dimanche 14 avril 2002
L’Histoire aurait pu ignorer cet homme tout comme elle avait ignoré des milliers d’Arabes avant lui. Rien en lui ne laissait prétendre à une quelconque attention ou renommée. La grandeur de l’Islam a néanmoins donné à ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah l’opportunité de rencontrer les deux principaux potentats de son époque : Chosroès, Roi de Perse et Héraclius, Empereur byzantin.
L’histoire de sa rencontre avec Chosroès commença en l’an 6 après l’Hégire, lorsque le Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui — chargea certains de ses Compagnons de remettre des lettres aux souverains en dehors de la Péninsule arabique afin de les inviter à l’Islam.
Le Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui — attacha une grande importance à cette mission dans la mesure où ces émissaires allaient se rendre dans des contrées lointaines avec lesquelles aucun accord ou traité n’avait été signé auparavant. Ils ne connaissaient ni leurs langues, ni les dispositions de leurs souverains. En dépit de cela, ils devaient inviter ces souverains à abandonner leur religion, à renoncer à leurs gloire et pouvoir et à adhérer à la religion d’un peuple plus ou moins assujetti. Indubitablement, ce projet était ambitieux et périlleux.
Afin de leur communiquer son plan, le Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui — rassembla ses compagnons et leur parla. Il commença par louer Allâh et Le remercier. Ensuite, il prononça l’attestation de foi et poursuivit ainsi :
"Je veux envoyer certains d’entre vous aux souverains des contrées étrangères. Mais ne discutez pas avec moi comme les Israélites ont discuté avec Jésus, fils de Marie.
— Ô Prophète d’Allâh, nous accomplirons ce que tu voudras que nous accomplissions, répondirent les Compagnons. Envoie-nous où tu veux. "
Le Prophète chargea six Compagnons de ses lettres à l’attention des souverains arabes et étrangers. ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah fut choisi pour remettre l’invitation du Prophète à Chosroès, le roi de Perse. Après avoir fait ses adieux à son épouse et à son fils, il se mit en route. Seul, il traversa les montagnes et les vallées pour finalement atteindre le pays des Perses.
Il demanda à rencontrer le roi, mentionnant aux gardes la lettre qu’il portait. Chosroès fit préparer sa salle d’audience et convoqua les membres de sa cour les plus distingués. Quand ils furent tous prêts, il fit venir l’émissaire. ʿAbd Allâh entra. Il vit le potentat perse vêtu de robes flottantes délicates et portant un haut turban arrangé de la plus délicate des manières, tandis que lui-même portait des vêtements simples et rudes de Bédouins. Il avançait néanmoins la tête haute et d’un pas ferme. L’honneur de l’Islam brûlait dans son cœur et le pouvoir de sa foi faisait palpiter son cœur.
Voyant ʿAbd Allâh s’approcher de lui, Chosroès fit signe à l’un de ses hommes de prendre la lettre de sa main.
— "Non, dit ʿAbd Allâh. Le Prophète m’a ordonné de te remettre cette lettre en main propre et je ne désobéirai pas au Messager d’Allâh.
— Qu’on le laisse s’approcher, ordonna Chosroès à ses gardes."
ʿAbd Allâh s’avança et lui tendit la lettre. Chosroès fit appel à un savant arabe d’ Al-Hîrah pour la lecture de son contenu. Il commença ainsi : "Au nom de Dieu, Clément et Miséricordieux. De la part de Muhammad, Messager de Dieu, à Chosroès, souverain de la Perse. Que la paix soit sur celui qui suit la vraie voie."
A peine eut-il entendu ces quelques mots que le visage de Chosroès devint rouge de colère et la sueur commençait à perler autour de son cou. Il arracha la lettre des mains du savant et la tailla en pièces sans savoir ce qu’elle contenait d’autre et cria : "Ose-t-il m’écrire ainsi alors qu’il est mon esclave ?" Il n’avait pas supporté de ne pas avoir son nom précédant celui du Prophète dans la lettre. Il ordonna l’expulsion de ʿAbd Allâh de l’assemblée.
ʿAbd Allâh fut emmené sans savoir ce qu’il allait advenir de lui. Allait-on l’exécuter ou le libérer ? Il n’attendit cependant pas de le découvrir. Il résolut : "Par Allâh, peu m’importe mon sort alors que la lettre du Prophète a été si mal traitée." Il parvint à retrouver son chameau et à s’échapper.
Lorsque la colère de Chosroès se fut apaisée, il demanda à ce qu’on lui amène ʿAbd Allâh. Mais, on ne le trouvait nulle part. Les gardes perses le cherchèrent jusque dans la Péninsule arabique où ils se rendirent compte qu’il les avait devancés. De retour à Médine, ʿAbd Allâh raconta au Prophète comment Chosroès avait déchiré sa lettre en morceaux. La seule réponse du Prophète fut : "Puisse Allâh déchirer son royaume !"
Pendant ce temps, Chosroès écrivit à Bâdhân, son gouverneur au Yémen, d’envoyer deux hommes forts pour récupérer "cet homme apparu dans le Hedjaz" et pour le ramener en Perse. Bâdhân remit une lettre à deux de ses hommes dans laquelle il ordonnait au Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui — de suivre sans attendre les deux hommes jusqu’à Chosroès. Par ailleurs, il chargea ses hommes de rassembler un maximum d’informations sur le Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui — et sur son Message. Les hommes avançaient rapidement. A At-Tâ’if, ils rencontrèrent quelques commerçants qurayshites qu’ils interrogèrent à propos de Muhammad. "Il est à Yathrib", leur dirent-ils. Heureux, les commerçants poursuivirent leur route jusque La Mecque. Ils annoncèrent la bonne nouvelle à Quraysh : "Réjouissez-vous. Chosroès est à la recherche de Muhammad et il va nous débarrasser de lui."
Pendant ce temps, les deux hommes rejoignirent Médine où ils rencontrèrent le Prophète — paix et Bénédiction de Dieu sur lui. Ils l’informèrent de leur mission : "Le Roi des rois, Chosroès, a demandé à notre souverain Bâdhân d’envoyer ses hommes te chercher. Aussi sommes-nous venus t’emmener avec nous. Si tu viens avec nous de plein gré, Chosroès sera bon envers toi et t’épargnera toute punition. En revanche, si tu refuses, tu connaîtras le châtiment. Sache qu’il a le pouvoir de te détruire toi et ton peuple."
Le Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui — sourit et leur dit : "Retournez à vos montures pour aujourd’hui et revenez demain."
Le lendemain, ils vinrent chercher le Prophète :
— "Es-tu prêt à aller rencontrer Chosroès ?
— A partir d’aujourd’hui, vous ne verrez plus Chosroès, répondit le Prophète. Dieu l’a tué et son fils Siroès a pris sa place telle nuit de tel mois."
Les deux hommes, complètement abasourdis, fixèrent le Prophète — paix et bénédiction de Dieu sur lui.
— "Sais-tu ce que tu dis ? demandèrent-ils. Veux-tu que nous en informions Bâdhân ?
— Oui, répondit le Prophète, et dîtes-lui que ma religion m’a informé de ce qui est arrivé au royaume de Chosroès et dites-lui également que s’il se convertit à l’Islam, je ferai de lui le souverain de ce qu’il contrôle aujourd’hui."
Les deux hommes repartirent au Yémen et rapportèrent à Bâdhân ce qui s’était passé. Bâdhân dit : "Si ce que Muhammad a dit est vrai, il est certainement alors Prophète. Sinon, nous verrons ce qu’il adviendra de lui."
Peu de temps après, Bâdhân reçut une lettre de Siroès où il disait : "J’ai tué Chosroès en raison de la tyrannie qu’il imposait au peuple. Il légitimait le meurtre des chefs, la capture de leurs épouses et l’expropriation de leurs richesses. Lorsque tu recevras cette lettre, que ceux qui sont avec toi me prêtent allégeance."
Dès qu’il eut terminé de lire la lettre de Siroès, il la jeta et annonça son entrée dans l’Islam. Les Perses du Yémen se convertirent avec lui. Voilà l’histoire de la rencontre de ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah avec le Roi perse.
Sa rencontre avec l’Empereur romain eut lieu durant le Califat de ʿUmar Ibn Al-Khattâb. Son histoire est toute aussi étonnante.
En l’an 19 de l’Hégire, ʿUmar envoya une armée lutter contre les Byzantins. ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah en faisait partie. L’Empereur byzantin fut informé de l’avancée d’une troupe musulmane. Il avait entendu parler de la sincérité de leur foi et de leur volonté à sacrifier leur vie pour Allâh et Son Prophète. Aussi demanda-t-il à voir un prisonnier musulman.
Allâh voulut que ce captif soit ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah. L’Empereur observa longuement le musulman qu’on lui présenta. Spontanément, il lui dit :
— "Je vais te faire une proposition.
— Laquelle ? demanda ʿAbd Allâh.
— Je te demande de te convertir au christianisme en échange de ta liberté et de ma protection."
De fureur, ʿAbd Allâh s’exclama :
— "Plutôt mourir mille fois que d’accepter ce que tu me demandes."
— Je vois que tu es un homme fier. Néanmoins, si tu acceptes ma proposition, je partagerai mon pouvoir avec toi et ferai de toi mon conseiller."
Le prisonnier, entravé par les fers, sourit et dit :
— "Par Allâh, quand bien même tu me donnerais tous tes biens ainsi que ceux des Arabes jamais je renoncerai à la religion de Muhammad.
— Alors je te tuerai.
— Fais ce que tu veux."
L’Empereur le fit mettre sur une croix. Ses soldats reçurent l’ordre de lui jeter des lances, d’abord sur ses mains, puis sur ses pieds, toujours en l’incitant à accepter le christianisme ou tout du moins à renoncer à sa religion. Il persista dans son refus. L’Empereur le fit descendre de la croix. Il demanda qu’on amène un grand chaudron plein d’huile bouillante. Il fit ensuite venir deux autres prisonniers musulmans et il fit jeter l’un d’eux dans l’huile bouillante. La chair du prisonnier grésillait et bientôt on put voir ses os. L’empereur se tourna vers Abdullah et l’invita une fois de plus à se convertir au christianisme.
Quelle terrible épreuve ! Toutefois, il resta ferme et l’Empereur finit par abandonner. Il ordonna qu’on jette ʿAbd Allâh dans le chaudron. Alors qu’on l’emmenait, il commença à pleurer. L’Empereur crut l’avoir vaincu et le fit revenir. Une dernière fois, il demanda à ʿAbd Allâh de devenir chrétien mais à sa grande surprise, ʿAbd Allâh refusa.
— "Maudit sois-tu ! Pourquoi pleurais-tu alors ?, cria l’empereur.
— Je pleurais, dit ʿAbd Allâh, parce que je me disais : "Tu vas maintenant être jeté dans ce chaudron et ton âme s’en ira." Que n’aurais-je donné pour avoir autant d’âmes que j’ai de poils sur le corps afin qu’elles soient toutes jetées dans ce chaudron pour la Cause d’Allâh."
Le tyran dit alors : "Baiserais-tu ma tête contre ta liberté ?"
— "Et celle de tous les prisonniers musulmans ?, demanda ʿAbd Allâh."
L’Empereur accepta. ʿAbd Allâh pensa : "Lui, un ennemi de l’Islam ! J’embrasse sa tête et il me libère ainsi que tous les prisonniers musulmans. Il n’y a certainement pas de mal à cela." Il s’approcha alors de l’Empereur et lui baisa la tête. Tous les prisonniers musulmans furent libérés et remis à ʿAbd Allâh.
Finalement, ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah retourna auprès de ʿUmar Ibn Al-Khattab et lui conta son histoire. ʿUmar, très heureux du dénouement, dit à l’attention des prisonniers : "Tout musulman, à commencer par moi-même, a le devoir d’embrasser la tête de ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah."
ʿUmar se leva donc et baisa la tête de ʿAbd Allâh Ibn Hudhâfah.
Traduit de l’anglais du site Youngmuslims.ca.
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