrah représentait un défi ouvert pour ʿAlî. En tant que Calife des musulmans et chef de l’Etat musulman, il ne pouvait tolérer un conflit armé au sein de son État. Quelle tâche ardue ! Pour contenir cela, il dut affronter ses frères, ses amis, ses compagnons, ceux qui étaient avec lui aux côtés du Prophète — paix et bénédictions sur lui — de son vivant, ceux qui s’étaient battus côte à côte avec lui contre l’ennemi et ceux qu’il respectait et aimait.
Les deux camps opposés se rencontrèrent à Kuraybah, près de Basrah. ʿAlî souhaitait éviter la guerre et trouver un arrangement pacifique. Il épuisa tous les moyens disponibles pour maintenir la paix. Il s’accrocha à tout espoir d’éviter la confrontation. Mais les forces obscures travaillant contre l’islam étaient déterminées à résoudre les problèmes dans le sang.
ʿAlî pleura. Il pleura amèrement quand il vit Aishah, la Mère des Coyants, dans son hawdaj (palanquin) à Califourchon sur un chameau en tête de l’armée adverse. Quand il vit Talhah et Az-Zubayr, les deux proches compagnons du Prophète — paix et bénédictions sur lui — dans les rangs, il leur cria de sortir. Ils sortirent. ʿAlî dit à Talhah : " Ô Talhah, es-tu venu avec l’épouse du Messager d’Allâh pour te battre ? "
Et à Az-Zubayr, il dit : " Ô Az-Zubayr ! Par Dieu, je t’implore de m’écouter. Te rappelles-tu le jour où le Prophète, que la paix et la bénédiction d’Allâh soient sur lui, te demanda : " Aimes-tu ʿAlî ? ". Tu avais répondu : " Pourquoi n’aimerais-je pas mon cousin et mon co-religionnaire ... ? ". "
ʿAlî continua à parler leur rappelant la fraternité et la foi qui les unissaient. Talhah et Az-Zubayr finirent par se retirer de ce conflit envisageant enfin la situation sous une lumière différente. Cependant, ils allaient payer de leurs vies ce retrait.
Suite à leur rétractation, un homme nommé ʿAmr Ibn Jarmûz assassina lâchement Az-Zubayr alors qu’il effectuait sa prière. Talhah fut tué par une flèche supposée appartenir à Marwan, un cousin de ʿUthmân, si aveuglé par la haine et la soif de vengeance de son parent qu’il n’envisageait pas d’autre issue que la guerre.
Le destin de Talhah était lié au meurtre de ʿUthmân. Il ne prit pas part au combat connu dans l’histoire comme étant " la Bataille du Chameau ". En effet, s’il avait su que la discorde allait dégénérer dans une haine si folle et dans un tel bain de sang, il s’y serait opposé. Il ne voulait pas se battre contre ʿAlî. Il avait été affecté par le meurtre de ʿUthmân et voulait que justice soit faite. Avant le début de la bataille, il avait dit avec une voix étranglée d’émotion : " O mon Dieu, au nom de ʿUthman, fasse que je lutte aujourd’hui jusqu’à Te satisfaire ! " Puis, suite au discours de ʿAlî, Talhah et Az-Zubayr comprirent la justesse de son raisonnement et se retirèrent du champ de bataille. Malgré ces circonstances difficiles, le martyre leur fut réservé.
Au terme de la bataille du Chameau, Aishah, la Mère des Croyants, se rendit compte de la précipitation de son jugement. Aussi prit-elle du recul par rapport au conflit. Elle quitta Basrah pour se rendre à la Mosquée Sacrée et ensuite à Médine. ʿAlî lui fournit tout le nécessaire pour son voyage. Il s’assura de son confort et qu’elle était traitée avec l’honneur qu’elle méritait.
ʿAlî dirigea la prière funéraire de ceux qui avaient péri pendant la bataille des deux côtés, ses alliés et ses adversaires. Quand ils eurent fini d’enterrer Talhah et Az-Zubayr, il leur fit ses adieux le cœur lourd et débordant de tendresse et d’amour.
" Je souhaite sincèrement, dit-il avec des mots simples et sublimes, que Talhah, Az-Zubayr, ʿUthmân et moi soyions parmi ceux à propos desquels Dieu a dit : " Et Nous aurons arraché toute rancune de leurs poitrines : et ils se sentiront frères, faisant face les uns aux autres sur des lits. " Coran, sourate al-Hijr 15, verset 47. "
Alors il regarda tendrement et avec tristesse les tombes de ses frères dans la foi et leur dit : " J’ai entendu de mes propres oreilles le Messager d’Allâh, que la paix et la bénédiction d’Allâh soient sur lui, dire : " Talhah et Az-Zubayr sont mes compagnons au Paradis ! ". "
Traduit de "Companions of The Prophet", Vol.1, écrit par Abdul Wâhid Hâmid.
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