vendredi 6 mai 2005
La Mosquée Az-Zaytûnah rayonna de toute la lumière de son savoir sur l’ensemble des provinces islamiques, tout particulièrement sur les pays du Maghreb et l’Andalousie.
Les méthodes d’enseignement évoluées - comprenant les lettres, les sciences religieuses et le droit - par lesquelles se distingua la Mosquée firent d’elle une Université au sens scientifique du terme. Az-Zaytûnah joua un rôle important dans la diffusion des sciences islamiques et la préservation de l’identité musulmane, et eut à certaines époques, notamment parmi les plus difficiles de l’Histoire islamique, un rayonnement comparable à celui d’Al-Azhar au Moyen-Orient.
Les spécialistes sont unanimes pour affirmer que le rôle civilisationnel joué par la Mosquée Az-Zaytûnah ne se limita pas uniquement à la Tunisie mais se propagea jusqu’aux régions les plus reculées du monde arabo-musulman. Ils estiment également que le rôle joué par la Mosquée ne se limita pas seulement à inculquer les sciences religieuses d’un point de vue théorique, mais qu’il alla encore plus loin en préservant l’identité arabo-islamique à l’intérieur et à l’extérieur de la Tunisie.
La Mosquée Az-Zaytûnah diplôma une élite de nobles savants, de rénovateurs, de juristes érudits dont la célébrité parvint jusqu’aux horizons les plus lointains. On peut ainsi citer l’Imâm Ibn ʿArafah, l’Imâm Sahnûn, l’érudit ʿAbd Ar-Rahmân Ibn Khaldûn, le Sheikh Muhammad Ibn Mustafâ Bayram connu sous le surnom de Bayram Al-Khâmis, le Sheikh Ibrâhîm Ar-Riyâhî, le Sheikh Muhammad Al-Khidr Husayn, le Sheikh Mahmûd Qâbâdû, le Sheikh Sâlim Bûhâjib, le Sheikh ʿAbd Al-ʿAzîz Ath-Thaʿâlibî, l’érudit Muhammad At-Tâhir Ibn ʿÂshûr et son fils Muhammad Al-Fâdil, le grand poète tunisien Abû Al-Qâsim Ash-Shâbbî, et bien d’autres encore.
Et parce que cette Université se distingua par son rôle civilisationnel de premier plan, son rayonnement ne tarda pas à s’étendre hors des frontières de la Tunisie, et plus particulièrement jusqu’au Maghreb. Elle joua un rôle très important dans le processus de revivification de l’effort d’appréciation juridique ou ijtihâd. Son prestige séduisit ainsi un grand nombre d’étudiants afro-maghrébins : c’est ainsi dans cette Université que le grand rénovateur algérien, le Sheikh ʿAbd Al-Hamîd Ibn Bâdîs, décrocha son diplôme. Par ailleurs, les liens qui existaient entre l’Université Az-Zaytûnah et l’autre phare des sciences islamiques du Maghreb, la Mosquée Al-Qurawiyyûn au Maroc, demeurèrent très étroits.
L’un des diplômés de cette Université, le Sheikh Muhammad Al-Khidr Husayn, s’illustra par la suite au Machrek, en occupant le poste d’enseignant à Al-Azhar pendant vingt-cinq ans avant de devenir le Recteur et Grand Imâm d’Al-Azhar entre 1952 et 1954.
En guise de reconnaissance pour les mérites d’Az-Zaytûnah dans l’enracinement des valeurs et de l’identité du monde musulman, elle fut visitée par un grand nombre de savants et de rénovateurs qui y trouvèrent un véritable phare scientifique, religieux et juridique. Parmi ces nombreux savants et rénovateurs qui firent l’éloge du rôle accompli par cette institution religieuse et scientifique, on peut citer le Sheikh Muhammad ʿAbduh qui visita la Tunisie par deux fois, la première en 1884 et la seconde en 1903. Il montra ainsi le mérite d’Az-Zaytûnah dans la propagation des sciences religieuses et profanes.
À l’origine, la Mosquée était le centre de la vie politico-religieuse de la ville de Tunis. Mais ce rôle s’évanouit progressivement, laissant place à une mission bien plus importante, à savoir la diffusion des connaissances et des sciences. On ne sait précisément à quelle époque la Mosquée devint un lieu d’enseignement, pas plus qu’on ne connaît exactement l’histoire de l’organisation de cet enseignement. On ne dispose que d’indications approximatives. Néanmoins, il est plausible de penser que les cours ont commencé à être dispensés à partir du IIIe siècle de l’Hégire, soit au Xe siècle de l’ère chrétienne. Cette évolution du rôle de la Mosquée coïncida certainement avec le déclin de la Mosquée ʿUqbah Ibn Nâfiʿ à Kairouan, déclin ayant suivi l’attaque dont la ville de Kairouan a été l’objet de la part des tribus arabes de Riyâh, Banû Hilâl et Banû Salîm.
Les sciences commencèrent à s’organiser petit à petit, jusqu’à l’avènement de la dynastie hafside en 1206 E.C. À partir de cette date, l’enseignement zaytûnite prit un véritable essor et occupa une place prépondérante dans les activités de la Mosquée. La spécialisation des disciplines enseignées fit son apparition durant cette période. Cette politique d’enseignement officielle poursuivit son développement jusqu’à l’avènement de la dynastie husaynite, sous le règne de laquelle on assista à une diffusion générale des instituts scientifiques, à l’instar de la Sulaymâniyyah. Ce fut sous la dynastie husaynite de Tunisie que Abû Al-ʿAbbâs Ahmad Pasha Bey émit son célèbre décret d’organisation de l’enseignement.
C’était là un pas important dans la voie de la réforme, néanmoins jugé insuffisant par le célèbre réformateur et Premier Ministre tunisien de l’époque Khayr Ad-Dîn Pasha. Ce dernier décida de former une commission de grands savants dont la mission était de rédiger une loi explicite qui définirait clairement les fonctions de l’administration de la Mosquée, les statuts des enseignants et des étudiants, et qui ferait mention des disciplines à enseigner et des ouvrages à étudier. Cette loi parut le 26 décembre 1875.
L’enseignement était divisé en trois cycles. Le cycle primaire se déroulait à l’école coranique de la ville ou du village, où l’élève apprenait à lire et à écrire. Il devait également étudier un certain nombre d’ouvrages comme Al-Murshid Al-Muʿîn ou Alfiyyat Ibn Mâlik. Après avoir achevé l’apprentissage du Coran, et s’il est admis aux examens sanctionnant ce premier cycle, l’élève reçoit le diplôme de la ahliyyah, l’équivalent du certificat d’études primaires.
Ce diplôme ouvrait à l’élève les portes du cycle secondaire qui se déroulait sur deux périodes, une première étape de trois ans, puis une seconde étape de quatre ans. Pendant la première période, l’élève étudiait la grammaire, la jurisprudence, la logique, les principes de rhétorique, etc. Pendant la seconde période, il étudiait principalement les fondements de la jurisprudence, la rhétorique, la conjugaison, les mathématiques, etc.
S’il était reçu à l’issue des examens du cycle secondaire, l’élève obtenait le diplôme du tahsîl, et pouvait poursuivre ses études avec un troisième cycle, où étaient dispensés des matières telles que l’exégèse, le Hadith, les fondements de la jurisprudence, la rhétorique, la grammaire, la linguistique, la littérature et la théologie. Le diplôme final était celui de la ʿâliyah.
La forme de l’enseignement zaytûnite évolua constamment au cours de l’histoire de la Mosquée millénaire. À commencer par Abû Al-ʿAbbâs Ahmad Pasha Bey, mentionné plus haut, en passant par Khayr Ad-Dîn At-Tûnisî, les tentatives de réforme de l’enseignement ne cessèrent jamais. De nombreuses commissions furent formées à cette fin, et de nombreuses personnalités importantes de Tunisie, en général, et de la Zaytûnah, en particulier, participèrent à cet effort de réforme. Ce fut ainsi qu’en 1898, une commission présidée par le Sheikh Muhammad Al-ʿAzîz Bûʿutûr revendiqua la réorganisation des examens, l’introduction de nouvelles matières comme les mathématiques, l’histoire ou la géographie.
Tous les milieux culturels et toutes les élites intellectuelles, appuyés par la presse, participèrent au soutien des personnalités qui revendiquaient la réforme de l’enseignement. En 1945, le gouvernement désigna le célèbre érudit Sheikh At-Tâhir Ibn ʿÂshûr, connu pour ses idées réformatrices, à la tête de la Zaytûnah. Il avait alors un projet pour la Mosquée qu’il avait longuement détaillé dans son ouvrage : At-Taʿlîm Al-ʿArabî Al-Islâmî : Dirâsah Târîkhiyyah Wa-Ru’â Islâhiyyah (L’Enseignement arabo-musulman : Étude historique et visions réformatrices). Sheikh Ibn ʿÂshûr commença par créer des antennes zaytûnites à l’intérieur et à l’extérieur de la capitale tunisienne, à l’image des instituts azharites en Égypte. Le nombre de ces antennes passa ainsi de six en 1945 à vingt-cinq en 1947. Le Recteur Ibn ʿÂshûr institua également l’enseignement des matières scientifiques au sein de la Mosquée-Université, convoquant à cette tâche les anciens élèves de l’Université Al-Khaldûniyyah. Il envoya également une délégation d’étudiants tunisiens poursuivre leurs études dans les universités du Machrek, comme cela se fait de nos jours dans le cadre d’échanges inter-universitaires. Il faut néanmoins préciser que le parcours des réformes était semé d’embûches : entre les puissances colonialistes qui désiraient marginaliser et détruire l’enseignement zaytûnite et les forces conservatrices au sein de la Mosquée qui craignaient que les réformes ne dissolvent l’identité et la spécificité de la Zaytûnah.
La Mosquée Az-Zaytûnah est dotée d’une riche bibliothèque, patiemment constituée au fil des siècles. À son apogée, cette bibliothèque comptait jusqu’à deux cent mille documents. Plusieurs sultans tunisiens participèrent à cet enrichissement de la bibliothèque de la Mosquée : Abû Al-Fâris ʿAbd Al-ʿAzîz Al-Hafsî (XIIIe siècle), ʿUthmân Ibn Muhammad Al-Mansûr (XVe siècle), Muhammad Ibn Al-Hasan (XVe siècle) entre autres.
Cependant, au XVIe, lors de l’invasion espagnole des côtes tunisiennes, la Mosquée Az-Zaytûnah fut investie et sa bibliothèque pillée et saccagée. De nombreux livres rares furent piétinés ou brûlés. D’autres furent emportés en Espagne ou dans la bibliothèque personnelle du Pape. La Mosquée millénaire pleura cette dévastation jusqu’à l’avènement du souverain husaynite Abû Al-ʿAbbâs Ahmad Bey, qui lui redonna son prestige d’antan.
Le rôle historique joué par la Mosquée Az-Zaytûnah en Tunisie et en Afrique du Nord est indéniable. Elle fut en effet le bastion de la résistance contre le colonisateur français, et le symbole de l’identité nationale. Ce fut l’un de ses enfants, le militant et héros de la lutte nationale, Sheikh ʿAbd Al-ʿAzîz Ath-Thaʿâlibî qui créa, avec ses amis, le Parti Libéral Constitutionnel Tunisien, dont le but était de libérer la Tunisie et de lui donner une nouvelle Constitution. Sheikh Ath-Thaʿâlibî est par ailleurs l’auteur du célèbre livre La Tunisie martyre.
La jeunesse zaytûnite s’engagea dans toutes les formes de lutte, qu’elle soit politique, intellectuelle ou militaire. Nombre de jeunes gens s’enrôlèrent ainsi dans le mouvement de libération des fellaghas. Cet aspect de l’histoire de la Mosquée fut néanmoins largement occulté par l’historiographie officielle, et ce, malgré l’emprisonnement, la répression, la torture et l’exil de nombreux étudiants de la Zaytûnah ayant participé aux revendications d’indépendance.
En sus de ce rôle de lutte anti-colonialiste, la Mosquée Az-Zaytûnah a exclusivement le privilège d’avoir su préserver l’identité arabo-musulmane de la Tunisie. L’Émir Shakîb Arsalân écrit à cet effet : « Nous occulterions la vérité et la laisserions de côté si nous ne reconnaissons pas qu’au cours des derniers siècles, n’était-ce l’existence des Mosquées Al-Azhar, Omeyyade, Az-Zaytûnah et Al-Qurawiyyûn, la langue arabe aurait complètement disparu, et la Législation islamique avec. »
Depuis l’indépendance de la Tunisie et l’accession au pouvoir du Président Al-Habîb Bûruqaybah (Bourguiba), la Zaytûnah s’est vu progressivement retirer son rôle de formation de l’élite tunisienne, et ce, dans le cadre de la laïcisation et de la sécularisation de la société tunisienne. Malgré les efforts de résistance de la Zaytûnah, elle perdit son indépendance éducative et financière, en se voyant confisquer ses biens de mainmorte. Les biens de mainmorte, répandus dans tout le monde musulman, étaient des donations que les Tunisiens faisaient généreusement pour l’entretien et la pérennité de leur Mosquée, à laquelle ils étaient attachés par un lien affectif très fort. Cet attachement était tel que les fidèles payaient eux-mêmes le salaire de leur imam, qu’ils entretenaient de leurs propres deniers la Mosquée-Université, à commencer par la salle d’ablutions, jusqu’à la salle de prière. La Mosquée possédait également des terres, données elles aussi par les fidèles, lui permettant de nourrir et d’héberger les étudiants qui la fréquentaient.
Toutes ces donations furent donc confisquées par l’État tunisien, suscitant une très vive émotion de la population. Cette politique se poursuivit jusqu’en 1958, date à laquelle le sort de l’Université islamique d’Az-Zaytûnah fut définitivement scellé. L’Université, qui s’occupait de l’éducation de plusieurs générations d’étudiants, depuis le primaire jusqu’à l’enseignement supérieur, fut fermée, et remplacée par une Faculté de Droit musulman et de Fondements de la religion, rattachée à l’Éducation nationale et à l’Université de Tunis. Toutes les autres disciplines furent retirées, afin de décourager les étudiants de s’inscrire à la Zaytûnah. Commença ainsi une ère de décrépitude de la Mosquée millénaire pendant près de trois décennies.
En 1987, avec l’accession au pouvoir du Président Zayn Al-ʿÂbidîn Ibn ʿAlî, et dans un souci de redorer l’image islamique du gouvernement tunisien, ternie par trente ans de politique bourguibienne, la Mosquée Az-Zaytûnah rouvrit ses portes en tant qu’Université indépendante avec trois facultés distinctes : une Faculté de Fondements de la religion, une Faculté de Civilisation et une Faculté de Droit musulman. En 1992, et dans une initiative sans précédent dans le monde musulman contemporain, le Président tunisien a ordonné que le Coran soit récité 24 heures sur 24 dans la Mosquée millénaire, marquant ainsi une véritable rupture avec la lente agonie connue par la Mosquée à l’ère-Bûruqaybah.
Bien que cette volonté politique de préservation du patrimoine de la Zaytûnah soit louable, des inquiétudes pèsent dans la société tunisienne quant à l’instrumentalisation ostentatoire de ce symbole islamique de la Tunisie. Car force est de constater que malgré les réformes prises ces dernières années pour améliorer le sort de la Zaytûnah dans la forme, le fond n’est pas toujours ce que l’on pourrait espèrer. La Zaytûnah n’est pas actuellement une institution indépendante du pouvoir, bien qu’encensée par ce dernier. L’absence de dynamisme et de stimulation de l’esprit critique, qui la caractérisaient dans le passé, font d’elle actuellement une institution en sclérose intellectuelle. Cela est d’autant plus dommageable que la société tunisienne est de plus en plus pénétrée par des idées et des conceptions étrangères à l’Islam devant lesquelles le bastion historique de la Tunisie ne parvient plus à se dresser comme dans les siècles passés.
Sources : Aqlamonline.com, Ezzitouna.org et l’ouvrage de ʿAbd Allâh Najîb Sâlim, intitulé Manârât Al-Hudâ Fî Al-Ard (Les Phares de la guidance sur terre), disponible en ligne sur le site du Ministère koweïtien des Biens de mainmorte et des Affaires islamiques, Awkaf.net.
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