lundi 6 mai 2002
Après un voyage long et épuisant, le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, arriva finalement aux portes de Yathrib. Les habitants de la cité sortirent pour l’accueillir, et une foule se réunit, envahissant les rues étroites de la ville. Certains étaient montés sur les toits des maisons en répétant allègrement les formule "Lâ ilâha illallâh&, Il n’y a de dieu que Dieu" et "Allâhu akbar, Dieu est le plus Grand". Ils manifestaient ainsi leur joie de rencontrer le Prophète de la Miséricorde et son loyal compagnon, Abû Bakr As-Siddîq. Les petites filles de la cité défilaient également avec entrain, et tout en agitant leurs jonquilles, elles fredonnaient en guise de bienvenue ce poème désormais célèbre :
Talaʿal-badru ʿalaynâ *** Min thaniyyâtil-wadâ’
Wajabash-shukru ʿalaynâ *** Mâ daʿâ lillâhi dâʿ
Ayyuhal-mabʿûthu fînâ *** Ji’ta bil-amril-mutâʿ
Ji’ta sharraftal-madînah *** Marhabay-yâ khayra dâʿ
Traduction
La pleine lune s’est levée sur nous, depuis les collines de Thaniyyât Al-Wadâʿ.
La gratitude s’impose à nous, aussi longtemps qu’un prédicateur appellera à Dieu.
Ô toi qui a été envoyé parmi nous ! Tu es venu avec un commandement auxquels nous obéirons.
Tu es venu et tu as fait honneur à notre cité. Sois le bienvenu ! Ô toi le meilleur des prédicateurs !
Durant toute la procession du Saint Prophète, les gens manifestaient leur joie sur son passage, versant des larmes de bonheur et souriant joyeusement, le cœur rempli d’allégresse.
Loin de ces scènes de jubilation, se trouvait un jeune homme du nom de ʿUqbah Ibn ʿÂmir Al-Juhanî. Il s’en était allé aux vastes lisières du désert, afin de faire paître son troupeau de moutons et de chèvres dans une végétation rarissime. Il avait longtemps erré à la recherche de fourrage pour ses bêtes affamées. Il était difficile de trouver un bon terrain de pâturage, et il appréhendait constamment que son troupeau périsse. Ils étaient tout ce qu’il possédait et il ne souhaitait pas les perdre.
L’allégresse qui avait envahi Yathrib, connue désormais comme la Cité Radieuse du Prophète, s’était bientôt répandue et avait atteint tous les coins du territoire. La bonne nouvelle de l’arrivée du Prophète parvint finalement à ʿUqbah alors qu’il veillait sur son troupeau loin dans ce désert ingrat. Sa réaction face à cette nouvelle fut immédiate. Il relate lui-même l’histoire de sa rencontre avec le Prophète : "Le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, était venu à Médine alors que je veillais sur mon troupeau. Lorsque j’appris la nouvelle de son arrivée, je me mis immédiatement en route pour le rencontrer. Dès que je le vis, je lui demandai : "Acceptes-tu mon serment d’allégeance, Ô Messager de Dieu ?
- Et qui es-tu ? me demanda t-il.
- ʿUqbah Ibn ʿÂmir Al-Juhanî, lui répondis-je.
- Lequel préfères-tu, demanda le Prophète, le serment d’un nomade ou celui d’un Emigré ?
- Le serment d’un Emigré, répondis-je." Le Messager de Dieu prit alors mon serment d’allégeance comme il le fit avec les Emigrés. Je passai la nuit en sa compagnie en ville et retournai ensuite à mon troupeau.
Nous étions douze à avoir embrassé l’Islam mais nous vivions loin de la cité, occupés à garder nos moutons et nos chèvres en rase campagne. Nous parvînmes à la conclusion qu’il était préférable pour nous de nous rendre chaque jour auprès du Prophète de manière à nous instruire sur notre religion et à écouter les récits des révélations divines qu’il recevait. Je dis aux autres : "Nous irons voir le Messager de Dieu - paix et bénédiction de Dieu sur lui - chacun notre tour. Ceux d’entre vous qui souhaitent partir peuvent me laisser leurs troupeaux car je suis trop inquiet au sujet de mon propre troupeau pour laisser à quiconque le soin de s’en occuper."
Chaque jour, mes amis partaient, un par un, voir le Prophète, me laissant le soin de veiller sur leur troupeau. A leur retour, chacun m’informait de ce qu’il avait appris et je pus ainsi bénéficier des enseignements qu’ils avaient reçus. Très vite, cependant, je me ressaisis et me dis : "Honte à toi ! Est-ce pour un troupeau de moutons que tu demeures maigre et misérable, ratant l’opportunité d’être en la compagnie du Prophète et de lui parler directement sans intermédiaire ?" Suite à cela, je laissai mon troupeau et partis pour Médine. Je restai dans la mosquée près du Messager de Dieu, paix et bénédiction de Dieu sur lui."
ʿUqbah n’eut aucune raison de regretter cette décision capitale. En moins de dix ans, il était devenu l’un des personnages les plus distingués parmi les Compagnons du Prophète et un excellent récitateur du Coran. Il devint également un commandant militaire, et plus tard, un éminent gouverneur musulman lorsque l’Islam se propagea d’Est en Ouest avec une rapidité fulgurante. Il n’avait jamais imaginé, lorsqu’il quittait son troupeau pour suivre les enseignements du noble Prophète, qu’il serait un jour en tête des forces musulmanes qui libérèrent la fertile Damas - connue alors sous l’appellation de Mère de l’Univers. Il n’avait jamais imaginé non plus qu’un jour il aurait une maison bien à lui, pourvue de jardins verdoyants, ni qu’il serait l’un des commandants qui contribuèrent à la libération de l’Égypte, alors connue comme l’Émeraude du Monde, ni qu’il serait l’un de ses gouverneurs.
Cette décision fut néanmoins prise. Seul, sans aucun bien ni famille, ʿUqbah quitta le désert pour se rendre à Médine. Il resta avec ceux qui étaient dans la même condition que lui à la Suffah, cette partie supérieure de la mosquée du Prophète, situé près de sa demeure. La Suffah était une sorte d’espace d’accueil où les gens tels que ʿUqbah demeuraient afin d’être proches du Prophète. Ils étaient connus comme étant les Ashâb As-Suffah, les Gens de la Suffah, et le Prophète les désigna un jour comme les Invités de l’Islam.
Du fait qu’ils n’avaient aucun revenu, le Prophète partageait toujours sa nourriture avec eux, et encourageait les autres à se montrer généreux envers ces "invités". Ils passaient la majeure partie de leur temps à étudier le Coran et à s’instruire sur l’Islam. Quelle merveilleuse opportunité avaient-ils là ! Ils étaient proches du Prophète et constamment en contact avec lui. Le Prophète avait une affection spéciale pour eux, il était bienveillant à leur égard et prenait soin de les éduquer et de pourvoir à leurs besoins quels qu’ils soient. ʿUqbah cita un exemple de la manière dont le Prophète les instruisait et leur dispensait ses enseignements : "Un jour, le Prophète - paix et bénédiction de Dieu sur lui - vint nous voir alors que nous étions assemblés à la Suffah. Il nous demanda : ’Lequel d’entre vous souhaite partir chaque jour en dehors de la ville ou dans une vallée pour se procurer deux magnifiques chameaux noirs ?’ [1]
- Tout le monde le souhaite, ô Messager de Dieu, répondions-nous tous en chœur.
- Dorénavant, dit-il, chacun d’entre vous ira à la mosquée apprendre deux versets du Livre de Dieu. Ceci est meilleur pour lui que deux chameaux ; trois versets sont meilleurs que trois chameaux ; quatre versets sont meilleurs que quatre chameaux.’"
De cette façon, le Prophète s’efforçait d’inciter ceux qui avaient accepté l’Islam à changer leur attitude. L’objectif était de réformer leur obsession d’acquérir et d’amasser des biens de ce monde en une attitude de dévotion au savoir. Cet exemple simple relaté par le Prophète les avait fortement motivés à acquérir le savoir.
A d’autres occasions, les Gens de la Suffah posaient des questions au Prophète afin de mieux connaître leur religion. ʿUqbah se rappela avoir un jour demandé au Prophète : "Qu’est-ce que le salut ?
- Surveille tes propos, rends ta maison spacieuse pour les invités et médite sur tes erreurs, répondit le Prophète."
Même en dehors de la mosquée, ʿUqbah s’efforçait toujours de rester près du Prophète. Lors de ses déplacements, il prenait souvent les rênes de la mule du Prophète, le conduisant là où il désirait. Par moments, il se contentait de suivre le Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, ce qui lui valut le titre de "Doublure du Prophète". A d’autres occasions encore, le Prophète descendait de sa monture, et permettait à ʿUqbah de monter pendant que lui-même marchait. ʿUqbah relata une de ces occasions : "Je pris les rênes de la mule du Prophète alors que nous passions devant quelques palmeraies de Médine. ’ʿUqbah, me dit le Prophète, ne souhaites-tu pas monter à ma place ?’ Ma première pensée fut de décliner l’invitation mais je ressentis que cela aurait pu être un signe de désobéissance au Prophète. Je répondis donc : ’Oui, ô Messager de Dieu’. Le Prophète descendit de sa mule, et je montai à sa place, obéissant à sa volonté. Il commença à marcher, et je descendis de la mule à mon tour peu de temps après. Le Prophète remonta et me dit : ’ʿUqbah, souhaites-tu que je t’enseigne deux sourates dont personne n’a encore pris connaissance ?’ ’Certainement, ô Messager de Dieu’, répondis-je. Il me récita alors "Qul aʿûdhu bi-rabbil-falaq" et "Qul aʿûdhu bi-rabbin-nâs" (les deux dernières sourates du Coran). J’ai ensuite prononcé l’appel préliminaire (iqâmah) à la prière. Le Prophète dirigea la prière et récita ces deux sourates. Après cela, il dit : ’Lis ces deux sourates avant de te coucher et à ton réveil’."
Ces exemples démontrent, par excellence, l’enseignement continu dispensé par le Prophète, que ce soit à la maison, à la mosquée ou lors de ses déplacements en monture ou à pied.
Deux préoccupations étaient au centre de la vie de ʿUqbah : l’une était la recherche du savoir et l’autre, le jihâd dans le Sentier de Dieu. Il mettait toute son énergie dans la poursuite de ces deux objectifs.
Du point de vue de l’enseignement, il buvait avidement à la fontaine de savoir que représentait le Messager de Dieu. ʿUqbah devint à la fois un récitateur du Coran distingué, un transmetteur de hadiths du Prophète, un juriste, un expert en héritage selon la Loi islamique, un homme de lettres, un orateur et un poète.
Lorsqu’il récitait le Coran, il avait une voix des plus plaisantes. A la tombée de la nuit, lorsque l’univers tout entier semblait paisible et tranquille, il avait pour habitude d’ouvrir le Livre de Dieu et de réciter ses versets captivants. Les cœurs des nobles Compagnons étaient alors comme attirés par sa récitation du Coran. Ils tremblaient de tout leur corps et étaient émus aux larmes par la crainte de Dieu que leur inspirait la récitation de ʿUqbah.
Un jour, ʿUmar Ibn Al-Khattâb l’invita et lui dit : "Récite-moi un passage du Livre de Dieu, ô ʿUqbah.
- Oui, ô Commandeur des Croyants, dit ʿUqbah qui se mit à réciter."
ʿ Umar versa des larmes au point que sa barbe en fut trempée.
ʿUqbah laissa de son vivant une copie du Coran qu’il avait écrite de sa propre main. Il est dit que cette copie existait encore jusqu’à récemment en Égypte dans l’illustre mosquée qui, en souvenir de ʿUqbah Ibn ʿÂmir, a pris son nom. A la fin du texte était écrit : "Écrit par ʿUqbah Ibn ʿÂmir Al-Juhanî". Ce codex de ʿUqbah était l’une des premières copies du Coran existantes mais elle a été égarée dans son intégralité avec d’autres documents de par la négligence des musulmans.
Du point de vue du jihâd, il suffit de savoir que ʿUqbah a combattu près du Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, à la bataille de Uhud et dans tous les autres combats militaires qui s’ensuivirent. Il était également l’un des vaillants soldats de la cavalerie qui participa à la bataille de Damas. En signe de reconnaissance pour ses bons et loyaux services, le commandant deorces musulmanes, Abû ʿUbaydah Ibn Al-Jarrâh, l’envoya à Médine transmettre la nouvelle de la libération de Damas à ʿUmar Ibn Al-Khattâb. ʿUqbah passa huit jours et sept nuits, du vendredi au vendredi, dans une marche forcenée et continue afin d’apporter les nouvelles à ʿUmar.
ʿUqbah était l’un des commandants des forces musulmanes qui libérèrent l’Égypte. Il fut gouverneur musulman d’Égypte pendant trois ans ; suite à cela, il reçut l’ordre du Calife Muʿâwiyah pour organiser une expédition navale vers les îles de Rhodes dans la Mer Méditerranée.
Au sujet de son enthousiasme dans le combat, il suffit de rappeler que ʿUqbah a laissé à la postérité de nombreux hadîths du Prophète à ce sujet. Il excellait dans la narration de ce type d’évènements aux musulmans. Un de ses passe-temps favoris était de pratiquer la chasse à l’arc.
ʿUqbah se trouvait en Égypte lorsqu’il tomba gravement malade. Il rassembla ses enfants autour de lui et leur donna ses derniers conseils : "Mes enfants, je vous mets en garde contre trois choses : n’acceptez les dires que j’ai attribués au Prophète, paix et bénédiction de Dieu sur lui, que s’ils vous proviennent d’une source sûre ; ne contractez pas de dettes ou d’emprunts même si vous occupez la position d’un imam ; ne composez pas de poésie car vos cœurs pourraient être distraits du Coran."
ʿUqbah Ibn ʿÂmir Al-Juhanî, le récitateur du Coran, le savant, le chevalier, décéda en Égypte et fut enterré au pied de la vallée du Mont Muqattam.
Traduit de l’anglais du site Youngmuslims.ca.
[1] De tels chameaux étaient des biens très convoitées.
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