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La reconquête de Chypre par les Ottomans

samedi 4 mars 2006

Carte de Chypre

Les Musulmans saisirent l’importance stratégique de l’île de Chypre dès l’époque du Califat Bien-Guidé. Située dans la partie la plus orientale de la Mer Méditerranée, elle constituait une menace permanente pour la présence musulmane sur le pourtour méditerranéen, que ce soit en Syrie, en Égypte, au Maghreb, ou plus tard en Anatolie. Du point de vue stratégique, l’île était en effet un obstacle devant le commerce musulman en Mer Méditerranée et devant les caravanes de pèlerins. Elle constituait par ailleurs un poste avancé pour toutes les Croisades menées contre les Musulmans. Elle est située à quelque cent kilomètres des côtes turques, autant des côtes syriennes et à environ cinq cents kilomètres des côtes égyptiennes.

Il y eut plusieurs tentatives de prise de contrôle de Chypre par les Musulmans. La première datait du règne du Calife Bien-Guidé ʿUthmân Ibn ʿAffân — que Dieu l’agrée —. Le gouverneur de Syrie de l’époque, Muʿâwiyah Ibn Abî Sufyân — que Dieu l’agrée —, lui avait alors demandé l’autorisation de mener une expédition militaire maritime contre Chypre. ʿUthmân accepta la demande à condition que l’armée qui prendrait la mer serait exclusivement composée de volontaires. C’était en effet la première fois que les Musulmans lançaient une offensive par voie maritime. Le Calife prit donc en compte les craintes des Musulmans qui, accoutumés jusque-là à la vie du désert, n’avaient aucune expérience de la mer.

En 649 E.C., la flotte musulmane partie de Syrie sous le commandement de ʿAbd Allâh Ibn Qays et la flotte partie d’Égypte sous le commandement de ʿAbd Allâh Ibn Saʿd parvinrent à conquérir Chypre qui était alors sous domination byzantine. Plusieurs éminents Compagnons du Prophète participèrent à cette expédition, à l’instar de ʿUbâdah Ibn As-Sâmit ou de Umm Hirâm Bint Milhân — que Dieu les agrée —. Umm Hirâm fut ainsi la première martyre musulmane à être tuée au cours d’une expédition maritime. Elle mourut et fut enterrée à Chypre. Les Musulmans conclurent un traité avec les Chypriotes leur garantissant protection et liberté de conscience moyennant la cessation des activités hostiles contre les Musulmans, leur collaboration pour tenir les Musulmans informés des mouvements militaires anti-musulmans de l’Empire byzantin, et le paiement d’une capitation annuelle s’élevant à sept mille dinars.

Lorsqu’éclata la guerre civile entre les Musulmans sous le règne de l’Imâm ʿAlî Ibn Abî Tâlib — que Dieu l’agrée —, les Chypriotes profitèrent de ces troubles politiques pour refuser de payer la capitation. Muʿâwiyah lança alors une nouvelle expédition militaire contre l’île pour la soumettre à nouveau à l’autorité musulmane. Mais quelques années plus tard, les difficiles circonstances politiques que traversait l’État islamique, dues au conflit armé entre ʿAbd Allâh Ibn Az-Zubayr, Compagnon du Prophète et fils du Compagnon Az-Zubayr Ibn Al-ʿAwwâm, l’un des Dix promis au Paradis, et ʿAbd Al-Malik Ibn Marwân, Calife omeyyade, permirent aux Byzantins de reprendre le contrôle de Chypre.

Plusieurs conflits armés opposèrent Musulmans et Byzantins au sujet de l’île. Des expéditions navales furent ainsi lancées par les Musulmans en 748, en 775 et en 806 E.C..

Durant les Croisades, Chypre joua un rôle hostile aux Musulmans. Conquise en 1191 E.C. par le Roi d’Angleterre Richard Cœur-de-Lion, elle devint une base militaire assurant le soutien logistique des forces croisées. Lorsque les derniers Francs furent chassés de Syrie à la fin du XIIIe siècle, ils se regroupèrent à Chypre d’où ils menaient des raids et des actes de piraterie contre les navires et les rivages musulmans. L’un des pires actes de piraterie auxquels ils se livrèrent fut le pillage d’Alexandrie en 1366 E.C., mené sous les ordres de Pierre Ier de Chypre. Les pirates chypriotes avaient alors occupé pendant trois jours la ville d’Alexandrie, massacrant les habitants, violant les femmes et capturant des prisonniers.

Face à cette source d’inquiétude permanente, le Sultan mamelouk Al-Ashraf Barsabây décida en 1426 E.C. de reconquérir Chypre et de l’annexer à son État. Mais la République de Venise reprit le contrôle de l’île en 1490 E.C. pour y asseoir durablement sa domination.

Les Ottomans post-magnifiques

À la mort du Sultan ottoman Sulaymân Al-Qânûnî (Soliman le Magnifique) le 7 septembre 1566 E.C., à l’âge de 71 ans, et après un règne de 46 ans, ce fut son fils Salîm II (Selim II) qui prit la succession à la tête du Califat. Salîm II était né de l’union de Sulaymân Al-Qânûnî avec son épouse russe, Roxelane. Mais le fils n’était en rien comparable au père, en termes de puissance, de force de caractère et de charisme. Il n’était pas vraiment prêt à préserver les acquis de son père, sous le règne duquel l’Empire ottoman avait atteint son apogée, avant de commencer un inexorable déclin.

Le Sultan Salîm II

La faiblesse de Salîm II incita plusieurs puissances mondiales à essayer de se tailler une part dans la Sublime Porte. Mais la présence de personnalités éminentes aux postes clés du gouvernement ottoman, à l’instar d’As-Sadr Al-Aʿdham ou Grand Vizir Sokollû Pacha, pallia aux déficiences du Calife. Par ailleurs, l’esprit du jihâd et la foi en la puissance militaire de l’Empire, insufflés par Sulaymân Al-Qânûnî, étaient encore suffisamment présents dans les consciences ottomanes pour repousser les agressions extérieures.

Salîm II dut ainsi faire face par exemple en 1567 E.C. à un soulèvement chiite, plus précisément zaydite, au Yémen, qui obligea les Ottomans à se retirer de l’intérieur des terres et à se cantonner aux côtes. Ils ne purent reprendre en main la situation et rasseoir leur autorité sur le Yémen que deux ans plus tard.

Sur les frontières orientales de l’Empire ottoman, l’Empire séfévide, ancêtre de l’actuel Iran, et d’obédience chiite, entretenait des rapports très tendus avec les Ottomans. Au nord, l’Empire russe prenait de plus en plus d’envergure au plan commercial, économique et politique. Il venait de s’emparer de Kazan et d’Astrakhan.

La reprise de l’offensive

Face à cette ère de recul dans laquelle pénétrait l’Empire ottoman post-magnifique, les grandes figures de l’État décidèrent de repasser à l’offensive en reconquérant l’île de Chypre, naguère musulmane, et désormais sous contrôle vénitien. Venise constituait alors la principale menace maritime pour le commerce florissant de l’Empire en Mer Méditerranée. Chypre se trouvait précisément sur la route maritime reliant l’Anatolie à l’Égypte (ottomane depuis 1517 E.C.), et les Vénitiens l’utilisaient pour attaquer les navires de commerce ou de pèlerins. Les rapports entre les deux puissances maritimes rivales étaient donc très tendus, malgré un certain nombre d’accords qu’elles avaient signés.

Au plan religieux, bien que les Vénitiens catholiques dominassent Chypre, les Chypriotes étaient eux-mêmes rattachés à l’Église orthodoxe. Ils eurent donc à subir maintes exactions de la République de Venise. Par ailleurs, en 1567, le Sheikh de l’Islam (Shaykh Al-Islâm) - titre donné à la plus haute autorité musulmane de l’Empire et personnalité la plus influente après le Sultan, avant même le Grand Vizir - émit une fatwâ décrétant que puisque Chypre était autrefois une île musulmane conquise par les actuels ennemis vénitiens, il était du devoir des Musulmans de la leur reprendre.

Salîm II, assuré ainsi que la guerre qu’il mènerait pour récupérer Chypre était légitime, demanda l’avis de ses conseillers et des grands hommes d’État de l’Empire. La plupart le soutenaient, mais un certain nombre de personnalités ottomanes demeuraient sceptiques. Elles craignaient que la reconquête de Chypre ne serait pas digérée par la chrétienté, qui pourrait s’unir contre l’ennemi ottoman, notablement affaibli depuis la disparition de Sulaymân Al-Qânûnî. Selon eux, la guerre ne serait pas seulement entre l’Empire ottoman et la République de Venise, mais entre l’Empire ottoman et toute l’Europe chrétienne.

Le Sultan Salîm II balaya néanmoins ces doutes et prit la ferme décision de reconquérir Chypre et d’en refaire une île musulmane.

La reconquête

Les Ottomans préparèrent minutieusement la campagne de Chypre, notamment en ce qui concerne leur arsenal maritime. Venise était en effet réputée pour être une redoutable puissance des mers, disposant d’une flotte nombreuse et développée. L’Empire ottoman se dota alors du plus grand nombre de bâtiments de guerre qu’il avait jamais possédé. Pas moins de quatre cents navires affrétés allaient s’engager dans la reconquête de Chypre.

Les Ottomans envoyèrent d’abord une flotte de reconnaissance qui apparut au large des côtes chypriotes en mars 1570 E.C., pendant le mois de Ramadân. La flotte sultanienne, arrimée dans le port d’Istanbul et commandée par l’Amiral Dâmâd Biyâlah Pacha, leva l’ancre le 15 mai 1570. L’armée de terre, composée de soixante mille soldats, était commandée quant à elle par le Ministre d’État, le Général Lâlâ Mustafâ Pacha.

Au printemps 1570 E.C., la flotte ottomane se divisa en trois escadrons qui effectuèrent en Mer Égée des mouvements croisés, afin de flouter leurs intentions. Puis ils se réunirent à nouveau pour amener les forces d’occupation vénitiennes sur la côte méridionale de Chypre. La flotte ottomane débarqua ainsi dans le port de Limassol le 1er juillet 1570. Quelques semaines plus tard, les Ottomans lancèrent leurs opérations militaires terrestres qui allaient durer treize mois. Ils assiégèrent la ville de Nicosie où s’étaient retranchés dix mille soldats vénitiens et qui abritait quinze canons. Au terme d’affrontements qui durèrent quarante-neuf jours, ils parvinrent à prendre la ville le 9 septembre 1570.

Après ce succès retentissant, les villes chypriotes commencèrent à tomber les unes après les autres. Ce fut néanmoins la ville côtière fortifiée de Famagouste qui opposa le plus de résistance à l’armée ottomane. Sept mille soldats vénitiens, parmi lesquels cinq grands généraux, ainsi que soixante-quinze canons, y étaient en effet retranchés. Ces forces reçurent par ailleurs un renfort de mille six-cents soldats vénitiens et des quantités importantes de vivres et de munitions. Dans le même temps, les Ottomans apprirent que le Pape Pie V venait de former, le 25 mai 1571, une alliance chrétienne rassemblant la majorité des royaumes et des États chrétiens d’Europe.

Face à cette situation critique au point de vue stratégique et militaire, Istanbul décida d’envoyer à l’armée ottomane à Chypre des renforts et un soutien logistique. Par ailleurs, les Ottomans lancèrent une flotte de près de quatre cents navires qui avaient pour mission de se positionner au large des côtes italiennes et de couper l’aide aux Vénitiens assiégés à Chypre. Le Général Lâlâ Mustafâ décida de ne garder avec lui que quarante bâtiments pour assiéger Famagouste. La mission fut un succès, puisque sans renforts vénitiens, Famagouste ne tarda pas à tomber le 1er août 1571. La reconquête de Chypre était achevée.

Pour préserver cet acquis, les Ottomans firent s’installer à Chypre de nombreux Anatoliens, ce qui accrut considérablement la population vivant sur l’île. Entre 120 mille et 150 mille habitants vivaient à Chypre avant la reconquête tandis que le nombre d’immigrants est estimé selon les sources entre 30 mille et 200 mille Turcs musulmans. Cette reconquête fut par ailleurs perçue par la population grecque orthodoxe comme une libération. Dans certaines villes comme à Lefkara, il y eut des soulèvements contre les Vénitiens et des engagements aux côtés des Ottomans. Ces derniers prirent d’ailleurs des mesures rapides pour mettre fin aux injustices que subissaient les Orthodoxes. Ils abolirent ainsi le servage et octroyèrent aux familles paysannes la propriété des terres sur lesquelles elles travaillaient depuis des siècles.

L’Église orthodoxe fut également libérée du contrôle de la hiérarchie romaine et reprit son indépendance à travers l’Archevêché de Chypre. L’Église catholique des Croisés et des seigneurs vénitiens fut expulsée quant à elle de l’île. Ses édifices furent confisqués et convertis en mosquées ou revendus à l’Église orthodoxe. Les Catholiques qui habitaient sur l’île depuis la domination vénitienne durent choisir entre la conversion à l’Islam ou à l’Orthodoxie et l’exil.

Malgré la cuisante défaite de Lépante (en octobre 1571) consécutive à la reconquête de Chypre, et où la flotte ottomane fut anéantie par l’alliance chrétienne de Pie V, les Ottomans parvinrent à sauver Chypre et à garder en main leur destin en Mer Méditerranée.

Deux ans plus tard, durant les pourparlers de paix, le Grand Vizir dit à l’ambassadeur vénitien : « En conquérant Chypre, nous vous avons amputés d’un bras, mais en défaisant notre flotte, vous avez seulement rasé notre barbe. Vous ne pouvez pas espérer qu’un autre bras repoussera pour remplacer le bras amputé, alors que la barbe rasée repoussera à nouveau et de manière encore plus abondante ».

L’histoire donna raison au Grand Vizir puisque la domination ottomane sur l’Ile Verte, comme ils l’appelaient alors, perdura pendant 307 ans, jusqu’à ce qu’elle soit cédée à l’Empire britannique en 1878 E.C., contre la somme de 92 mille livres anglaises...

P.-S.

Sources : Islamonline.net, Moqatel.com et le site du Manolya Hotel.

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