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Le Martyr Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr

Le Lion du Désert

mercredi 5 mai 2004

ʿUmar Al-Mukhtâr (1862 - 1931)

Les historiens aiment écrire l’histoire des batailles et des sacrifices. Mais rares sont ceux qui s’intéressent aux aspects psychologiques qui ont amené des hommes à sacrifier leur vie et leur sang. En effet, l’histoire s’intéresse tout d’abord aux faits et aux événements, et il est souvent impossible de trouver des preuves ou des versions authentiques sur la psychologie des protagonistes. Cela est dû au fait que ce sont les faits qui ont rendu leurs noms célèbres. En conséquence, personne ne s’intéresse à leur situation avant le déroulement de ces faits. Le Coran nous enseigne toutefois que ce sont les actions des cœurs qui fondent les actions des corps. C’est là la signification de la foi, et c’est de là que nous entamerons notre parcours avec notre héros, le Lion du Désert, dans une tentative de dévoiler son jihâd spirituel contre les tentations mondaines et contre la complaisance à l’égard des fourvoiements de son Sheikh prétendument soufi. Nous essaierons ensuite d’analyser l’influence que ce jihâd spirituel a pu avoir sur son jihâd guerrier, influence qui l’a mené à l’heureux sort qui a été le sien : le martyre pour la Cause de Dieu.

Naissance et jeunesse

ʿUmar Ibn Al-Mukhtâr Ibn Farhât, de la famille de Ghayth, naquit - selon ses propres dires - après la mort d’As-Sayyid Muhammad Ibn ʿAlî As-Sunûsî, le fondateur de la confrérie soufie du Sénousisme (Tarîqah Sunûsiyyah), laquelle survint en 1859. Il serait donc né vers 1861 ou 1862, dans le village de Janzûr. La tribu de Farhât à laquelle il appartenait habitait la Marmarique, à l’Ouest de la Libye, et constituait une branche de la grande tribu d’Al-Minfah. Sa mère s’appelait ʿÂ’ishah Bint Muhârib et son père, Al-Mukhtâr, un homme respecté parmi son peuple, était célèbre pour son courage et son audace dans les batailles. Le père confia son fils à As-Sayyid Hasan Al-Ghiryânî, Sheikh sénousi de la zaouia de Janzûr. Le Sheikh avait pour mission d’éduquer le jeune garçon et de lui apprendre le Coran. Avant de mourir en 1878, dans un voyage de pèlerinage à La Mecque, Al-Mukhtâr demanda que ce Sheikh devienne le tuteur de ses enfants. Le Sheikh s’acquitta loyalement de sa tâche et réalisa les souhaits du défunt. Lorsque ʿUmar eut 16 ans, il l’envoya avec ses propres enfants à l’institut sénousi de la zaouia de Jaghbûb, où l’adolescent devait assimiler les sciences religieuses. Il apprit ainsi, entre autres, les sciences coraniques auprès du Sheikh Az-Zirwâlî Al-Maghribî. Dans cet institut, on enseignait également aux étudiants divers métiers manuels comme la menuiserie ou le forgeage mais aussi les arts militaires comme l’équitation. ʿUmar Al-Mukhtâr excella dans tous ces arts et devint une figure de proue parmi ses camarades, d’autant plus qu’il jouissait d’une personnalité charismatique et d’une langue éloquente et équilibrée. Cela ne l’empêchait pas par ailleurs de rester simple et modeste. Ses qualités lui permirent d’élargir le cercle de ses connaissances et de gagner l’amour et le respect de tous ceux avec qui il avait affaire dans les différentes tâches importantes qu’on lui confiait. ʿUmar Al-Mukhtâr décida pourtant d’arrêter ses études vers 1886, devant les menaces croissantes qui pesaient de l’extérieur sur son pays.

Sa personnalité

Les jours confirmèrent les qualités de ʿUmar Al-Mukhtâr précédemment mentionnées, en termes de modestie, de simplicité, de charisme et d’équilibre. Ces vertus le propulsèrent au premier plan au sein de sa voie soufie, le Sénousisme. L’admiration qu’avait pour lui As-Sayyid Al-Mahdî As-Sunûsî - Sheikh du Sénousisme à cette époque - était telle qu’il disait de lui : « Si nous en avions dix comme ʿUmar Al-Mukhtâr, ils nous auraient suffi. »

Afin que le lecteur saisisse concrètement les qualités de notre héros, nous racontons ci-dessous deux événements de sa vie, rapportés par des témoins oculaires.

Le première histoire remonte à 1894. Il fut décidé que Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr partirait avec un groupe de gens au Soudan dans le cadre d’une mission commandée par son Sheikh. ʿUmar Al-Muktâr était le chef de la délégation. Ils rencontrèrent en route une caravane commerciale qui se préparait à quitter la ville de Koufra pour se diriger elle aussi vers le Soudan. La délégation de ʿUmar Al-Mukhtâr décida alors de poursuivre le parcours en compagnie de la caravane, en raison de la meilleure connaissance que les caravaniers avaient du désert et de ses routes. Lorsque les voyageurs atteignirent un certain point, la caravane s’arrêta et un marchand les informa que le seul accès de cette région montagneuse était gardé par un lion sauvage. La coutume des caravaniers était donc de s’associer pour acheter un maigre chameau qu’ils abandonneraient au lion dès que celui-ci ferait son apparition. ʿUmar Al-Mukhtâr refusa fermement cette proposition et dit : « Les tributs que les puissants parmi nous avaient coutume d’imposer illégalement aux plus faibles ont été abolis. Comment pouvons-nous alors verser un tribut à un animal ? Ce serait un signe d’humiliation et de faiblesse. Par Dieu, nous le chasserons avec nos armes ! » La caravane s’avança alors et le lion fit son apparition à l’endroit indiqué par le marchand. ʿUmar Al-Mukhtâr, chevauchant son cheval et épaulant son fusil, alla à la rencontre du fauve qu’il blessa par une balle. Bien qu’il soit extrêmement dangereux de s’approcher d’un lion blessé, ʿUmar Al-Mukhtâr poursuivit son assaut et tira une seconde de fois : c’était le coup de grâce. ʿUmar Al-Mukhtâr insista alors pour dépecer le lion et accrocher sa peau à l’entrée de cet accès tant redouté, afin que tous les caravaniers sachent que ce passage était désormais sûr. Par la suite, ʿUmar interdit que cette histoire soit racontée. Dans sa modestie, il refusait d’être montré comme le tombeur de la légende du lion du désert. Il disait, par allusion à un verset du Coran : « Et lorsque tu tirais, ce n’était pas toi qui tirait, mais c’était Dieu qui tirait » [1], signifiant par-là qu’il n’avait aucun mérite ni aucun pouvoir dans l’élimination de ce lion, n’étaient-ce la miséricorde et l’assistance divines.

La deuxième histoire est racontée par Mahmûd Al-Jahmî - l’ami de ʿUmar Al-Mukhtâr dans son jihâd. D’après son témoignage, ʿUmar Al-Mukhtâr ne dormait jamais toute la nuit. Il ne dormait que deux ou trois heures, après lesquelles il se réveillait, faisait ses ablutions et commençait à réciter le Coran jusqu’au matin. Il lui fallait au plus une semaine pour réciter le Coran intégralement.

Le Sheikh de ʿUmar Al-Mukhtâr chargeait souvent son disciple de réconcilier les tribus entre elles et de régler leurs différends. Le Lion du Désert n’échoua jamais dans une mission qui lui était confiée, ce qui l’aida à renforcer sa position parmi les tribus et à mieux comprendre leurs affaires.

Nous avons déjà évoqué le fait que ʿUmar Al-Mukhtâr arrêta ses études en 1886. A cette date, les régions voisines de la Libye étaient tombées sous le joug de l’occupation étrangère : l’Égypte et le Soudan étaient sous occupation anglaise tandis que la Tunisie et l’Algérie étaient sous occupation française. La Libye était le seul îlot ottoman d’Afrique du Nord à n’être pas encore tombé aux mains des envahisseurs. Ce fut alors que commencèrent les préludes de l’invasion italienne. ʿUmar Al-Mukhtâr se vit confier en 1895 les fonctions de Sheikh de la zaouia sénousie d’Al-Qusûr. Son travail consistait à enseigner aux gens leur religion, à prêcher l’Islam et à venir en aide aux plus faibles. Cette zaouia était rattachée à la tribu d’Al-ʿUbayd, qui habitait la région d’Al-Jabal Al-Akhdar, région qui allait devenir le repaire de la résistance libyenne et l’antre de Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr dans sa guerre contre les Italiens.

Le prédicateur soufi

ʿUmar Al-Mukhtâr participa à la résistance contre le colonialisme français au Tchad, dans une armée levée par le Sheikh de la confrérie sénousie. Ces événements, qui se déroulèrent en 1899, permirent à l’étoile de ʿUmar Al-Mukhtâr de briller aussi bien sur la scène politique et militaire qu’au sein de la confrérie sénousie.

Pendant ce temps, les forces colonialistes se partageaient le monde. Alors que 95% de la terre africaine était indépendante en 1885, seuls 8% de cette terre auront échappé aux colonisateurs en 1910. Au cours de cette invasion coloniale, les disciples et les centres du Sénousisme, les Zaouias blanches, furent la cible des envahisseurs. Leur tort était d’avoir porté la bannière du jihâd et l’étendard de l’Islam pour affronter l’invasion coloniale évangélisatrice de l’Afrique. En 1902, la direction de la confrérie soufie revint au Sheikh Ahmad Ash-Sharîf As-Sunûsî, après la mort de Muhammad Al-Mahdî. Le nouveau Sheikh demanda à As-Sayyid ʿUmar Al-Mukhtâr de reprendre une nouvelle fois la direction de la zaouia d’Al-Qusûr en 1906, en raison des graves dissensions entre tribus qui menaçaient la région d’Al-Jabal Al-Akhdar et des pressions sans cesse croissantes exercées par le colonisateur italien.

Le 19 octobre 1911, les Sheikhs du Sénousisme apprirent le début de l’invasion italienne de la Libye. Les navires italiens bombardaient les villes côtières libyennes comme Darnah, Tripoli, Benghasi ou Homs. Ce jour-là, ʿUmar Al-Mukhtâr était à Jâlû, sur le chemin du retour de la ville de Koufra, où il venait d’avoir une réunion avec son Sheikh As-Sayyid Ahmad Ash-Sharîf. Le Sheikh de la confrérie sénousie proclama alors la mobilisation générale du jihâd pour repousser les assaillants et chasser les envahisseurs. De grandes victoires furent remportées contre l’ennemi italien. Ainsi, le vendredi 16 mai 1913, à la bataille de Darnah, les résistants libyens tuèrent dix officiers italiens et soixante soldats, en blessèrent quatre-cents autres et mirent la main sur tous leurs vivres et leurs munitions. Mais les Italiens, furieux, préférèrent s’en prendre aux Libyens désarmés. Au même moment, une idée diabolique prenait naissance dans l’esprit d’un Sheikh sénousi. Il s’agissait de signer un accord avec l’Italie dans lequel les Libyens accepteraient l’occupation d’une partie de leur terre, sous prétexte que l’ennemi était trop puissant et qu’il pouvait par ailleurs améliorer la situation agricole et industrielle en Libye. Pendant que la résistance se poursuivait, ce Sheikh signa un accord préliminaire avec l’ennemi. Des divergences apparurent alors au sein même de la confrérie sénousie, divergences qui devenaient d’autant plus dangereuses que l’Empire ottoman avait déserté et abandonné la Libye à son sort. Tout reposait désormais sur les épaules des seuls Libyens. Le Sheikh de la confrérie choisit de régler ce conflit en démissionnant de son poste et en laissant la direction de la confrérie à As-Sayyid Idrîs As-Sunûsî, celui-là même qui entama les négociations de paix avec l’Italie. As-Sayyid Idrîs prit ses fonctions en 1917.

L’épreuve

Le transfert de la direction de la confrérie sénousie constitua une rude épreuve pour Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr. As-Sayyid Idrîs pensait en effet qu’il n’y avait aucun mal à abandonner une partie de la patrie à l’occupant. Il envisageait même de recevoir, lui et les autres chefs sénousis, des salaires mensuels de la part de l’Italie, en plus de maisons qui leur seraient octroyées, et de terres agricoles sur lesquelles ils ne payeraient pas d’impôts. En bref, il s’agissait de percevoir un pot-de-vin moyennant l’abandon d’une partie de la Libye. Quelle allait alors être la position de son disciple, le murîd ʿUmar Al-Mukhtâr et celle de ses compagnons ? Les chefs des tribus et les Sheikhs de la confrérie se réunirent et remirent à As-Sayyid Idrîs un document crucial. Dans ce document, ils lui prêtaient tous serment d’allégeance à condition qu’il soit leur chef dans le combat contre les envahisseurs. Idrîs As-Sunûsî ne trouva d’autre issue que d’accepter, au moins en apparence, le contenu de ce document. Les masses combattantes libyennes se mobilisèrent alors en 1922. Pris en tenaille entre l’accord de paix avec l’Italie et l’allégeance que lui avaient prêté les Libyens, Idrîs As-Sunûsî décida de s’enfuir en Égypte, prétextant la maladie. Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr et quelques-uns de ses amis allèrent alors le rejoindre pour prendre de ses nouvelles, mais ils constatèrent que leur Sheikh ne souffrait de rien. Ils lui demandèrent au moins de leur fournir de l’argent et des armes pour poursuivre la lutte. Mais il se déroba. Ils déclarèrent alors que le Sheikh ne les intéressait plus, que puisque le jihâd était une prescription religieuse, ils combattraient les ennemis sans se soucier de ceux qui les avaient délaissés. Dès lors, ʿUmar Al-Mukhtâr prit la tête de l’armée et mena le mouvement du jihâd à partir de 1922. Mais très vite, l’histoire se répéta : un autre enfant du Sénousime, Ridâ Hilâl As-Sunûsî relança parmi les masses combattantes la même zizanie provoquée un an plus tôt par Idrîs As-Sunûsî. Il déclara en effet qu’il s’était accordé avec l’Italie pour que les Sénousis déposent les armes. Frisant les limites de l’acceptable, il alla jusqu’à poser de sa propre main une croix chrétienne sur le tombeau de son grand-père, le fondateur de la confrérie sénousie.

ʿUmar Al-Mukhtâr proclama solennellement qu’il ne déposerait pas les armes, ni lui ni ses amis. Mais en même temps, il prit l’engagement de ne pas empêcher ceux qui voudraient le faire. Ridâ fut finalement arrêté par les Italiens et exilé vers la métropole après qu’il eut échoué à faire cesser le jihâd. La même tragédie recommença pourtant une nouvelle fois, avec Al-Hasan Ibn Ridâ As-Sunûsî. C’était durant les pourparlers de ʿUmar Al-Mukhtâr avec les Italiens. Alors qu’Al-Hasan s’était rendu chez les Italiens pour porter à leur connaissance les conditions posées par les combattants musulmans, il revint avec les conditions italiennes qui ne signifiaient rien d’autre que la reddition des résistants moyennant quelques sommes d’argent pour Al-Hasan et pour les chefs de la résistance. ʿUmar Al-Mukhtâr lui fit cette réponse : « Mon fils, ils t’ont séduit par les apparats de ce bas-monde éphémère. » Al-Hasan connut finalement le même sort que celui de son père Ridâ.

Les Italiens firent également des propositions alléchantes à Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr : des richesses, des maisons confortables, des terres agricoles non-imposables... Déclinant toutes ces propositions, il dit : « Je n’ai jamais été une bouchée facile pour qui voulait m’avaler. Personne ne changera mes convictions, mes opinions ou mes orientations. Dieu décevra ceux qui voudront s’y essayer. »

ʿUmar Al-Mukhtâr, chef de la résistance

Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr établit des liaisons avec les différentes tribus, et dénombra les hommes aptes au jihâd. Il réunit ainsi ses combattants et les répartit dans des camps où ils pouvaient se retrancher et s’entraîner. Ces camps portaient le nom de adwâr. Les historiens ne sont pas sûrs quant au nombre exact de ces adwâr. D’aucuns disent trois, d’autres quatre, plus selon certains. Ce système permit aux belligérants de poursuivre normalement leur vie quotidienne. ʿUmar Al-Mukhtâr mit également en place un système d’arbitrage des différends, et organisa la gestion financière, les renforts et les ravitaillements qui arrivaient jusqu’aux résistants. Il entra par ailleurs en contact avec des parties extérieures, qu’elles soient en Tunisie ou en Égypte, pour le ravitailler en argent et en munitions, qui sont le nerf de la guerre. Il fit d’Al-Jabal Al-Akhdar son repaire principal, mais ses attaques pourchassaient les Italiens sur tout le sol libyen. Les combattants vécurent avec As-Sayyid ʿUmar Al-Mukhtâr une vie faite alternativement d’attaques et de retraites, de victoires et de défaites. Néanmoins, lorsqu’ils étaient vaincus ou assiégés par leurs ennemis, ils refusaient de faiblir ou de se rendre. Même dans les pires circonstances suscitées par la zizanie de certains Sheikhs sénousis, circonstances qui faillirent aboutir à une guerre civile, ʿUmar Al-Mukhtâr resta ferme et déclara, son Coran à la main, qu’il ne cesserait jamais de combattre les Italiens, même s’il devait les affronter seul. Encouragés par tant d’énergie, ses opposants finirent par se rallier à sa cause et rejoindre les rangs de la résistance.

Les Italiens, observateurs, constatèrent que le moyen le plus rapide pour vaincre la résistance était de couper les ravitaillements qui provenaient essentiellement d’Égypte et de Tunisie, comme nous l’avons dit, mais également de la part de la population libyenne. L’administrateur italien, Emilio, fit barrage à ces ravitaillements et lança une offensive contre Jaghbûb le 8 février 1926. La chute de cette ville causa de graves ennuis à la résistance qui perdait ainsi un de ses poumons. Mais malgré cette épreuve, les résistants poursuivirent la lutte, infligeant aux armées de Mussolini de sérieux revers, tant et si bien que le Duce se vit contraint de réviser complètement sa stratégie et de remplacer son administrateur militaire en Libye. Ce fut ainsi que le général Badolio prit ses fonctions en janvier 1929. Ce changement constituait un tournant décisif dans la guerre entre les Italiens et les Libyens.

Le nouveau gouverneur de Libye, cherchant à duper les résistants sur ses véritables intentions, engagea des négociations le 20 avril 1929 et leur fit des propositions qui se résumaient à la reddition moyennant quelques avantages matériels. Mais ʿUmar Al-Mukhtâr, toujours avisé, rejeta ces propositions et choisit de continuer la lutte. Le gouverneur cherchait en réalité à gagner du temps pour mettre son plan à exécution. Ayant compris la stratégie, ʿUmar Al-Mukhtâr lança un appel le 20 octobre 1929 à tous ses compatriotes, dans lequel il leur demandait de rester éveillés et de ne pas se laisser leurrer par les subterfuges italiens. Les soupçons de ʿUmar Al-Mukhtâr s’avérèrent exacts. Le 16 janvier 1930, des avions larguèrent des bombes sur la résistance, annonçant le début d’une campagne génocidaire menée contre le peuple libyen. Le 28 janvier 1931, les envahisseurs italiens, menés par le plus sanguinaire de leurs généraux, le général Graziani, parvinrent à prendre la ville symbolique de Koufra, dont la perte porta un coup dur à la résistance libyenne.

La fin

Le 11 septembre 1931, des affrontements eurent lieu entre la résistance et les forces d’occupation, qui se conclurent par la capture de ʿUmar Al-Mukhtâr. Sous une garde renforcée, le Lion du Désert fut transféré au port de Sûsah, d’où on lui fit prendre la mer jusqu’à Benghasi.

ʿUmar Al-Mukhtâr, prisonnier des Italiens

Le 14 septembre 1931, le général Graziani, successeur du général Badolio depuis plusieurs mois, accourut lui aussi à Benghasi en provenance de Rome pour annoncer, le 15 septembre, l’ouverture du Tribunal spécial qui allait juger le résistant musulman, le Sheikh soufi, ʿUmar Al-Mukhtâr. Quelques heures avant le début du procès, Graziani tint à discuter avec son prisonnier, autour duquel les Italiens avaient tissé tout un tas de légendes le faisant passer pour un héros invincible. Le général italien écrit dans ses mémoires :

« Lorsqu’il se présenta dans mon bureau, je vis en lui les milliers de résistants que j’avais rencontrés durant mes campagnes dans le désert. Ses mains étaient enchaînées, malgré les fractures et les blessures qu’il avait subi au cours des affrontements. Son visage était compressé, en raison du jard dont il le recouvrait. Il se traînait avec difficulté à cause de la fatigue qu’il ressentait suite à son voyage en bateau. Mais globalement, je voyais en cet être qui était debout devant moi un homme d’un autre genre. Il affichait sa dignité et sa fierté, bien qu’il ressentait l’amertume de la captivité. Il était là, debout devant mon bureau, en train de répondre avec une voix calme et claire aux questions que je lui posais. »

La première question que lui posa Graziani fut : « Pourquoi combattez-vous le gouvernement italien ? » Et ʿUmar Al-Mukhtâr de répondre : « Pour défendre ma religion et ma patrie. » « Où vouliez-vous en arriver ? », demanda Graziani. « Nulle part, sinon vous chasser, répondit sobrement Sheikh ʿUmar, car vous avez violé notre terre. Le combat nous a été prescrit, et seul Dieu peut accorder la victoire. »

Le général Graziani poursuit le récit de cette rencontre : « Lorsqu’il se leva pour partir, son front était lumineux, comme s’il était entouré d’une aura de lumière. Je sentis mon cœur frissonner devant la majesté de la situation. J’étais l’homme qui avait mené les guerres mondiale et désertique, et voilà qu’en cette occasion, mes lèvres tremblaient et ne parvenaient à prononcer une seule lettre. Je mis fin à la rencontre et j’ordonnai qu’il fût reconduit dans sa cellule afin qu’il soit présenté au tribunal dans la soirée. Lorsqu’il se leva, il essaya de me serrer la main, mais en vain, car ses deux mains étaient enchaînées. »

Le procès de ʿUmar Al-Mukhtâr se tint au siège du Parti fasciste. Il fut ouvert le mardi 15 septembre 1931 à 17 h 15. Une heure plus tard, les juges prononçaient la sentence : la pendaison jusqu’à ce que mort s’en suive. Le Sheikh septuagénaire ne dit rien d’autre pour commenter le jugement à part cette phrase : « Le jugement n’appartient qu’à Dieu. Ce n’est pas votre jugement hypocrite. Nous sommes à Dieu et c’est à Lui que nous retournons. »

ʿUmar Al-Mukhtâr se prépare au martyre

Le matin du mercredi 16 septembre 1931, toutes les mesures furent prises pour le bon déroulement de la mise à mort. L’armée, les milices et l’aviation étaient présents. On rassembla par ailleurs des dizaines de milliers de Libyens pour qu’ils assistent à la mort de celui qu’ils considéraient comme leur héros. Le Sheikh ʿUmar Al-Mukhtâr fut amené, les mains enchaînées et le sourire aux lèvres. Il fut livré à son bourreau à 9 h précises, alors que son visage était rayonnant de bonheur à l’idée de mourir en martyr. Pendant qu’on lui mettait la corde au cou, on l’entendit murmurer l’appel à la prière, et réciter les versets : « Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée. » [2] C’était la fin...

Le corps du héros tomba. Mais son âme s’éleva au ciel, élevant avec elle les principes pour lesquelles elle se sacrifia.

La mort du Lion du Désert eut un retentissement terrible dans tout le monde musulman. Sa gloire fut chantée par les poètes, et son martyre fut célébré par les peuples. Au fil des jours, il devint le symbole de la résistance face aux oppresseurs.

Que Dieu lui fasse miséricorde

« Nous combattons car nous avons le devoir de combattre pour défendre notre religion et notre liberté. Nous combattrons jusqu’à ce que nous chassions les envahisseurs ou jusqu’à ce que nous mourions. Nous n’avons pas d’autre choix. Nous sommes à Dieu et c’est à Lui que nous retournons. » (Le martyr ʿUmar Al-Mukhtâr)

Notes

[1Sourate 8 intitulée le Butin, Al-Anfâl, verset 17.

[2Sourate 89 intitulée l’Aube, Al-Fajr, versets 27 et 28.

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