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Le jour de la résurrection

lundi 21 février 2011

D’aucuns parmi nous peuvent être, en quelque période de leur existence, sous l’emprise d’instants au cours desquels ils ressentent que la vie a cessé de couler dans leurs veines et qu’elle est devenue semblable à un mur inébranlable qui ne vacille point, qui ne penche point et qui ne bouge point. Ils ressentent que leur âme est mourante et que pas un frémissement ne vient alerter l’esprit que l’être vivant qu’il abrite est toujours vivant et actif. Ils ressentent que le monde paraît tel un tapis étendu sur lequel ils marchent avec les yeux, mais qui n’offre en réalité aucune possibilité de mouvement à leur être figé, immobile et dépourvu de cette vie rayonnante. D’aucuns parmi nous peuvent alors souhaiter qu’un désastre s’abatte sur eux afin que leurs jours soient de nouveau remplis de vacarme et de dispute, et que, éventuellement, l’inertie dont ils souffrent se transforme en activité, en éveil et en légèreté qui ressuscite leur âme morte de la tombe de leur vie léthargique.

En se manifestant chez une personne, cet état d’âme paralyse les jours d’une existence, qui se mettent à ramper avec lenteur et difficulté, comme s’ils étaient amarrés au quai de la vie par le biais d’une lourde chaîne. L’être vivant vit alors dans un mensonge, une erreur et un vague à l’âme permanents, autrement dit, dans une perplexité, une inquiétude et un ennui permanents. Si elle se sent perplexe, inquiète et ennuyée, telle personne verra ses actions comme un corps sans vie. Ainsi l’être vivant n’est-il plus en harmonie avec ses actions. Chacune des deux parties se fait face tel un sculpteur impuissant face à sa sculpture, le premier disant à la seconde : « Où suis-je en toi, stupide statue ? » L’objet honni et muet lui répondant : « Où es-tu dans ton âme, espèce d’idiot ? »

La vie est le mouvement de l’esprit qui anime l’action. Si l’action en est dépourvue, c’est-à-dire, si ne se manifeste pas dans toutes ses composantes le mouvement de l’esprit actif, alors c’est la preuve que l’esprit en question est frappé de mort ou de quelque chose qui y ressemble, ayant perdu sa qualité, son attribut et son essence d’esprit. S’il continue à vivre dans cet état, alors ce sera abrité dans un cercueil prenant la forme d’une statue humaine.

Lorsque l’homme atteint ce stade, c’est toute son humanité qui est sacrifiée à l’autel de ses jours stériles. Il ne produira alors aucun fruit ou s’il produit des fruits, ce ne seront guère des fruits plaisants, mais plutôt des épines, des piquants, du bois sec, et tout ce dont on ne peut tirer profit sinon le mal et la souffrance que cela cause à l’ensemble du genre humain.

Cet état relatif à l’individu isolé peut également s’étendre à une nation parmi les hommes, ou à une génération au sein d’une nation. Car l’individu est à la fois la synthèse et l’origine de la communauté. La nation peut donc être saisie de la même paralysie que celle dont peuvent être atteints les individus qui la composent, ce que ne saurait remettre en cause l’existence en son sein de quelques individus immunisés contre l’état de léthargie que nous venons de décrire.

La nation souhaite alors que s’abatte sur elle le désastre, afin que l’environnement dans lequel elle vit soit saisi d’une terrible et retentissante secousse, sonnant aux oreilles de ses enfants le tocsin du réveil, qui soudain, fait sursauter le dormeur et le fait se débarrasser de sa léthargie, de ses rêvasseries et de ses faux espoirs.

L’Orient vit depuis des siècles avec le sentiment qu’autour de lui, la vie s’est arrêtée, est tombée dans une profonde léthargie et que son ombre a cessé de se mouvoir. Certains de ses enfants ont alors accouru en criant, depuis les abysses de la pensée, pour réveiller des vivants dont les oreilles ont été obstruées avec de la cire, que le sommeil a cloîtrés dans l’impuissance, l’humiliation et l’inconsidération. Mais ces enfants sont repartis et ont renoncé ; nul ne les a entendus, sinon eux-mêmes à qui est parvenu l’écho de leurs propres voix qui s’est répercutée sur les murs d’une ruine désolée.

Or désormais, le désastre s’est abattu sur l’Orient, frappant de plein fouet les foyers et les territoires orientaux. La victime entend le vacarme foudroyant, non pas avec ses seules oreilles, mais au plus profond d’elle-même. Elle se réveille d’un long somme dont elle n’avait auparavant jamais fait l’expérience. Est-on alors en droit d’espérer que ce vacarme terrifiant poussera l’Orient à rassembler les lambeaux épars de sa nouvelle vie, à unir ses forces en vue d’une renaissance, d’un sursaut et d’un bondissement jetant à terre les idoles érigées des vieilles injustices, celles-là même devant lesquelles se sont prosternés des êtres qui se sont soumis et humiliés ? Ceux-ci ont placé leurs espoirs dans la pitié des tyrans, dont ils n’ont obtenu, en guise de récompense pour leurs illusions, que des miettes, tombées des tables de ces tyrans barbares, totalitaires et despotiques.

L’Orient doit aujourd’hui se poser une seule question, dont la réponse sera une action ferme et exécutoire qui ne prendra fin qu’après avoir atteint son objectif. Cette question est la première question permettant de soustraire à une mort certaine l’humanité d’un être vivant, dès lors qu’elle est motivée par le souhait de l’âme de réaliser sa propre volonté d’une manière indissoluble.

Qui suis-je ? Telle est la question ! Si l’Orient commence à s’interroger et à essayer de découvrir sa vraie nature enfouie dans son histoire, alors ce sera le début d’une victoire qui investira les sombres cavernes de ses jours inertes.

Sceptique et perplexe, s’il ne se munit pas dans sa perplexité d’un esprit avisé, d’une réflexion nourrie, de choix judicieux et d’une confiance en Dieu, alors la question qu’il se pose l’emportera, le tourmentera, le tournera et le retournera jusqu’à fracasser sa force sur une solide montagne plantée d’épines rocheuses et de cailloux acérés. Il en reviendra alors meurtri par de sanglantes blessures, gémissant de douleur, souffrant, plaintif, ne pouvant guère endurer outre mesure ses souffrances.

Dans notre quête des vérités qui sous-tendent cette question, nous avons donc besoin de nous munir de solides certitudes avant de nous confronter à ses aspects obscurs et méconnus. Nous avons besoin de mobiliser tous les moyens susceptibles de stimuler notre âme et de lui ôter tout doute et toute appréhension. Nous avons enfin besoin de nous étudier nous-mêmes, en adoptant la vertu de l’élève humble, non le vice du pseudo-savant arrogant, car le fléau du processus d’apprentissage et d’acquisition de la connaissance est bien l’orgueil des imbéciles et la vanité des ergoteurs et des chicaneurs.

La décision d’entrer en action est désormais toute entière, entre les mains de chaque individu du peuple. Il faut en finir avec cette détestable tradition qui a cours dans cet Orient, qui consiste à ce que le peuple s’en remette entièrement à ses gouvernements qui ont démontré par leur existence jusqu’à ce jour qu’ils n’ont aucune existence dans la réalité de la vie orientale.

Les gouvernements ne sont pas en mesure d’insuffler dans l’esprit du peuple cette inspiration divine et céleste dont la lumière embrasse l’humanité, lui illuminant la voie, la débarrassant de ses souillures et la lavant par sa lueur resplendissante des symptômes de l’idiotie et des germes de l’anéantissement et de l’extinction.

Nul Oriental et nul Arabe ne peut, à partir de ce jour, se tenir, impassible devant son gouvernement et lui dire : « Agis pour moi, mon cher gouvernement ! » Désormais, le mot d’ordre doit être : « Agis, gouvernement, et si tu t’y prends mal, c’est moi-même qui corrigerai tes viles actions. » Chacun de nous doit faire en sorte que ses préoccupations s’élèvent vers un objectif, que son espoir soit relié à un but. Chacun de nous doit se dépenser jour et nuit à méditer seul, avec sa famille, avec son clan ou avec son peuple, dans la noble histoire et dans le glorieux héritage, la vérité qu’il se doit de connaître, sous toutes ses facettes, concernant cette unique question : qui suis-je ?

Le nouvel appel au réveil oriental et arabo-musulman doit se fonder sur la stimulation du peuple tout entier, afin que chacun se pose cette question : qui suis-je ?

Le savant, l’écrivain, le poète, le philosophe, l’ouvrier, l’artisan, de même que tous les membres de la société, doivent, en dépit de la diversité de leurs inclinations et de leurs motivations, ressentir dans leurs cœurs le besoin de se poser cette question. Ils doivent ressentir qu’ils ont vis-à-vis de celle-ci une responsabilité morale à cause de laquelle ils ne peuvent connaître la quiétude, étant sans cesse en quête des éléments de réponse à cette unique question.

Fonder l’appel au réveil sur la poursuite du chemin de la réforme, ou des moyens de la réforme, et tendre vers la réalisation de cet objectif par des méthodes rationnelles, comme d’aucuns aiment à développer ce genre de considérations, ne sera de fait guère efficient pour la nation. Des propositions et des idées similaires ont déjà été avancées par le passé, puis ressassées et rabâchées par des personnes qui se sont échinés à les promouvoir puis qui les ont vues mourir dès leur éclosion. La réflexion sur ces considérations ne doit pas nous freiner vis-à-vis de la réalisation du fondement même sur lequel reposent toutes ces propositions.

On ne réforme pas une nation par un projet, ni par un système de gouvernance, ni par un quelconque moyen de réforme. Une nation reprend vie lorsque chacun des individus qui la composent devient la preuve, de par le mouvement de son esprit, que la vie qu’il mène est l’affirmation de sa propre existence. Or l’existence d’un être ne s’affirme que dans sa capacité à préserver sa personnalité. Et l’individu ne préserve sa personnalité que lorsqu’il appréhende, du mieux qu’il peut, la réalité de cette personnalité. Et il ne pourra comprendre cette personnalité que s’il se dote d’un esprit alerte, capable d’analyser en temps réel toutes les informations qui lui parviennent, ce qui n’est possible qu’à la condition que sa préoccupation première soit la quête des réponses à cette question unique : qui suis-je ?

Qu’adviendrait-il si nous parvenions, en ce moment crucial de l’histoire du monde et de l’humanité, à faire en sorte que les différentes couches sociales des peuples orientaux se révoltassent contre l’inertie, l’ignorance, la stupidité, l’idiotie et le manque de célébration de la vie, à faire en sorte que l’arme révolutionnaire la plus belle, la plus fine et la plus efficace fût justement cette question, de sorte que chacun se levât et demandât : qui suis-je ?

La rénovation de la vie en Orient serait alors une réalité que le monde ne pourrait que reconnaître en tant que nécessité d’existence sur cette terre.

Si, en revanche, nous plongeons dans les rêves de sommeil et dans une philosophie rêveuse, nous revêtant de l’habit des savants et des penseurs, et de la soutane de la quiétude et de la piété, c’est-à-dire de l’idiotie, alors périront entre nos mains tous ceux envers qui nous devions mobiliser ces mêmes mains pour leur service et pour la réponse à leurs besoins.

Il est absurde d’arriver au milieu d’architectes qui divergent sur le caractère constructible ou non d’un terrain, et de leur suggérer que la bonne décision à prendre est de déplacer leur projet immobilier vers un autre endroit, dont les caractéristiques en font un terrain constructible. Car si de telles personnes entament leur projet par des divergences de vue sur un sujet pour lequel il existe des solutions de remplacement collégiales, alors c’est qu’elles sont, quoiqu’il arrive, vouées à l’échec.

La bonne décision dans ce cas est de se déplacer soi-même, le plus loin possible de ces imbéciles, et de préférer au contraire la compagnie de ceux à qui la motivation au travail ne laisse point de temps à perdre à discutailler sans fin sur un choix à retenir.

Pour suivre le chemin qui le mènera à sa nouvelle vie, l’Orient doit déplacer le barycentre de ses décideurs, loin des férus de divergences, des esprits contradictoires et des idéologues qui se balancent leurs thèses à la figure, avec le souci d’affirmer leur opposition, leur différence et leur sectarisme. Il doit désormais se mettre à l’écoute des gémissements plaintifs et douloureux des âmes qui aspirent à un sort meilleur, et qu’il réponde à ces gémissements par une mélodie spirituelle empreinte du mouvement de la vie, de la chaleur du cœur et des lumières de l’espoir.

Alors, le cœur des uns répondra au cœur des autres, et l’esprit des uns puisera sa force dans l’esprit des autres. Alors se révolteront les aspirations éternelles des cœurs ambitieux et des hauts esprits. Alors la vie stimulera la vie, jusqu’à l’atteinte de la finalité vers laquelle l’Orient projette son regard, depuis les profondeurs de son histoire et de sa métahistoire.

Le travail d’un homme en début de parcours n’est pas identique à son travail en fin de parcours. Nous, nous allons nous engager sur le chemin, au plus tôt si Dieu le veut. Notre tâche première consistera à sauver les âmes de millions de gens de la mort, de l’inertie et de la paresse, et non point à poser des principes scientifiques, politiques et moraux pour des âmes mortes, immobiles et inertes. Quel est l’intérêt d’une science si elle n’est pas mue par une conscience ? Ou d’une politique qui n’est pas active ? Ou d’une morale qui n’a pas de cœur ?

Le travail de ceux qui veulent œuvrer en ce jour est de souffler dans une trompette nouvelle, dont le son provoquera un effroi nouveau, similaire au terrible effroi dans lequel nous vivons. Il s’agit de ressusciter les nations orientales de leurs tombes, avec une envie de révolte et d’empressement pour le changement, les conduisant à se rassembler sur le champ de bataille. Les traits de leur visage luiraient alors de ce feu ardent alimenté par leurs aspirations ; leurs regards brilleraient de cette lumière chaude et étincelante qui émane des espoirs qui leur pèsent mais qu’elles ne parviennent à concrétiser ; chacun de leurs membres serait incarné par cette force familière des muscles développés, laissant penser à qui les regarde qu’ils sont sur le point d’exploser sous la pression exercée par le sang dans les vaisseaux sanguins et les nerfs, s’ils n’étaient maintenus par l’épiderme qui recouvre le corps.

Ce jour-là, l’Orient répondra à sa question – qui suis-je ? – par un travail silencieux et muet, car il n’aura plus de temps à perdre à vouloir faire entendre à l’histoire sourde, ses fausses chimères qu’il relate d’après ses rêves pétris d’idiotie, d’ignorance et d’inertie.

P.-S.

Traduit de l’arabe d’un article de Sheikh Mahmûd Shâkir, paru en 1940 dans la revue Ar-Risâlah et faisant partie du premier tome d’une compilation d’articles intitulée Maqâlât Li-Kibâr Kuttâb Al-ʿArabiyyah fî Al-ʿAsr Al-Hadîth (Sélection d’articles des plus grands écrivains arabes de l’ère contemporaine), élaborée par Sheikh Muhammad Ibn Ibrâhîm Al-Hamad et téléchargeable en ligne sur le site Islamhouse.com.

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