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Umm As-Saʿd

La femme aux dix lectionnaires

mardi 10 février 2004

Umm As-Saʿd (née en 1925)

Lorsqu’elle eut achevé la mémorisation du Noble Coran à l’âge de quinze ans, Umm As-Saʿd se rendit auprès de la Sheikha Nafîsah Bint Abî Al-ʿUlâ, une grande spécialiste du Coran en son temps, lui demandant de lui enseigner les dix lectionnaires (qirâ’ât) du Coran [1]. Cette dernière lui posa une condition étrange, à savoir ne jamais se marier. Elle refusait en effet d’enseigner aux filles, car une fois mariées, elles devenaient occupées à un tel point qu’elles en négligeaient le Noble Coran.

Le plus étonnant est que Umm As-Saʿd accepta la condition de sa Sheikha, connue pourtant pour sa sévérité envers les femmes, voyant en la majorité d’entre elles des personnes inaptes à porter le fardeau de cette noble mission. Ce qui encouragea Umm As-Saʿd à accepter était que Nafîsah elle-même ne s’était pas mariée, malgré les nombreux prétendants prestigieux ayant demandé sa main, et resta vierge jusqu’à son décès, les quatre-vingts ans passés, après une vie entièrement consacrée au Noble Coran !

Le dévouement a ses hommes... et ses femmes également !

Umm As-Saʿd dit avec satisfaction : « Parmi les bienfaits de mon Seigneur est que tout individu habilité, à Alexandrie, à la récitation du Noble Coran, dans quelque lectionnaire que ce soit, a obtenu sa licence d’apprentissage du Coran de ma part, que ce soit directement, ou indirectement par l’intermédiaire d’une personne que j’ai moi-même habilitée. » [2] Elle confirme sa fierté d’être la seule femme - à sa connaissance - pour qui les récitateurs et les mémorisateurs se déplacent en vue d’être habilités par elle dans le domaine des dix lectionnaires. Elle est heureuse que les centaines d’habilitations qu’elle a délivrées aient une chaîne de transmission débutant par son prénom, suivi de celui de son instructrice Nafîsah, se prolongeant via des centaines de mémorisateurs, y compris les dix lecteurs qui ont donné les dix lectionnaires (ʿÂsim, Nâfiʿ, Abû ʿAmr, Hamzah, Ibn Kathîr, Al-Kisâ’î, Ibn ʿÂmir, Abû Jaʿfar, Yaʿqûb et Khalaf), et remontant jusqu’au Messager élu, Muhammad - paix et bénédictions sur lui.

Sa vue s’est éteinte mais son cœur s’est illuminé

Née en 1925, Umm As-Saʿd Muhammad ʿAlî Najm, aveugle de son état, est la femme la plus renommée dans le monde des lectionnaires coraniques. Elle est la seule à s’être spécialisée dans les dix lectionnaires. Sur les cinquante dernières années, elle a délivrée, et délivre toujours, des habilitations dans les dix lectionnaires (al-qirâ’ât al-ʿashr).

Sheikha Umm As-Saʿd vit dans une modeste demeure à Alexandrie. Pour les habitants de son quartier, sa présence parmi eux fait office de bénédiction. Son domicile est le lieu de rassemblement des hâfiz, ou mémorisateurs du Coran, de tous âges, hommes et femmes, issus de différents milieux sociaux. Les cours des femmes et des filles se déroulent de huit heures du matin jusqu’à quatorze heures de l’après-midi, puis se tiennent les cours des hommes jusqu’à vingt heures, le tout sans interruption, sauf pour accomplir les cinq prières et prendre un repas rapide, pour permettre à la Sheikha de poursuivre ses enseignements.

Les superstitions populaires et le défi de la cécité

Umm As-Saʿd est issue d’une famille pauvre du village d’Al-Bandariyyah dans la banlieue de la ville d’Al-Munûfiyyah, au nord du Caire. Une maladie avait atteint ses yeux alors qu’elle était âgée d’à peine d’un an. Ses parents n’avaient ni les moyens, ni vraisemblablement l’instruction suffisante, pour la faire soigner par les médecins. Ils eurent plutôt recours au kohol et à diverses huiles et recettes populaires qui aboutirent à sa cécité, comme bon nombre d’enfants de l’époque.

Il était alors de coutume dans les milieux ruraux de mettre les enfants aveugles au service du Noble Coran. C’est ainsi qu’elle acheva la mémorisation du Noble Coran à l’école de Hasan Subh à Alexandrie, à l’âge de quinze ans. Âgée de vingt-trois ans, Umm As-Saʿd remplit sa noble mission et fut habilitée dans les dix lectionnaires par Sheikha Nafîsah.

Sheikha Umm As-Saʿd raconte qu’à l’époque où elle avait mémorisé le Coran dans les dix lectionnaires, le nombre de hâfiz était réduit et il n’y avait ni radio ni télévision. On faisait alors appel à elle, comme à sa Sheikha, pour réciter le Coran à certaines occasions et lors des fêtes religieuses. À l’époque, il était admis qu’une femme psalmodie le Coran en présence d’hommes, ces derniers n’hésitant pas à flatter sa récitation et la qualité de sa psalmodie. Mais elle précise que cette coutume a disparu de nos jours, avec l’augmentation du nombre de récitateurs et l’omniprésence de la radio, de la télévision et des enregistrements dans les foyers. Tout ce qu’une hâfiza peut désormais faire est de réciter dans une manifestation privée pour femmes, chose rare au demeurant... Elle pense que la raison pour laquelle on ne fait plus appel à des hâfizas pour réciter le Coran est la propagation, ces dernières décennies, de l’idée que la voix de la femme doit être cachée devant les hommes [3]. Mais cela ne lui pose pas de problème dans la mesure où les hâfiz sont devenus nombreux et les médias contribuent à la diffusion de leur récitation.

Son programme quotidien : du Coran, rien que du Coran

Toutes sortes d’aspirants se rendent auprès d’elle pour mémoriser le Coran ou obtenir son habilitation dans le domaine des lectionnaires, des gens de toutes les tranches d’âge, de toutes les catégories professionnelles, de divers milieux sociaux et scientifiques : des adultes et des enfants, des hommes et des femmes, des ingénieurs, des médecins, des instituteurs, des enseignants, des lycéens et des étudiants. Elle consacre à chacun une audition quotidienne ne dépassant pas une heure, durant laquelle elle écoute sa récitation et apporte les corrections nécessaires, passage après passage, jusqu’à ce que le disciple fasse une revue complète du Coran dans l’un des lectionnaires. Chaque fois qu’un disciple achève l’apprentissage d’un lectionnaire, elle lui fournit une habilitation écrite, portant son cachet personnel, et attestant que cet étudiant est un « serviteur du Coran » ayant récité tout le Coran avec exactitude et précision selon le lectionnaire auquel elle l’habilite...

Elle dit : « Soixante ans de mémorisation, de psalmodie et de révision du Coran font que je n’en oublie absolument rien... Je me souviens de chaque verset, la sourate et le chapitre où il figure, ses similitudes avec d’autres versets et la manière de le réciter dans tous les lectionnaires. J’ai l’impression de connaître le Coran comme mon nom et je n’imagine pas que je puisse en oublier une lettre ou me tromper. Je ne connais rien d’autre en dehors du Coran et des lectionnaires. Je n’ai étudié aucune science, ni suivi aucun enseignement, ni mémorisé quoi que ce soit hormis le Coran et les sciences des lectionnaires et du tajwîd. Je ne connais rien en dehors de cela. »

La fidélité des disciples

Interrogée sur ses disciples et les liens qu’elle entretient avec eux, elle dit : « Je me souviens de chacun d’eux. J’ai habilité certains à la récitation d’un seul lectionnaire. D’autres - peu nombreux - ont reçu des habilitations dans les dix lectionnaires, estampillées de mon cachet spécial dont je ne me sépare jamais et que je ne confie à personne, même pas aux gens de confiance. »

Elle ajoute : « Certains d’entre eux sont devenus occupés et ne me rendent plus visite. Mais la plupart m’appellent, viennent me voir et prennent de mes nouvelles de temps en temps. » Elle en dénombre, non sans fierté, nombre de récitateurs, de prédicateurs, et de mémorisateurs du Noble Coran ; l’un d’entre eux a même décroché le deuxième prix au concours international de mémorisation du Coran organisé tous les ans en Arabie Saoudite. Le plus connu parmi ses disciples est le Sheikh Ahmad Nuʿayniʿ qui lui a récité le Coran et a obtenu son habilitation, au même titre que nombre d’enseignants et de Sheikhs de l’Institut des Lectionnaires à Alexandrie, qui, chaque fois qu’ils accordent une habilitation dans la mémorisation du Coran, mentionnent son nom au début de la chaîne de transmission remontant au Prophète - paix et bénédictions sur lui.

Les épouses des mémorisateurs sont jalouses de la Sheikha !

Sheikha Umm As-Saʿd raconte avec amusement que les épouses de certains mémorisateurs manifestent de la jalousie à son endroit et la crainte qu’elle leur "pique" leurs époux, tellement ceux-ci parlent de leur Sheikha avec fierté et respect. Ceci pousse alors les époux à emmener leurs femmes aux séances d’apprentissage pour s’assurer que de telles craintes étaient infondées à l’endroit d’une vieille femme aveugle !

Elle ajoute : « Par ailleurs, certains hommes hésitaient un peu à étudier auprès de moi parce que je suis une femme, d’autres s’en sont abstenus. Mais le Sheikh Muhammad Ismâʿîl, le prédicateur salafi le plus renommé d’Alexandrie, a émis une fatwâ les autorisant à cela, notamment lorsqu’il a pris connaissance de mon âge ; il a même envoyé ses parentes étudier auprès de moi. »

Les festivités du jour de la khatmah... La fête et les cadeaux

Le bonheur de Umm As-Saʿd est à son summum le jour de la khatmah, jour où elle décerne la licence de mémorisation du Coran à un disciple. Bien que cet événement se soit produit plus de trois cents fois, elle en garde une photo à chaque fois, la dernière habilitation en date étant celle d’une femme qui a appris le Coran dans le lectionnaire de Nâfiʿ selon la transmission de Qâlûn.

Le jour de la khatmah se tient un repas, ou un salon de thé avec des pâtisseries. L’auteur de la khatmah lui offre alors un présent : une jellaba, une bague, un bijou en or, chacun selon ses moyens. Le plus beau cadeau que ses élèves lui aient offert fut un voyage pour le pélerinage à La Mecque, avec un séjour d’un an dans le Hedjaz, tous frais payés. Ce qu’elle apprécia le plus dans ce voyage, après le pèlerinage, fut l’opportunité qu’elle eut de réviser le Noble Coran et de délivrer des habilitations à des dizaines de hâfiz issus de divers pays musulmans, comme l’Arabie Saoudite, le Pakistan, le Soudan, la Palestine, le Liban, le Tchad ou l’Afghanistan. Elle éprouva un plaisir particulier à habiliter une jeune femme saoudienne à peine âgée de dix-sept ans.

Que ma Sheikha me pardonne : je me suis mariée !

Interrogée sur l’identité de son disciple le plus intime, Sheikha Umm As-Saʿd répondit : "Mon mari !" Il s’agit de Sheikh Muhammad Farîd Nuʿmân qui, avant son décès, était le récitateur le plus connu à la radio d’Alexandrie. Il est également la première personne habilitée par Umm As-Saʿd. Elle raconte au sujet de son mariage : "Je n’ai pas pu tenir la promesse faite à ma Sheikha Nafîsah de ne pas me marier. Il me récitait le Coran dans tous les lectionnaires. J’ai ressenti de la sympathie à son égard. Il était aveugle comme moi et avait mémorisé le Coran étant très jeune. Je lui ai enseigné pendant cinq années entières. Lorsqu’il a fini l’apprentissage des dix lectionnaires et a obtenu son habilitation, il a demandé ma main en mariage et j’ai accepté."

Leur mariage dura quarante ans durant lesquels ils n’eurent pas d’enfants. Elle commente ce fait, disant : "J’ai le sentiment que Dieu choisit toujours le bien pour moi. Avec des enfants, j’aurais probablement eu d’autres occupations et je n’aurais pu me consacrer au Coran, que j’aurais peut-être oublié."

La Sheikha continue toujours à se dépenser tel un fleuve qui apporte généreusement les flots du Coran...

P.-S.

Source : Islamonline.net.

Notes

[1Les dix lectionnaires du Coran désignent les dix principales variantes de récitation du Coran, en vigueur dans le monde musulman. La sciences des lectionnaires est une science à part entière, parmi les branches des sciences du Coran

[2La licence, ou ijâzah, d’apprentissage du Coran désigne un diplôme attestant qu’une personne a mémorisé et récité le Coran sans faute aucune devant un maître lui-même titulaire d’un tel diplôme. Cette attestation précise qu’untel a récité le Coran devant untel qui l’a lui-même récité devant untel, et ainsi de suite jusqu’à remonter au Compagnon qui l’a récité devant son maître, le Prophète Muhammad, qui l’a lui-même récité devant l’Archange Gabriel qui l’a reçu directement de Dieu.

[3Nos lecteurs peuvent lire à ce sujet un article de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî dans notre bibliothèque.

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