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Ô mon fils !

Ô mon fils ! (2)

samedi 27 mai 2006

Ô mon fils ! Combien de nuits as-tu veillé à étudier les sciences, à consulter les livres tout en te privant du sommeil ? J’ignore quelle était ta motivation ? Si c’était la volonté d’accumuler les biens éphémères de ce monde, de rassembler ses débris, d’acquérir ses postes et de rivaliser avec tes pairs et tes semblables, alors malheur à toi, puis malheur à toi. Si ton dessein était de revivifier la voie du Prophète — paix et bénédictions sur lui —, d’épurer tes mœurs et de soumettre l’âme ordonnatrice du vice, alors bonheur à toi, puis bonheur à toi. Est véridique celui qui dit :

La veille des yeux pour une autre fin que Ta face est vaine
Et leurs pleurs pour une autre raison que ta perte est peine perdue.

Ô mon fils ! Vis autant que tu voudras, [un jour] tu mourras. Aime qui tu voudras, [un jour] tu en seras séparé. Fais ce que tu voudras, tu en rendras compte.

Ô mon fils ! Que tirerais-tu de l’acquisition des sciences de la logique, de la dialectique, de la médecine, des anthologies, de la poésie, de l’astrologie, de la prosodie et de la grammaire que la perte de ta vie, si ce n’était pas pour la face du Tout Majestueux.

J’ai vu dans l’Évangile de Jésus — paix sur lui — : « Depuis l’instant où le défunt est posé dans son cercueil jusqu’à ce qu’on le mette sur le bord de sa tombe, Allâh — dans Sa Magnificence - lui pose quarante questions. La première est : “Mon Serviteur, pendant des années, tu as embelli ton apparence devant les créatures mais devant moi, tu ne t’es pas embelli ne serait-ce qu’une heure.” Pourtant, tous les jours, Il regarde dans ton cœur et dit : “Que de souci tu te donnes pour les autres alors que tu es comblé de Mes bienfaits ? Tu es véritablement sourd et n’entends point !” »

À cet effet, le poète dit :

Tu espères le salut sans en emprunter les voies.
Mais le navire ne vogue pas sur la terre ferme !
Pourquoi ton âme accepte-t-elle d’être souillée,
alors que tes habits sont immaculés ?

Ô mon fils ! Acquérir les sciences sans les concrétiser par des actes est pure folie et l’action sans savoir ne peut s’accomplir. Sache que le savoir qui, aujourd’hui, ne t’écarte pas des péchés et ne t’incite pas à l’obéissance, ne t’éloignera pas demain du feu de la Géhenne. Si, aujourd’hui, tu n’agis pas conformément à ton savoir et tu ne rattrapes pas les jours passés, tu diras demain au jour de la résurrection : « Renvoie-nous donc afin que nous puissions accomplir une bonne œuvre » [1]. On rétorquera alors : « Imbécile ! C’est de là-bas que tu viens ! »

Ô mon fils ! Veille à ce que le zèle soit le lot de ton esprit, que la défaite soit le lot de ton égo et que la mort soit le lot de ton corps. La tombe est en réalité ta demeure et ses habitants attendent à chaque instant le moment où tu les rejoindras. Gare à toi ! Garde-toi de les rejoindre sans provision. Abû Bakr As-Siddîq — qu’Allâh l’agrée — dit : « Ces corps sont soit une cage d’oiseaux soit une étable à bétail. Médite donc en toi-même, à quelle espèce appartiens-tu ? Si tu appartiens aux oiseaux célestes, aussitôt que tu entendras retentir, tel le roulement d’un tambour : « Retourne vers ton Seigneur », tu t’envoleras vers les cimes jusqu’à ce que tu t’installes dans les tours les plus hautes du paradis. Ainsi le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit-il : « Le trône du Tout Miséricordieux trembla pour la mort de Saʿd Ibn Muʿâdh. » [2] Si, en revanche, qu’Allâh nous en préserve, tu appartiens au bétail tel ceux qu’Allâh décrit « ils sont tels des bestiaux voire plus égarés » [3], il n’est pas exclus que tu sois transporté du coin de ta maison vers les tréfonds de l’Enfer. On rapporte qu’un jour on servit de l’eau fraîche à Al-Hasan Al-Basrî. Aussitôt qu’il eut saisi le gobelet, il s’évanouit et le gobelet tomba de sa main. Quand il reprit connaissance, on lui demanda : « Qu’est ce qui t’a pris, Abû Saʿîd ? » Il répondit : « Je me suis souvenu du vœu des habitants de l’Enfer lorsqu’ils demandent aux habitants du Paradis : “Déversez sur nous un peu d’eau ou de ce qu’Allâh vous a attribué ...” » [4]

Ô mon fils ! Si tu considères que le savoir abstrait est suffisant et que tu n’as point besoin d’accomplir d’autres œuvres, Son Appel — Exalté soit-Il — : « Y a-t-il un demandeur ? Y a-t-il quelqu’un qui implore mon pardon ? Y a-t-il un repenti ? » [5] serait vain et inutile. On rapporte de même que lorsqu’un groupe de Compagnons — qu’Allâh les agrée tous — évoqua ʿAbd Allâh Ibn ʿUmar — qu’Allâh l’agrée — chez le Prophète — paix et bénédictions sur lui —, il leur dit : « Il serait un excellent homme, s’il accomplissait des prières surérogatoires pendant la nuit. » [6] Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit également à l’un de ses Compagnons : « Ô Untel ! Ne dors pas excessivement la nuit car un tel comportement laisse celui qui l’adopte démuni, le jour de la résurrection. »

Ô mon fils ! Le verset commande : « Et de la nuit consacre une partie pour des prières surérogatoires » [7]. « Et aux dernières heures de la nuit ils imploraient le pardon » [8] procède de la gratitude. « Et ceux qui implorent pardon juste avant l’aube » [9] constitue un rappel. Le Prophète — paix et bénédictions sur lui — dit : « Trois sortes de voix plaisent à Allâh — Exalté soit-Il — : la voix du coq, la voix de celui qui récite le Coran et la voix de ceux qui implorent pardon avant l’aube. » [10] Sufyân Ath-Thawrî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — dit : « Allâh — Exalté soit-Il — a créé un vent qui souffle avant l’aube et qui porte les invocations et les implorations de pardon vers le Roi Tout-Puissant. » Il dit également : « Au début de la nuit, un héraut proclame au pied du Trône : “Que se réveillent les adorateurs !” Ils se réveillent alors et prient autant qu’Allâh le veut. Puis, au milieu de la nuit, un hérault proclame : “Que se réveillent les obéissants !” Ils se réveillent alors et prient jusqu’avant l’aube. Puis, avant l’aube, un hérault proclame : “Que se réveillent les implorateurs du pardon !” Alors, ils se réveillent et implorent le pardon. Enfin, lorsque l’aube échoit, un hérault proclame : “Que se réveillent les insouciants !” Ils se réveillent alors et quittent leurs lits comme des morts ressuscités de leurs tombes. »

Ô mon fils ! Parmi les conseils de Luqmân le Sage à son fils, on rapporte qu’il lui dit : « Ô mon fils ! Que le coq ne soit pas plus intelligent que toi en chantant avant l’aube tandis que tu dors. » A excellé le poète lorsqu’il dit :

Au cœur de la nuit un pigeon implorait,
Sur une branche fragile pendant que je dormais.
Par la Maison d’Allâh, j’ai menti : si j’étais amoureux,
Les pigeons ne m’auraient pas aux pleurs devancé.
Je prétends être éperdument passionné
De mon Seigneur, mais je ne pleure point tandis que pleurent les bestiaux.

Ô mon fils ! La quintescence du savoir consiste à comprendre l’essence de l’obéissance et de l’adoration. Sache que l’obéissance et l’adoration signifient le respect en paroles et en actes des obligations et des interdits décrétés par le Législateur. Cela signifie l’observance de la législation dans tes paroles, dans tes actes et dans tes abstentions. Si, à titre d’exemple, tu jeûnes le jour du bayram [11] ou les jours de Tashrîq, tu seras désobéissant et si tu pries dans un vêtement volé, tu seras coupable même si en apparence, tu accomplis un acte d’adoration.

Ô mon fils ! Il convient que tes paroles et tes actes soient conformes à la Loi car un savoir et un acte qui ne se conforment pas à la Loi ne sont qu’égarement. Ne te laisse pas tromper par les propos extatiques et les énormités des soufis car le cheminement sur cette voie se réalise par la lutte contre l’égo, le sevrage de ses désirs, la mise à mort de ses passions par l’épée de l’ascèse et non par les hérésies, les balivernes et les ténèbres.

Sache également que la langue débridée ainsi que le cœur complètement fermé, et aveuglé par la distraction et le désir sont le signe du malheur. Si tu ne raffines pas ton égo par une lutte sincère, ton cœur ne sera pas revivifié par les lumières de la connaissance.

Sache de même qu’il est impossible de fournir des réponses écrites ou orales à certaines questions que tu as posées. Ce n’est qu’en atteignant l’état en question que tu comprendras de quoi il s’agit. Sinon, son appréhension est impossible car il s’agit d’un état gustatif et tout ce qui est gustatif ne peut être décrit par le verbe. Citons à titre d’exemple que la douceur de ce qui est doux et l’amertume de ce qui est amer ne s’appréhendent que par la gustation. Ainsi rapporte-t-on qu’un homme impuissant écrivit une lettre à un ami lui demandant de lui décrire le plaisir sexuel. Cet ami répondit alors : « Ô untel ! Je te pensais impuissant seulement, mais maintenant je sais que tu es à la fois impuissant et idiot. Ce plaisir est gustatif, lorsque tu l’atteins, tu sais ce que c’est, sinon il est impossible de le décrire ni oralement ni par écrit. »

Ô mon fils ! Certaines de tes questions rentrent dans ce cadre alors que les autres auxquelles des réponses peuvent être fournies, ont été évoquées dans l’Ihyâ’ (La Revivification des Sciences de la Religion) et autres. Nous ne ferons ici qu’en citer quelques extraits et t’y référons pour de plus amples détails.

Tout d’abord, il convient que l’itinérant sur la voie soit pourvu d’un credo valide dépourvu de toute innovation. Deuxièmement, il lui faut un repentir sincère non suivi de retour aux fautes. Troisièmement, il doit se réconcilier avec ses adversaires jusqu’à ce que personne n’ait de droit à lui réclamer. Quatrièmement, il lui convient d’acquérir des sciences de la sharîʿah de quoi accomplir les commandements d’Allâh — Exalté soit-Il —, puis des sciences de l’au-delà de quoi assurer son salut. Acquérir davantage de savoir n’est pas obligatoire, ce qui peut être illustré par le récit suivant.

On rapporte qu’Ash-Shiblî — qu’Allâh lui fasse miséricorde — accompagna quatre cents maîtres et dit : « J’ai étudié quatre cent mille hadiths auprès d’eux dont j’ai choisi un seul que j’ai appliqué, laissant tout le reste, car en le méditant, j’ai trouvé que mon salut et ma délivrance y résidaient. Tout le savoir des prédécesseurs et des successeurs y était inclus et c’est la raison pour laquelle je m’en suis contenté. Le Messager d’Allâh dit à quelques-uns de ses Compagnons : “Œuvre pour ta vie ici-bas à mesure que tu y resteras. Œuvre pour ta vie dans l’au-delà à mesure que tu y demeureras. Œuvre pour Allâh à hauteur de ton besoin envers Lui et œuvre pour l’Enfer à hauteur de ce que tu peux en supporter. Lorsque tu t’apprêtes à désobéir à ton Seigneur, trouve-toi un endroit où Il ne peut te voir.” » [12]

Notes

[1Sourate 32, As-Sajdah, La prosternation, verset 12. NdT.

[2Hadîth rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh dans le Livre des Mérites, par Muslim dans son Sahîh dans le Livre des mérites des Compagnons et par Ibn Mâjah dans ses Sunan. NdT.

[3Sourate 7, Al-Aʿrâf, Les limbes, verset 179. NdT.

[4Sourate 7, Al-Aʿrâf, Les limbes, verset 50. NdT.

[5Conférer le Sahîh de Muslim, dans le Livre de la prière des voyageurs et de son abréviation, le Musnad de l’Imâm Ahmad parmi les hadîths de ʿAbd Allâh Ibn Masʿûd et les Sunan d’Ad-Dârimî dans le Livre de la prière. NdT.

[6Rapporté par Al-Bukhârî dans son Sahîh, dans le Livre de la prière nocturne (Kitâb At-Tahajjud). NdT.

[7Sourate 17, Al-Isrâ’, La voyage nocturne, verset 79. NdT.

[8Sourate 51, Adh-Dhâryât, Celles qui éparpillent, verset 18. NdT.

[9Sourate 3, Âl ʿImrân, La famille d’Amram, verset 17. NdT.

[10Rapporté par Ad-Daylamî d’après Umm Saʿd Bint Zayd Ibn Thâbit. NdT.

[11Le bayram désigne l’aïd dans les langues turco-persanes. NdT.

[12Rapporté par Al-Munâwî dans At-Taysîr selon une autre variante, tome 1, page 176. NdT.

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