vendredi 3 décembre 2004
Depuis qu’Adam est descendu sur terre et que ses enfants se sont multipliés après lui, la lutte est ininterrompue entre les hommes. Il semble même qu’elle est une loi inévitable de la vie qu’il faut accepter et à laquelle il faut se soumettre.
Le Coran a déclaré cette vérité immuable lors de la chute de Satan et d’Adam sur terre : « Descendez, vous serez des ennemis les uns pour les autres. Vous aurez sur la terre séjour et jouissance jusqu’à un moment déterminé » [1]. Satan descendit sur la terre armé de la tentation, menaçant de l’utiliser, affirmant sur un ton provoquant : « Je les égarerai tous, à l’exception, parmi eux, de Tes dévoués Serviteurs ! » [2] Telle est la raison de cette lutte constante entre le Bien et le Mal. Le fils de la terre connut par cette tentation le désir de verser le sang, devenu instinctif chez l’homme. Les anges qui avaient prévu cela lorsque Dieu décida de confier la régence de la
terre à l’homme, dirent avec humilité à leur Dieu : "Y placeras-Tu quelqu’un qui y sèmera le trouble et y répandra le sang alors que nous Te glorifions et proclamons Ta Sainteté". Le Seigneur répondit : "Je sais très bien ce que vous ne savez point !" [3]
Dieu, dans Sa Sagesse infinie, savait que la domination serait entre les mains de celui dont les actions sont régies par l’amour du pouvoir, qui, inévitablement, mène à l’effusion du sang. Et si on laisse cette passion dominer, elle conduit à la guerre et au massacre, en particulier pour des raisons de religion et même pour des histoires de sacrifices. Ne connaissez-vous pas « l’histoire des deux fils d’Adam, quand ils offrirent une oblation et que celle de l’un fut acceptée tandis que celle de l’autre ne le fut point. Celui-ci cria alors à son frère : "Je te tuerai". Mais son frère répondit : "Dieu n’accepte que l’oblation des pieux. Assurément si tu portes la main sur moi pour me tuer, moi je ne porterai point la main sur toi pour te tuer. Je crains le Seigneur des mondes. Je veux que tu prennes sur toi tes péchés et les miens et que tu sois parmi les gens du Feu. C’est là la récompense des injustes". Le meurtre de son frère lui ayant été suggéré par son âme, il tua donc son frère et il se retrouva au nombre des perdants. » [4]
Sans aucun doute, la lutte entre le Bien et le Mal rend nécessaire le combat et la guerre entre les individus, les groupes et même les nations ; cela est dans la nature de l’homme ; si le Mal attaque il faut que le Bien résiste, et si l’injustice domine il faut que la justice l’écrase et règne. Ce sont les préceptes que Dieu a donnés à ses créatures : « Or, tu trouveras point de changement à la Régle de Dieu. » [5] ; « Si Dieu ne neutralisait pas une partie des Hommes par une autre, la terre serait corrompue. Mais Dieu est Détenteur de Faveur vis-à-vis de l’univers. » [6]
La vertu doit posséder les moyens nécessaires pour lutter contre la tyrannie du vice. Pour cette raison, les religions ont autorisé le combat en légitime défense, pour défendre la vertu, la religion et le message divin. Il est dit dans le Coran à cet effet : « Autorisation est donnée à ceux qui sont combattus de se défendre, parce qu’ils ont été lésés - en vérité Allâh a pleine puissance pour les secourir. Ceux qui, sans droit, ont été expulsés de leurs demeures, seulement parce qu’ils disent : "Notre Seigneur est Dieu." Si Dieu n’avait point repoussé certains hommes par d’autres, des ermitages auraient été démolis , ainsi que des synagogues, des oratoires et des mosquées où le nom de Dieu est beaucoup invoqué. Dieu secourra certes ceux qui Le secourent. En vérité, Dieu est certes Fort et Puissant. Il secourra ceux qui, si Nous leur accordons la prééminence sur terre, accomplissent la prière, donnent l’Aumône, enjoignent le Bien et réprouvent le Mal. Cependant, l’issue finale de toute chose appartient à Dieu. » [7]
Si les religions révélées ont besoin de défendre leur cause, il en découle que les Prophètes qui portent le message de vérité doivent également faire la guerre pour que rétablir la justice. Ils sont envoyés pour faire triompher la vertu sur le vice.
Il y a dans les guerres que des Prophètes ont entreprises, un exemple qui éclaire la manière dont les hommes doivent se battre pour faire triompher le Bien et abattre le Mal. En temps de paix, il est plus facile d’accéder à la vérité car les esprits sont calmes, la raison domine et les passions sont enchaînées. Mais par contre, en temps de guerre, il est difficile de se tenir à la vérité. Même si les causes de la guerre sont légitimes, il ne faut pas outrepasser les limites de la vertu. Il est vrai qu’il est difficile de respecter la vertu durant la guerre, qui est un massacre d’hommes pendant lequel l’effusion du sang et la séquestration des biens sont licites. Il est même difficile de le concevoir ou d’en imaginer la possibilité. Les hommes s’imaginent que la guerre et le respect de la vertu sont deux extrêmes que l’on ne peut réunir, c’est soit la guerre, soit la vertu. La présence d’un guide devenait nécessaire pour que guerre et vertu puissent coexister sur le champ de bataille. Et ce guide devait recevoir ses directives du Ciel et non du caractère et des passions séculiers, qui lors de leur prédominance font disparaître la justice pour ne montrer que l’oppression. Il semble que la devise de tout combattant soit : "Celui qui n’opprime point les autres sera opprimé."
Le fait que les Prophètes eux-mêmes ont entrepris la guerre, met en lumière qu’il est possible que la vertu et la justice rencontrent sur un même champ de bataille la mort et le combat ; et c’est pour cela que les descriptions de la guerre ont été relatées dans les Livres Saints des religions révélées.
L’Ancien Testament relate que lorsque les Israélites quittèrent l’Égypte, où leurs enfants étaient tués et leurs femmes déshonorées par Pharaon, ils ne trouvèrent d’autre refuge que le désert. Il leur fallait trouver une contrée vers laquelle ils se dirigeraient pour s’y établir et s’y fixer. Pour arriver à destination, ils devaient passer à travers un pays voisin. Bien que Moïse eut formé une force de frappe, il préféra envoyer un message au roi du pays à travers lequel il devait passer ; l’émissaire de Moïse, qui était le commandant de son armée, dit au roi : « Laisse-moi passer par ton pays ; je suivrai la grande route, sans m’écarter ni à droite ni à gauche.
Tu me vendras à prix d’argent la nourriture que je mangerai, et tu me donneras à prix d’argent l’eau que je boirai ; je ne ferai que passer avec mes pieds. » [8] Mais le roi rejeta leur requête et leur déclara la guerre, et les deux partis s’entretuèrent. Les Israélites étaient obligés de traverser ce pays car cela était pour eux une question vitale. Ils combattirent donc et sortirent victorieux de la bataille. Moïse leur avait ordonné de ne s’attaquer qu’au roi et à ceux qui le suivaient. Ils ne firent aucun mal au peuple. Bien au contraire, ils cultivèrent la terre et érigèrent des constructions, le peuple n’étant pas leur ennemi. La rivalité les opposait à ceux qui rejetèrent leur requête, leur défendirent de passer à travers le pays et d’atteindre le territoire où ils devaient se fixer. Ils ne transgressèrent pas les limites de la justice et de la vertu, sous le commandement de l’Interlocuteur de Dieu ; Moïse - que la paix soit sur lui.
Il en est de même des guerres de Salomon et de David, elles furent régies par la justice et commandées par la vertu ; les actes d’injustice qui leur sont attribués sont faux et nous, Musulmans, les rejetons et les considérons comme des fables qui ne s’accordent pas avec l’infaillibilité des Prophètes.
Les batailles des Prophètes établissent donc le modèle authentique des guerres entre les humains, où le sang des combattants peut être versé sans pour autant sortir des limites de la vertu ni violer la justice qui transcende toute action humaine.
La guerre peut s’opposer à la pitié et à la compassion, mais elle ne peut, conformément à la mission prophétique et au message divin, se détourner de la vertu et de la justice, quelles que soient les circonstances.
Si le combat est une épopée humaine où il est permis de verser le sang, il est impossible d’y sacrifier la justice ou de violer la vertu, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut. Le combattant n’a pas le droit de rompre les règles humaines en matière de guerre.
Les meilleurs exemples de guerre, où la vertu, la justice et la protection de la dignité humaine se mêlent à la mort et au combat sur un même champ de bataille, où les armes s’entrechoquent et où la mort est proche, sont les guerres de Muhammad, et celles de ses successeurs. Elles sont rapportées par l’histoire, leurs traits sont nets et leurs voies précises. Si les guerres des Prophètes qui ont précédé Muhammad sont moins connues, car elles sont enfouies dans la nuit des âges et les replis de l’histoire, les guerres de Muhammad sont, par leur part, transcrites dans le livre de l’éternité pour guider et diriger les hommes. Elles sont reconnues en tant que modèles des guerres justes par excellence.
Nous ne pouvons réellement apprécier les mérites des relations humaines que Muhammad a établies entre lui et les autres nations en temps de paix et en temps de guerre, qu’à condition de revenir quelque peu en arrière, au siècle dont la fin assistera à la venue du Prophète. Les guerres avant lui opposaient les peuples et non pas les combattants. Le peuple guerrier ne respectait aucune loi ni sur le champ de bataille ni en-dehors. Il ne respectait aucune loi ni avant, ni pendant ni après la bataille, aussi longtemps qu’il y avait des hostilités. La rivalité était considérée comme la règle, du moment qu’il n’existât pas de traité ou de pacte stipulant le contraire. La base des rapports humains était donc la guerre, non la paix. La guerre se faisait contre le peuple tout entier et non contre les gouverneurs, les chefs ou les guerriers. Si par hasard un homme, par mégarde, mettait le pied sur une terre étrangère à la sienne et qu’aucun pacte ne liait les deux pays, il était réduit en esclavage et vendu sur le marché public, suivant les lois de l’époque. Ce fut le cas de Platon, Prince des Philosophes, jusqu’au jour où le hasard le libéra du joug de la servitude. Ce fut également le cas de ʿUmar Ibn Al-Khattâb durant la période pré-islamique, où il fut réduit en esclavage par un Byzantin, en Syrie. ʿUmar simula la soumission, mais dès qu’il se trouva seul avec le Byzantin, il le tua. ʿUmar avait une stature de géant et était doué d’une grande force physique qui l’aida à recouvrer sa liberté.
Les choses demeurèrent ainsi jusqu’au jour où vint Muhammad, qui déclara par les actes et non pas uniquement par les mots, que l’on ne devait pas tuer hors des limites du champ de bataille durant la guerre, et que la guerre n’opposait pas les peuples mais seules les forces gouvernantes. Si un roi ou le chef d’un peuple ou le général d’une armée attaque, on ne peut pas considérer le peuple comme agresseur, mais l’agresseur est celui qui a donné l’ordre d’attaquer appuyé par la force qui lui prête secours.
Le combat de Muhammad se distinguait par le fait qu’il n’attaquait pas les peuples, mais les chefs qui menaient les forces à l’agression, et c’est pour cette raison que Muhammad défendait que l’on tuât ceux qui ne prenaient pas part au combat et qui n’y étaient pas mêlés. Il prohibait ainsi le meurtre des femmes, des enfants, des paysans et des vieillards qui n’avaient aucun rôle dans
la guerre. Le combattant musulman - d’après la loi de Muhammad - ne portait point l’épée pour frapper le Bien et le Mal, mais le Mal seulement. Le Prophète miséricordieux, vit un jour une femme tuée à la suite d’une bataille, il se mit en colère et s’adressant au chef de l’armée, Khâlid Ibn Al-Walîd, il dit : "Elle n’avait point à être tuée !" Les Califes réprimandaient les généraux qui tuaient les ennemis sans discrimination. On raconte à ce propos que ʿUmar Ibn Al-Khattâb destitua Khâlid Ibn Al-Walîd car il tuait les ennemis en trop grand nombre. Il lui dit : "L’épée de Khâlid est porteuse d’oppression", ce qui signifie qu’elle est porteuse d’excès et de dureté dans le massacre des armées ennemies. ʿUmar s’égayait au contraire lorsqu’il apprenait que le combat se couronnait d’une victoire et qu’un nombre minimum d’ennemis seulement avaient été tués. Bien plus, il souhaitait des victoires sans victime aucune, ni d’un côté de l’autre. Et c’est pour cela qu’il louait la manière dont ʿAmr Ibn Al-ʿÂs conquit l’Égypte, disant : "J’aime la manière dont Ibn Al-ʿÂs mène la guerre, car c’est une guerre facile et indulgente."
Nous avons présenté cette introduction avant de nous engager dans l’exposé des règles du droit de la guerre en Islam, afin que le lecteur puisse y entrevoir les lois que nous allons traiter ; elles s’opposent entièrement à celles en vigueur dans les guerres contemporaines, qui s’attaquent aux peuples, exterminent les êtres vivants, détruisent les constructions, et déciment la nature.
Nous avons présenté cette introduction pour que le lecteur ne s’étonne pas de la présence des règles qui interdisent de ravager les cultures et les arbres et de détruire les constructions.
Que le lecteur sache que ces lois sont d’origine divine et qu’elles ne s’inspirent ni des lois de la jungle, ni de la loi du plus fort qui tyrannise le plus faible. Elles constituent une ligne de défense pour le faible contre le fort. Il est dit dans le Coran à ce propos : « Or nous voulions combler de Nos bontés ceux qui étaient opprimés dans le pays, en faire des chefs et en faire les héritiers de la terre. » [9]
Le lecteur pourra voir que la guerre en Islam, telle que l’a légiférée notre Guide, Muhammad Ibn ʿAbd Allâh, est une guerre juste dans son mobile, dans son entreprise, dans son déroulement, dans sa fin et dans le traitement des vaincus.
D’après la série intitulée "Études sur l’islam", publié par le Ministère des Biens de mainmorte et des Affaires islamiques d’Égypte, juillet 1987. Relu et adapté par islamophile.org.
[1] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 36. Ndlr.
[2] Sourate 15, Al-Hijr, versets 39 et 40. Ndlr.
[3] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 30. Ndlr.
[4] Sourate 5, Al-Mâ’idah, La Table servie, versets 27 à 30. Ndlr.
[5] Sourate 33, َAl-Ahzâb, Les Coalisés, verset 62. Ndlr.
[6] Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 251. Ndlr.
[7] Sourate 22, Al-Hajj, Le Pèlerinage, versets 39 à 41. Ndlr.
[8] Deutéronome, chapitre 2, versets 27 et 28. Ndlr
[9] Sourate 28, Al-Qasas, Le Récit, verset 5. Ndlr.
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