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La présomption du vice

Un mauvais trait de caractère

mercredi 14 septembre 2005

Question

La présomption du vice (sû’ adh-dhann) est devenue monnaie courante chez les musulmans en général et chez les acteurs de la prédication en particulier. Quel est le remède de cette maladie à votre avis ?

Réponse de Sheikh Yûsuf Al-Qaradâwî

L’un des principes éthiques fondamentaux de l’islam régissant les rapports entre les musulmans, en général, et entre les acteurs de la prédication, en particulier, est la présomption de la vertu chez autrui, consistant à considérer sous un jour favorable leurs œuvres et leurs prises de position. Il ne sied pas au musulman de vanter ses propres mérites tout en nourrissant de mauvaises présomptions vis-à-vis d’autrui.

En effet, Allâh — Exalté soit-Il — nous a défendu de vanter nos propres mérites dans le verset : « C’est Lui qui vous connaît le mieux quand Il vous a produits de terre, et aussi quand vous étiez des embryons dans les ventres de vos mères. Ne vantez pas vous-mêmes votre pureté ; c’est Lui qui connaît mieux ceux qui (Le) craignent. » [1] Par ailleurs, Il critiqua les Juifs parce qu’ils vantent leurs propres mérites et disent : « Nous sommes les enfants d’Allâh et Ses bien-aimés. » [2] Le Très-Haut répond à cela : « N’as-tu pas vu ceux-là qui se déclarent purs ? Mais c’est Allâh Qui purifie qui Il veut » [3]

Le croyant, tel que le décrivent certains de nos pieux prédécesseurs, est plus sévère vis-à-vis de lui-même qu’un tyran brutal et qu’un associé avare. Il n’a de cesse d’accuser sa propre personne et ne se fait pas de cadeau. Il ne passe pas sous silence ses propres erreurs, et a le sentiment de manquer à ses devoirs envers Allâh et envers autrui. En même temps, il accomplit le bien et se dépense dans les œuvres pies. Il craint que ses œuvres ne soient pas agréées car Allâh n’agrée que les œuvres des pieux et il n’est pas certain d’en faire partie. Parallèlement, il cherche des excuses pour autrui, notamment pour ses frères et pour les gens qui s’activent comme lui dans la promotion de la religion d’Allâh. Sa devise est cette parole de certains parmi nos pieux prédécesseurs : « Je cherche jusqu’à soixante-dix excuses pour mon frère. Puis, (si je ne lui trouve pas d’excuse,) je me dis qu’il a peut-être une excuse que je ne connais pas. »

Nourrir de bonnes présomptions vis-à-vis d’Allâh et vis-à-vis des gens constitue l’une des branches de la foi les plus importantes. À l’opposé, on trouve le fait de nourrir de mauvaises présomptions vis-à-vis d’Allâh et vis-à-vis des gens. Nourrir de mauvais soupçons est un mauvais trait de caractère contre lequel le Coran et la Sunnah mettent en garde. Il est dans l’ordre des choses de présumer la vertu chez le croyant, de le considérer avec bienveillance, et de voir ses faits et gestes sous le jour le plus favorable, même si cela paraît invraisemblable, donnant ainsi la préséance au bien contre le mal.

Allâh — Exalté soit-Il — dit : « Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer (sur autrui) car une partie des conjectures est un péché. » [4] Ce verset vise les mauvais soupçons qui manquent de preuves définitives. De même, le Messager — paix et bénédictions sur lui — dit : « Gare au soupçon car le soupçon est la parole la plus mensongère. »

Lorsqu’il entend du mal à propos de son frère, le musulman est censé chasser de son esprit toute mauvaise présomption à son égard et ne nourrir que de bonnes pensées à son endroit, comme nous l’enseigne le Très-Haut dans le récit d’al-ifk [5] : « Pourquoi, lorsque vous l’avez entendue (cette calomnie), les croyants et les croyantes n’ont-ils pas, en eux-mêmes, conjecturé favorablement, et n’ont-ils pas dit : "C’est une calomnie évidente ?" » [6]

Il est vrai que les mauvaises pensées n’épargnent personne, comme cela a été rapporté dans un hadîth faible. Cependant, ce fait est soutenu par le hadîth authentique où le Prophète — paix et bénédictions sur lui — interpelle certains de ses Compagnons qui, l’ayant vu parler avec une femme pendant sa retraite dans la mosquée, se sont empressés de passer leur chemin. « Il leur dit : "Doucement, il s’agit de Safiyyah Bint Huyayy (l’épouse du Prophète)." Ils lui répondirent : "Que pouvons-nous penser de toi sinon le bien, ô Messager d’Allâh ?" Il leur répondit : "Certes, mais le diable imprègne le fils d’Adam comme le sang qui coule dans ses veines et j’ai craint qu’il vous insuffle quelque mauvaise pensée." »

Néanmoins, le musulman doit résister aux mauvaises pensées que lui inspire le diable vis-à-vis des autres. Il doit leur trouver des excuses et des portes de sortie pour ce qu’il tient comme étant une erreur de leur part, au lieu de souhaiter qu’ils se trompent ou que leurs défauts éclatent au grand jour. Les gens que le Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui — déteste le plus et qui se trouveront installés le plus loin de lui le jour de la résurrection sont en effet ceux qui souhaitent que les innocents trébuchent.

Lorsque l’œuvre émanant du musulman admet une interprétation favorable et vingt mauvaises interprétations, il convient d’opter pour l’interprétation favorable. Si l’on ne trouve aucune interprétation favorable pour cette œuvre, on se doit d’être patient et de ne pas s’empresser de condamner, car il se peut qu’un nouvel élément (favorable) ne tarde pas à se révéler. Véridique est la parole du poète :

ta’anna wa lâ taʿjal bilawmika sâhiban laʿalla lahu ʿudhran wa anta talûmu

Patiente et ne t’empresse pas de blâmer un compagnon, il se peut qu’il ait une excuse alors que tu le blâmes.

Il est indispensable de mettre en garde contre les procès d’intention et le sondage du secret des cœurs car seul Allâh en a connaissance, Lui a Qui aucune affaire n’échappe, fût-elle secrète ou déclarée. Ceci est ordonné vis-à-vis de n’importe quel musulman et, à plus forte raison, vis-à-vis du musulman qui œuvre au service de l’islam et qui ajoute à sa qualité de musulman celles de l’enseignement de l’islam, de sa défense et du sacrifice pour sa promotion.

Notre étonnement et notre douleur sont à leur comble lorsque nous voyons des acteurs de la scène islamique, dans le but de plaire à certains laïques ou ennemis de l’islam, accuser leurs confrères de trahison et d’être à la solde de l’ennemi. Untel serait un vendu à la solde de l’Occident, de l’Orient ou de tel régime, simplement parce qu’il ne partage pas un point de vue, ou diverge au sujet des moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif commun. Ce genre de comportement est inadmissible pour tout individu ayant la moindre connaissance d’Allâh et de Son Messager.

Le champ de l’action politique est large et admet différents points de vue, restrictifs ou faisant preuve d’une grande souplesse, notamment parce que l’appréciation de l’intérêt général et des préjudices associés à une seule et même chose peut varier énormément selon les subjectivités.

En toutes circonstances, nous devons favoriser la présomption de la vertu au lieu du mauvais soupçon, car le mauvais soupçon ne dédouane guère de la vérité. Untel serait d’avis de laisser le gouverneur en paix, tandis que tel autre prônerait la confrontation. Untel opterait pour la confrontation sur le terrain politique, tandis que tel autre préférerait la confrontation armée. Untel préconiserait la participation aux élections, tandis que tel autre rejetterait cette participation.

Toutes ces questions sont ouvertes à l’appréciation personnelle (ijtihâd) et ne devraient en aucun cas remettre en cause l’intégrité de la religion, de la foi, ou de la piété des gens. Le péril est encore plus grand lorsque le mauvais soupçon est doublé de l’emprise des passions. Ainsi Allâh critique-t-Il les polythéistes dans les versets suivants : « ils ne suivent que la conjecture, alors que la conjecture ne dédouane guère de la vérité. » [7] et « Et qui est plus égaré que celui qui suit sa passion sans une guidée d’Allâh ? » [8]

C’est pourquoi Allâh a mis en garde Ses Messagers, malgré le prestige dont ils jouissent auprès de Lui, de l’emprise des passions. Le Très-Haut a dit à David : « Ô David, Nous avons fait de toi un calife sur la terre. Juge donc en toute équité parmi les gens et ne suis pas la passion : sinon elle t’égarera du sentier d’Allâh » [9] De même, Il S’est adressé à Son ultime Messager Mohammad — paix et bénédictions sur lui — dans le Coran mecquois disant : « Puis Nous t’avons mis sur la voie de l’Ordre (une religion claire et parfaite). Suis-la donc et ne suis pas les passions de ceux qui ne savent point. » [10] et dans le Coran médinois : « Juge alors parmi eux d’après ce qu’Allâh a fait descendre. Ne suis pas leurs passions, et prends garde qu’ils ne tentent de t’éloigner d’une partie de ce qu’Allâh t’a révélé. » [11]

Le dévouement à Allâh unit tandis que l’obéissance aux passions désunit, car la vérité est une, tandis qu’il y a autant de passions que d’individus. De nos jours comme par le passé, l’obéissance aux passions, dictées par soi-même ou par autrui, a été le facteur qui a le plus souvent divisé la communauté musulmane en sectes et en communautés différentes. C’est pourquoi les Sunnites (Ahl As-Sunnah) ont affublé les sectes qui se sont détournées du droit chemin du titre de « gens des passions » (Ahl Al-Ahwâ’) car, très souvent, les divergences étaient minimes, voire fictives, et ce sont les passions qui les ont hypertrophiées et gravées dans le marbre. Qu’Allâh nous en préserve.

P.-S.

Traduit de l’arabe du site islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.

Notes

[1Sourate 53, An-Najm, L’étoile, verset 32.

[2Sourate 5, Al-Mâ’idah, La Table servie, verset 18.

[3Sourate 4, An-Nisâ’, Les femmes, verset 49.

[4Sourate 49, Al-Hujurât, Les appartements, verset 12.

[5Hadîth al-ifk désigne la calomnie dont la Mère des Croyants ʿÂ’ishah — qu’Allâh l’agrée — a fait l’objet. NdT.

[6Sourate 24, An-Nûr, La lumière, verset 12.

[7Sourate 53, An-Najm, L’étoile, verset 28.

[8sourate 28, Al-Qasas, Les récits, verset 50.

[9Sourate 38, Sâd, verset 26.

[10Sourate 45, Al-Jâthiyah, L’agenouillée, verset 18.

[11Sourate 5, Al-Mâ’idah, La table servie, verset 49.

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