dimanche 7 mai 2006
Sheikh Muhammad Badr Ad-Dîn Al-Hasanî naquit à Damas en 1850 E.C. Sa mère, ʿÂ’ishah était issue de la famille Al-Kuzbarî qui comptait les plus grands experts de la science du Hadith damascènes de l’époque. Son père, Sheikh Yûsuf Al-Hasanî, d’une famille de chérifs originaires du Maroc, étudia les sciences islamiques à Al-Azhar auprès de savants de renom comme Sheikh Hasan Al-ʿAttâr, le juriste malékite et soufi khalwati [1] Sheikh Ahmad As-Sâwî, les juristes malékites Sheikh Fath Allâh Al-Mâlikî et Sheikh Al-Amîr As-Saghîr, et le juriste shâféite Sheikh Muhammad Al-Fadâlî. Il s’initia par ailleurs auprès de savants mecquois et médinois, puis s’installa à Damas où il enseigna diverses branches des sciences islamiques.
Sheikh Yûsuf Al-Hasanî eut deux fils : l’aîné, Sheikh Muhammad Badr Ad-Dîn à qui nous consacrons cette biographie et Sheikh Ahmad Bahâ’ Ad-Dîn qui fut un Sheikh de la voie Khâlidiyyah, une branche de la confrérie soufie Naqshabandiyyah en Syrie.
Son père se chargea de son éducation et lui enseigna l’écriture et des éléments d’arithmétique. Il acheva la mémorisation du Coran à l’âge de sept ans et poursuivit son initiation aux sciences religieuses sous le patronage de son père. Lorsque ce dernier décéda en 1862 E.C., le jeune Muhammad Badr Ad-Dîn fut encadré par sa mère et son oncle maternel Sheikh Sâlih Al-Kuzbarî. Tous deux l’encouragèrent à poursuivre ses études et à acquérir le savoir religieux. Il s’enferma dans l’étude de son père à la prestigieuse École Ashrafiyyah et y mémorisa près de vingt mille vers constituant un précis des sciences islamiques. Il étudia ensuite leur commentaire auprès de Sheikh Abû Al-Khayr Al-Khatîb qui valida son parcours par la délivrance d’une habilitation (ijâzah).
Dans son adolescence, il choisit l’isolement et la retraite spirituelle. Il partagea son temps entre la prière, la fine fleur des œuvres de dévotion, et la mémorisation des hadiths compilés dans les sommes les plus authentiques comme les deux Sahîh d’Al-Bukhârî et de Muslim. Aidé par sa mémoire exceptionnelle, le jeune Sheikh veilla à mémoriser les hadiths, accompagnés de leurs chaînes de narration complètes. Selon son disciple, Sheikh Mahmûd Baʿyûn Ar-Rankûsî, il aurait également mémorisé les six recueils de Hadith des Imams Mâlik, Ahmad, At-Tirmidhî, Abû Dawûd, An-Nasâ’î et Ibn Mâjah, avec une parfaite connaissance des biographies des narrateurs mentionnés dans les chaînes de transmission et le degré d’authenticité des propos rapportés.
Sa mémoire hors du commun, sa formation auprès de savants spécialisés, son ascétisme et sa conduite irréprochable le qualifièrent pour enseigner à la Mosquée Omeyyade dès son adolescence. Il y tint ainsi un cours entre la prière du vendredi et la prière des vêpres (Al-ʿAsr) et y enseigna la grammaire, la rhétorique, la logique, la jurisprudence et l’exégèse. Mais la popularité de son cercle d’enseignement provoqua quelque désagrément à certains Sheikhs de la Mosquée Omeyyade et le jeune homme choisit, par courtoisie, de se retirer de la sphère publique. Il regagna alors sa retraite et ses études solitaires dans son étude à l’École Ashrafiyyah.
À l’âge de vingt ans, il partit pour l’Égypte et étudia auprès des savants d’Al-Azhar comme le spécialiste du Hadîth Sheikh Hasan Al-ʿAdawî, le Grand Imam d’Al-Azhar Sheikh Ibrâhîm As-Saqqâ, Sheikh Ahmad ʿAbd Ar-Rahîm At-Tahtâwi et le Sheikh de l’Islam Ibrahîm Al-Bâjûrî qui devint plus tard le Grand Imâm d’Al-Azhar. Au terme de son parcours à Al-Azhar, il fut habilité par Sheikh Ibrâhîm As-Saqqâ dans les sciences du Hadîth, et c’est par sa voie initiatique et ses chaînes de transmission que Sheikh Muhammad Badr Ad-Dîn Al-Hasanî accorda des habilitations à ses propres disciples après son retour en Syrie.
Âgé de plus de trente ans, il reprit son cercle d’enseignement à Damas, mais cette fois-ci à la mosquée As-Sâdât. Son audience ne cessa de s’élargir, si bien qu’il s’installa dans une mosquée plus grande, la mosquée de Sinân Pacha, puis retourna à la mosquée Omeyyade. Selon Sheikh Mahmûd Ar-Rankûsî, il récitait un hadith de Sahîh Al-Bukhârî avec sa chaîne de transmission, puis il en interprétait le sens, déclinait les enseignements à en tirer, exposait sa substance juridique, expliquait le jugement légal qui en fut déduit selon les quatre écoles de jurisprudence sunnites fournissant les arguments des juristes de chacune de ces écoles, et corroborait le hadith enseigné par de nombreux autres hadiths qu’il énonçait avec leurs chaînes de narration également. En outre, ses disciples témoignent que son savoir n’était pas uniquement religieux. On dit que les ingénieurs et les médecins qui assistaient à ses cours appréciaient la précision et la richesse de sa culture dans diverses disciplines scientifiques comme l’astronomie et la géométrie.
Les retraites de Sheikh Badr Ad-Dîn Al-Hasanî furent fécondes. Ainsi a-t-il composé dans les premières vingt années de sa vie une quarantaine d’ouvrages et d’épîtres, essentiellement des commentaires et des annotations d’ouvrages classiques dans les domaines du Hadîth, de la Sîrah et de la grammaire arabe, dont les titres suivants :
Il semblerait cependant que les ouvrages du Sheikh soient peu diffusés et qu’il préféra se consacrer à la formation de ses nombreux disciples par le biais de ses cours.
Sheikh incontesté de la Syrie, les savants, les Sheikhs du soufisme et les spécialistes du Hadîth en Syrie veillaient à assister à ses enseignements quotidiens. Parmi les plus célèbres de ses disciples figurent :
Autorité respectée de tous, il eut un rôle actif dans la préparation de la révolte contre la colonisation française. Sheikh Muhammad Saʿîd Al-Hamzâwî raconte dans la biographie qu’il dédia à Sheikh Badr Ad-Dîn Al-Hasanî : « Le Sheikh sillonnait les villes syriennes, allant de village en village, incitant les gens à la lutte armée. Il rencontrait les insurgés, leur prodiguait des conseils et leur exposait des plans tactiques mûrement réfléchis. Il fut ainsi un père spirituel de la révolution. »
Sheikh Ar-Rankûsî évoqua son scrupule et son humilité en ces termes : « Il fut — que Dieu lui fasse miséricorde — scrupuleux, humble, digne, doué de nobles manières et accessible à autrui. Par scrupule, il s’abstenait de délivrer des fatwas et renvoyait la question à l’un des savants de son École ou le Mufti du pays. Pour les questions problématiques qui restaient sans réponse, il dictait son verdict à l’un de ses disciples. Il détaillait alors tous les arguments et, pour certains aspects de la question, il référait le lecteur à la littérature appropriée, à la page près. Par ailleurs, il s’abstenait, par scrupule, de diriger la prière en congrégation. Il ne discutait point des choses de l’ici-bas et refusait catégoriquement de prêter l’oreille à la médisance (...). Il refusait aussi de parler aux gens au sein des mosquées. En outre, parmi les signes de son scrupule et ses efforts en matière de dévotion, il accomplissait ses ablutions avec le plus grand soin, en hiver encore plus qu’en été, pour s’assurer que son ego ne s’habitue pas à l’aisance et au repos (...) Quant à son humilité, elle fut sans pareil. Il veillait à rendre visite aux gens de piété, aux pauvres et aux écoles des jeunes enfants. Il demandait alors aux enfants et à leurs maîtres de faire des invocations en sa faveur, et caressait la tête des orphelins parmi eux. Il rendait aussi visite aux prisonniers, les saluait, leur prodiguait des conseils, leur parlait aimablement et leur demandait de faire des invocations en sa faveur. Il recommandait la patience à ceux qui furent injustement incarcérés et ses propos les réconfortaient. Il ne fréquentait pas les bureaux du gouvernement, ni les palais des hommes du pouvoir, et lorsqu’une affaire importante l’y poussait, il n’en franchissait pas le seuil. »
Il fut connu pour sa bonté envers les veuves, les orphelins et les nécessiteux. Il faisait des invocations pour l’ensemble des musulmans et pleurait souvent par pitié et miséricorde envers la communauté musulmane.
Il plaçait toute sa confiance en Dieu et comptait sur Lui en toutes circonstances. Sur son chemin pour le Hijâz, le train qu’il avait pris s’arrêta à cause d’une panne au milieu du désert chauffé par un soleil de plomb. Les gens en profitèrent pour accomplir la prière. Lorsque la panne fut réparée et que les gens entendirent le sifflet du train, ils interrompirent la prière et retrouvèrent leur place dans le train à grands pas. Mais Sheikh Badr Ad-Dîn était imperturbable ; il poursuivit sa prière, malgré le départ du train. Quelques minutes plus tard, les gens réalisèrent qu’il n’était pas parmi eux et demandèrent alors au conducteur de rebrousser chemin pour récupérer le Sheikh. Arrivés sur place, on se précipita vers Sheikh Badr Ad-Dîn, puis les gens virent qu’il n’avait pas encore conclu sa prière et attendirent qu’il ait terminé paisiblement.
Sheikh Muhammad Bakhît Al-Muteiʿî, le Mufti d’Égypte de l’époque, dit : « S’il vivait parmi nous en Égypte, les savants l’auraient porté sur leurs épaules, par respect. »
Le savant du Hadîth ʿAbd Al-Wâsiʿ Al-Yamânî dit : « J’ai écouté des savants et prédicateurs dans de nombreux pays, mais nul n’était comparable à lui pour ce qui est de son expertise dans toutes les sciences. »
Le Sheikh de l’Islam Mûsâ Kâdhim Efendi d’Istanbul dit : « Il est le Pôle du monde musulman. »
Quatre mois avant son décès, Sheikh Badr Ad-Dîn fit une douloureuse chute du toit de sa maison. Il dut rester chez lui et ne sortait que pour accomplir la prière du vendredi. Il maintint cependant les assemblées et les cours qu’il tenait dans sa demeure, et continua à se dépenser jusqu’au dernier jour de sa vie. Un vendredi matin, en 1935 E.C., le cours de ce ruisseau de bonté, d’humilité et de savoir s’arrêta. Puisse Dieu lui faire miséricorde.
Sources :
[1] En référence à la voie soufie Khalwatiyyah. Ndlr.
[2] Juriste hanafite d’origine afghane, il s’installa à Damas et fut connu pour son scrupule et son ascétisme. Il composa divers ouvrages dont Kashf Al-Haqâ’iq dans le domaine de la jurisprudence hanafite et Sharh Ash-Shâtibiyyah.
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