lundi 23 juillet 2001
Au nom d’Allâh, le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux
Rédigé par Abû Al-Hasan ʿAli Al-Hasanî An-Nadwi, Doyen de Nadwat Al-ʿUlamâ, Lucknow, Inde.
Louange à Allâh, Paix et Salutations à Ses serviteurs qu’Il a élus.
L’auteur de ces lignes trouve plaisir et honneur dans l’écriture de la préface du livre "Moudhakkirât Ad-daʿwah wad-dâʿiyah", "Mémoires de l’appel et de l’appeleur", écrit par l’Imam martyr Hasan Al-Bannâ, qu’Allâh lui fasse miséricorde. Je considère cela comme une des œuvres que j’accomplis pour jouir de la Proximité et de l’Agrément d’Allah. En faisant cela, j’estime que je fais du bien pour moi-même avant de le faire aux autres. En effet, il s’agit d’un livre qui n’est pas comme les autres. Son auteur n’est pas un auteur comme les autres. Son sujet n’est pas comme les sujets traités par les écrivains et les auteurs, à quelque lieu ou époque que ce soit.
Etant donné la légèreté de mon outillage tant en œuvres qu’en science, mon retard dans le champ de la réforme et la lutte, comme dans le domaine de l’éducation, ainsi que dans l’arène des sacrifices et des dures épreuves, un homme comme moi se sent tout intimidé, lorsqu’il entreprend l’écriture et le commentaire de ce livre et de son auteur. C’est pour cela que l’écriture de ces lignes ont tardé au point que la gêne m’envahit et je pris peur de devoir porter le blâme d’un éventuel retard supplémentaire du livre et la privation de la jeunesse musulmane, les soldats de l’appel à Dieu et les apôtres de la réforme, d’un bien abondant.
Une preuve suffisante que l’islam est éternel, qu’il est la religion agréée et choisie par Allâh, qu’Il l’a établie pour perdurer jusqu’à la fin des temps, que cette dernière communauté est éternelle, qu’elle est salvatrice et productrice, qu’elle est florissante et verdoyante, qu’elle est le carquois de Dieu dont les flèches ne s’épuisent jamais et ne ratent guère, une preuve suffisante de tout cela, c’est l’existence de ces réformateurs, de ces mudjâhids, de ces génies, de ces hommes pleins de talents, de ces gens assistés par le Très-Haut, de ces éducateurs, de ces apôtres de la réforme qui sont apparus et ont excellé alors qu’ils étaient entourés de conditions défavorables, dans un climat peu propice, voire à une époque d’une obscurité ténébreuse, au sein d’un milieu assassin et meurtrier, dans un peuple frappé par la paralysie de l’esprit, la vacuité de l’âme, la torpeur des sentiments, la faiblesse de la volonté, l’impuissance de la détermination, la perte de l’énergie, la mollesse du corps, l’aisance de la vie, la perte de l’éthique, l’attachement au repos, la soumission à la force et la perte de l’espoir en toute réforme.
Les générations contemporaines étaient telles une même édition d’un même livre, sortie d’une imprimerie dont les copies et livrets ne différent en aucun point. Il te suffit de lire un livre pour te faire une idée de tous les autres. Aucune variété, aucune différence, aucune ambition. Aucune anxiété, aucun trouble. Rien de saillant, aucun écart. Ni sérieux, ni humour. Rien, sauf ce qui est devenu la coutume. Rien au-dessus de la moyenne. C’est alors que la vie est devenue un même train uni, tiré par le wagon avant, le wagon de la matière et des plaisirs du ventre, ou le wagon des intérêts et des profits, ou encore le wagon des délices et des avantages, ou le wagon de la puissance et de la domination. Tout semblait dire que la vie était alors un même récit, ou une même pièce de théâtre dont l’écriture et la mise en scène étaient rigoureusement menés pour être jouée au théâtre de l’humanité ou au théâtre de l’Histoire islamique. Chaque héros de la pièce joue le rôle qui lui est assigné avec une grande maîtrise et brio. Puis, les rideaux tombent, ponctués par les applaudissements des admirateurs et les larmes des gens blessés.
Pendant que cette caravane poursuit son chemin, pendant que ce train avance sur ses rails, cloisonnés avec des objectifs limités, des stations déviées, des voix familières, des petits airs fréquemment chantés, voilà qu’une figure surgit des coulisses ou peut-être surgit-elle des cendres des ruines et vestiges. Elle surprend cette caravane paisible et calme qui ne sait qu’atteindre l’objectif qui est déterminé pour elle, qui ne se préoccupe que de gagner son pain quotidien et la nourriture nécessaire pour le chemin, la sécurité de la voie et le repos des corps. Voilà que cette caravane est surprise par un appel à la réforme, le besoin de reprendre la méditation et la réflexion autour de l’état général des choses, l’avenir de l’humanité et la responsabilité de cette communauté qui est sortie pour guider les gens.
Voilà un appel à la rébellion contre les choses corrompues, contre les viles manières, contre les croyances égarées, contre les coutumes de l’ignorance pré-islamique (jâhiliyyah), contre l’adoration des plaisirs de la chaire et les bas appétits, contre le servage de la force et de l’autorité. C’est un appel pour une vie noble et vertueuse, une civilisation saine, une société bien-guidée et juste, une foi profonde renouvelée, à un islam fort et souverain. Voilà que l’homme lève sa voix, avec un appel haut et fort. Il trouble la caravane et fait vibrer les cordes de son émotion et sentiments. Il secoue les valeurs et les concepts de cette caravane qui ne peut lui faire la sourde oreille, qui désormais ne peut le négliger ou le prendre à la légère en poursuivant sur sa voie, sans se retourner ou avancer vers lui. Voilà que des voyageurs quittent la caravane pour rejoindre cet appeleur à Dieu et apprendre de lui. Il a fait d’eux une nouvelle caravane... qui avance par la Bénédiction d’Allâh et qui croit fermement en la Victoire d’Allâh.
Ces itinérants et sincères appeleurs à Dieu portent des visages honorables et lumineux, ornant l’Histoire de la Réforme et de l’Appel à Dieu. Il y en a toujours à toute époque et dans toute terre. L’auteur de ce livre que je présente avec beaucoup d’honneur est du nombre de ces personnalités que la Toute Puissance Divine a bien disposées, créees par l’éducation seigneuriale qui l’a fait rentrer sur scène au moment opportun et au bon endroit.
Tout lecteur qui se penche sur ce livre avec un cœur sain, une pensée pure et sans a priori, loin de tout sectarisme ou orgueil, aura l’intime conviction qu’il s’agit d’un homme talentueux et bien disposé. Il verra qu’il ne s’agit pas d’un homme produit par un hasard ou forgé par un environnement ou une école donnée, ni le produit de l’Histoire ou de l’imitation, ni le fruit d’un Ijtihâd, ni une tentative ou un artifice excessif, ni même le produit d’une expérience. Non, il n’est rien d’autre que le produit de la Guidance vers le succès et la Sagesse Divine. Il s’agit d’une Protection et d’un Soin Divin accordé à cette religion, à cette communauté et à cette pousse bénie, préparée pour porter une grande charge et une ambition grandiose, à une époque qui a cruellement besoin de lui et au sein d’un milieu qui a besoin de voir sa tête s’élever en son sein.
Celui qui, à l’aube du vingtième siècle, a connu les pays islamiques du levant, et tout particulièrement l’Égypte, et qui a témoigné de ce qui a touché cette région sensible et essentielle dans le corps mondial de l’islam, les a certainement vus rongés par la faiblesse du credo, des sentiments, de l’éthique, de l’union, de la volonté, du cœur, du corps. Il aura certainement constaté les traces laissées par le règne des Mamelouks, celui des Turcs, celui de la famille du Khédive, le tout empiré par la colonisation anglaise et ce que la civilisation occidentale porte comme maladies des matérialistes, de l’enseignement moderne laïque, et des luttes politiques entre partis.
La situation s’était aggravée aussi à cause de la faiblesse des savants, leur soumission humiliée à la matière et au souverain, si bien que la plupart des savants ont délaissé le rôle d’imam et d’éducateur, ils ont quitté le champ de l’appel à Allâh et de la Guidance, ils se sont éloignés de l’arène de la lutte et du Jihad et ont fini par se soumettre à " la situation et au fait accompli ". Les voix enjoignant à faire le bien et interdisant le blâmable ne sont plus que murmures. Le champ est libre pour les apôtres de la corruption, les architectes de la destruction, les maîtres de la débauche et du dévergondage, la laïcité et l’hypocrite mécréance, qui ont dominé les journaux et les magazines largement distribués, au service des appels déviants et corrompus et autres mouvements destructeurs.
La religion, ses valeurs, l’éthique et ses fondements, étaient alors pris à la légère. Tel était l’état du monde arabe de façon générale, et l’Égypte en particulier. Le premier tiers de ce vingtième siècle est marqué par le sceau de la décadence et rabaissement, faiblesse et déclin, rébellion et anarchie, effondrement de l’éthique et de la spiritualité, le tout étant cristallisé et dépeint dans les numéros des journaux "Al-Ahrâm", "Al-Muqattam", "Al-Musawwir", "Al-Hilâl" ainsi que des livres composés par des écrivains Egyptiens et romanciers favoris auprès des jeunes. Un observateur aurait perçu cela de façon éloquente dans les fêtes et festivals d’Égypte, dans ses soirées festives et ses grandes soirées. Il entendrait cela en écoutant les jeunes universitaires dans leurs clubs et assemblées. Il verrait cela en visitant l’Alexandrie, ses plages et centres estivaux, ou en accompagnant les groupes des "Kashshâfah", "Ar-Riyâdah" ou "Al-Mubârâh". Il témoignerait de cela en rentrant dans les cinémas, en regardant les films étrangers et locaux, ou en feuilletant les romans édités de temps à autre par la "Bibliothèque Arabe" en Égypte, romans que les jeunes s’arrachent des mains et cherchent avec beaucoup d’appétit.
Quiconque se mêle à la vie, à la rue, au peuple, et suit les évènements, à la différence de ceux qui s’enferment dans leur tour d’ivoire, dans un monde d’illusions et de songes, verra la triste peine de l’Islam et des musulmans, le drame de l’Appel Islamique dans cette contrée qui devait être le leader de tout le monde arabe, et par ce biais le chef de tout le monde musulman. Cette terre depuis de longs siècles était le carquois de l’islam, la source de la science et de la connaissance. Cette terre avait secouru et sauvé le monde arabe à des époques critiques et éprouvantes dans l’Histoire de l’Islam. Cette terre qui étreint chaleureusement Al-Azhar Ash-Sharif, le plus grand et le plus ancien des centres culturels islamiques.
Ces qualités et talents se sont harmonieusement alliés pour former un chef religieux et social, tel que le monde arabe n’a jamais connu depuis des siècles un chef religieux et politique aussi fort, à l’influence aussi profonde, à la production aussi riche, et pour former un mouvement islamique tel qu’il est rare - dans le monde arabe en particulier - de trouver un mouvement qui a un champ d’action aussi vaste, une activité aussi dynamique, une influence aussi grande, une pénétration aussi profonde dans le corps de la société et une domination aussi saisissante des personnes.
Le génie de l’appeleur, avec les multiples dimensions de son génie et la diversité de ses facettes, s’est particulièrement déployé dans deux aspects que ne partagent avec lui que de rares appeleurs[1], éducateurs, chefs et réformateurs. Le premier aspect est son engouement et sa foi en son Appel et sa conviction de son message ainsi que son dévouement total pour son Appel au service duquel il a mis tous ses talents, son énergie et ses épîtres. Telle est la qualité essentielle et la caractéristique principale des appeleurs et des chefs par qui Allâh accorde beaucoup de bien. Le second aspect réside dans sa profonde influence sur ses compagnons et ses disciples et sa réussite saisissante dans le champ de l’éducation et de la production. Il a formé une génération, il a éduqué un peuple. Il a bâti une école scientifique, idéologique et éthique. Il a influencé les tendances des lettrés et des personnes actives qui l’ont connu. Il a influence leurs goûts, le mécanisme de leur pensée, le style de leur expression, leur langue, leur prêche ; une telle influence qui est restée au cours des années et des évènements et qui demeure un symbole et un trait caractéristique par lesquels on les reconnaît quel que soit le lieu et l’époque.
J’ai manqué le plaisir de le rencontrer en Égypte ou à l’extérieur de l’Égypte. La première occasion qu’Allâh m’a accordée le Pèlerinage et la visite, j’ai quitté l’Inde pour la première fois en 1947. C’est l’année où le martyr ne s’était pas rendu au Hijâz, il n’a pas quitté l’Égypte cette année-là, alors qu’il partait pour la saison du Hajj la plupart des années, soucieux de répandre son Appel, de parler aux foules venues pour la Maison Sacrée d’Allâh, de dépenser ses efforts et se fatiguer pour resserrer les liens et les engagements avec les musulmans affluents de tout le monde musulman.
Toutefois, j’ai pu rencontrer quelques-uns de ses disciples et des appeleurs marchant sur sa voie. J’ai trouvé en eux la trace laissée par le grand chef et leur noble éducateur. En effet, lorsque Dieu voulut que je puisse visiter l’Égypte en 1950, Il avait appelé à Sa Miséricorde l’Imâm Al-Bannâ, âgé alors de pas plus que quarante deux ans, suite à l’incident de son martyr qui a profondément bouleversé le cœur de millions de musulmans et qui a privé le monde musulman de cette personnalité historique unique. Je regrette encore de n’avoir pu le rencontrer, mais j’ai noué des liens solides avec ses disciples, j’ai vécu avec eux comme un membre d’une même famille. J’ai également visité son noble père, qu’Allâh lui fasse miséricorde. J’ai appris de lui de nombreuses informations et nouvelles que j’ai enregistrées dans mes mémoires. J’ai rencontré aussi ses collègues et ses enfants. Toutes ces rencontres et informations se sont cristallisées en moi pour brosser le portrait grandiose de l’homme de cet Appel, le fondateur de cette école. J’ai l’intime conviction que l’image en moi est véridique et qu’elle correspond en tout point à la réalité.
Pendant ce voyage, on mit entre mes mains ce livre : "Mémoires de l’Appel et de l’appeleur". J’ai vu qu’il était un élément fondamental et une clef principale pour la compréhension de son Appel et de sa personnalité. Le lecteur y trouve les sources de sa force, l’origine de sa grandeur et les raisons de son succès et sa capacité à captiver le cœur d’autrui : une nature première (fitrah) saine, un être pur, une âme lumineuse, une jalousie pour la religion, la douleur lorsque l’islam est atteint ou devant la propagation de la corruption, un lien solide avec Allâh Exalté Soit-Il, une grande importance accordée soigneusement à l’adoration de Dieu, la nourriture spirituelle du cœur par le dhikr, les invocations et la demande du Pardon d’Allâh, la retraite solitaire avant l’aube, le contact direct avec le peuple et les gens du commun dans les endroits de leur rassemblement et dans les centres de leur travail et loisirs, la progression réfléchie et la sagesse dans l’Appel et l’éducation, l’activité permanente et le travail assidu. Tous ces éléments sont des piliers d’un appel islamique seigneurial et un mouvement religieux visant à provoquer une révolution de la réforme constructive au sein de la société et à changer le cours des évènements historiques. C’est pour cela que tous ceux qui appellent à l’islam, ceux qui portent la responsabilité de l’appel à Dieu, voire tous ceux qui oeuvrent dans les divers champs de la réforme, ont toujours besoin d’étudier ce livre...Ils ont besoin de le méditer profondément. Nulle surprise à voir la volonté de renouveler son édition et de le répandre entre les gens. Ce qui serait plutôt surprenant ce serait de trouver une bibliothèque islamique qui en soit dépourvue.
En outre, il y a eu des tentatives de destruction de toute trace de cet appel qui a redonné confiance à la nouvelle génération dans le monde arabe, en l’islam, son éternité, son message et qui lui a rappelé qu’il est la religion parfaite pour toute époque. Cet appel a fait naître dans le cœur de cette génération et son âme une foi renouvelée. Il a combattu ce complexe d’infériorité et cet échec intérieur qui est le pire et le plus dangereux de tous les échecs. Il a combattu cette inconsistante mollesse, la faiblesse des âmes, le laisser-aller et la soumission devant les viles passions, la tyrannie. Cet appel a créé, selon l’expression même du Dr. Muhammad Iqbal :
Cette tentative de détruire les traces de ce mouvement, estomper ses traits, torturer ses soldats et ses hommes, est un crime que l’Histoire Islamique ne pardonne, un drame que le monde musulman ne peut oublier, une hostilité sans pareil envers le monde arabe que ne lave pas quelque service rendu au pays ou toute considération politique. C’est un crime qui n’a pas d’équivalent dans l’Histoire les Tatares sauvages, ni dans l’Histoire de l’oppression contre la religion ou les tribunaux d’inquisition jadis dans le monde chrétien. Il n’y a de force ni de puissance que par Allâh.
Abû Al-Hasan ʿAli Al-Hasani An-Nadwi. Jeudi, 24/03/1966.
[1] Parmi ces appeleurs rares nous comptons Sheikh Muhammad Ilyâs Al-Kandahlâwî, le fondateur du mouvement du Tabligh en Inde, ainsi que son fils et successeurs, Sheikh Muhammad Yusuf qui décéda récemment, qu’Allâh les agrée tous les deux. Ils étaient certainement deux exemples remarquables par ces deux aspects (voir les deux aspects mentionnés dans le texte).
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