lundi 22 juin 2009
L’Université Al-Qarawiyyîn tire sa réputation et son prestige d’un certain nombre de facteurs, parmi lesquels un des plus importants est l’enseignement des sciences religieuses qui a été, dès les débuts, la principale préoccupation de la vénérable institution. Contrairement à d’autres grandes universités du monde musulman qui proposaient un enseignement pluraliste, en termes d’obédience juridique, Al-Qarawiyyîn s’est spécialisée depuis ses origines dans la diffusion d’un savoir religieux conforme au malékisme, doctrine juridique fondée par l’Imâm Mâlik Ibn Anas. C’est sous le règne des Idrissides que le Maroc a adopté en masse cette doctrine provenant de la terre d’émigration du Prophète, la florissante cité de Médine. Le malékisme a poursuivi, sous la protection des Almoravides, son développement et sa diffusion dans les provinces de l’Extrême-Occident musulman, jusqu’à la prise de pouvoir des Almohades. Ces derniers ont proposé d’abolir le malékisme en tant que doctrine officielle du Maroc, et de revenir à une vision plurielle, laissant un terrain d’expression aux autres grandes obédiences juridiques musulmanes telles que le chaféisme, le hambalisme ou le hanafisme.
Ce projet almohade n’a néanmoins pas pu se concrétiser totalement, car après leur chute devant les Mérinides, autre grande dynastie ayant régné au Maroc, le malékisme a été rétabli comme la référence du royaume en matière de religion. C’est en outre sous les Mérinides que la Mosquée Al-Qarawiyyîn a atteint l’apogée de sa renommée, en tant qu’université de tous les savoirs. On y enseignait alors aussi bien les sciences religieuses que les sciences profanes, dans toute leur diversité. Partant, elle disputait à sa consœur tunisienne, l’Université Az-Zaytûnah le rayonnement sur les pays du Maghreb, sur l’Andalousie musulmane et sur de nombreux pays euro-méditerranéens.
En droit et en jurisprudence, les ouvrages de référence enseignés à Al-Qarawiyyîn étaient la Mudawwanah de Sahnûn, un des tout premiers juristes à avoir introduit le malékisme au Maghreb, la Risâlah d’Ibn Abî Zayd Al-Qayrawânî, juriste malékite originaire de Kairouan, tout comme le précédent, le Tahdhîb d’Al-Barâdiʿî, puis plus tard le Mukhtasar de Khalîl.
En exégèse et en herméneutique coraniques, on étudiait, entre autres grands auteurs, les commentaires d’Ath-Thaʿlabî, d’Az-Zamakhsharî, d’Ar-Râzî, d’Al-Baydâwî, d’Ibn ʿArafah et d’As-Suyûtî. Les cours d’exégèse étaient traditionnellement dispensés tôt le matin, les enseignants et les étudiants recherchant ainsi quotidiennement la grâce divine en débutant la journée par l’étude du Livre de Dieu. Néanmoins, il semblerait que l’intérêt des savants marocains, et fassis en particulier, pour les sciences exégétiques n’était pas aussi développé que pour les sciences juridiques ou littéraires. Il n’existe pas en effet d’exégète marocain s’étant distingué à l’instar des grands commentateurs du Coran qui se sont affirmé au Machrek par exemple. C’est d’ailleurs ce que reconnaît un grand savant fassi du XVe siècle, l’Imâm Al-Wansharîsî (1430 - 1508), qui justifie dans son livre Al-Miʿyâr Al-Muʿarrab la position des savants maghrébins vis-à-vis de l’exégèse, en affirmant qu’« en vérité, l’exégèse coranique est une des choses les plus difficiles qui soit, et il faut être véritablement audacieux pour aborder ce sujet ».
Pour ce qui est des sciences du Coran qui comprennent notamment l’art de la psalmodie et l’étude des différents lectionnaires ou variantes coraniques, elles n’ont pris une réelle envergure dans l’enseignement d’Al-Qarawiyyîn qu’à partir de l’époque mérinide. Des savants marocains de renom ont ainsi marqué l’histoire de cette discipline, à l’instar d’Ibn Barrî At-Tâzî ou de Abû ʿAbd Allâh Al-Kharrâz, deux éminences du XIVe siècle dont les œuvres respectives font autorité aujourd’hui encore dans l’enseignement du lectionnaire de Nâfiʿ, qui est une variante du texte coranique répandue essentiellement au Maghreb et en Afrique de l’Ouest.
Les sciences du Hadith se fondaient pour leur part sur les Sommes de hadiths authentiques et les Traditions prophétiques recensées par les compilateurs de la Sunnah que sont par exemple Al-Bukhârî, Muslim, At-Tirmidhî, ou encore Mâlik Ibn Anas, dont la plupart des savants marocains sont les disciples. Un fait remarquable est qu’à certaines époques, les savants de l’Université Al-Qarawiyyîn témoignaient d’une préférence pour le Sahîh de Muslim par rapport à celui d’Al-Bukhârî, alors que traditionnellement chez les sunnites, on considère que le Sahîh d’Al-Bukhârî est l’ouvrage le plus véridique et le plus authentique après le Coran. Les sciences du Hadith étaient également étudiées sous leur angle méthodologique, avec comme principales références les œuvres d’Al-ʿIrâqî, d’Al-Qudâʿî (Shihâb Al-Akhbâr), d’Al-Mundhirî (At-Targhîb wat-Tarhîb) entre autres.
En linguistique et en grammaire, l’enseignement reposait principalement sur les travaux d’Al-Mubrid, de Sîbawayh et d’Ibn Mâlik, qui furent des piliers et des théoriciens des mécanismes qui régissent la langue arabe. Les cours de littérature était quant à eux dispensés à partir des œuvres d’Ibn Durayd (Al-Maqsûrah) et de Abû Tammâm (Al-Hamâsah).
En fondements du droit, qui désigne la branche des sciences islamiques dont l’objet d’étude est la compréhension des mécanismes qui sous-tendent la science du droit musulman, on étudiait en premier lieu Jamʿ Al-Jawâmiʿ fî Usûl Al-Fiqh de Tâj Ad-Dîn Ibn As-Subkî. En logique et en dialectique, deux sciences généralement enseignées en amont des fondements du droit, étant donné qu’elles en fournissent les outils théoriques, la principale référence était l’ouvrage d’Ibn Al-Hâjib : Muntahâ Al-Wusûl wal-Amal fî ʿIlmay Al-Usûl wal-Jadal (Réponse aux objectifs et aux attentes vis-à-vis des sciences des fondements et de la dialectique). Les cours de théologie reposaient quant à eux sur le livre d’As-Sunûsî, Umm Al-Barâhîn.
Outre ces sciences humaines, Al-Qarawiyyîn était également réputée pour l’enseignement des sciences exactes. Très tôt, la médecine a ainsi occupé une place importante parmi les disciplines étudiées à Fès. Ibn Maymûn Al-Ghumârî, un savant marocain du XVIe siècle, écrit ainsi qu’il ne connaît point d’autre cité dans le monde dont les savants ont une connaissance aussi admirable des différents champs du savoir tels que la grammaire, le droit successoral, les mathématiques, la logique, la théologie ou la médecine, entre autres disciplines intellectuelles. Les principales œuvres de médecine enseignées par les savants d’Al-Qarawiyyîn étaient celles d’Ar-Râzî (Rhazès), d’Ibn Sînâ (Avicenne), auteur du célébrissisme Canon de la Médecine (Al-Qânûn fî At-Tibb), d’Al-Jurjânî, d’Ibn Rushd (Averroès), auteur du Colliget (Al-Kulliyyât fî At-Tibb), dont la traduction littérale du titre est « Généralités sur la Médecine ». Aux côtés de ces références arabo-musulmanes dans l’enseignement de la médecine, on étudiait également des références grecques, Hippocrate et Galien notamment. Fait remarquable, la médecine était un art dans lequel excellaient de nombreux savants spécialisés en sciences religieuses, comme l’Imâm As-Sunûsî, auteur de commentaires portant aussi bien sur l’œuvre traditionaliste d’Al-Bukhârî que sur celle médicale d’Ibn Sînâ.
En mathématiques, de nombreux savants fassis se rendirent célèbres par leurs travaux, qui furent dès lors étudiés à Al-Qarawiyyîn. Parmi eux, l’on peut citer Ibn As-Sakkâk, Abû ʿImrân Ibn Abî Shâmah, Abû Al-Hasan ʿAlî Ibn Farhûn ou encore le célèbre Ibn Al-Yâsamîn, auteur d’une œuvre magistrale sur l’algèbre et les équations.
Depuis les origines, l’enseignement à Al-Qarawiyyîn s’est fait selon les méthodes en vigueur alors dans le monde musulman, et qui consiste en leçons publiques données par le sheikh à un cercle d’étudiants, tous assis à même le sol dans l’enceinte de la Mosquée. Lorsque l’affluence des étudiants est devenue telle qu’une telle organisation ne permettait plus au professeur d’interagir facilement avec ses élèves, l’usage de chaires installées dans la Mosquée commença à se généraliser. Cet usage a été emprunté par les Maghrébins à leurs coreligionnaires du Machrek au cours de leurs pérégrinations pour l’accomplissement du pèlerinage à La Mecque ou pour la quête de connaissance. Initialement d’intérêt purement pratique pour le enseignants, les chaires sont devenues au fil du temps la marque d’un statut et d’une qualification confiées aux plus éminents professeurs. Ces chaires universitaires se développèrent principalement à l’époque des Mérinides, avec l’épanouissement intellectuel et culturel que connut le Maroc sous leur règne. Initialement cantonnées à la Mosquée Al-Qarawiyyîn, elles firent plus tard leur apparition dans les autres écoles et mosquées de Fès. La titulature d’une chaire universitaire à Al-Qarawiyyîn était une fonction officielle, tout comme la judicature ou la législature. Le sultan ne l’attribuait qu’à des personnes possédant de solides références et une culture intellectuelle indéniable.
Au vu de leur importance, les chaires universitaires, dont le nombre avoisina les cent cinquante dans la ville de Fès et ses environs, étaient dotées de biens de mainmorte alimentés par les donations faites par les rois, les princes et autres riches et moins riches bienfaiteurs. Ces biens de mainmorte servaient notamment à financer les savants et les professeurs qui se succédaient sur les chaires.
Les leçons publiques étaient données toute la journée, de la prière de l’aube jusqu’à celle du soir, sans interruption. Chaque citoyen fassi pouvait ainsi aménager son emploi du temps quotidien pour pouvoir assister aux cours qui lui tenaient à cœur. Les artisans, les commerçants et les ouvriers se rendaient ainsi à ces leçons tôt le matin avant d’aller au travail, puis le soir, avant de rentrer dans leurs foyers. Certains historiens indiquent qu’avec une telle assiduité, ce petit peuple, dont les connaissances seraient restées somme tout assez modestes dans d’autres sociétés, acquit un savoir très poussé et était à même de pouvoir débattre avec brio des questions les plus délicates, relevant de l’exégèse, du Hadith ou du droit.
Les chaires universitaires se divisaient en deux grandes catégories : la première était celle des chaires génériques, sur lesquelles se succédaient divers professeurs, et la seconde celle des chaires spécifiques, réservées aux plus grandes éminences et dont celles-ci étaient les uniques titulaires. Cette seconde catégorie, constituée de chaires spécialisées dans un domaine d’étude particulier, s’adressait principalement aux étudiants en fin de cursus.
Dans sa Description de l’Afrique, Ibn Al-Wazzân, connu en Occident sous le nom de Léon l’Africain (1488 – 1548), indique que les chaires étaient alignées sur toute la longueur des murs de la Mosquée Al-Qarawiyyîn. Cette organisation géographique était toujours en vigueur au début du XXe siècle, d’après les recherches effectuées par le docteur ʿAbd Al-Hâdî At-Tâzî, auteur de Jâmiʿ Al-Qarawiyyîn (La Mosquée Al-Qarawiyyîn). Ce dernier précise que les chaires du mur sud dispensaient un enseignement supérieur, celles des murs est et nord un enseignement secondaire, et celles du mur ouest un enseignement primaire.
Certaines chaires, postées à divers endroits de la Mosquée, portaient des noms les distinguant des autres. Parmi celles-ci, d’aucunes avaient des noms se référant à l’endroit où elles étaient situées dans l’enceinte du lieu de culte, tandis que d’autres portaient le nom du savant qui y professait ou de la discipline enseignée.
Dans la première catégorie, celle des chaires portant le nom d’endroits de la Mosquée Al-Qarawiyyîn, on peut citer la chaire du Mihrâb, qui remonte au début de l’ère mérinide, et où était enseignée l’exégèse coranique d’Ath-Thaʿlabî, la Hilyah de Abû Naʿîm Al-Asfahânî, Ihyâ’ ʿUlûm Ad-Dîn d’Al-Ghazâlî (Algazel), puis plus tard, sous l’impulsion du Sultan Abû ʿInân Al-Marînî, l’excellente œuvre du Cadi ʿIyâd, Ash-Shifâ’. On peut également citer la chaire de Dhahr Al-Khassah, située sous le mur est de la Mosquée et qui remonte au règne du sultan alaouite Moulay Ismâʿîl (1645 – 1727), un des plus célèbres représentants de la dynastie qui règne aujourd’hui encore au Maroc. Cette chaire avait pour particularité d’avoir un auditoire féminin très cultivé. On y enseignait la Risâlah d’Ibn Abî Zayd Al-Qayrawânî, la Hilyah de Abû Naʿîm Al-Asfahânî, ou Al-Iktifâ’ fî As-Sîrah d’Al-Kilâʿî.
Dans la catégorie des chaires ayant pour noms des sommités d’Al-Qarawiyyîn, on peut citer la chaire de l’Imâm ʿAbd Al-ʿAzîz Al-Waryâghilî, le savant marocain du XVe siècle qui renversa le dernier sultan mérinide. A cette chaire, on enseignait l’exégèse le matin, les Sahîh d’Al-Bukhârî et de Muslim le soir, le Mukhtasar d’Ibn Al-Hâjib le midi et At-Targhîb wat-Tarhîb d’Al-Mundhirî l’après-midi. Parmi les savants les plus célèbres qui furent titulaires de cette chaire, on trouve Ibn Ghâzî (1437 – 1513), Ibn Al-Qâdî (1553 – 1616) ou encore At-Tâwudî Ibn Sûdah (1705 – 1795). La chaire d’Al-Wansharîsî, précédemment cité, était quant à elle dévolue à l’enseignement du Sahîh d’Al-Bukhârî, du Mukhtasar d’Ibn Al-Hâjib, des Hikam d’Ibn ʿAtâ’ Allâh et de l’exégèse d’Ibn ʿArafah. Cette chaire était réputée comme l’une des plus riches d’Al-Qarawiyyîn, en raison de la multitude de biens et de fonciers qui lui étaient légués.
Les méthodes d’enseignement à Al-Qarawiyyîn étaient pour l’essentiel des méthodes traditionnelles, où la mémorisation des textes jouait un rôle primordial. Pendant la leçon, un étudiant lisait le texte proposé par le professeur, avec une bonne diction et d’une voix audible à tous. Le professeur le relisait ensuite une nouvelle fois lentement, tout en se livrant à des explications linguistiques, rhétoriques et grammaticales détaillées. Il faisait alors l’analyse de l’extrait en en explicitant les aspects sémantiques et conceptuels. Il délivrait alors la liste des commentaires et des interprétations fournis par les savants des siècles antérieurs, via une approche critique et comparative. Cette méthode, proche de la scolastique dans son approche pédagogique, donnait toutefois à l’étudiant un accès aisé à de multiples sources bibliographiques, tout en développant chez lui un esprit d’analyse et d’observation critique. Le professeur n’était pas tenu d’observer un calendrier précis pour l’avancement de son cours et il ne faisait pas non plus l’objet d’une surveillance administrative. Il enseignait à ses étudiants l’ouvrage qu’il avait choisi du début à la fin, en adaptant le rythme au niveau et à la compréhension de ses élèves. Cet enseignement s’est poursuivi à Al-Qarawiyyîn depuis l’époque mérinide jusqu’à nos jours, à toutes les étapes de la scolarité, l’objectif étant de former des spécialistes de le charia, de ses fondements et de tous les arts et les sciences qui s’y réfèrent.
L’évaluation des étudiants se faisait au travers d’examens permettant de jauger leur niveau, leur mémoire, leur esprit d’analyse et leur connaissance des ouvrages et des textes étudiés. Ces examens ne conduisaient pas nécessairement à l’obtention d’un diplôme ou d’un certificat particulier, comme c’est le cas dans les études modernes. Toutefois, elles aidaient le professeur dans sa décision d’accorder ou non une licence (ijâzah en arabe) dans le cours suivi par l’étudiant, si celui-ci affichait des capacités et des connaissances évidentes dans la discipline concernée. L’obtention de ces ijâzât ouvrait aux étudiants les portes de l’enseignement, en tant que professeurs agréés dans les mosquées de Fès.
Après la chute de la dynastie mérinide en 1465, l’enseignement d’Al-Qarawiyyîn connut progressivement une certaine sclérose et une certaine cristallisation des idées et de la pensée. Cette situation s’amplifia notamment pendant le règne des Wattassides (1472 – 1554) et des Saadiens (1554 – 1660), et jusqu’au début de l’ère alaouite. Ce fut le pieux Sultan alaouite Muhammad Ibn ʿAbd Allâh, dit Mohammed III (1710 – 1790), qui prit conscience de la nécessité de réformer Al-Qarawiyyîn, sans quoi la prestigieuse université risquait de sombrer dans les abîmes de l’histoire.
Après avoir mûri son plan de restructuration de la Mosquée fassie, Mohammed III émit en 1789 un décret sultanien mettant fin au foisonnement, confinant parfois à l’anarchie, des disciplines et des ouvrages étudiés. Le décret prescrivit ainsi de se limiter à une liste de matières et de ressources bibliographiques, tout en bannissant l’enseignement des livres de théologie fondées sur la dispute scolastique. Le décret enjoignait le retour aux sources, avec un enseignement théologique conforme à la doctrine des pieux prédécesseurs. Il enjoignait également l’enseignement du Coran avec ses différentes exégèses, ainsi que la Sunnah rapportée par les grands Imams du Hadith. En droit, le Sultan exigea que l’enseignement se fondât uniquement sur une sélection d’ouvrages déjà étudiés par ailleurs à Al-Qarawiyyîn, parmi lesquels la Mudawwanah de Sahnûn, les Muqaddimât d’Ibn Rushd senior, homonyme et grand-père d’Ibn Rushd junior, dit Averroès, les Jawâhir d’Ibn Shâs, la Risâlah d’Ibn Abî Zayd Al-Qayrawânî, le Mukhtasar de Khalîl, entre autres. En biographie du Prophète, le décret listait les seuls Al-Iktifâ’ d’Al-Kilâʿî et ʿUyûn Al-Athar d’Ibn Sayyid An-Nâs Al-Yaʿmurî.
Vis-à-vis des sciences profanes, le Sultan ne donna pas d’instructions particulières, si ce n’est son insistance pour que les étudiants en astronomie et en mathématiques approfondissent leurs connaissances, pour être en mesure par exemple de calculer avec précision les heures des prières ou les parts successorales. Son attachement à ces disciplines était tel qu’il décida d’envoyer des étudiants d’Al-Qarawiyyîn dans les plus prestigieuses universités européennes pour parachever leur formation, un programme que poursuivirent ses successeurs, à l’instar des sultans Moulay Hasan Ier et Moulay ʿAbd Al-ʿAzîz. Cependant, dans son décret de 1789, Mohammed III émit des doutes sur l’intérêt de l’enseignement philosophique, considérant sans doute que comme la théologie, la philosophie relevait d’une démarche d’oisiveté intellectuelle, au contraire des autres sciences religieuses et profanes qui bénéficiaient aux musulmans ici-bas et dans l’au-delà.
Le décret du Sultan du Maroc refondait ainsi radicalement l’enseignement d’Al-Qarawiyyîn, en donnant la préséance aux sciences religieuses et en affirmant le retour aux sources primitives de l’islam, désavouant le système scolaire scolastique fondé presque exclusivement sur l’enseignement des synthèses et des commentaires tardifs de ces mêmes sources, qui au fil du temps, perdaient la teneur originelle des textes. L’œuvre réformatrice de Mohammed III fut poursuivie pas son fils et successeur, Moulay Sulaymân (1760 - 1822). Sous le règne de ce dernier, la renaissance intellectuelle du Maroc prit toute sa forme, au point que le voyageur et chroniqueur espagnol Domingo Badia y Leblich, connu en Orient sous le nom de ʿAlî Bey Al-ʿAbbâsî, décrivit Fès, lors de la visite qu’il effectua en 1803, comme l’Athènes de l’Afrique.
La deuxième grande réforme de l’Université Al-Qarawiyyîn après celle de Mohammed III, fut celle initiée par le Sultan Moulay Yûsuf (1882 – 1927) qui décréta l’institution d’un conseil d’administration d’Al-Qarawiyyîn, chargé entre autres de mettre en place un programme scolaire moderne, avec une subdivision claire entre les enseignements primaire, secondaire et universitaire. Le Sultan exigea également la mise en place d’examens systématiques comme moyen d’évaluation des élèves et de validation de leur cursus. Cette nouvelle organisation, plus adaptée aux exigences du monde contemporain, ne se concrétisa néanmoins que sous le règne du fils et successeur de Moulay Youssef, Moulay Mohammed V (1909 – 1961), Sultan puis Roi du Maroc. Ce dernier émit un dahir chérifien en 1931 demandant aux responsables d’Al-Qarawiyyîn d’élaborer une circulaire réglementant l’enseignement et les méthodes pédagogiques en vigueur à l’Université. La circulaire fut émise en 1933 et détaillait les disciplines enseignées au cours des trois étapes de la scolarité. La durée de celle-ci fut fixée à douze ans, trois en primaire, six au secondaire et trois au supérieur. Pour ces trois dernières années, les étudiants avaient désormais le choix entre la faculté de Lettres et la faculté de Religion. La fin de leurs études était ponctuée par un examen en vue de l’obtention du diplôme de la ʿâlamiyyah, l’équivalent du magistère. La circulaire préconisait également l’introduction de nouvelles matières dans le cursus d’Al-Qarawiyyîn, telles que l’histoire, la géographie ou les sciences de l’ingénieur. Elle définissait également le nombre de professeurs nécessaires au bon fonctionnement de l’institution, ainsi que leurs salaires, et fixait les missions des surveillants, les dates des vacances scolaires, le déroulement des examens et les conditions d’obtention des diplômes.
Sous le régime du Protectorat, cette volonté de réforme était toutefois contrecarrée par les difficultés que causaient la Résidence Générale française, qui ne voyait pas d’un bon œil le retour, au premier plan de la vie intellectuelle marocaine, de l’Université Al-Qarawiyyîn, d’où la contestation du régime colonial était la plus susceptible de se déclencher, comme ce fut effectivement le cas quelques années plus tard.
Après l’indépendance du Maroc en 1956, de nouvelles restructurations furent mises en œuvre, englobant l’ensemble des universités du pays. Le dahir chérifien de 1975, décrété par le Roi Hasan II (1929 – 1999), unifia ainsi le fonctionnement de l’Université Al-Qarawiyyîn et des autres instituts supérieurs du Maroc. Aujourd’hui, l’Université Al-Qarawiyyîn a absorbé certaines de ses consœurs pour ne former qu’une seule et même institution. L’Université Al-Qarawiyyîn ainsi élargie compte quatre facultés :
Toutes ces facultés forment aujourd’hui des cadres marocains de l’enseignement supérieur, de la justice et de l’administration.
Sources : Trois articles du site de l’Organisation Islamique pour l’Éducation, les Sciences et la Culture (ISESCO), L’enseignement des sciences islamiques à Al-Qarawiyyîn au fil des siècles, Le système scolaire à Al-Qarawiyyîn et La réforme du système éducatif à l’Université Al-Qarawiyyîn.
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