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La force inactive des Arabes

samedi 30 mai 2009

L’Orient ne s’affaiblit, et ne rompit ses liens avec la source de sa force et avec l’essence de sa vie que lorsque les Arabes perdirent la connaissance de leur propre valeur, et oublièrent leur message céleste, par la grâce duquel ils avaient été naguère le sel de la terre. Ils abandonnèrent la barre du navire, et leurs esprits cessèrent de guider la caravane de l’humanité. Ce fut à partir de ce moment que le champ de l’islam fut investi par les non-Arabes.

L’Orient ne retrouvera sa force et sa vie que s’il se remet à puiser sa foi muhammadienne dans sa source primitive, entre les rochers d’où avait jailli la rivière de son eau douce et sur lesquels s’abattit son délicieux nectar.

Ce souhait ne saura néanmoins s’accomplir que si les bras arabes participent à la portée de son flambeau, et si les orateurs arabes s’en font les chantres.

C’est par des retrouvailles avec l’islam que l’Orient se réunira de ses divisions, qu’il recouvrira sa force, qu’il développera son éthique de la virilité et qu’il se préparera à collaborer avec les autres nations pour porter le fardeau de la civilisation, et occuper une place de choix parmi le peloton de tête.

Si l’esprit de la vie se répandait dans le corps de l’Islam, qui retrouverait alors sa beauté, son intégrité et son lustre d’antan à l’époque du bonheur et aux jours bénis des Successeurs [1], l’humanité y trouverait un remède à ses maux, et les hommes pourraient se prémunir contre l’exacerbation des nationalismes qui n’aboutit qu’à un carnage infernal, consumant la terre.

Si un bout d’humanité devait survivre après la prochaine guerre, elle devrait se préparer à un carnage bien pire encore.

Si les plaies et les guerres suscitées par les nationalismes devaient tarder à frapper les hommes, alors le fléau du communisme serait là pour les envahir, pour s’infiltrer au sein des nations, tandis que ces mêmes nations le combattraient, armées de leurs fanatismes haineux et iniques.

Ainsi vont les hommes, soignant le mal par le mal, tant qu’ils n’auront accepté l’islam et qu’ils n’en auront fait leur cure.

Mais comment pourraient-ils accepter l’islam, alors que les musulmans se dressent sur le chemin qui y conduit, repoussant les nations par leurs ignominies, leurs crimes, leur faiblesse, leur hypocrisie, leur pingrerie, leur envie, leur rancœur et leur mensonge lorsqu’ils prétendent être les fidèles et les prédicateurs de l’islam ?

Nos ancêtres tentèrent une expérience, le jour où ils vendirent leurs âmes à la guidance muhammadienne. Ils lui firent alors legs de leurs esprits, de leurs cœurs, de leurs bras, de leur argent et de leurs armes ; ils cheminèrent à sa lumière en direction de leur but ; ils s’en remirent à la balance de sa justice pour peser leurs affaires. L’expérience fut un succès retentissant : ils ne tardèrent guère à constater que les âmes qu’ils avaient vendues à Dieu – et qui étaient les âmes d’hommes issus du commun des mortels – leur étaient restituées sous la forme d’âmes royales, que les esprits dont ils avaient fait legs pour la cause de Dieu s’étaient mus en sources inépuisables de sagesse, que les cœurs qu’ils avaient empli de foi en Dieu les rendaient en mesure d’affronter les obstacles et de franchir les horizons, que les bras grâce auxquels ils avaient porté les étendards de l’islam aux nations de la terre étaient accueillis à bras ouverts par les nations de la terre, que l’argent qu’ils avaient dépensé pour élever la parole de vérité leur fut dédommagé par Dieu, qui leur octroya les trésors de Chosroès et de César, que les armes qu’ils avaient dégainées pour la défense de la vérité étaient devenues le siège de la puissance, le symbole de la victoire et le courroux divin contre les oppresseurs.

Tandis que nos ancêtres tentaient l’expérience d’ouvrir le coffre qui contenait les trésors du bonheur, à l’aide de la clé de la foi muhammadienne, le temps soumettait lui aussi leurs talents à l’expérience de la vie, mesurant leurs compétences et sondant en profondeur leurs principes moraux une fois que leurs cœurs avaient embrassé le trésor. Il découvrit alors une nation qui battait des records de sagesse et de gouvernance, de sagacité et de noblesse, de douceur et de bonne compagnie.

Le docteur français Gustave Le Bon s’arrêta pour porter un regard sur ce qu’il put observer des comportements des Arabes au fil des siècles. Il s’exclama alors haut et fort : « Jamais les peuples n’avaient connu de conquérants si tolérants, ni de religion si douce. » [2]

Ils laissèrent derrière eux en Andalousie des merveilles d’art, des prodiges d’architecture et des vestiges de civilisation attestant qu’ils furent la nation la plus sensible, la plus raffinée, la plus clairvoyante, la moins arrogante et la moins vaniteuse.

Ils laissèrent derrière eux dans la bibliothèque de l’humanité des connaissances, ayant trait à l’ensemble des disciplines philosophiques, intellectuelles et scientifiques, que l’ignorance de leurs ennemis mongols, croisés et hispaniques ne put annihiler dans les eaux du Tigre, dans les bûchers de Tripoli et de Jérusalem ou dans les tribunaux de l’Inquisition. Malgré les destructions, il reste encore une quantité d’ouvrages telle que les imprimeries orientalistes en Europe et l’enthousiasme des orientaux en Inde, en Iran et dans les pays arabes s’activent à les publier par milliers, depuis plus de cent ans, sans que cela représente une seule goutte de l’océan du savoir des Arabes, qui reste pour l’essentiel consigné dans les manuscrits des bibliothèques orientales et occidentales, connus pour certains d’entre eux, méconnus pour d’autres.

Ils laissèrent enfin derrière eux une guidance telle que, si l’Occident renonçait à son fanatisme aveugle pour l’Eglise et acceptait la guidance de l’islam, Dieu le soignerait de tous ses maux. Il pourrait alors goûter au bonheur qu’il recherche en vain dans les ténèbres.

Si nous-mêmes, descendants des Arabes, renoncions également à notre inexpugnable ignorance, et entraînions nos âmes à œuvrer conformément aux règles de ladite guidance, travaillant notamment à réactiver les devoirs sociaux qu’elle prescrit, sans lesquels une nation ne peut être une nation, alors la réalité de l’islam prendrait forme dans notre vie publique et privée, et sa beauté se manifesterait à travers nos actes et nos relations inter-humaines.

Ce jour-là, nous serions des arguments en faveur, et non en défaveur de l’islam. Nous serions des annonceurs de la bonne nouvelle, non les responsables d’un dégoût pour cette religion. En outre, avant que l’islam ne profitât de notre loyauté pour se faire entendre et se répandre, nous profiterions de sa guidance pour accéder au progrès et à la puissance.
Ce serait alors que, grâce à nous, les nations accèderaient à la connaissance de l’islam, et accèderaient à notre connaissance par la grâce à l’islam. Les peuples de la terre viendraient alors à la foi nation après nation, de même que les individus viennent aujourd’hui à l’islam, les uns après les autres.

Nous sommes responsables, nous autres Arabes, du crime que constitue le détournement des nations de la terre à l’égard de l’islam. Nous sommes responsables, nous autres Arabes, du crime que constitue notre humiliation, notre faiblesse et notre soumission à de nombreuses nations de la terre, y compris les juifs.

Tant que notre jeunesse continuera à grandir dans l’amour de ses pulsions, en étant portée à croire que l’islam est une religion n’ayant aucun intérêt pour parvenir au bonheur terrestre et en ignorant qu’elle est issue d’une nation que Dieu a distinguée en lui remettant un message destiné à l’humanité, grâce auquel, si elle s’en donnait les moyens, la terre s’en trouverait métamorphosée, alors, pour cette jeunesse qui grandit avec de telles conceptions, le ventre de la terre est plus digne de la recevoir que la surface.

Nous autres, Arabes, sommes faits pour être la meilleure des nations, ou la pire des nations. Une position intermédiaire n’a jamais été notre lot, tout au long de l’histoire.

Nous vivons dans un sommeil léthargique et dans une insouciance qui nous dévoie du droit chemin. Et lorsque nous nous réveillons, nous bondissons brusquement du nadir au zénith et nous devenons le sel de la terre, le diadème de l’humanité, les guides du monde. Mais comment nous réveiller ? Et qui va nous réveiller ?

J’étais dans une déception que j’essayais de nier à moi-même, afin de garder espoir. Je savais que le réveil devait venir d’Égypte, et que ses prédicateurs devaient être égyptiens, mais à chaque fois que le mot « Arabes » est prononcé, les lecteurs égyptiens s’imaginent que ce mot désigne autres qu’eux-mêmes, que l’Arabe ne peut être qu’un bédouin va-nu-pieds. Mais lorsque j’ai lu la même semaine l’article du grand écrivain et professeur, Sheikh ʿAbd Allâh ʿAfîfî, qu’il intitula « Watan wa ʿAshîrah (Une patrie et un clan) » et dont j’ai cité quelques extraits dans ce volume d’Al-Hadîqah [span class=ouvrage], puis des passages d’une conférence du Professeur ʿAbd Ar-Rahmân ʿAzzâm sur l’unité de la culture islamique, puis que j’ai ensuite mesuré l’état d’anxiété du quotidien colonial anglais The Morning Post, qui craignait une prise de conscience de l’Égypte de son arabité, qui la pousserait à aller réveiller les autres Arabes, j’ai senti que ma déception que j’essayais de nier à moi-même s’est mue en cet espoir grâce auquel j’essayais de me soigner. Pourtant le poids du chagrin a une telle pression sur mon cœur que je ne sais si la plume d’un seul écrivain ou les éclats de voix d’un seul orateur suffiront à le soulager.

Il est indispensable de déverser cette foi dans les cœurs d’autres hommes, prédisposés au bien, n’ayant pas d’antécédent avec l’athéisme, l’occidentalisation et l’amour des pulsions. Car ce sont ces hommes-là que nous recherchons, et c’est dans ces cœurs-là que nous devons insuffler la foi. Les muezzins élèveront alors la voix de concert pour appeler au succès, afin que les Arabes se réveillent tous ensemble, prennent connaissance de leur vocation et s’élancent pour remplir leur mission de par le monde.

P.-S.

Traduit de l’arabe d’un article de 1934 de Sheikh Muhibb Ad-Dîn Al-Khatîb, extrait de son ouvrage Al-Hadîqah (Le Jardin) et faisant partie du premier tome d’une compilation d’articles intitulée Maqâlât Li-Kibâr Kuttâb Al-ʿArabiyyah fî Al-ʿAsr Al-Hadîth (Sélection d’articles des plus grands écrivains arabes de l’ère contemporaine), élaborée par Sheikh Muhammad Ibn Ibrâhîm Al-Hamad et téléchargeable en ligne sur le site Islamhouse.com.

Notes

[1Les Successeurs désignent la deuxième génération de Musulmans, celle qui n’a pas connu le Prophète, mais qui a connu ses Compagnons. NdT

[2Conférer La Civilisation des Arabes du Docteur Gustave Le Bon, Livre VI, téléchargeable en ligne sur le site de l’Université du Québec à Chicoutimi. NdT

[span class=ouvrageAl-Hadîqah est le recueil d’articles de Sheikh Muhibb Ad-Dîn Al-Khatîb d’où est extrait le présent article. NdT

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