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Sheikh Muhammad Al-Hâmid

lundi 2 mai 2005

Muhammad Al-Hâmid (1910 - 1969)

La ville de Hamâh

Hamâh est l’une des principales villes de Syrie. Elle se situe à mi-chemin entre Damas et Alep, au nord de Homs, sur les rives de l’Oronte. C’est une cité très ancienne, certains situant sa fondation vers le cinquième millénaire avant Jésus-Christ.

Vestiges de la cité antique de Hamâh

Elle vit passer diverses populations et connut plusieurs âges d’or. Avant le début de l’ère chrétienne, elle brilla du temps des Araméens qui en firent la capitale de leur royaume. Elle brilla de nouveau après la conquête musulmane, notamment au cours de l’ère ayyûbide. Nûr Ad-Dîn Zinkî, Sultan d’Alep, la fit reconstruire après que le tremblement de terre de 1157 l’eut détruite. Elle est également la seule ville que les Croisés ne réussirent jamais à prendre pendant les Croisades. Elle connut un nouvel essor lorsque le Sultan An-Nâsir Muhammad Ibn Qalâwûn désigna à sa tête le grand historien Abû Al-Fidâ’. Depuis lors, elle fut surnommée Madînat Abû Al-Fidâ’, la Ville de Abû Al-Fidâ’.

Cette ville enfanta un grand nombre de personnalités illustres, des savants, des hommes de lettres et des poètes.

Enfance et famille

Sheikh Mahmûd Al-Hâmid, le père de Sheikh Muhammad Al-Hâmid, était un homme connu pour son amour pour la discipline du Soufisme (tasawwuf). Il était un homme droit, scrupuleux, au caractère ferme et tranchant et au cœur débordant de générosité. Il gagnait sa vie dans son école coranique où il enseignait aux enfants de la ville la lecture et l’écriture. Il s’initia dans la voie de l’ascétisme et de la dévotion soufie auprès du Sheikh ʿAbd Al-Fattâh Al-ʿAbd qui fut lui-même formé auprès de Sheikh Muhammad Sulaymân Al-Arwâdî, un disciple et un successeur de Sheikh Khâlid An-Naqshabandî.

Sheikh Muhammad Al-Hâmid vint au monde en 1910. Pendant les premières années de sa vie, il fut entouré des soins de ses parents et de ses deux frères. En 1916, le pays fut durement touché par la Première Guerre mondiale, avec son lot de pénuries et d’épidémies. Allongé dans son lit, sentant son heure approcher, le père du jeune Muhammad réunit ses enfants. En ces temps de crise, chacun était occupé par ses propres malheurs, et nul ami ou voisin n’allait prendre en charge ses enfants après lui. Sheikh Mahmûd Al-Hâmid confia donc ses enfants à Dieu. Puis il fit signe à son fils aîné, Badr Ad-Dîn, alors âgé de quinze ans. Ce dernier s’approcha et son père lui chuchota quelques mots, lui demandant de prendre soin de ses deux frères. Les deuils se succédèrent. Orphelin à l’âge de six ans, le jeune Muhammad perdit ses deux parents la même année. S’enchaînèrent alors des années de misère et de peine pour les trois frères.

Quelque temps après la mort des parents, Badr Ad-Dîn fut contraint à quitter ses deux frères pour gagner sa vie, dans l’espoir de leur venir en aide. Sheikh Muhammad Al-Hâmid évoqua ces années difficiles de son enfance en ces termes : « Si l’orphelin avait une langue éloquente, il aurait fait pleurer les pierres. Nous avons connu des jours où la plupart des enfants rentraient chez eux pendant la pause du déjeuner, alors que nous restions à l’école. Nous n’avions pas de maison, ni de nourriture. Parfois la dureté de la faim faisait pleurer mon frère. Quant à moi, j’essayais d’oublier la douleur de la faim en jouant. »

Éducation à Hamâh

Badr Ad-Dîn, le frère aîné, veilla à ce que son cadet Muhammad aille à l’école et ce, malgré leur misère et leurs douleurs. Alors que Muhammad vivait dans des familles d’accueil modestes, Badr Ad-Dîn l’inscrivit à l’école primaire et éveilla en lui le sérieux et la persévérance. Il fallut peu de temps pour que les espoirs portés en ce jeune écolier se réalisent. En première année du cycle primaire, Muhammad fut premier de sa classe. En troisième année, avec le retrait des Turcs de la Syrie, Badr Ad-Dîn devint enseignant au cycle primaire et connut une certaine amélioration de sa situation financière. Les jours se succédèrent et le jeune Muhammad acheva le cycle primaire en 1922. Aussitôt, son frère l’inscrivit au collège. Mais Muhammad se sentit mal à l’aise dans ce nouvel environnement. Cette répulsion qu’il ressentait envers son nouvel établissement scolaire se traduisit par des notes plus ternes et un manque d’enthousiasme. À cet âge précoce, il trouvait sa sérénité et sa satisfaction dans les cercles d’études religieux dirigés par les hommes de science et de piété de sa ville. Ne souhaitant pas forcer son frère à suivre un enseignement qui lui déplaisait, Badr Ad-Dîn accepta qu’il abandonne l’école et l’emmena chez un tailleur d’habits arabes pour apprendre le métier, tout en suivant les cours religieux auprès des Sheikhs de Hamâh. Ainsi le jeune Muhammad passait-il la matinée dans son gagne-pain et, après le coucher du soleil, il suivait les cours généraux et spécialisés tenus dans les mosquées de la ville.

En 1924, Muhammad Al-Hâmid souhaita s’inscrire à l’Institut des Sciences Religieuses qui venait d’ouvrir ses portes à Hamâh. À cette époque, son frère Badr Ad-Dîn achevait ses études à Dâr Al-Muʿallimîn, un institut de formation des maîtres. Son oncle maternel, Sheikh Saʿîd Al-Jâbî, demanda l’opinion de Badr Ad-Dîn quant aux ambitions de Muhammad. Suite à l’approbation de son frère aîné, Muhammad quitta son maître-tailleur et commença à suivre le cursus de l’Institut des Sciences Religieuses où il passa les plus beaux jours de sa vie. Peu soucieux de la modestie de sa condition financière, Muhammad Al-Hâmid se versa dans l’apprentissage des disciplines dispensées dans son école et continua à récolter le savoir auprès des Sheikhs de Hamâh.

Il s’initia auprès du Sheikh Muhammad Tawfîq As-Sabbâgh, le Sheikh des juristes shâfiʿites de Hamâh et le Président de l’Association des Savants. Il fut également le disciple du Mufti de Hamâh, Sheikh Muhammad Saʿîd An-Naʿsânî. Il se forma par ailleurs auprès du juriste hanafite, le pieux connaisseur de Dieu, Sheikh Ahmad Al-Murâd. Puisse Dieu leur faire miséricorde à tous.

Sheikh Ahmad Al-Murâd

Auprès des Sheikhs d’Alep

En 1928, il acheva ses études à l’institut de Hâmah et se dirigea, la même année, vers la ville d’Alep pour poursuivre ses études. Il s’inscrivit alors à l’École Al-Khasrawiyyah, l’institut islamique le plus prestigieux de Syrie à cette époque. À ce stade de sa vie, la formation religieuse de Sheikh Muhammad Al-Hâmid atteignit sa maturité et attira l’attention de ses camarades et de ses professeurs. L’un de ses maîtres à l’École Al-Khasrawiyyah, Sheikh Ahmad Ash-Shammâʿ, fit son éloge en disant qu’il était « un océan de savoir inépuisable ». Il profita de son séjour à Alep pour assister assidûment aux cours dispensés dans les mosquées et, en particulier, il veilla à assister aux cercles de science de Sheikh Najîb Sirâj Ad-Dîn, un éminent savant aleppois.

Avant son départ pour Alep, son frère aîné lui dit : « Je cherche refuge auprès de Dieu contre les demi-savants. » Ce testament fraternel que Muhammad Al-Hâmid ne perdit pas de vue fut une mise en garde contre une formation inachevée, ou un savoir entaché d’ignorance, et une incitation au perfectionnement dans la recherche du savoir.

Parmi ses Sheikhs et professeurs à Alep, on compte :

  • Le juriste, Sheikh Ahmad Az-Zarqâ,
  • Le Mufti de l’école juridique hanafite, Sheikh Ahmad Al-Kurdî,
  • Le prédicateur et soufi Sheikh ʿÎsâ Al-Bayânûnî,
  • Le pieux connaisseur de Dieu Sheikh Ibrâhîm As-Salqînî,
  • Le professeur à l’École Al-Khasrawiyyah, Sheikh Ahmad Ash-Shammâʿ,
  • Le théologien et logicien, Sheikh Fayd Allâh Al-Ayyûbî Al-Kurdî,
  • Le Mufti de l’école juridique shâfiʿite, Sheikh Muhammad Asʿad Al-ʿAbjî.
Sheikh ʿÎsâ Al-Bayânûnî
Sheikh Ibrâhîm As-Salqînî
Sheikh Ahmad Al-Kurdî
Sheikh Najîb Sirâj Ad-Dîn

Comme le souligne son disciple, Sheikh ʿAbd Al-Hamîd Tihmâz, cette période fut critique dans la formation de Sheikh Muhammad Al-Hâmid. En effet, il y abandonna de nombreuses idées du courant salafi qu’il avait adoptées à Hâmah et s’orienta vers le soufisme auprès de son éducateur, Sheikh Muhammad Abû An-Nasr Khalaf, un célèbre Sheikh de la confrérie naqshabandie à l’époque.

Sheikh Muhammad Abû An-Nasr Khalaf

Retour à Hamâh

Au terme de ses études à Alep, Sheikh Al-Hâmid retourna dans sa ville natale en 1934. Il y passa quatre années avant de se rendre en Égypte pour étudier dans l’Université islamique millénaire, Al-Azhar Ash-Sharîf.

Ces quatre années passées à Hamâh, de 1934 à 1937, constituèrent une riche expérience dans le domaine de la prédication pour Sheikh Muhammad Al-Hâmid. Aimé et respecté des savants de Hamâh, ceux-ci le forcèrent à assumer diverses responsabilités religieuses. Ce fut ainsi qu’il fut désigné imam de la Mosquée Al-Ashqar en 1935.

Sur le chemin de la prédication, il se retrouva aux prises avec les disciples de son oncle maternel, Sheikh Saʿîd Al-Jâbî, un fervent détracteur des soufis et du soufisme. Sheikh Muhammad avait été imprégné de l’école de pensée de son oncle avant son séjour à Alep, si bien que ce dernier le préparait pour lui succéder. Mais auprès des savants d’Alep, Sheikh Muhammad Al-Hâmid apprit le soufisme et comprit la distinction entre l’essence noble de la discipline du soufisme - ce cœur spirituel de l’Islam - et les faux-prétendants à cette discipline qui nuisent à sa réputation. La confrontation fut alors inévitable lorsqu’il retourna à Hâmah. La déception fut aussi au rendez-vous pour les disciples de son oncle. Le successeur espéré pour mener la critique contre le soufisme était devenu son porte-parole et son avocat. La patience de Sheikh Muhammad Al-Hâmid et ses débats raffermirent les pas des aspirants à cette voie, alors qu’ils avaient subi les attaques d’une campagne acharnée par Sheikh Al-Jâbî et les siens.

Cette position de Sheikh Muhammad Al-Hâmid le poussa à quitter son poste d’imam à la Mosquée Al-Ashqar, le cœur lourd et peiné par ces polémiques. Peu de temps après, il fut appelé à reprendre ses fonctions à la Mosquée du Sultan et son Sheikh aleppois, Abû An-Nasr Khalaf, lui recommanda d’éviter, dans la mesure du possible, les détracteurs du soufisme et les polémiques qui l’opposent à leur courant de pensée. Mais comment les éviter alors qu’ils l’entouraient et qu’il vivait parmi eux ! Il écrivit à son Sheikh : « Vous nous aviez écrit de nous éloigner de nos détracteurs dans la mesure du possible et de ne pas polémiquer avec eux au sujet de la voie soufie. Dieu m’a permis d’honorer votre demande autant que possible. J’ai éprouvé ce faisant un effet positif sur moi-même, j’ai senti que j’avais une meilleure progression spirituelle et j’ai trouvé un supplément de bienfaits par votre bénédiction et votre bienveillance. Sauf qu’il m’est nécessaire, maître, d’être en contact avec certains d’entre eux et d’avoir des réunions avec eux. C’est un fait accompli que je ne peux éviter ; j’espère m’en débarrasser, mais j’en suis incapable. Et vous savez, maître, puisse Dieu vous honorer, que nos détracteurs ne peuvent s’abstenir de la polémique, comme l’avait dit le Prophète - paix et bénédictions sur lui : "Chaque fois que des gens s’égarent d’une guidance qu’ils suivaient, ils sombrent dans la polémique". Cela fait naître les polémiques, attise l’inimitié entre nous, et nous n’arrivons guère à une conclusion commune satisfaisante. Cela me fatigue et me peine grandement. Je sens la noirceur de leurs âmes envahir mon cœur. J’ai la malchance d’être en contact avec eux, et j’aurais tant aimé être sauvé de leur présence. J’aurais aimé ni les voir, ni entendre parler d’eux. »

Malgré les responsabilités à sa charge et les diverses activités où il s’était vu impliqué, il continua à élargir sa culture en compulsant la littérature religieuse dans maintes sciences islamiques. Cette tâche fut facilitée lorsqu’on lui accorda un bureau dans la Mosquée Al-Jadîd. Il en fit un lieu d’études privilégié avec certains de ses collègues, parmi les jeunes Sheikhs de la ville. Par ailleurs, en 1934, Sheikh Ahmad Al-Murâd lui demanda d’assurer à sa place la leçon qui suivait la prière de midi à la Mosquée Al-Jadîd. En outre, après son départ de la Mosquée Al-Ashqar, Sheikh Adîb Al-Hawranî lui demanda de donner le prêche à la Mosquée du Sultan et, plus tard, il le chargea d’y enseigner, si bien que la Mosquée du Sultan devint son centre de prédication et d’enseignement.

Séjour en Égypte

En 1938, Dieu lui permit de partir pour l’Égypte et de s’inscrire à Al-Azhar. L’une des motivations de ce voyage d’études figure dans l’une des lettres qu’il écrivit à son Sheikh Abû An-Nasr Khalaf, après son retour à Hamâh : « Ma situation à Hamâh est des plus délicates. Mes proches et les disciples de mon oncle maternel sont pris d’inimitié à mon égard ; ils sont majoritaires ici. Pour eux, mes conseils sont d’emblée irrecevables, et de leur point de vue, les fondements de mes propos sont scientifiquement suspects, si bien qu’ils considèrent que mon savoir n’est que mythes et innovations que j’aurais inventées. L’opinion publique est devenue malsaine chez nous, et je suis devenu tel un étranger chez moi. Il ne vous échappe pas que la quête du savoir est faible à Hamâh tandis que, personnellement, j’ai une grande soif de savoir. Pour toutes ces raisons, je vous ai demandé l’autorisation de voyager, autorisation que vous m’avez accordée, bien que je sache à quoi m’attendre comme souffrance en m’éloignant de vous et de mes frères. Mais l’objectif que je vise me porte à endurer les souffrances et les difficultés. L’un de mes Sheikhs m’a dit, lorsque je lui ai confié que ma langueur pour mon maître était telle que j’étais sur le point d’abandonner Al-Azhar : “Ce voyage est une aubaine que tu as reçue par la bénédiction de ton Sheikh.” Puis, il a souligné : “Celui qui veut diffuser la voie soufie à Hamâh se doit de maîtriser une large part de savoir, afin que les détracteurs ne lui nuisent pas et qu’il soit en mesure de les ramener à la vérité par la force des arguments, chose que tu ne peux faire sans ton instruction à Al-Azhar.” Cette opinion m’a semblé assez juste. »

Ainsi le Sheikh partit pour l’Égypte en s’attendant à beaucoup de dépaysement, car l’Égypte était à l’époque l’un des premiers pays arabes à subir l’influence de la pensée et des coutumes occidentales, avec leur lot de dénudement et de mixité. Toutefois, le Sheikh - qu’Allâh lui fasse miséricorde - ne supporta pas de voir tous ces vices, tant et si bien qu’il s’en retourna à Hamâh quelques jours après son arrivée en Égypte. A Hamâh, les gens s’étonnèrent de son prompt retour et le blâmèrent sans ménagement. Il était alors devenu la risée de tout le monde, car Al-Azhar était tenu en grande estime et l’étude dans son enceinte était perçue comme une énorme aubaine. Finalement, le Sheikh quitta Hamâh incognito et s’en retourna en Égypte.

En réalité, les apparences qu’un visiteur perçoit de prime abord sont trompeuses et ne reflètent en rien les mœurs de la société égyptienne, qui renferme encore beaucoup de bien ; on y trouve encore de nombreux savants et gens de piété. Après quelques mois, le regard du Sheikh sur la société égyptienne changea et l’aversion de naguère se transforma en amour pour l’Égypte et pour les Égyptiens. Le Sheikh fit la connaissance de nombreuses figures de piété et noua de solides liens d’amitié avec eux. Ces notables le surnommèrent "le Sheikh hamawi" et lui écrivaient des lettres lorsqu’il rentrait à Hamâh pour les vacances d’été.

En Égypte, il fit la connaissance de l’Imâm Hasan Al-Bannâ, avec qui il entretint une relation cordiale pleine d’estime mutuelle, et de Sheikh Muhammad Zâhid Al-Kawtharî qui, constatant sa forte sensibilité et son fort rejet des mœurs licencieuses, lui recommanda de ne pas trop fréquenter les gens. Il fit également connaissance avec Sheikh Mustafâ Al-Hamâmî, une figure de piété et un savant actif, qui eut un grand impact sur lui. Il lui réserva une forte admiration et lui rendit fréquemment visite.

On peut souligner que les gens qui ont le plus influencé le Sheikh étaient extérieurs à Al-Azhar. Son séjour à Al-Azhar ne lui profita pas tant au niveau des connaissances : à son examen d’entrée à Al-Azhar, on lui dit en effet qu’il avait déjà le niveau d’un savant et n’avait pas besoin d’étudier à Al-Azhar. Son séjour lui profita en revanche au plan de la méthode d’examen et d’analyse critique des problématiques. Cet impact méthodologique apparaît manifestement dans ses productions scientifiques et dans ses verdicts juridiques.

Établissement à Hamâh

En 1942, il revint s’installer dans sa ville natale, Hamâh. Ce fut la période la plus fructueuse et la plus éprouvante de sa vie. L’une des raisons qui motivèrent son retour au pays fut son désir de participer à la lutte contre la colonisation de la Syrie. Il avait dix ans lorsqu’il vit les colons français pénétrer sa ville et, depuis ce jour, il nourrissait l’espoir de les voir repartir. Il joignit ses efforts à ceux des autres résistants et consacra de nombreux discours pour éveiller la flamme de la liberté dans le cœur de ses concitoyens. Parmi ses paroles contre la colonisation : « Mes frères ! La France nous a pris à la légère et a violé tous les pactes. Elle n’a point honoré les traités. Dernièrement, elle nous demande d’accepter des choses qui visent à renforcer sa colonisation de ce pays et à écarter ses habitants. Il n’est plus possible de se taire... » On rapporte qu’il insistait pour donner le sermon du vendredi, malgré les raids aériens organisés par les forces françaises sur les mosquées. De même, la cause palestinienne fut au centre de sa pensée et de ses sermons. Lorsque le Président égyptien Jamâl ʿAbd An-Nâsir (Nasser) annonça la nationalisation du Canal du Suez en 1956, et que l’Égypte fut la cible de l’offensive tripartite de l’Angleterre, de la France et d’Israël, le Sheikh porta les armes et rejoignit les rangs de la résistance populaire.

Bibliographie

La production scientifique du Sheikh est venue enrichir la bibliothèque islamique par divers ouvrages dont une part seulement est imprimée. Parmi ces ouvrages imprimés, on peut citer :

  1. Nadharât fî Kitâb Ishtirâkiyyat Al-Islâm (Réflexions sur le livre intitulé « Le Socialisme de l’islam »)
  2. Rudûd ʿalâ Abâtîl (Réponses à des mensonges)

    Seul le premier volume de cet ouvrage fut imprimé. Il comprend de nombreux articles de longueur variable et diverses questions-réponses d’ordre juridique. Diverses questions polémiques, traitant du credo ou de la jurisprudence, y sont abordées dans un style clair et dense.

  3. Fî Tahrîm Nikâh Al-Mutʿah fî Al-Islâm (De l’Interdiction du mariage de jouissance en islam)
  4. Hukm Al-Islâm fî Al-Ghinâ’ (Verdict de l’islam concernant la chanson)
  5. Rahmat Al-Islâm Lin-Nisâ’ (La Miséricorde de l’islam envers les femmes)
  6. Âdam lam Yu’mar Bâtinan Bil-Akl min Ash-Shajarah (Adam n’a point été ordonné implicitement de manger de l’arbre)
  7. Al-Qawl fî Al-Muskirât wa Tahrîmihâ Min An-Nâhiyah Al-Fiqhiyyah (Des Intoxicants et de leur Interdiction du point de vue juridique)
  8. Hukm Al-Lihyah fî Al-Islâm (Statut du port de la barbe en islam)
  9. At-Tadâruk Al-Muʿtabar fî Baʿdi mâ fî Kitâb Al-Qadâ’ wal-Qadar (Amendements pertinents de certains passages du livre "Le Destin")
  10. Bidʿat Ziyâdat At-Tanwîrât fî Al-Masâjid Layâlî Ramadân wa Ghayrahâ (L’Innovation de l’augmentation de l’éclairage dans les mosquées les nuits de Ramadân entre autres)
  11. Luzûm Ittibâʿ Madhâhib Al-A’immah Hasman Lil-Fawdâ Ad-Dîniyyah (De l’Obligation de suivre les écoles de jurisprudence pour mettre fin à l’anarchie religieuse)
  12. Hukm Musâfahat Al-Mar’ah Al-Ajnabiyyah (Statut de la poignée de mains avec une femme étrangère)

Certains de ses ouvrages n’ont pas connu le chemin des imprimeries :

  1. Une collection de sermons,
  2. Les volumes II et III de son livre Rudûd ʿalâ Abâtîl,
  3. Des commentaires et des annotations sur le livre intitulé Al-Hadiyyah Al-ʿAlâ’iyyah, ouvrage resté inachevé,
  4. Des commentaires et des annotations sur le livre intitulé Tabyîn Al-Haqâ’iq Sharh Kanz Ad-Daqâ’iq d’Az-Zaylaʿî, ouvrage resté inachevé également.

Efforts sociaux

L’indépendance de la Syrie constitua un tournant critique pour la société syrienne. À ce moment précis, divers courants de pensée étaient en compétition. Il y avait dans cette arène certains courants soutenant le relâchement des mœurs au nom du progrès et défendant la promiscuité entre les hommes et les femmes au nom de la modernité, sans parler de conceptions visant à semer le doute vis-à-vis de la doctrine musulmane. En tant que prédicateur, Sheikh Muhammad Al-Hâmid estima que sa responsabilité première était d’animer la foi dans le cœur de ses concitoyens, et de renforcer les racines de l’Islam dans leurs cœurs afin de préserver leur identité et l’identité de son pays. Il fit de cette cause la mission de sa vie.

L’école et la mosquée constituèrent un champ idéal pour son effort social et éducatif. À son retour d’Égypte, il préféra l’enseignement à un poste de juge car il souhaitait transmettre le savoir que son cœur avait récolté pendant des années. Quant à la mosquée, ce fut son point de contact avec une large part de la société. Il s’appuya sur ses sermons pour vivre les soucis des siens et pour mêler credo, jurisprudence et spiritualité dans un équilibre visant à renforcer l’identité musulmane et à dissiper les doutes inspirés par les détracteurs de l’Islam.

Divers savants et prédicateurs se formèrent auprès de lui. Parmi ses disciples, on compte Sheikh Saʿîd Hawwâ, que Dieu lui fasse miséricorde, et Sheikh ʿAbd Al-Hamîd Tihmâz.

Citations

Nous rapportons ici quelques paroles de Sheikh Muhammad Al-Hâmid, notamment au sujet du soufisme et de son essence.

 « Nous respectons la recherche scientifique authentique. Nous révérons les conclusions qui en résultent, quelles qu’elles soient et de quelque source qu’elles proviennent. »
 « Le savoir est un Prince qui gouverne le soufisme. Il en écarte les innovations et les choses intruses qui peuvent s’accrocher à lui au fil du temps. »
 « Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - est une torche éclairante. Où qu’il aille, il illumine ; où qu’il se dirige, il rayonne. Sa parole est Loi. Ses actes sont Loi. Son approbation est Loi. »
 « Le vrai salafisme est en harmonie avec l’authentique soufisme. »
 « J’entends par soufisme l’Islam complet dans ses visées et dans ses objectifs. Les premiers soufis, et beaucoup parmi leurs successeurs, ont connu la droiture en suivant ce principe et sa méthodologie. Peu m’importe ceux qui ont faussement emprunté le nom du soufisme alors que leurs actes sont entachés de choses intruses et d’innovations. Ce n’est pas de ceux-là que je parle. »

Maladie et décès

Au cours des cinq dernières années de sa vie, le Sheikh eut à souffrir de diabète, qui était en réalité le résultat d’une faiblesse générale de son foie, et la manifestation d’une cirrhose du foie non diagnostiquée avant l’année de son décès. Le dernier épisode de sa vie fut donc traversé par sa lutte contre cette maladie incurable, ce qui ne l’empêcha nullement de poursuivre son combat éducatif et intellectuel.

Il se rendit au Liban pour subir une intervention chirurgicale dans l’espoir de stopper la progression de sa maladie. Tout au long de son hospitalisation, le Sheikh fit preuve d’une présence d’esprit remarquable. Là où un malade divaguerait sous l’emprise des drogues et autres produits anthalgiques, le Sheikh n’avait de paroles que l’invocation de Dieu et la récitation du Coran.

Bien que l’opération ait réussi, quelques jours plus tard, la santé du Sheikh se dégrada considérablement. Il fit alors ses adieux à cette vie, à laquelle il ne tenait qu’à mesure de sa capacité d’y être utile, et décida d’écourter son séjour à l’hôpital pour s’en retourner à sa ville natale, Hamâh, où il rendit sereinement l’âme à son Créateur, le 5 mai 1969.

Son décès fut annoncé par les médias au monde musulman ; une foule nombreuse de savants et de gens du commun se déplacèrent pour ses funérailles.

Que Dieu fasse miséricorde à Sheikh Muhammad Al-Hâmid. Il fut un soufi véridique, un éducateur accompli, et un savant raffiné.

P.-S.

Source : Alnoor1.org.

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