jeudi 14 mars 2002
Au cours de la dixième année après l’Hégire, le Saint-Prophète (Prières et Bénédictions d’Allâh soient sur lui) de retour à Médine après le Pèlerinage de l’Adieu, tomba malade. Rapidement, les nouvelles de sa maladie se propagèrent à travers la péninsule Arabique. Dans un premier abord, les Musulmans sincères de tous horizons en étaient profondément attristés tandis que pour certains autres, il était temps pour eux de se prononcer quant à leurs ambitions et espérances - jusqu’ici secrètes et camouflées. L’heure était venue pour qu’ils révèlent leurs véritables attitudes à l’égard de l’Islam et de son Noble Prophète.
À Al-Yamâmah, l’imposteur Musaylamah renia l’Islam. À son tour, Tulayhah Al-Asadî du pays de Asad le renia aussi tandis qu’au Yémen, Aswad Al-ʿAnsî apostasia également. Mais encore plus que cela, ces trois apostats sont allés prétendre qu’ils étaient des prophètes envoyés à chacun de leurs peuples respectifs tout comme Muhammad Ibn ʿAbd Allâh — paix et bénédictions sur lui — l’a été vis-à-vis des Qurayshites.
Al-Aswad Al-ʿAnsî était en fait un devin qui se livrait aux artifices magiques. Mais, il n’était pas qu’un simple magicien ou un homme qui prétendait informait de l’avenir qui se contentait d’exercer ses actions diaboliques dans l’ombre. Il disposait d’un grand pouvoir et d’une forte influence, car il était un grand orateur qui hypnotisait le cœur de son auditoire et qui envahissait l’esprit des gens par ses fausses allégations.
Avec de tels moyens et pouvoirs, il parvint à séduire, outre les masses, les personnes les mieux placées. Lorsqu’il se présentait face à tout ce monde il avait pour habitude de se orner d’un masque afin de se donner un air plus mystérieux, intimidant et forçant le respect.
À cette époque, il existait au Yémen une fraction parmi la population qui était assez prestigieuse et influente. Ils s’appelaient les "Abna". Ces "Abna" descendaient en fait de pères Perses qui avaient dirigé le pays en tant qu’enclave de l’Empire Sassanide [1] et de mères Arabes originaires de la région même. Fayrûz Al-Daylami était l’un de ces Abna du Yémen.
Lors de l’avènement de l’Islam, une personnalité des plus puissantes parmi les Abna s’appelait Badhan. En fait, il dirigeait le Yémen pour le compte de Chosroes Le Perse [2]. Lorsque Badhan fut convaincu de la véracité du Prophète Muhammad — paix et bénédictions sur lui — et du caractère divin de sa mission, il renonça alors à son devoir d’obéissance vis à vis de Chosroes et accepta l’Islam. Ses sujets lui en voulurent jusqu’à s’en quereller. Néanmoins, le Prophète l’a soutenu dans sa souverainté et alors il continua à diriger le Yémen jusqu’à ce qu’il mourût très peu de temps avant l’apparition d’Al-Aswad Al-ʿAnsî.
Les Banu Mudh-hij, les gens de la tribu d’Al-Aswad, furent les premiers à approuver son auto-proclamation de prophète. Du coup, avec cette force tribale, il alla pour organiser un raid sur Sanʿâ. Tout d’abord, il y tua le fils de Badhan, Shahr, alors gouverneur, et séquestra sa femme qu’il gardera. Puis de Sanʿâ, il déclencha d’autres invasions vers d’autres régions. De par son zèle et ses attaques massives, une vaste région allant de Hadramawt à At-Taîf et d’Al-Ahsa à ʿAdan finie par être sous sa domination.
En fait, ce qui permettait à Al-Aswad de tromper les gens et de les séduire c’était sa fourberie et sa ruse, sans bornes. Devant ses fidèles, il prétendait qu’un ange lui rendait occasionnellement visite et lui dévoilait toutes sortes de révélations et d’informations au sujet de son peuple et de leurs entreprises. En fait, pour arriver à tenir de tels propos des espions déployés partout étaient employés à son service. Ces derniers lui rapportaient donc toutes sortes de plaintes concernant le peuple, leurs conditions, leurs secrets, leurs problèmes, leurs espoirs ainsi que leurs craintes. Tout ceci dans une totale discrétion. Ainsi, lorsqu’il croisait une personne, particulièrement chagrinée, il pouvait alors lui donner l’impression qu’il est bel et bien au courant de son chagrin et de ses problèmes. Par conséquent, il les surprenait tous et arrivait à semer le doute dans leurs coeurs. Une partie conséquente de la population lui était donc acquise et sa mission continua à se diffuser à grande allure.
Une fois que les nouvelles concernant son apostasie ainsi que l’ensemble de ses activités à travers le Yémen ont été interceptées par le Prophète, Paix et Bénédictions d’Allâh soient sur lui, il dépêcha quelque dix de ses compagnons chargés de porter des messages à ses autres compagnons du Yémen en qui il pouvait toujours avoir confiance. Il les a exhorté d’abord à faire face à cette fitnah [désordre social] avec foi et résolution puis dans un second temps, il leur a ordonné de se débarrasser d’Al-Aswad par quelque moyen que ce soit.
Ceux qui avaient reçu les recommandations du Prophète — paix et bénédictions sur lui — se sont implicitement mis à l’œuvre pour les exécuter. Au premier rang citons Fayrûz Ad-Daylamî ainsi que ceux parmi les Abna qui l’accompagnaient. Maintenant laissons Fayrûz raconter sa fabuleuse aventure :
" Moi ainsi que les Abna qui m’accompagnent n’avons à aucun moment douté de la Religion de Dieu. Aucune superstition des ennemis de Dieu n’a d’ailleurs pénétré le cœur de quiconque parmi nous. Nous étions dans l’attente d’un signal afin s’emparer d’Al-Aswad et de l’éliminer par n’importe quel moyen.
Lorsque nous avons reçu les lettres du Messager de Dieu, puisse Dieu le bénir et lui accorder Sa paix, nous nous sommes sentis fortifiés dans notre détermination commune et chacun de nous était alors plus que déterminé à entreprendre ce qu’il pouvait.
En raison de son triomphe considérable, l’orgueil et la vanité n’ont pas tardé à s’emparer d’Al-Aswad. Al-ʿAnsî. En effet, il allait se vanter auprès de Qays Ibn ʿAbd Yaghuth, alors commandant de son armée, pour lui narrer combien il était fort. Son attitude et son comportement à l’égard de son commandant se transformèrent peu à peu. Désormais, Qays estima qu’il ne saurait être hors de danger de son oppression et de sa violence.
Mon cousin, Dadhawayh, et moi-même sommes allés à la rencontre de Qays et nous l’avons informé de ce que le Prophète, Paix et Bénédictions soient sur lui, nous avait exhorté dans ses messages. De là, nous lui avons proposé de faire d’Al-Aswad "notre déjeûner" avant que ce dernier ne fasse de lui [Qays] "son dîner". Il avait été très attentif à l’égard de notre mission et il nous contemplait comme une occasion unique, une formidable aubaine pour lui. Il nous dévoila alors quelques secrets d’Al-Aswad.
Trois d’entre nous s’étaient décidés pour affronter cet apostat à partir de l’intérieur de sa demeure tandis que nos autres frères étaient quant à eux comptaient l’affronter de l’extérieur. Nous étions également tous d’avis que notre cousine Dadha, qu’Al-Aswad avait séquestré après avoir tué son mari [Shahr] devait se joindre à nous. Nous sommes allés au château d’Al-Aswad pour la rencontrer. Là bas, je lui dis :
" Chèr cousine, tu sais quels maux et tords cet homme à fait envers toi et nous. Il a tué ton mari puis déshonoré les femmes de ton peuple. Puis il a massacré leurs maris tout en leurs arrachant l’autorité politique des mains.
Voici ici une lettre que le Messager de Dieu - Puisse Dieu le bénir et lui accorder Sa miséricorde, nous avait destiné en particulier et au gens du Yémen en général. Il nous exhorte à mettre un terme à ce désordre social. Pour cette opération voudrais-tu nous aider ? "
" En quoi puis-je vous aider ? " demanda-t-elle. " Pour son expulsion. ", je répondis. " Pourquoi pas son assassinat ? ", suggéra-t-elle. "Par Dieu, je n’avais rien d’autre à l’esprit, dis-je, mais je craignais de te le proposer ". " Par Celui Qui a envoyé Muhammad — paix et bénédictions sur lui — avec la Vérité en tant que porteur de bonnes nouvelles puis en tant qu’avertisseur, je n’ai à aucun moment douté de ma religion. Dieu n’a pas créé un homme aussi méprisable pour moi que ce démon (Al-Aswad). Par Dieu, depuis que je le connais, j’ai seulement appris qu’il était un individu corrompu et transgresseur qui n’a encouragé aucune vérité et qui ne cesse d’accomplir d’abominables actions". " Comment allons-nous faire ? " demandais-je. "Il est bien surveillé et protégé. Pas un endroit du château n’échappe à la vigilance des gardes. Pourtant une vieille chambre abandonnée donne sur l’extérieur. Dans la soirée, dès le premier tiers de minuit, allez-y. Vous y trouverez des armes et une lanterne. Par ailleurs, je vous y attendrai", dit-elle. "Mais se faufiler à l’intérieur du château dans cette chambre est loin d’être si facile. Quelqu’un peu toujours y circuler puis finir par alerter les gardes. Et là, ça sera la fin fatale pour nous". " Tu n’as pas tord, mais j’ai une idée". " Laquelle ? " dis-je. "Demain tu enverras un homme, sur lequel tu peux compter, comme étant l’un des ouvriers. Je le chargerai de former une ouverture de l’intérieur de la chambre ce qui vous facilitera son entrée". " C’est une brillante idée que tu as là", lui dis-je.
Sur ce, je la quittai et informai les deux autres [compagnons] de notre décision. Tous deux ont agrée notre plan en le bénissant. Puis dans l’immédiat, nous sommes partis nous préparer. Par la suite, nous avons informé un groupe choisi parmi les croyants, chargé de nous aider aussi, à se préparer également et nous leur avons communiqué un mot de passe (c’est à dire le signal à partir duquel ils pourront prendre d’assaut le château). Celui-ci consistait en l’apparition de la prochaine aube.
Lorsque la nuit commençait à tomber et que le moment convenu approchait je me suis alors dirigé avec mes deux compagnons vers l’ouverture de la chambre que je venais de mettre à découvert. Puis nous nous y sommes alors glissés et avons allumé une lanterne. Nous avons trouvé les armes et nous avons poursuivi [notre mission] dans les appartements de l’ennemi de Dieu. Notre cousine étais-là debout à sa porte. Elle nous indiqua l’endroit où il se trouvait et nous y sommes allé. Il était là en train de ronfler pendant son sommeil. J’ai enfoncé une lame dans son cou puis il a beuglé tel un taureau abattu. Lorsque les gardes l’on entendu, ils ont aussitôt accouru à ses appartements pour dire : " Que se passe-t-il ? ".
" Ne vous inquiétez pas. Vous pouvez repartir, ce n’est rien, le prophète de Dieu est seulement en train de recevoir des révélations", dit-elle. Puis ils s’en allèrent. Nous sommes restés dans le château jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Là, je me suis élevé sur un des murs du château et me mit à crier :
" Allâhu Akbar ! Allâhu Akbar ! " enchaînant avec l’adhan [appel à la prière] jusqu’au témoignage : " Ashhadu anna Muhammadan Rasûlullâh ! " (et de rajouter) " Wa ashhadu anna al Aswad Al-ʿAnsî kadhdhâb ! " J’étais en train d’attester qu’Al-Aswad était un imposteur, un menteur. C’était le mot de passe. À ce moment-là, des Musulmans, de toutes directions, s’orientaient vers le château. Les gardes étaient pris de panique lorsqu’ils avaient entendu l’appel à la prière. À leurs tours, ils ont été pris d’assaut par les Musulmans qui scandaient " Allâhu Akbar ".
À mesure que le soleil se levait, la mission ne tardait plus à s’achever. Dès la mi-journée nous avons alors envoyé une lettre au Messager de Dieu afin de l’informer de la bonne nouvelle. C’est à dire la mort de l’ennemi de Dieu.
Lorsque les messagers sont arrivés à Médine, ils ont appris que le Prophète - Que les Bénédictions d’Allâh soient sur lui - venait de mourir la nuit même. Cependant, ils ont appris qu’une Révélation avait été communiqué au Prophète l’informant de la mort d’Al-Aswad là nuit même de l’opération.
Quelques années plus tard, le Calife ʿUmar Ibn Al-Khattâb écrivit à Fayrûz Ad-Daylamî, -Puisse Dieu être satisfait d’eux - lui disant :
" J’ai entendu dire que tu es très occupé dans la consommation du pain blanc et du miel (entendant par-là qu’il était en train de mener une vie paisible). Une fois que ma lettre te seras parvenue, c’est avec les bénédictions de Dieu que tu viendras à ma rencontre afin que nous puissions mener campagne sur le sentier de Dieu ".
Fayrûz exécuta alors ce qui lui avait été conseillé. Il alla donc à Médine où il y rechercha audience auprès de ʿUmar. Il fut autorisé. Bien évidement une foule entière était là à attendre ʿUmar puis un jeune de Quraysh alla jusqu’à bousculer Fayrûz. Ce dernier leva sa main et lui répondit en le frappant sur le nez.
Le jeune alla à ʿUmar qui lui demanda : " Qui t’a fait ça ? "
" Fayrûz. Il est à coté de la porte " Répondit le jeune homme. Fayrûz entra à son tour puis ʿUmar le questionna : " Qu’est-cela, Ô Fayrûz ? "
Fayrûz de répondre : " Ô Amir Al-Muminin [Commandeur des Croyants], tu m’avais convoqué par ta lettre. Lui ne l’était pas. Tu m’avais accordé ta permission d’entrer. Lui ne l’avait pas. Il a voulu entrer à ma place et ceci devant moi. Alors, j’ai fait ce que tu m’avais demandé".
" Al-Qisâs" ditʿUmar comme jugement, ce qui signifiait que Fayrûz devait recevoir la même correction de la part du jeune homme afin qu’il se venger. " Doit-il en être ainsi ?" questionna Fayrûz. " Oui" insista ʿUmar.
Fayrûz se mit alors à genou et le jeune se leva pour appliquer la sentence. ʿUmar lui dit alors : "Attends un moment jeune homme que je puisse t’enseigner une chose que j’ai entendu du Messager de Dieu - Puisse Dieu le bénir et lui accorder Son salut. Un soir, j’ai entendu le Messager de Dieu dire : " Cette nuit, Al-Aswad Al-ʿAnsî l’Imposteur a été tué. Fayrûz Ad-Daylamî, le serviteur juste, l’a tué ". Alors ʿUmar questionna le jeune :
" Te vois-tu toujours en train de te venger sur lui après avoir entendu cela du Messager de Dieu ? " . " Je lui pardonne ", dit le jeune homme, " Après ce que tu m’as rapporté du Prophète ". " Penses-tu que le fait de me tirer de cette situation soit un aveu pour lui et que son pardon n’a pas pas été donné que sous la contrainte ? ", dit Fayrûz à ʿUmar. " Oui, " répliqua ʿUmar alors Fayrûz déclara ceci : " Je t’annonce que mon épée, mon cheval et trente milles [pièces] de mon argent sont un présent pour lui". " Ton pardon a bien payé, Ô frère de Quraysh, et maintenant tu es devenu riche "dit ʿUmar au jeune homme, sans aucun doute encore impressionné du sens des remords et de la générosité spontanée de [l’Abna] Fayrûz Ad-Daylamî, le [compagnon] juste.
Traduit de "Companions of The Prophet", volume 1, de Abdul Wâhid Hâmid.
[1] L’histoire Perse nous enseigne que cet Empire avait envahi Byzance en 603 et conquit Alexandrie en 619. Soit deux événements qui ont eu lieu dans le contexte même de la révélation de l’Islam.
[2] Chosroes Ier avait dirigé l’empire Perse de 531 à 579. Il est mort en 628.
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