dimanche 18 mars 2007
Instructeur général des ribâts [1] d’éducation islamique au Yémen, Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî Ibn ʿAlî Al-Mashhûr est un penseur engagé de l’École de Hadramaout qui fut fondée par l’Imâm Ahmad Ibn ʿIsâ Al-Muhâjir (d. 345 A.H.) et qui compta au fil des siècles des savants, des juristes et des gnostiques dont l’Imâm ʿAbd Allâh Ibn ʿAlawî Al-Haddâd.
Né au mois de Rajab de l’an 1366 A.H. (1945 E.C.) à Ahwar, Al-Habîb Abû Bakr Ibn ʿAlî Al-Mashhûr [2], commença depuis sa prime enfance à s’abreuver de la science sacrée via son père, à l’époque Muftî d’Ahwar. Enfant doué, il fut connu par sa passion pour l’acquisition des sciences de la religion et commença très tôt à mémoriser le Coran.
Il accomplit ses études primaires à Ahwar et à Al-Mahfad, où il fut instruit et initié aux sciences religieuses par d’éminents savants de l’époque, dont son éminence Sheikh Muhammad Ibn Sâlim Al-Bîhânî et Sheikh ʿAlî Muhammad Bâ-Hmeish ainsi que les Sheikhs de Hadramaout et d’Ahwar. Il poursuivit ensuite ses études secondaires et universitaires à Aden et obtint le diplôme de la Faculté d’Éducation Supérieure.
Ce fut ensuite en raison du régime totalitaire au Yémen-Sud, qu’Al-Habîb Abû Bakr partit vers l’Arabie Saoudite. Il saisit alors l’occasion de sa présence sur sa terre bénie pour acquérir les sciences de la religion auprès des savants du Hijâz, du Shâm et de l’Égypte.
Parmi ses Sheikhs, l’on dénombre :
Cependant, Al-Habîb ʿAbd Al-Qâdir Ibn Ahmad As-Saqqâf fut le principal maître éducateur d’Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî. Dans une biographie qu’Al-Habîb Abû Bakr rédigea en son hommage, il écrivit [3] : « Il (Al-Habîb ʿAbd Al-Qâdir) était un homme bienfaisant, un père affectueux, un sage inspiré, un exemple à suivre en matière de bonnes manières et de conduite et un prédicateur appelant à la voie de Dieu par la sagesse et la bonne parole. Ce fut dans la vallée bénie de Hadramaout que mon père fit la connaissance de ce Habîb et noua avec lui une relation étroite durant son dernier voyage à Dawʿan en 1392 A.H. En effet, il faisait partie d’un groupe de savants qui, le 4 Jumâdâ II 1392 A.H., se rendirent à Dawʿan dans un voyage de prédication. Ils traversèrent la ville de Say’ûn où ils visitèrent le tombeau d’Al-Habîb ʿAlî Ibn Muhammad Al-Habshî avant d’être accueillis dans la maison d’Al-Habîb ʿAbd Al-Qâdir Ibn Ahmad As-Saqqâf. Ce dernier les reçut chaleureusement, pria pour eux et leur prodigua des conseils. C’est durant cette rencontre bénie que put se consolider un rapport et un rattachement spirituel entre mon père et Al-Habîb ; chose qu’ils investirent au service de la religion du Seigneur des créatures.
Notre Créateur — Exalté soit-Il — voulut ensuite que les deux hommes se retrouvent ensemble à un même endroit, dans un même pays. En effet, mon père, puisse Dieu lui faire miséricorde, et son Sheikh Al-Habîb ʿAbd Al-Qâdir arrivèrent presque à la même période aux Terres Saintes et s’y rencontrèrent à diverses occasions. […] Quelques temps après l’installation de mon père dans ce pays, je me trouvai intrigué et voulus le rejoindre afin de m’abriter sous le toit de sa clémence et de sa science. Aussitôt arrivé, se manifesta le besoin de former et d’éduquer celui qui attachera la branche à son origine par les soins de ce maître qui jouit d’un rang distingué et à qui revient la parole décisive. En compagnie de mon père, les visites du pauvre en Allâh se répétèrent aux cours d’Al-Habîb ʿAbd Al-Qâdir As-Saqqâf et je me trouvai attiré vers lui. Avec mon défaut et ma carence, j’éprouvai une forte volonté de m’agenouiller devant mon maître et Sheikh, sollicitant sa grâce et m’abreuvant de son savoir ».
Pour Al-Habîb Abû Bakr, Al-Habîb ʿAbd Al-Qâdir As-Saqqâf n’était pas un simple enseignant. Il était un maître éducateur et un père spirituel à qui il demandait conseil lorsqu’il devait prendre une décision importante dans sa vie en matière d’études, de travail et de mariage.
Une fois ses études primaires accomplies, Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî pratiqua l’enseignement et fut ensuite Imâm et prédicateur à la mosquée Al-ʿIsâ’î de Jeddah. Puis, suite à l’unification du Yémen en 1990 E.C., il devint instructeur général des ribâts d’éducation islamique ainsi que de leurs centres d’enseignement et de formation professionnelle.
Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî fonda seize ribâts ainsi que quatre-vingt centres d’enseignement dans divers gouvernorats de la République Yéménite. Il organisa également une dizaine d’écoles d’été pour les étudiants et les étudiantes des écoles. L’édifice de « Dâr Az-Zahrâ’ pour la formation de la Femme » et ses nombreuses branches dans les différents gouvernorats du Yémen lui doivent de les avoir fondés. « Le Centre Al-Ibdâʿ pour les études et le service du patrimoine » fut également créé grâce à ses efforts et continue à assurer sa mission en matière d’étude du patrimoine islamique, de préservation et de réhabilitation de manuscrits rares.
Soucieux des grands débats et problèmes agitant sa société, Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî participa à la fondation de nombreux forums culturels dont le Forum de Hadramaout. Ce dernier contribua à l’épanouissement de la vie culturelle à Hadramaout à travers divers services sociaux, médicaux, religieux et sportifs dans plusieurs régions.
Le rôle joué par Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî au service de l’islam ne se limita pas à de simples prêches ou à des cours de religion. Il s’étendit à l’élaboration d’une perception réfléchie quant à la position que devrait occuper l’islam dans la vie quotidienne sociale, politique et économique de la communauté islamique. À travers ses écrits, il proposa une analyse critique de la prédication contemporaine, ses acteurs, son contexte et ses priorités. Il est l’auteur de diverses thèses qu’il exprima dans les ouvrages suivants [4] :
Penseur engagé de la voie Bâ ʿAlawiyyah, Sheikh Abû Bakr Al-ʿAdanî Ibn ʿAlî Al-Mashhûr enrichit la littérature islamique de nombreux ouvrages traitant de sujets divers comme l’Histoire de l’École religieuse de Hadramaout et ses personnages les plus saillants. Le premier ouvrage de la série Aʿlâm Hadramaout (Les grandes figures de Hadramaout) fut une biographie dédiée à Ahmad Ibn ʿIsâ dit l’Émigrant vers Dieu (Al-Muhâjir ilâ Allâh), le père fondateur de l’École de Hadramaout ; Al-Habîb Abû Bakr présenta l’objectif de cette série en ces termes : « Le serviteur en besoin du Pardon de son Seigneur, Abû Bakr Al-ʿAdanî Ibn ʿAlî Ibn Abû Bakr Ibn ʿAlawî Al-Mashhûr, le ʿalawî [5], l’habitant de Hadramaout, le shaféite par son affiliation juridique, le soufi par sa voie spirituelle, l’homme de son époque par son expérience et ses souffrances, dit : Lorsque les jours s’obscurcirent et que l’on cessa de présenter aux jeunes générations, surtout dans la Province de Hadramaout, l’Histoire de leurs Sheikhs et de leurs personnalités importantes qui portèrent dans la nation le flambeau de la guidance et l’étendard de la foi, de la piété et de l’alliance à Dieu, certains frères sincères me suggérèrent d’écrire pour les générations contemporaines une série abrégée visant à présenter les vertueux Sheikhs, dont la vue rappelle Dieu. Il fallait que ces biographies soient composées dans un style moderne afin que nos contemporains ne manquent pas de profiter de l’expérience et des épreuves des anciens, que la relation liant les générations restent fondée sur des bases saines, et pour aider les jeunes à déchiffrer les symboles opaques dans les récits des premiers Sheikhs que recèlent les biographies anciennes et qui devinrent aux yeux de nos jeunes comme des mystères troublants.
Je demandai le Soutien de Dieu dans cette entreprise et commençai par la biographie de l’Imâm, l’Émigrant vers Dieu (Al-Muhâjir ilâ Allâh), Ahmad Ibn ʿIsâ An-Naqîb Ibn Muhammad Ibn ʿAlî Al-ʿArîdî jusqu’à la fin de sa lignée bénie. Je ne me contenterai pas de présenter des biographies des descendants de l’Imâm Émigrant (Al-Imâm Al-Muhâjir), j’évoquerai aussi de nombreux savants et hommes vertueux de la vallée de Hadramaout qui appartiennent à l’École des pieux prédécesseurs. » [6] Citons parmi ces ouvrages :
Il présenta aussi les principes et les fondements de la voie Bâ ʿAlawiyyah et traita de la spiritualité islamique :
Activement engagé dans les débats publics portant sur l’avenir et l’identité de son pays, il analysa par ailleurs des questions dont la portée dépasse les frontières yéménites. Parmi les questions qu’il aborda dans ses écrits fut celle de la relation entre la Religion et l’État, deux champs qu’il estimait inséparables. Il exprima à maintes reprises son regret quant au cantonnement de l’islam dans des champs limités ; phénomène qu’il choisit d’appeler « l’islam du symbole ». Et de dire : « Ce que nous voyons de nos jours n’est que l’islam du symbole. Les gens se contentent de polémiquer sur les questions matrimoniales, sur le mérite de l’appel à la prière, sur la purification du corps et du vêtement ainsi que la forme de ce dernier. Quant aux questions ayant rapport avec la gouvernance et le leadership, elles sont soit bridées soit contenues... » [8]. Al-Habîb Abû Bakr se prononça également sur le fait partisan en tant que l’une des manifestations les plus importantes du système démocratique. Il se montra méfiant à l’égard des partis politiques qui n’ont pour objectif que la conquête et l’exercice du pouvoir et ce, au détriment de certains principes qu’ils estimaient autrefois fondamentaux. Cependant, il se dit prêt à les soutenir dans la réalisation d’objectifs communs, à condition que ceci ait lieu hors du cadre partisan.
Il exprima également dans ses ouvrages son point de vue sur l’activisme islamiste et sur le despotisme des grandes puissances internationales ainsi que celui de certains régimes du Moyen-Orient. Pour Al-Habîb Abû Bakr, les mouvements islamistes ne sont apparus qu’au lendemain de l’indépendance des pays du monde arabo-musulman en réaction aux tentatives des courants laïcs et communistes visant à vider l’Islam de son contenu. Ils sont guidés par une volonté sincère de défendre et de préserver leur patrimoine islamique, mais ils ignorent la manière de réaliser cet objectif. Ceci est dû, selon Al-Habîb Abû Bakr, au fait qu’eux-mêmes méconnaissent leur patrimoine et imputent tout retard et arriération dans le monde musulman aux méthodes traditionnelles d’enseignement de la religion [9].
Quant au rôle des Gens de la Demeure Prophétique (Âl Al-Bayt), il puise sa valeur primordiale dans le hadith du Messager de Dieu — paix et bénédictions sur lui — : « En vérité, j’ai laissé parmi vous ce grâce à quoi vous ne vous égarerez point si vous vous y attachiez fermement, chacun étant plus imposant que l’autre : le Livre de Dieu — un Lien tendu du ciel vers la terre — et ma famille, les gens de ma demeure. Et ils ne se sépareront point, jusqu’à ce qu’ils me rejoignent près du Bassin (Al-Hawd), alors observez comment vous me succéderez à leur égard. » [10] Al-Habîb Abû Bakr estime que la clef de la réforme de la communauté réside dans l’établissement de l’École des Gens de la Demeure, parfaitement illustrée selon lui dans l’École de Hadramaout, non seulement au niveau spirituel et éthique que représente le soufisme, mais aussi en réalisant l’essence de leurs valeurs au niveau social et politique. Et de dire : « La communauté islamique ne retrouvera jamais son équilibre tant que les descendants du Prophète ne sont pas mis dans les bonnes positions qui leur permettent de traiter les maux de la Ummah au niveau local et international. La voie de l’islam est celle des descendants du Prophète et la voie des descendants du Prophète n’est autre que celle de l’Islam [...] Pour l’école Bâ ʿAlawiyyah, les trois principes de base sont de rester loyal envers les descendants du Prophète, de suivre les écoles juridiques sunnites et de reconnaître la place du soufisme islamique en tant qu’école éthique. » [11]. Cependant et toujours selon Al-Habîb Abû Bakr, la volonté de soutenir les descendants du Prophète — paix et bénédictions sur lui — ne devrait pas servir de prétexte pour déchirer l’Islam et attiser le feu du conflit parmi les Musulmans. Autrefois, l’Imâm Al-Hasan, le suzerain des Jeunes Gens du Paradis, n’avait-il pas présenté des sacrifices en vue de préserver l’unité de la communauté musulmane et l’Imâm Al-Husayn, le suzerain des Martyrs, n’avait-il pas mis à l’épreuve la détermination de ceux qui se réclament de la Vérité ?
Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî Ibn ʿAlî Al-Mashhûr continue à œuvrer dans le champ de la prédication et à contribuer à la vie intellectuelle dans le monde islamique.
Sources biographiques : le site al-ayyam.info, le site goraba.com et Qabasât An-Nûr de Sheikh Abû Bakr Ibn ʿAlî Al-Mashhûr.
[1] Terme couramment employé par les Yéménites, désignant des établissements éducatifs où l’étudiant se fixe comme priorité l’apprentissage des sciences de la religion et l’adoration, pluriel : Arbitah.
[2] Abû Bakr Ibn ʿAlî Ibn Abî Bakr Al-ʿAlawî Ibn ʿAbd Ar-Rahmân Ibn Abî Bakr Ibn Muhammad Ibn ʿAlawî Al-Mashhûr.
[3] Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî, Qabasât An-Nûr, pp. 80—83.
[4] Certains de ces ouvrages sont consultables en ligne sur le site d’Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî.
[5] Le descendant de l’Imâm ʿAlî.
[6] Conférer Al-Imâm Al-Muhâjir ilâ Allâh Ahmad Ibn ʿIsâ d’Abû Bakr Al-ʿAdanî Ibn ʿAlî Al-Mashhûr.
[7] En référence à Râbiʿah Al-ʿAdawiyyah.
[8] Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî, Bayna Yadayy Ad-Dajjâl (Face à l’Anté-Christ), Ministère des Waqf, Dubaï, 2002, p. 37.
[9] Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî, Al-Utrûhah (La thèse), Ministère des Waqf, Dubaï, 2002, p. 40.
[10] Rapporté par l’Imâm At-Tirmidhî, selon Zayd Ibn Al-Arqam.
[11] Al-Habîb Abû Bakr Al-ʿAdanî, Al-Munâsarah wal-Mu’âzarah Li-Kâfat Mansûbî Madâris Âl Al-Bayt An-Nabawî fî Al-Marhalah Al-Muʿâsirah (Le soutien et la solidarité à l’ensemble des descendants du Prophète à l’époque contemporaine), Ministère des Waqfs, Dubaï, 2002, pp. 24—27.
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