dimanche 12 décembre 2004
Les gens parlent beaucoup de la wasîlah, certains la déclarant licite tandis que d’autres la jugent illicite. Nous souhaiterions que vous précisiez son sens et son statut.
Le thème de la wasîlah [1] a suscité récemment de nombreuses divergences, notamment après la publication du livre d’Ibn Taymiyah inititulé Al-Wasîlah. Certains l’ont déclarée licite tandis que d’autres la déclarent illicite. Les deux parties se sont attachées de manière outrancière à leurs opinions respectives, alors que l’outrance mène au sectarisme, cela, si elle n’est pas elle-même le sectarisme. Cette attitude a des conséquences fâcheuses, le déchirement des musulmans dans le meilleur des cas et, au pire, l’excommunication réciproque souvent traduite, sur le terrain concret, par des actes de violence.
Le sectarisme des deux partis les a poussés à amasser de manière excessive les preuves soutenant leurs points de vue respectifs - fussent-elles rapportées selon de faibles chaînes de narration -, à interpréter à outrance les narrations authentiques afin qu’elles correspondent à leur opinion, ne serait-ce que vaguement, et à s’appuyer sur les agissements de certaines grandes personnalités quand bien même cela ne serait pas recevable en matière de législation. Or, cette situation ne peut être approuvée par la religion qui appelle à l’union des rangs, à la modération, à l’exclusion du fanatisme et de l’outrance.
Il est des textes sans équivoque dont l’authenticité est certaine et le sens manifeste, et il est des fondements indiscutables constituant les caractéristiques essentielles de la religion. On doit s’y référer dans tous les différends afin de rapprocher les points de vue et atténuer la virulence du sectarisme. Le Très-Haut dit en effet : « C’est Lui Qui a fait descendre sur toi le Livre : il s’y trouve des versets sans équivoque, qui sont la matrice du Livre, et d’autres versets équivoques. Les gens, donc, qui ont au cœur une inclination vers l’égarement, mettent l’accent sur les versets équivoques cherchant la dissension en essayant de leur trouver une interprétation, alors que nul n’en connaît l’interprétation, à part Allâh. Mais ceux qui sont bien enracinés dans la science disent : "Nous y croyons : tout est de la part de notre Seigneur !" Mais, seuls les doués d’intelligence s’en rappellent. » [2]
À l’instar des Khârijites [3], les outranciers qui réprouvent le tawassul se servent de versets révélés au sujet des infidèles et les appliquent à l’individu musulman ayant agréé Allâh comme Seigneur, l’islam comme religion et Muhammad - paix et bénédictions sur lui - comme Messager. Ils jettent ainsi l’anathème sur de nombreux musulmans en s’appuyant sur des textes révélés à propos des mécréants. Al-Bukhârî rapporte que ʿAbd Allâh Ibn ʿUmar - qu’Allâh l’agrée - disait : « Les pires créatures d’Allâh sont les Khârijites : ils se servent de versets révélés au sujet des infidèles et les appliquent aux musulmans. » ʿAbd Allâh Ibn ʿAbbâs - qu’Allâh l’agrée - tenait des propos similaires. Les détracteurs du tawassul se servent par exemple de la Parole d’Allâh - Exalté soit-Il - citant les propos des mécréants : « Nous ne les adorons que pour qu’ils nous rapprochent davantage d’Allâh » pour affirmer que celui qui supplie Allâh par l’entremise d’un individu est coupable de polythéisme, alors qu’en réalité le supplicateur n’adore pas l’entremetteur.
De l’autre côté, les outranciers en matière de tawassul exagèrent leur amour pour les hommes de piété, au point de leur donner un rang qu’ils ne méritent pas, en leur attribuant par exemple un pouvoir de gérance de l’univers, bien qu’admettant que tout cela n’a lieu que par la Volonté d’Allâh - Exalté soit-Il ; la croyance en l’élévation de leur rang a ainsi failli leur faire oublier leur Seigneur. Or, le Messager - paix et bénédictions sur lui - mit en garde contre l’excès d’amour à son égard, alors que son amour figure parmi les premiers devoirs du croyant, conformément au hadîth : « Trois choses, quiconque les possède goûtera à la douceur de la foi : le fait qu’Allâh et Son Messager lui soient plus chers que quiconque, le fait qu’il aime autrui pour l’amour d’Allâh uniquement, le fait qu’il déteste de revenir à la dénégation comme il détesterait qu’on le jette dans le feu. » Puis, il dit : « Ne m’encensez pas comme les chrétiens ont encensé le Christ, fils de Marie. Dîtes simplement que je suis le Serviteur et le Messager d’Allâh. »
La ligne médiane à laquelle nous devons tous nous arrêter et sur laquelle nous devons nous retrouver dans l’amour fraternel est la suivante :
Une autre forme que prend cet honneur qu’Allâh réserve à une élite parmi ses Serviteurs est l’acceptation, par Sa Permission, de l’intercession en faveur de tiers : « Qui peut intercéder auprès de Lui sans Sa Permission ? » [6] ; « Et ils n’intercèdent qu’en faveur de ceux qu’Il a agréés » [7] ; « L’intercession auprès de Lui ne profite qu’à celui en faveur duquel Il la permet. » [8]
L’honneur peut également consister à ne pas châtier ceux qui le méritent, eu égard à la présence parmi eux de gens aimés d’Allâh, comme dans la Parole du Très-Haut : « Ce n’est pas Allâh qui les ira les châtier, alors que tu es parmi eux. » [9]
La connaissance des styles explicites et implicites dans la langue arabe est utile dans ce domaine. Par exemple, si quelqu’un dit : “C’est la pluie qui fait pousser les plantes”, en attribuant littéralement la capacité de faire pousser les plantes à la pluie, sans intervention du Pouvoir et de la Volonté d’Allâh, alors un tel propos relève de l’hérésie. Mais si cette personne croit que les plantes poussent par le Pouvoir d’Allâh et que la pluie n’est qu’une cause à la croissance des plantes, alors nul reproche ne peut lui être adressé et il n’est point permis de jeter l’anathème sur cette personne. Notons à ce titre que l’usage des métaphores et du style implicite est très fréquent chez les Arabes et qu’il existe dans le Noble Coran et dans la Tradition prophétique.
La signification de la wasîlah et du tawassul
On peut lire dans Mukhtâr As-Sihâh [14] que le terme wasîlah désigne le moyen par lequel on se rapproche d’autrui ; il admet comme pluriel wasîl et wasâ’il. Le tawassul est un singulier ; on dit d’un individu « wassala fulânun ilâ rabbihî wasîlah » ou « tawassala ilayhi bi-wasîlah », signifiant qu’il se rapproche d’Allâh à travers une œuvre pie.
On peut lire également dans Al-Qâmûs Al-Muhît [15] que le terme wasîlah désigne un rang auprès du roi. On dit d’un individu « tawassala ilallâhi taʿâlâ » lorsqu’il accomplit une œuvre pie afin de se rapprocher d’Allâh.
Le terme wasîlah figure dans le Coran à deux endroits. Le premier est celui du verset : « Ô les croyants ! Craignez Allâh, cherchez le moyen de vous rapprocher (al-wasîlah) de Lui » [16]. Le second, celui du verset : « Ceux qu’ils invoquent cherchent eux-mêmes, à qui mieux, le moyen de se rapprocher (al-wasîlah) le plus de leur Seigneur. » [17] Le terme figure également dans la Sunnah, dans cette parole du Prophète - paix et bénédictions sur lui : « Si vous entendez le muezzin, répétez ce qu’il dit, puis priez pour moi car quiconque prie pour moi, Allâh priera pour lui dix fois. Ensuite, demandez à Allâh de m’accorder la wasîlah, qui est un rang au Paradis auquel un unique Serviteur d’Allâh accèdera. Et j’espère que ce sera moi - car celui qui demandera pour moi la wasîlah aura mérité mon intercession. »
Pour ce qui est de son sens dans le hadîth, cela est évident puisque le Prophète l’a clarifié. Mais dans les deux versets, la signification de ce terme varie entre deux acceptions. La première est qu’il s’agit de l’œuvre pie grâce à laquelle l’individu atteint son objectif, le meilleur objectif aux yeux du croyant étant l’Agrément d’Allâh - Exalté soit-Il. La seconde est qu’il du statut ou du rang que l’on atteint grâce à l’œuvre pie.
Al-Qurtubî commente le premier verset en disant : "La wasîlah est un terme construit selon le schème faʿîlah et dérivé de « tawassaltu ilayh », c’est-à-dire « je me suis rapproché de lui ». ʿAntarah [18] dit :
Innar-rijâla lahum ilayki wasîlatun ay-ya’khudhûki takahhalî wa-takhaddabî
Traduction :
Les hommes cherchent le moyen de se rapprocher de toi pour t’emmener, mets-toi donc du khôl et fais-toi belle.
Ainsi la wasîlah désigne-t-elle l’œuvre pie, comme l’affirmèrent Al-Hasan, Mujâhid, Qatâdah, ʿAtâ’, As-Suddî et d’autres." Al-Qurtubî commente le second verset en disant que dans ce verset, "on demande la proximité d’Allâh et on L’impore pour obtenir le paradis qui n’est autre que la wasîlah. Ainsi, la wasîlah désigne la fin visée par l’œuvre pie".
Dans An-Nihâyah, après voir cité le hadîth précédent, Ibn Al-Athîr mentionne ces trois significations : « La wasîlah, au sens premier du terme, désigne le moyen permettant de parvenir à une chose ou de se rapprocher d’elle. Dans le hadîth, il signifie la proximité d’Allâh - Exalté soit-Il. On dit également qu’il s’agit de l’intercession le jour de la résurrection, ou encore l’un des rangs du paradis, comme dans le hadîth. »
Ainsi voit-on que la wasîlah peut désigner la voie menant à une fin, ou la fin elle-même, sans spécification de cette dernière, ou dans un sens spécifique qui est celui d’un rang dans le paradis. Il n’y a acune divergence entre les musulmans sur cette désignation. La divergence concerne le premier sens, lorsqu’il s’agit de désigner la voie ou la manière par laquelle l’individu atteint l’Agrément d’Allâh - Exalté soit-Il. Quoiqu’il en soit, nul doute que cette voie se fonde, dans l’ensemble, sur deux choses : premièrement, la foi ; deuxièmement, la piété ou les œuvres pies. Le Très-Haut dit en effet : « Ceux qui croient et font de bonnes œuvres auront pour résidence les Jardins du Paradis » [19] ; « Quiconque, mâle ou femelle, fait une bonne œuvre tout en étant croyant, Nous lui ferons vivre une bonne vie. Et Nous les récompenserons certes, en fonction des meilleures de leurs actions. » [20] La divergence tourne autour de certains termes ou de certaines phrases concernant la foi et la piété, dont voici les plus importants.
Il ne fait aucun doute que le Messager d’Allâh - paix et bénédictions sur lui - est la voie qui nous conduit vers Allâh, dans la mesure où il est notre maître et notre guide ; l’obéissance et l’amour qui lui sont dus sont fondés sur l’amour que ressent le Serviteur envers Allâh : « Dis : "Si vous aimez vraiment Allâh, alors suivez-moi, Allâh vous aimera et vous pardonnera vos péchés. » [21] ; « Quiconque obéit au Messager aura obéi à Allâh » [22]. De même, les invocations du Prophète en notre faveur font partie des moyens qui nous rapprochent d’Allâh, tout comme son intercession globale le Jour de la Résurrection, ou son intercession particulière en faveur de certains membres de sa communauté, ceux qui demandent que la wasîlah lui soit accordée à l’issue de l’appel à la prière, comme cela est mentionné dans le hadith précédent rapporté par Muslim. Aucun musulman ne diverge à ce sujet.
La divergence naît à propos de la parole de certaines personnes : « Ô Allâh, je T’implore par l’entremise de Ton Prophète de me pardonner » ou « Je demande son intercession en ma faveur auprès de Toi ». De telles paroles admettent deux interprétations.
Premièrement, l’invocation par l’entremise du Prophète - paix et bénédictions sur lui - afin qu’il fasse des invocations en faveur du demandeur. Nul ne doute que cela est licite notamment de son vivant. Les Compagnons lui demandaient en effet de faire des invocations en leur faveur, ce qu’il faisait et était exaucé. Al-Bukhârî rapporta selon Anas qu’un homme vint voir le Prophète - paix et bénédictions sur lui - pendant qu’il prononçait le sermon du vendredi du haut de sa chaire et lui dit : « Ô Messager d’Allâh ! Les biens ont péri et les enfants ont faim. Invoque donc Allâh en notre faveur. » Sur ce, le Prophète fit des invocations suite auxquelles il plut pendant une semaine. Le bédouin lui dit alors : « Les constructions se sont écroulées et les biens se sont noyés. Invoque donc Allâh en notre faveur. » Le Prophète fit alors l’invocation : « Ô Allâh, que la pluie soit autour de nous et non sur nous. », ce sur quoi les nuages s’éloignèrent. Al-Bukhârî rapporta, toujours selon Anas, que ʿUmar Ibn Al-Khattâb avait pour habitude, lorsque la sécheresse s’installait, de demander la pluie par l’entremise d’Al-ʿAbbâs disant : « Ô Allâh, nous avions pour habitude, lorsque nous étions frappés de sécheresse, de T’invoquer par l’entremise de notre Prophète et Tu étanchais notre soif. Maintenant nous T’invoquons par l’entremise de l’oncle de notre Prophète, étanche donc notre soif. », et c’était chose faite. Al-ʿAbbâs faisait des invocations, tandis que les autres disaient "âmîn", suite à quoi il pleuvait.
Deuxièmement, l’invocation par l’entremise de la personne du Prophète - paix et bénédictions sur lui - c’est-à-dire que le demandeur s’adresse à son Seigneur L’implorant de l’exaucer par générosité envers le Prophète et en vertu du rang dont celui-ci jouit auprès de Lui. En cela, le Prophète est semblable aux autres prophètes. Le demandeur dirait : « Ô Allâh ! Je T’implore par Ton Prophète, ou par le rang de Ton Prophète, de me pardonner. » Cette phrase admet deux interprétations.
Certains rejettèrent cette pratique arguant que le rang en lui-même ne donne pas le droit à l’intercession. En tête de ce groupe figure Ibn Taymiyah qui dédia une épître à ce sujet où il tenta de récuser les narrations des compagnons qui appuient sa licéité, soit en mettant en doute l’authenticité de leur chaîne de narrateurs, soit en attribuant cela aux compagnons seulement, soit en l’attribuant à des gens dont les actes et la parole n’ont pas valeur d’argument, soit en ayant recours à l’interprétation, c’est-à-dire en ramenant les récits authentiques à un tawassul par les invocations du Prophète ou par les invocations de quelqu’un d’autre, concernant par exemple la demande de pluie faite par ʿUmar par l’entremise des invocations d’Al-ʿAbbâs, ou encore dans le hadîth de l’aveugle, comme nous le verrons plus loin, ou concernant le tawassul fait par les hommes, le jour de la résurrection, par l’entremise des prophètes, afin qu’ils intercèdent en leur faveur auprès d’Allâh c’est-à-dire qu’ils invoquent Allâh en leur faveur, et que le Prophète - paix et bénédictions sur lui - invoquera son Seigneur après avoir relevé sa tête d’une prosternation sous le Trône ; son Seigneur lui dira alors : « Lève la tête et demande, tu seras exaucé. Intercède, ton intercession sera agréée. » Il dira alors : « Ma communauté, Seigneur ! »
D’autres jugèrent cette pratique correcte, dont Al-ʿIzz Ibn ʿAbd As-Salâm qui déclara dans ses Fatâwâ : « Il n’est pas permis de faire le tawassul auprès d’Allâh par l’entremise de l’une de ses créatures, excepté le Messager - paix et bénédictions sur lui - sous réserve que le hadîth de l’aveugle soit authentique. » Ces savants s’appuyèrent sur les narrations relatives à ce sujet dont :
On rapporta également que ʿUthmân Ibn Hunayf recommanda à un homme de dire cette prière, si bien que ʿUthmân Ibn ʿAffân s’occupa de son besoin. [24] Les opposants à cet avis objectèrent que la guérison n’est pas due à cette invocation, elle serait plutôt due au tawassul moyennant l’invocation du Prophète et son intercession, et que si d’autres aveugles usaient du même tawassul moyennant les invocations du Prophète - paix et bénédictions sur lui - en implorant par son entremise, cela ne changerait rien à leur condition. On répondit à cette objection que rien ne s’oppose à ce que la guérison soit due à l’invocation de l’aveugle à son Seigneur moyennant l’intercession du Prophète. C’est la raison pour laquelle il dit :« Ô Allâh, fais-le intercéder en ma faveur ». L’aveugle était sincère et recueilli dans son invocation tant et si bien qu’Allâh l’exauça. Si d’autres personnes étaient sincères et recueillies dans leurs invocations, rien ne s’opposerait à l’exaucement. Et puisque la question admet des possibilités, l’interdiction ne s’impose en aucune façon.
Certains savants assimilèrent cette pratique au tawassul par la personne du Prophète ou des prophètes en général, ou par le rang dont ils jouissent auprès d’Allâh, auquel cas les propos tenus précédemment restent d’actualité.
Un groupe de savants, comme Ibn Taymiyah et ses disciples, condamnèrent cette pratique, et avant eux Abû Hanîfah et ses compagnons qui sont d’avis que : on ne Le prie pas par une créature. On s’interdit alors de dire : « Je Te demande par le droit des Tes prophètes ». Al-Qaddûrî dit dans Sharh Al-Karkhî dans le chapitre des choses détestables (al-karâhah) : « Il ne convient point d’invoquer Allâh sauf par Lui et je déteste qu’on dise : "par le siège de la Puissance dans Ton Trône" ou "par le droit de Ta création" » Or ceci est la parole d’Abû Yûsuf, lequel dit : « "Le siège de la Puissance dans Ton Trône" correspond à Allâh ; je ne déteste point cette formulation. Je déteste plutôt qu’on dise : "par le droit d’untel" ou "par le droit de Tes prophètes et envoyés" ou "par le droit de la Maison Sacrée ou du Sanctuaire". » Al-Qaddûrî dit qu’il n’est pas permis de L’implorer par Ses créatures, car la créature n’a aucun droit sur le Créateur, cela n’est donc pas permis en définitive.
Ibn Taymiyah commenta cela dans son épître disant en substance : l’opinion d’Abû Hanîfah et ses compagnons, selon laquelle il n’est pas permis d’invoquer Allâh moyennant l’une de Ses créatures, admet deux interprétations : Premièrement, qu’il est interdit d’adjurer une créature par une autre créature, et a fortiori d’adjurer le Créateur par une créature, sachant qu’il est illicite selon la majorité de prêter serment sur les créatures - ceci correspond à l’opinion d’Abû Hanîfah, l’une des deux opinions d’Ash-Shâfiʿî et Ahmad et fait l’unanimité des compagnons d’après certains rapports. Deuxièmement, cela est détestable (makrûh karâhat tanzîh). La première opinion est la plus juste car jurer par autre qu’Allâh relève de l’associationnisme.
Pour ce qui est de jurer par les Prophètes, on rapporta deux opinions d’après Ahmad, que le serment ainsi formulé ne tient pas, ce qui correspond à l’opinion de la majorité, à savoir Mâlik, Abû Hanîfah et Ash-Shâfiʿî ; la seconde étant que le serment tient, opinion retenue par nombre de ses compagnons dont Al-Qâdî et ses disciples.
À ceux qui affirmèrent que l’Imâm Mâlik autorisa le tawassul moyennant les Prophètes, c’est-à-dire invoquer Allâh par leur entremise, Ibn Taymiyah répondit que la réponse de Mâlik à Abû Jaʿfar Al-Mansûr - qui lui avait demandé : “Est-ce que je m’oriente vers la qiblah en formulant mes invocations ou bien vers le Messager d’Allâh ?” - : “Pourquoi détournerais-tu ta face de lui, alors qu’il est ta voie (wasîlah) et la voie de ton père Adam - paix sur lui - vers Allâh le jour de la résurrection ? Au contraire, oriente-toi vers lui et demande son intercession afin qu’Allâh agrée ta requête d’intercession. Le Très-Haut dit : « Si, lorsqu’ils ont fait du tort à leurs propres personnes ils venaient à toi en implorant le pardon d’Allah et si le Messager demandait le pardon pour eux, ils trouveraient, certes, Allah, Très Accueillant au repentir, Miséricordieux. » [25]” présente une chaîne de transmission interrompue. Ibn Taymiyah détailla les points de faiblesse de cette narration arguant que lorsque Mâlik et d’autres disaient de s’orienter vers le Messager, cela revenait à s’orienter vers la qiblah pendant les invocations.
Or, cette narration fut citée dans Shawâhid Al-Haqq fil-Istighâthah bi-Sayyid Al-Khalq (Les preuves véridiques quant à l’appel au secours du Seigneur des Hommes) d’An-Nabahânî. Al-Qâdî ʿIyâd la cita dans Ash-Shifâ’ (La Guérison) selon une chaîne de transmission authentique, dont les maillons sont fiables (thiqât), et exempte de tout fabricateur ou menteur. De même, Ibn Hajar dit dans Al-Jawhar Al-Munadhdham (Les Joyaux Ordonnés) : « Cela fut transmis de l’Imâm Mâlik selon une chaîne de transmission authentique ne souffrant d’aucune faille. » Az-Zurqânî dit dans Sharh Al-Mawâhib Al-Laduniyyah (Commentaire des Dons Divins) : « Cela fut rapporté par Ibn Fihr selon une bonne chaîne de transmission. » Elle fut également rapportée par As-Subkî dans Shifâ’ As-Siqâm fî Ziyârat Khayr Al-Anâm (La Guérison des Maux dans la Visite du Meilleur Homme) et par As-Samhûdî dans Khulâsat Al-Wafâ (Synthèse de la Loyauté). An-Nabahânî expliqua tout cela dans son livre Shawâhid Al-Haqq, page 187. Cette narration fut également rapportée dans Al-Mughnî d’Ibn Qudâmâ, volume 3, page 590.
Un autre groupe de savants ne condamnent pas le tawassul par le droit du Prophète ou celui des Prophètes, puisqu’ils ont un droit sur Allâh, tout comme les autres gens ont des droits sur Allâh - Gloire à Lui. Le Très-Haut dit : « et c’était Notre devoir de secourir les croyants » [26] et Il dit : « Votre Seigneur S’est prescrit à Lui-même la miséricorde. Et quiconque d’entre vous a fait un mal par ignorance, et ensuite s’est repenti et s’est réformé... Il est, alors, Pardonneur et Miséricordieux » [27]. De même, dans le hadîth figurant dans les deux Sahîh, le Prophète - paix et bénédictions sur lui - dit : « Ô Muʿâdh, connais-tu le droit d’Allâh sur Ses serviteurs ? » Il répondit : « Allâh et Son Messager le savent mieux. » Le Prophète poursuivit : « Son droit sur eux consiste à ce qu’ils L’adorent sans rien Lui associer. Et sais-tu quels sont les droits des serviteurs sur Allâh s’ils font cela ? Leur droit consiste à ce qu’Il ne les tourmente point ! »
Ce droit englobe tous les serviteurs, y compris les Prophètes et les Messagers. Il est comparable à leur prestige ou à leur rang, et l’on peut faire le tawassul par ce biais. Parmi les arguments qui appuient cette opinion, il y a ce qui suit :
. Ce hadîth fut également rapporté par Al-Hâkim qui le déclara authentique et par At-Tabarânî qui y ajouta : « et il sera le dernier Prophète parmi tes descendants. ». Tantôt l’attribution de ce hadîth remonte au Prophète et tantôt elle s’arrête au niveau de ʿOmar. Les objecteurs répondirent que l’authentification de ce hadîth fait partie des choses que l’on reprocha à Al-Hâkim.
Les objecteurs au tawassul par le droit du Prophète et celui des prophètes disent : « Il est vrai que le droit des prophètes sur Allâh ne fait aucun doute, mais il signifie l’élévation du rang et l’acceptation des intercessions et des invocations par Sa volonté, comme dans la Parole du Très-Haut : « Qui peut intercéder auprès de Lui sans Sa permission ? » [28] Mais affirmer que ce droit en soi implique l’exaucement des prières de quiconque en use pour implorer Allâh, cela reste discutable. » À cela on peut répondre que cette interprétation du droit des Prophètes est arbitraire et ne s’appuie sur aucune preuve. Qu’est-ce qui s’oppose à ce que leur personne ou leur présence soient un moyen de réaliser le bien comme dans la Parole du Très-Haut : « Allâh n’est point tel qu’Il les châtierait, alors que tu es parmi eux. », tout comme la présence d’Al-ʿAbbâs en soi lors de la demande de la pluie eut pour effet d’obtenir la miséricorde d’Allâh en faveur de Ses serviteurs, car le rang de ʿOmar n’est pas moins élévé que celui d’Al-ʿAbbâs pour ce qui est de l’exaucement des invocations, si le tawassul par son entremise signifiait uniquement le tawassul par ses invocations.
Si le tawassul auprès d’Allâh moyennant les hommes pieux consiste à leur demander de prier pour soi, alors rien ne s’y oppose. Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - a en effet demandé à ʿOmar - qu’Allâh l’agrée - de ne pas l’oublier dans ses invocations lorsque ce dernier lui demanda l’autorisation d’accomplir la ʿUmrah. De même, il demanda à Uways Al-Qaranî de demander le pardon pour lui, tout comme il ordonna à sa communauté de prier pour qu’il obtienne le rang de la wasîlah à l’issue de l’appel à la prière, comme nous l’avons mentionné précédemment dans le hadith rapporté par Muslim.
Lorsque le tawassul se fait par le biais de leurs personnes ou de leur prestige, si cela est une forme de serment alors cela n’est pas permis, car les serviteurs ne sont pas autorisés à prêter serment par autre qu’Allâh - avec un point de divergence mentionné précédemment concernant les prophètes. S’il ne s’agit pas d’un serment, alors les deux avis concernant les Prophètes s’appliquent à cette question. Certains établirent cette pratique et l’appuyèrent par le tawassul effectué par ʿOmar par l’entremise d’Al-ʿAbbâs pour obtenir la pluie, et aussi par le tawassul de Muʿâwiyah et ses compagnons par Yazîd Ibn Al-Aswad Al-Jarshî, mais aussi par le hadîth susmentionné à propos de la sortie à la mosquée « Ô Allâh, je T’implore par le droit de ceux qui T’implorent... » et le fait qu’il n’existe aucun texte interdisant cette forme de tawassul. D’autres désavouèrent le tawassul moyennant les personnes, tantôt en critiquant la chaîne de transmission des textes qui fondent cette pratique, et tantôt en interprétant leur sens comme étant un tawassul moyennant leurs invocations, arguant que certains serviteurs jouissent d’un tel rang auprès d’Allâh que leurs invocations sont exaucées. On rapporta dans les deux Sahîh que le Prophète - paix et bénédictions sur lui - dit : « Il est parmi les serviteurs d’Allâh certains qui s’ils L’adjurent Il les exauce ». Dans le Sahîh de Muslim, cela concerne Uways Al-Qaranî. Il y a aussi parmi ces gens Al-Barrâ’ Ibn Mâlik lorsque le combat atteignit son summum entre les musulmans et les mécréants. On lui dit : « Ô Barrâ’, adjure ton Seigneur ! » Il dit alors : « Seigneur ! Je T’adjure de les soumettre à nous et de faire de moi le premier martyr ! » Allâh l’exauça : l’ennemi fut défait et Al-Barrâ’ tomba en martyr.
Le tawassul mentionné ci-dessus concerne les hommes de leur vivant. En ce qui concerne les morts, on distingue deux catégories : ceux qui sont vivants dans leur tombe, et ceux qui ne le sont pas.
Parmi ceux qui sont vivants dans leur tombe, il y a les prophètes - comme nous le verrons ultérieurement. Le tawassul par leur biais a le même statut que le tawassul par leur biais avant leur enterrement.
Certains l’autorisèrent sur la base du récit rapporté par Al-Bayhaqî dans Dalâ’il An-Nubuwwah : « Une sécheresse frappa les musulmans sous le califat de ʿOmar. Un homme se rendit alors auprès de la tombe du Prophète - paix et bénédictions sur lui - et dit : “Ô Messager d’Allâh ! Demande à Allâh d’étancher la soif de ta communauté, car les gens ont péri !” Il vit alors le Messager en rêve lui disant : “Rends toi auprès de ʿOmar, transmets lui le salâm, et dis lui qu’ils seront abreuvés et dis lui de s’appliquer.” L’homme alla voir ʿOmar et lui transmis le message, ce sur quoi ʿOmar pleura et dit : “Seigneur ! Je ne suis point négligent, sauf quand cela est au-dessus de mes forces.” »
Certains s’y opposèrent, dont Ibn Taymiyah qui dit : Si cela était autorisé, ʿOmar n’aurait point eu recours à Al-ʿAbbâs, il pouvait en effet faire le tawassul par l’entremise du Prophète après sa mort. À cela on répondit que ʿOmar procéda de la sorte pour montrer qu’il est permis de prier pour obtenir la pluie moyennant une autre personne que le Prophète - paix et bénédictions sur lui - car certains pourraient croire qu’il n’est pas permis de le faire moyennant une autre personne que le Prophète - paix et bénédictions sur lui. Si ʿOmar avait demandé la pluie par l’entremise du Prophète, certains auraient compris qu’il n’est point licite de demander la pluie par l’entremise d’un autre individu que lui. Sans compter que la personne moyennant laquelle on demande la pluie doit être au même endroit que les gens. Or, ils étaient rassemblés loin de la mosquée prophétique.
En ce qui concerne les gens qui ne sont pas vivants dans leur tombe, cela n’a pas de sens de leur demander de prier pour soi. Le tawassul moyennant leur personne et leur prestige a le même statut que le tawassul moyennant la personne et le prestige des prophètes, et Allâh connaît mieux les honneurs qu’Il leur réserve et Il est le seul à pouvoir les juger, quant à nous, nous ne pouvons que les juger de leur vivant sur leurs œuvres apparentes.
Si le tawassul est fait par le biais de l’amour qu’on leur porte et l’imitation de leur noble comportement, cela revient à ce que l’individu fasse le tawassul moyennant ses œuvres pies, chose dont la légitimité n’est point contestée, à l’instar des réfugiés de la grotte qui se retrouvèrent enfermés par un rocher, ils prièrent Allâh moyennant leurs œuvres pies et furent ainsi libérés.
Enfin, on interrogea Sheikh Mohammad Ibn ʿAbd Al-Wahhâb sur le verdict (de son groupe) au sujet de l’istisqâ’ (la demande de la pluie), à savoir qu’il n’y a pas de mal à faire le tawassul moyennant les gens pieux, et concernant la parole d’Ahmad limitant le tawassul à la personne du Prophète - paix et bénédictions sur lui - uniquement, compte tenu de leur opinion interdisant d’appeler au secours toute créature, il répondit : « La différence est très claire et cela n’a rien à voir avec notre situation actuelle. Le fait que certains autorisent le tawassul par les gens pieux, alors que d’autres limitent cela au Prophète - paix et bénédictions sur lui - et que la plupart des savants l’interdisent et le détestent, il s’agit là d’une question de fiqh. Bien que nous considérions que la majorité a raison de détester cela, nous ne blâmons pas celui qui agit ainsi car le blâme n’a pas sa place dans les questions d’ijtihâd. Nos blâmes s’adressent à celui qui invoque la créature avec plus d’insistance qu’il n’invoque Allâh - Exalté soit-Il - et qui se rend auprès d’une tombe et fait des supplications auprès du tombeau du Sheikh ʿAbd Al-Qâdir ou d’autres implorant la levée des difficultés et le secours des désespérés et la réalisation des vœux. Cela n’a rien à voir avec celui qui invoque Allâh, lui vouant un culte sincère, et n’invoque personne avec Allâh et dit : “Ô Allâh je T’implore par Ton Prophète, ou par Tes prophètes, ou par Tes serviteurs pieux”, ou qu’il se rende auprès d’une tombe connue ou auprès d’une autre tombe et formule des invocations à sa proximité, en n’y invoquant qu’Allâh tout en lui vouant un culte sincère. Cela n’a rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui. » Cet extrait provient des Fatâwâ de Sheikh Mohammad Ibn ʿAbd Al-Wahhâb, dans la collection des Mu’allafât, 3ème partie, page 68, publiée par l’Université Islamique de l’Imâm Mohammad Ibn Suʿûd, pendant la semaine du Sheikh Mohammad Ibn ʿAbd Al-Wahhâb.
Telle est la fatwa d’Ibn ʿAbd Al-Wahhâb et tels sont les propos d’Ibn Taymiyah dans son attaque contre le tawassul. Si nous nous référons aux principes posés en préambule, nous serons en mesure de nous retrouver autour des vérités susmentionnées, sous réserve que soit réunie la bonne intention de la part de ceux qui légitiment le tawassul et de la part de ceux qui s’y opposent. Allâh dit la vérité et guide vers le droit chemin. Le lecteur désirant avoir de plus amples détails peut se référer au livre Bayânun lin-Nâs min Al-Azhar Ash-Sharîf, volume 2.
Traduit de l’arabe du site islamonline.net. La version originale est consultable sur archive.org.
[1] En substance, le terme tawassul désigne le fait d’emprunter et de mettre en avant une wasîlah - un chemin ou un moyen - susceptible de rendre les invocations plus recevables auprès d’Allâh à Qui on s’adresse et vers Qui on se dirige.
[2] Sourate 3, Âl ʿImrân, La Famille d’Amram, verset 7.
[3] Le Khârijisme est une secte musulmane apparue au début de l’Islam dont les adeptes considéraient que les péchés majeurs faisaient sortir de la religion.
[4] Sourate 1, Al-Fâtihah, La Liminaire, verset 5.
[5] Sourate 7, Al-Aʿrâf, Les Limbes, verset 188.
[6] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 255.
[7] Sourate 21, Al-Ambiyâ’, Les Prophètes, verset 28.
[8] Sourate 34, Saba’, Saba, verset 23.
[9] Sourate 8, Al-Anfâl, Le Butin, verset 33.
[10] Sourate 3, Âl ʿImrân, La Famille d’Amram, verset 49.
[11] Le ijithâd désigne l’effort d’appréciation personnel des textes canoniques pour en tirer un avis juridique donné, en l’absence de preuves formelles.
[12] Sourate 3, Âl ʿImrân, La Famille d’Amram, verset 104.
[13] Sourate 16, An-Nahl, Les Abeilles, verset 125.
[14] Le Mukhtâr As-Sihâh d’Ar-Râzî est un dictionnaire connu de la langue arabe.
[15] Al-Qâmûs Al-Muhît d’Al-Fayrûz Âbâdî est un dictionnaire connu de la langue arabe.
[16] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La Table servie, verset 35.
[17] Sourate 17, Al-Isrâ’, Le Voyage nocturne, verset 57.
[18] ʿAntarah Ibn Shaddâd est un célèbre poète et chevalier arabe anté-islamique, dont l’épopée est très connue dans les milieux populaires arabes.
[19] Sourate 18, Al-Kahf, La Caverne, verset 107.
[20] Sourate 16, An-Nahl, Les Abeilles, verset 97.
[21] Sourate 3, Âl ʿImrân, La Famille d’Amram, verset 31.
[22] Sourate 4, An-Nisâ’, Les Femmes, verset 80.
[23] Sourate 2, Al-Baqarah, La génisse, verset 89.
[24] Cet homme demanda à plusieurs reprises à être reçu par ʿUthmân Ibn ʿAffân, qui était alors Calife, pour lui exposer un problème, mais en vain. Lorsque ʿUthmân Ibn Hunayf lui indiqua cette prière, il fut aussitôt reçu par le Calife et son problème fut réglé. NdT.
[25] Sourate 4, An-Nisâ’, Les femmes, verset 64.
[26] Sourate 30, Ar-Rûm, Les Romains, verset 47.
[27] Sourate 6, Al-Anʿâm, Les bestiaux, verset 54.
[28] Sourate 2, Al-Baqarah, La génisse, verset 255.
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