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Le Martyr Sheikh Ahmad Yâsîn

vendredi 2 avril 2004

Ahmad Yâsîn (1938 - 2004)

Lorsqu’on le voit puis qu’on entend parler de ses réalisations, on saisit le véritable sens de la Parole du Très Haut dans le hadith transcendant : « Si J’aime Mon Serviteur, Je deviens son ouïe par laquelle il entend, sa vue par laquelle il perçoit, sa main par laquelle il saisit, son pied par lequel il marche. » [1]

Premier épisode : la rudesse de la vie

Tel était le Sheikh Ahmad Ismâʿîl Yâsîn, qui naquit près d’Ascalon en 1938, pour vivre une vie de misère et de difficulté. Son père mourut quand il avait cinq ans, puis après la défaite de 1948, il fut contraint de se réfugier dans la Bande de Gaza, alors qu’il avait à peine dix ans. Sa famille et lui survivaient grâce aux restes qu’ils pouvaient trouver dans les anciens camps militaires égyptiens. Et pour couronner cette succession de malheurs, il connut un grave accident à l’âge de quatorze ans, alors qu’il faisait du sport avec ses amis, où il eut une fracture des vertèbres cervicales. Cela eut pour conséquence la paralysie générale de tous ses membres. Il sut alors qu’il resterait infirme sur un fauteuil roulant pour le restant de ses jours.

Deuxième épisode : la volonté de l’action

Ce qu’avait vécu le Sheikh Yâsîn pendant les quinze premières années de sa vie suffisaient à détruire la vie de n’importe quel homme, de sorte qu’il aurait pu mourir tout en étant vivant. Mais le Sheikh ne faisait pas partie de cette catégorie d’humains qui se laissent abattre et décourager par les malheurs. A peine eut-il terminé ses études secondaires en 1958 qu’il réussit à décrocher un emploi, malgré les réticences qu’on affichait à cause de sa santé. Il travailla donc en tant que professeur d’arabe et d’éducation islamique, puis en tant que prédicateur dans les mosquées de Gaza. Sous l’occupation, il devint le plus célèbre prédicateur que la Bande de Gaza ait connu, en raison de la puissance et du bien-fondé de son argumentation. Il se rattacha ensuite aux Frères Musulmans, tant du point de vue intellectuel qu’organisationnel.

Après la défaite de 1967, le Sheikh Ahmad Yâsîn continua malgré l’occupation à enflammer les sentiments des fidèles du haut de la chaire de la Mosquée d’Al-ʿAbbâsî dans laquelle il prêchait. Il œuvra également à rassembler les dons pour aider les familles des martyrs et des prisonniers. Il fonda en 1973 à Gaza le Conseil Islamique, dont il occupa la présidence jusqu’en 1984.

En 1983, Sheikh Ahmad Yâsîn fut arrêté, accusé d’être en possession d’armes, de constituer une organisation militaire, et d’inciter à la destruction de l’État hébreu. Le Sheikh fut jugé par un tribunal militaire sioniste qui le condamna à une peine de 13 ans de prison ferme. Mais il fut libéré en 1985, après 11 mois de détention, dans le cadre d’un échange de prisonniers entre les autorités d’occupation et le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP).

Le Sheikh Ahmad Yâsîn fonda avec un groupe d’activistes islamistes proches des Frères Musulmans, une organisation qu’ils appelèrent le Mouvement de la Résistance Islamique, dont les initiales en arabe donnent le nom Hamas, qui signifie lui-même la fougue et le dynamisme. C’était en 1987 à Gaza, quelques jours à peine après le début de la première Intifâdah. L’objectif de cette organisation était la résistance à l’occupation israélienne et la libération de la Palestine... toute la Palestine. Elle joua un grand rôle dans la première Intifada palestinienne, qui commença en décembre 1987, et qui fut conservée dans l’histoire sous le nom de l’Intifada des mosquées, c’est-à-dire la Révolte des mosquées. C’est depuis cette époque que le Sheikh Yâsîn est considéré comme le chef spirituel du Hamas.

Ahmad Yâsîn, en compagnie de ses bourreaux, dans les années 1980

A mesure que les opérations menées par la résistance palestinienne s’intensifiaient, les poursuites lancées par Israël contre le Sheikh Yâsîn prenaient de l’envergure. En 1988, on fouilla sa maison, et on menaça de l’expulser sur son fauteuil roulant à l’extérieur des frontières, de l’exiler vers le Liban. En 1989, il fut arrêté avec des centaines d’autres militants du Hamas. En 1991, un tribunal israélien prononça contre lui la peine perpétuelle, à laquelle vint s’ajouter une autre sentence de quinze ans de prison. Il passa quelques années en détention, avant d’être libéré en 1997, dans le cadre d’un accord entre la Jordanie et Israël, stipulant l’échange du Sheikh contre deux agents sionistes arrêtés en Jordanie, après l’attentat manqué contre le Professeur Khâlid Mishʿal, Président du Bureau Politique du Hamas.

Les tentatives d’assassinat du Sheikh se succédèrent durant les années qui suivirent, la dernière en date étant celle de 2003. Ce jour-là, des hélicoptères israéliens visèrent une pièce à Gaza, dans laquelle se trouvait le Sheikh, en compagnie du Professeur Ismâʿîl Haniyyah. Le Sheikh fut alors légèrement blessé à son bras droit.

Le dialogue est sa méthode

Le Martyr en compagnie du Président Yâsir ʿArafât

Le Sheikh ne cessait d’appeler à l’union nationale. Tout au long de sa vie, il adopta des attitudes conciliantes avec l’Autorité Palestinienne. A maintes reprises, il reçut les hommages du Président de l’Autorité Palestinienne et des grands dirigeants palestiniens. Il œuvra par ailleurs à améliorer les relations avec l’Autorité.

Le Sheikh Yâsîn était par ailleurs reconnu pour ses dispositions au dialogue avec tout le monde. Il déclara une fois : « Dans le Mouvement de la Résistance Islamique Hamas, nous n’avons fermé la porte du dialogue à aucun pays dans le monde, pas même aux Etats-Unis d’Amérique. Les portes du dialogue sont ouvertes à tous. »

La foi est sa parole

- « Tout réside dans la volonté et dans la foi de l’individu en les principes auxquels il adhère. Le matérialiste dira que si le monde s’échappe de ses mains, il aura tout perdu. Mais le croyant, qui espère atteindre un Paradis aussi large que les cieux et la terre, veut quitter le monde éphémère pour le repos, la tranquillité et la sérénité éternels, en compagnie du Seigneur de l’univers. Le croyant attend donc ce jour avec impatience, prenant son courage à deux mains et combattant pour parvenir à cette fin. Il reste ferme dans la bataille jusqu’à son dernier souffle. »

- « Parmi les manifestations de la rectitude de la Communauté, il y a celle-ci qu’elle est toujours inquiète vis-à-vis de la question palestinienne, la question de la Communauté. La résistance se poursuivra. Chaque jour, il y a de nouvelles opérations, de nouveaux martyrs et de nouveaux sacrifices. Le problème du mur israélien n’est qu’un problème secondaire. »

- « Je vous certifie que Dieu est Tout-Puissant. Notre confiance d’abord en Dieu, puis en les peuples croyants de notre Communauté musulmane, est grande. Grâce à Dieu, puis grâce à vos prières et à votre soutien, nous vaincrons. Et Dieu fera succéder l’aisance à la gêne qui est la nôtre autant que la vôtre. »

- « Ceux-là qui accourent à la désobéissance de Dieu ne sont pas dignes de défendre les causes de la Communauté, ni de se lever face aux ennemis. L’Histoire les rejettera tout comme elle a déjà rejeté leurs semblables d’antan. Car l’Histoire se répète. Combien est vraie la Parole de Dieu : « Ainsi faisons-Nous alterner les jours parmi les gens. » [2] Et combien est vraie Son autre Parole : « Et Nous avons certes écrit dans le Psautier, après l’avoir mentionné dans le Livre céleste, que la terre sera héritée par Mes pieux Serviteurs. » Or, ceux-là sont des corrupteurs : morts ou vivants, ils n’ont aucune place dans le registre des bienheureux. »

- « Je vous certifie que les peuples sont plus forts que les systèmes qui les gouvernent. Les peuples se meuvent aujourd’hui dans la direction opposée à celle que veulent les systèmes et que leur planifie leur ennemi. L’Islam vaincra. Le projet américo-sioniste pour la Palestine sera vaincu, par la Permission de Dieu, d’autant plus que les signes de la victoire sont avérés : ils sont tracés quotidiennement par notre peuple, à travers sa patience, ses sacrifices et sa résistance qui a imposé l’équilibre de la dissuasion et de la terreur avec cet ennemi qui se pensait invincible. Dieu est Tout-Puissant, mais la plupart des gens ne savent pas. »

- En 1991, il dit aux juges israéliens devant lesquels il comparaissait : « Le peuple juif a bu la coupe de la souffrance et a vécu dans la diaspora pendant des siècles. Aujourd’hui, c’est le même peuple qui contraint les Palestiniens à boire cette coupe. L’Histoire ne vous pardonnera pas. Et Dieu sera notre arbitre. »

- « Le Hamas cessera de viser ceux qu’on appelle les civils israéliens lorsque l’occupation cessera de viser les civils palestiniens. Si l’ennemi ne prend pas cet engagement, nous ne le prendrons pas non plus. Et nous riposterons selon le principe du traitement réciproque. »

- La veille de sa mort, le Sheikh dit aux journalistes : « L’ennemi réclame que nous mettions un terme à la résistance. Mais nous, nous demandons : Pourquoi le monde ne réclame-t-il pas qu’Israël mette fin à son occupation de la Palestine ? Qui doit s’arrêter ? Celui qui se défend ou celui qui occupe la terre ? »

- Il dit également : « Le Hamas poursuivra ses opérations tant que l’armée israëlienne ne cessera pas de tuer les femmes, les enfants et les civils innocents. »

Le père de famille

Les filles et les belles-filles de Sheikh Ahmad Yâsîn

Sheikh Ahmad Yâsîn avait trois fils et huit filles. Six d’entre elles sont mariées, tandis que les deux autres sont devenues veuves, après le martyre de leurs époux respectifs. L’un de ces époux, Hânî Abû Al-ʿUmarayn, avait été tué dans une attaque similaire à celle de Sheikh Yâsîn, alors qu’il était en compagnie du chef politique du Hamas, Ismâʿîl Abû Shanab. Le deuxième époux, Khamîs Mushtahâ, tomba avec le Sheikh Yâsîn dans l’attaque israélienne du 22 mars 2004. Le Sheikh Yâsîn a par ailleurs quarante petits-enfants.

Professeur Maryam Ahmad Yâsîn, l’une des huit filles du Sheikh martyr, dit à l’annonce de la mort de son père : « Il était le symbole de tout le peuple palestinien. Il fut un père tendre. Sa tendresse n’avait pas de limites. Sa perte ne touche pas seulement sa famille, mais bel et bien toute la nation arabo-musulmane. Nous sommes fiers de lui car il a élevé nos têtes devant les peuples du monde entier. C’est un grand honneur pour nous. » Portant un bandeau vert sur lequel est inscrit la formule du monothéisme, Maryam poursuit : « Mon père - que Dieu lui fasse miséricorde - espérait obtenir le martyre depuis de longues années. Et grâce à Dieu, son souhait a été exaucé. Nous demandons à Dieu de le faire intercéder en notre faveur le Jour de la Résurrection. [3] »

Maryam dit encore : « Bien que mon père était très occupé par les problèmes de la résistance et de la prédication, il ne négligeait pas sa famille pour autant et nous réservait des moments dans son emploi du temps où il nous communiquait sa tendresse et sa gentillesse. »

Interrogée sur le programme quotidien de son père, Professeur Maryam Yâsîn répond : « Il se réveillait avant l’aube. Il faisait ses ablutions et se rendait à la mosquée pour accomplir la prière. Il revenait ensuite à la maison pour se recoucher, en raison des nombreuses maladies dont il souffrait. Au petit matin, il prenait son petit déjeûner et nous venions lui dire bonjour. Il quittait ensuite la maison pour se rendre à son travail dans les réunions et les conférences de presse. A midi, il rentrait déjeûner et nous appelait à venir lui tenir compagnie. Après la prière de l’après-midi, il travaillait beaucoup, jusqu’à la prière du coucher du soleil. Après quoi, il nous donnait encore l’occasion de le voir et de rester avec lui. Parfois, nous ne pouvions pas le voir, en raison des nombreuses responsabilités qu’il devait assumer. »

La fille du Sheikh Yâsîn insiste en outre sur le fait que son père ne laissait jamais paraître des signes de fatigue ou de souffrance : « Il ne nous montrait aucun signe de fatigue ni de souffrance. Il était toujours souriant, et ne contrariait jamais personne. »

Questionnée sur ce qui faisait le bonheur de Sheikh Yâsîn, Maryam répond immédiatement : « La vue des enfants. Il était tellement heureux lorsqu’il voyait les enfants rire et jouer. Cela lui tenait beaucoup à cœur. Ce qui l’énervait à la maison, c’était d’entendre les enfants crier et pleurer. »

Rahmah, une autre fille de Sheikh Yâsîn, et l’épouse de son garde du corps, dit, les yeux en larmes : « Je n’arrive pas à exprimer ce que mon père représentait pour nous. Et quoique je dise, je ne parviendrai pas à tout dire. Ces derniers jours, nous lui demandions d’aller se cacher, car nous craignions pour sa vie. Mais il refusait répondant : « Dieu est Un et la vie est une. » Deux jours avant son martyre, j’ai ressenti qu’il nous faisait ses adieux, à travers un sourire et des regards inhabituels qui affichaient une tendresse encore plus grande que ce qu’il nous communiquait d’habitude. De plus, ses paroles nous incitaient ces derniers jours à davantage de patience et d’endurance. Comme s’il savait que son échéance était proche et qu’il voulait nous laisser son testament. »

Umm Husâm, la belle-fille du Sheikh, dit dans le même sens : « Une nuit avant son martyre, des militants sont venus le voir et lui ont demandé de quitter son domicile, mais il a refusé. Mon mari est alors venu m’informer que son père refusait de partir se mettre en sécurité. Je suis donc allée le voir, avec ses autres belles-filles et nous l’avons supplié d’aller se mettre à l’abri. Il nous a répondu en riant : « Pourquoi avez-vous peur pour moi ? Souhaitez-moi plutôt de mourir en martyr. » Il souriait et riait tellement qu’il nous a fait oublier nos craintes et nous nous sommes mises à rire avec lui. »

Madame Halîmah Yâsîn, l’épouse du Sheikh

Îmân, 14 ans, la plus grande petite-fille du Sheikh a réclamé aux factions palestiniennes la vengeance de son grand-père Ahmad Yâsîn. « Sa mort, dit-elle, ne fera qu’augmenter notre amour pour le martyre. Et c’est sur les pas du Sheikh que nous poursuivrons le chemin. L’œil pleure, le cœur est triste et nous sommes affligés par cette séparation. » L’adolescente se rappelle la tendresse de son grand-père, précisant qu’il les incitait toujours à être les premières de la classe.

Quant à Halîmah Yâsîn, l’épouse du Sheikh Ahmad Yâsîn, elle s’est contentée d’une seule phrase pour commenter la mort de la moitié de sa vie : « Il a obtenu ce qu’il souhaitait. Il a été sincère envers Dieu et Dieu l’a récompensé de la meilleure des récompenses. Je n’en garde que de merveilleux souvenirs. »

Dernier épisode : le martyre

A l’aube du lundi 1er Safar 1425 A.H., le 22 mars 2004, Dieu a voulu réaliser pour le Sheikh un souhait qui le préoccupait depuis des années. Le Sheikh retrouva ainsi son Seigneur en tant que martyr, alors qu’il jeûnait et qu’il venait d’accomplir la prière de l’aube à la mosquée. Il fut tué suite à une attaque de missiles israéliens qui s’abattirent sur lui et sur huit autres Palestiniens. L’histoire de cet homme touchait à sa fin, pour laisser la place à une génération nouvelle que le Sheikh avait fondé et formé par son sang, par son cœur, par son esprit et par sa foi. Ces quatre choses étaient tout ce qui lui restait après la paralysie générale de tous ses membres.

Le Docteur ʿAbd Al-ʿAzîz Ar-Rantîsî dit un jour : « Je n’ai jamais vu au cours de ma vie un homme s’en remettant autant à Dieu que le Sheikh Ahmad Yâsîn. »

Il s’en était remis à son Seigneur lorsqu’il était encore enfant, lorsqu’il fut atteint de la paralysie de ses membres qui lui confisqua toute sa jeunesse, lorsqu’il combattit, qu’il fut emprisonné et qu’on tenta de l’assassiner, et enfin lorsqu’il tomba martyr dans le Sentier de Dieu.

C’était le paralytique qui fit lever le monde... C’était le Sheikh Ahmad Ismâʿîl Yâsîn, que Dieu lui fasse miséricorde.

Que Dieu lui fasse miséricorde

On pourra également lire la réaction du Docteur Yûsuf Al-Qaradâwî, suite à l’assassinat de Sheikh Ahmad Yâsîn : "Adieu... Sheikh Ahmad Yâsîn".

P.-S.

Source : le dossier du site Islamonline.net consacré au martyr Sheikh Ahmad Yâsîn.

Notes

[1Hadith rapporté par Al-Bukhârî.

[2Sourate 3 intitulée la Famille d’Amram, Âl ʿImrân, verset 140.

[3Le Prophète dit en effet dans un hadith que le martyr pourra intercéder auprès de Dieu en faveur de 70 membres de sa famille.

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